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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 13/05/2018 à 15:30
» Dernière mise à jour le 16/05/2018 à 14:32

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 42 : Mesures de précaution.
 La figure de Miu était visible pour tous. Aucun ne pouvait la manquer ; elle flottait dans le ciel, juste au-dessus du palais de l’Ambre, munie de deux gigantesques et translucides ailes améthystes. Aussi, ses ailes filtraient la lumière du soleil, de telle sorte que toute la zone autour du palais était brutalement devenue entièrement violette.

Plus loin, au sommet d’une haute tour, Yvain de Mercœur scrutait la scène avec ces jumelles. Le leader de la rébellion côté noble multipliait les insultes : cet imbécile d’Omilio ne lui avait jamais parlé d’une gamine ailée ! Le pire, c’était qu’elle mettait entièrement son armée en déroute ! À quoi bon avoir des armes de l’Ancien Monde si une mioche suffisait à les contrer ?
Heureusement, Yvain de Mercœur n’était pas homme à n’avoir qu’un seul plan. Il savait très bien qu’Omilio n’était pas totalement fiable. Au fond, ce gamin n’était qu’un arriviste. Un roturier qui, pour une raison ou une autre, était devenu Foréa sur un caprice du Vasilias. Yvain de Mercœur, lui, était un véritable noble, de naissance. Cela faisant des générations que sa lignée baignait dans la gloire, la fortune, et surtout, le génie. Contrairement à ce crétin de Sanidoma, Yvain de Mercœur possédait ce fameux génie noble qui faisait de lui un surhomme. Depuis qu’Yvain eut acquis la raison, jamais il n’avait cessé de faire fructifier son capital, à un tel point que les de Mercœur – pourtant déjà richissime – n’avaient jamais été aussi productifs que sous sa coupe.

Ainsi, il était naturel qu’un génie comme lui prévoit quelques mesures de précaution. Lorsqu’Omilio lui avait donné les destructrices bombes de l’Ancien Monde, Yvain s’était permis de secrètement faire appel à ses propres techniciens. Avec leur aide, le noble génial avait réussi l’exploit de reproduire en masse ses précieux explosifs. Certes, les nouvelles bombes étaient sans doute moins puissantes que les originales, mais elle l’était suffisamment pour faire quelques dégâts ; pour écraser un insecte, qu’importe qu’on utilise une pierre ou un marteau. Toutefois, répliquer les bombes était intéressant, mais insuffisant. Il lui fallait plus, toujours plus. Et c’est ainsi que naquit le Goliath. Ce dernier était encore au stade de prototype, mais il n’en restait non moins géniale.
En analysant la technologie de l’Ancien Monde, Yvain avait réussi créer l’arme de guerre la plus destructrice de tout Prasin’da, à n’en pas douter. Le Goliath, comme Yvain l’avait lui-même nommé, mesurait pas moins de dix mètres de haut, pour trois mètres de largeur. En raison de cette taille démentielle, il fut impossible de le transporter à l’intérieur de la capitale, mais ce n’était en aucun cas un problème. Grâce à de multiples système de visés très précis provenant de l’Ancien Monde, le Goliath pouvait, de là où il était, viser n’importe quel point de l’immense capitale.
Le Goliath était caché dans une forêt dense, non-loin de Séoht. Prévoyant, Yvain de Mercœur y avait fait acheminer l’arme en pièces détachées depuis plus d’un mois, et avait afféré ses meilleurs techniciens pour la construire à temps pour le Festival du Renouveau. C’était difficile, mais le jeu en valait la chandelle.
Grossièrement, le Goliath était un formidable canon. Lorsqu’il faisait feu, il crachait impitoyablement un obus dont l’intérieur compactait la force d’une centaine de bombes. Autant dire que ça faisait du dégât. Yvain devait avouer avoir quelques remords à utiliser une arme aussi destructrice dans une ville pleine de civils, mais la guerre ne se gagnait pas sur de bons sentiments. Et puis, qui irait lui remettre la faute ? Le vainqueur avait toujours raison ; la fin justifiait les moyens.
Yvain de Mercœur passa donc au plan B. Dans une guerre, seule la force comptait. Celui ayant la plus écrasante puissance de feu était celui qui brandirait le drapeau de la victoire à la fin. Donc, par pure logique, si Yvain voulait gagner, il fallait qu’il ne montre aucune pitié.
Sans tarder, le noble saisit son transmetteur ; une autre des technologies de l’Ancien Monde, permettant de communiquer à de longues distances. Le sourire aux lèvres, il se contenta de donner légèrement le signal :

— Boom ! prononça-t-il exagérément.

Plus qu’un mot, ce fut le point de départ de la catastrophe. Dans la forêt, des soldats enclenchèrent l’arme et, une dizaine de secondes plus tard, le Goliath tira son premier coup. L’impulsion et le recul furent si puissants que trois techniciens – un peu trop proche de l’embout du canon – se firent carboniser sur place. Un détail.
L’obus meurtrier du Goliath fusa tel le tonnerre, et après un long – mais bref – voyage, il heurta le Palais de l’Ambre de plein fouet. L’explosion produit fut sans précédent. Les pauvres habitants de Prasin’da n’avait jamais connu une pareille détonation. Pour eux, le monde militaire se limitait aux épées, lances et flèches – voire au fusil à un coup pour les plus riches. Mais un canon tel que le Goliath ? Cela dépassait leur imagination.
La déflagration souffla absolument tout ce qui entourait le palais, balayant même les nuages. Toutes les habitations furent proprement rasées, ne laissant que leur fondations fondues. Inutile de parler de vies humaines ; il n’en restait rien. Que ce soit du côté du Vasilias ou des nobles, les flammes s’étaient éteintes. Il ne restait que la désolation et l’espoir carbonisé.
Si Yvain de Mercœur avait le sourire, il s’effaça bien vite lorsqu’il réalisa que le Palais de l’Ambre tenait encore debout. Il n’avait même aucune éraflure, comme si rien ne s’était passé. Yvain se serait tellement les dents que le mot ‘‘impossible’’ n’arrivait pas à sortir de ses lèvres. Tremblant, il remit ses jumelles et comprit immédiatement son erreur. Il avait oublié un facteur important. La gamine dans le ciel.

Flottant au-dessus du palais de l’Ambre, Miu devait avouer être impressionnée. Bien évidemment, elle était parfaitement au courant de l’existence du Goliath et de son pouvoir destructeur. Si elle le voulait, elle aurait très bien pu dévier l’obus explosif. Cependant, elle était curieuse. Elle voulait voir jusqu’où les humains pouvaient aller. Et c’était tout bonnement miraculeux. En partant de presque rien, les nobles avaient réussi à concevoir leur propre arme de guerre, et une arme très efficace pour ne rien gâcher. C’était fou de voir à quel point la technologie avançait vite, lorsqu’il était question de détruire.

— Cependant, ce n’est toujours pas assez ! ricana-t-elle.

Bien que puissant, le Goliath était loin d’arriver à la cheville de Miu. Le plus faible de ses boucliers psychiques étaient largement capable d’encaisser une déflagration. Cependant, le rôle de la demoiselle améthyste n’était pas d’écraser la rébellion. Ses ordres étaient clairs : empêcher les rebelles d’entrer dans le Palais de l’Ambre. Juste cela. Du moins, le temps qu’Eily et son groupe ne parviennent au centre du laboratoire.
Soudain, Miu leva la tête, intéressée. Elle le sentait. Un second obus arrivait.

— Ah, il n’abandonne pas, hein ? s’amusa-t-elle. Hihi, tant mieux, au moins, je ne risque pas de m’ennuyer…

Effectivement, Yvain de Mercœur n’avait pas dit son dernier mot. Le Palais de l’Ambre était le symbole du Vasilias. Le faire tomber reviendrait à éclater l’autorité du dieu autoproclamé. Ainsi, Yvain ne pouvait pas abandonner. Il allait continuer à attaquer, attaquer, attaquer, et attaquer encore ! Qu’importe si Séoht ce faisait détruire dans sa folie, l’essentiel était la victoire : la fin justifiait largement les moyens !


 ***

— Q-Qu’est-ce que ?!

Inam et Sfyri avaient momentanément stoppé leur combat. La pluie d’obus explosif n’était pas spécialement discrète. Les déflagrations dévastatrices se multipliaient autour du Palais de l’Ambre. Bientôt, les répercutions se rependirent dangereusement. Le pilonnage phénoménal du palais faisait trembler toute la ville ; d’inquiétantes fissures se dessinaient et fracturaient de plus en plus de bâtiments. Si les choses continuaient ainsi, ce serait bien toute la capitale qui finirait sous les décombres.

— C’est… l’œuvre des rebelles ? grommela Sfyri.
— …

Inam serra les dents. Ça, ce n’était pas prévu. Omilio avait été avare dans sa distribution d’armes de l’Ancien Monde justement pour éviter ce genre de catastrophe. Alors, d’où provenait ces obus cataclysmiques ?

— Vous êtes prêts jusqu’à détruire la capitale, n’est-ce pas ? siffla Sfyri.
— Non, ce n’est pas ce que…
— Silence. Les mots sont inutiles, les faits parlent d’eux-mêmes. Tu sais Inam, personnellement, je me fiche pas mal des autres. Chacun vit sa vie, certain sont plus chanceux que d’autres ; c’est injuste mais c’est comme ça. Si je devais m’inquiéter pour tous les malheureux de ce monde, je n’aurais pas fini de me morfondre. Cependant, il y a une chose précieuse pour quoi je me battrais jusqu’au bout : ma tranquillité. Je n’aspire qu’à ça, à vivre tranquillement et à pouvoir faire ce qui me plaît. Tout le monde aspire à la tranquillité.

Sfyri balaya la ville d’un geste de main :

— Une tranquillité que vous êtes venue détruire. Tous les gens qui étaient là, ils étaient venus passer un bon moment. Ils vivaient pour la plupart à l’abri du besoin. Et toi, tu me dis qu’en l’honneur de quelques pauvres âmes qui souffrent dans les confins de la région, on doit sacrifier tout ce bonheur ?

Sfyri secoua sa tête :

— Peut-être que tes raisons sont bonnes Inam, ou peut-être pas. Mais quelle importance ? Tu t’attaques à ce qu’il y a de plus précieux pour moi. Je veux rester dans ma petite bulle de tranquillité. Le Vasilias oublie peut-être certain de ses sujets, mais il garantit une vie stable, riche et paisible à tous ceux qui plient le genou devant lui. Pour une vie heureuse, c’est bien peu cher payé. Et toi, tu veux révolutionner les choses. Tu veux arracher cette vie heureuse qui nous convient. Ainsi, il est inutile de poursuivre plus longtemps, c’est désormais clair : tu es une ennemie mortelle de Prasin’da.

Le regard de Sfyri s’affermit. Jusque-là, il n’était pas spécialement sérieux. Il se battait sans réellement se battre, pour obéir à Miu et au Vasilias. Et cela arrangeait bien Inam, qui, elle aussi, faisait traîner l’affrontement. Mais désormais, les choses avaient changé. Le terrible bombardement que subissait Séoht lui avait ouvert les yeux. Ce qu’il se passait actuellement était d’une importance critique. Il se jouait en ces lieux tout l’avenir de Prasin’da. Les rebelles voulaient le changement. Sfyri, lui, ne le voulait pas. Hors, les rebelles venaient de prouver leur volonté destructrice ; ils ne s’arrêteront que dans la mort. En soi, Sfyri n’avait rien de particulier contre Inam, mais si sa mort pouvait lui garantir le retour à sa vie paisible, il n’hésiterait pas une seconde.

— Scalproie.

L’Ensar hocha la tête. Cela ne lui plaisait pas, mais il était temps de passer aux choses sérieuses. Une énergie ténébreuse fulmina de son corps ; ses lames semblèrent plus acérées que jamais. Et, d’un coup, Scalproie fusa. Aussi rapide que l’éclair, ses impitoyables Tranche-Nuit se multipliaient. Chacun des coups était si vifs, tranchants et brutaux qu’une petite tornade se formaient à chaque assaut.
Sfyri frappa soudainement l’air avec son marteau ébène et or, une véritable cacophonie en résultat, comme s’il venait de cogner une surface métallique. Aussitôt, des dizaines de lames d’acier se formèrent dans l’atmosphère, on aurait dit qu’elles émergeaient d’une autre dimension. C’était là le pouvoir de Sfyri : la Ferro-Genesis, la genèse de l’acier. Son marteau avait un étonnant pouvoir créateur : en donnant un coup dans le vide, il pouvait faire surgir n’importe quoi sous forme d’acier. Bien sûr, plus les créations étaient complexes et nombreuses, et plus cela demandait de l’énergie, c’était pourquoi il se contentait ordinairement de simples lames d’acier aiguisées. Sauf que la situation présente était loin d’être ordinaire.
Ainsi, en plus des lames, de nombreuses et dangereuses boules d’acier se formèrent haut dans le ciel. Plus bas, de vifs chaînes métalliques surgirent de nulle part, cherchant désespérément s’enrouler autour des bras et des jambes d’Inam.

— … tu en fais trop, lança faiblement cette dernière.
— Silence. Je fais ce qui est nécessaire.

Inam soupira, tout en continuant à esquiver les incessants assauts de Scalproie, ainsi que les innombrables chaînes. Chacun de ses mouvements étaient d’une précision redoutable, jamais un seul coup ne l’inquiéta. Mais elle ne pourrait pas rester inactives bien longtemps. Les lames et boulets métalliques tombaient du ciel, tels un jugement divin. Inam avait beau être douée, jamais elle ne parviendrait à esquiver tout cet arsenal meurtrier.

— …
— Je suis sérieux, Inam. Je suis prêt à tout pour garder mon confort de vie, et ce n’est pas vous autres, révolutionnaires, qui allaient me l’enlever !
— … oui, tu as toujours été comme ça. Pas méchant, mais égoïste. Je comprends pourquoi Omilio n’a pas essayé de te faire rejoindre notre cause.
— Et il a bien fait. Si j’étais au courant de votre coup d’État, je vous aurais immédiatement dénoncé.

« … ce qui aurait été bien inutile, vu que le Vasilias est déjà au courant de tout depuis le début… », soupira mentalement Inam.

La Foréa de D’meis baissa les yeux. Décidément, elle n’était pas taillée pour se battre contre ses compatriotes. Si encore Sfyri était réellement quelqu’un de détestable, une immonde crapule, elle aurait pu suffisamment se motiver pour le battre. Mais ce n’était pas le cas. Le simple fait qu’il soit égoïste ne justifiait pas un combat à mort.
Toutefois, elle n’avait pas le choix. Ifios, Danqa, Eily, Omilio et tous les autres ; ils comptaient tous sur elle pour qu’elle remplisse son rôle. Elle ne devait pas laisser ses bons sentiments faire capoter le coup d’État. Surtout qu’elle devait agir vite. Ce bombardement n’était réellement pas prévu, et s’il continuait, les dégâts déjà terribles deviendront cataclysmiques. Ironiquement, elle ne pourrait pas enquêter sur le sujet tant que Sfyri ‘‘protégeait’’ la capitale.

— Oui, je n’ai plus le choix, lâcha Inam.

Et, d’un coup, elle contracta tous ses muscles. Son regard s’incendia. Brusquement, une aura draconique azur l’enveloppa furieusement ; Scalproie fut obligé de se replier en vitesse. L’aura Dragon était si rageuse qu’elle suffisait à faire fondre le métal à proximité. Ainsi, les lames, boulets et chaînes d’acier invoqué par Sfyri devinrent subitement complètement inutile : dès que la moindre surface métallique l’approchait, elle fondait et s’annihilait immédiatement.

— … et zut, pesta Scalproie. Elle passe en mode sérieuse… ce serait peut-être le moment de fuir, non ?

Sfyri secoua négativement sa tête. Scalproie déglutit, comprenant que le combat devait être mené jusqu’au bout. Inam s’élança, sa gigantesque hache à la main. En un instant, elle disparut du champ de vision de Scalproie et réapparut juste derrière-lui ; l’Ensar n’eut même pas le temps de l’apercevoir qu’un coup énorme le força à traverser brutalement deux pâtés de maisons.

— Inam la Guerrière, lança Sfyri. Tu ne démérites pas ton titre.
— Et je compte bien lui faire honneur.

Et elle s’élança à nouveau. Sfyri para vivement la hache avec son marteau. L’impact créa une détonation si puissante qu’elle couvrit pendant l’espace d’une seconde le bombardement du Goliath.


 ***

 Au sol, le chaos ne cessait de croître. Grâce aux bons soins du Goliath, plus aucun abri n’était sûr. Les civils désespéraient. Où qu’ils allaient, le risque était trop grand. Dehors, les rebelles menaçaient toujours et à l’intérieur, les bâtiments risquaient de s’effondrer à tout moment.
Danqa aux Griffes n’avait jamais été aussi sombre ; même ses propres hommes craignaient de l’approcher. Le Boss des Agrios avait vite compris de quoi il en retournait. Les nobles avaient dû mettre la main sur des technologies meurtrières, bien plus que prévu, et s’en servaient à présent sans modération. Danqa sentait l’angoisse monter, un sentiment rare. Et si les bombardements n’étaient qu’un début ? Et si les nobles avaient d’autres technologies apocalyptiques sous la main ?
C’était évident : jamais les nobles ne se seraient contenté de suivre les ordres d’Omilio. Tout le monde le savait, c’était un risque à prendre. Mais force était de constater que le risque avait été fortement sous-estimé.

— M-Mais que signifie tout ceci ?!

Sanidoma avait l’impression d’avoir répété cette phrase plus d’un millier de fois en une dizaine de minutes. Mais il n’y pouvait rien, à chaque seconde qui se déroulait, un évènement impensable se déroulait.

— …

L’air grave, Danqa se tourna vers ses hommes :

— Nous n’avons plus le temps de faire évacuer les civils hors de la capitale. Amenez-les dans les égouts.
— Oui Boss ! s’exclamèrent les Agrios en cœur.

Sanidoma plissa les sourcils :

— … les égouts ? geignit-il craintivement.
— L’endroit le plus sûr actuellement. Vous y serez en sécurité.
— … mon ouïe me jouerait-elle des tours où… est-ce que par hasard, quand vous dites ‘‘vous’’, comptez-vous également ma personne ?
— Oui. Les civils doivent être protégés, et vous êtes un civil.

Le sens de cette phrase frappa Sanidoma aussi fortement que le ferait une montagne. Danqa aux Griffes voulaient que les civils se cachent dans les égouts. Autrement dit, dans le royaume des immondices, où déchets et vermines se réunissaient, où l’odeur provenait des enfers eux-mêmes ! Non, Sanidoma le refusait, et dans toute son entièreté ! Jamais il ne mettrait les pieds dans ces catacombes infernales, plutôt embrasser un gueux !

— Quant à moi, j’ai à faire, renchérit Danqa. Fiers Agrios, je vous fais confiance.

Les ex-bandits poussèrent une exclamation d’approbation. Danqa hocha la tête, satisfait. Il commença à s’éloigner, lorsque soudain :

— O-Où allez-vous ? osa Sanidoma.

La plupart des Agrios retinrent leur souffle. Il fallait avoir une bonne dose d’audace pour arrêter leur Boss, surtout lorsque ce dernier avait déjà une idée en tête. Danqa aux griffes se retourna, dans toute sa masse. Il toisa sévèrement Sanidoma :

— Que me voulez-vous ?

Sanidoma n’eut aucunement besoin d’un traducteur pour comprendre que le véritable sens de cette phrase était quelque chose du genre : ‘‘Fiche-moi la paix ou crève’’. Cependant, Sanidoma était désespéré. Aller dans les égouts était pour lui infiniment pire que la mort, alors, si pour y échapper, il devait affronter une montagne de muscles, il le ferait !

— J-Je me d-disais j-juste que… euh… v-voilà…c-com-m-ment d-dire…

Ceci dit, personne n’avait dit qu’il l’affronterait avec courage. Voyant que son interlocuteur était prêt à fondre de peur, Danqa soupira lourdement :

— Je vais dire deux mots au leader des nobles. J’ai une petite idée d’où il trouve. Je ne peux plus le laisser faire ce qu’il veut. Il faut que cette folie cesse.
— L-Le leader des nobles ? répéta Sanidoma.
— Yvain de Mercœur.
— D-De M-Mer… !

Sanidoma sursauta. Évidemment qu’il connaissait ce nom. Quel noble de Prasin’da ne le connaissait pas ? Yvain de Mercœur était un pur génie, qui n’hésitait pas à faire savoir au monde qu’il était exceptionnelle. La légende voudrait même qu’une fois, Yvain de Mercœur s’était installé seul dans un petit village d’une pauvreté exceptionnelle, sans aucun bagage. Six mois plus tard, le village s’était transformé en une petite ville florissante. Voilà ce qu’était Yvain de Mercœur, un génie capable de transformer le plomb en or. Si seulement il n’était pas aussi imbuvable. Opportuniste, impitoyable, sadique, perfide, la liste était encore longue ; cet homme inhumain n’avait qu’un seul et unique credo : la fin justifiait les moyens.

— Y-Yvain serait responsable de tout ça… ? C’est…

« C’est tout à fait possible… » geignit mentalement Sanidoma.

— Assez perdu de temps, cracha Danqa. J’ai répondu à votre question. Allez avec les autres maintenant.
— …

Danqa reprit sa route. Sanidoma grinça des dents. Yvain de Mercœur, hein. Il était peu dire que Sanidoma le détestait. À chacune de leur rencontre, Yvain prenait un malin plaisir à l’humilier publiquement et en particulier devant les autres nobles. Un bizutage constant et traumatisant. En résultat de ce matraquage, Sanidoma s’était enfermé dans son château, ne sortant qu’en de rares occasions, de peur de subir les moqueries de ses pairs.

— … u-un instant !

Encore tremblotant, Sanidoma retenta sa chance. Danqa ne s’arrêta pas.

— J-Je suis un noble moi aussi ! cria Sanidoma. J-Je connais bien Yvain, on est très proche ! S-Si vous voulez lui dire quelque chose, j-je suis certain qu’il serait plus disposé à vous écouter si je vous accompa…

Danqa s’était retourné, interrompant Sanidoma de son regard sanglant. Il jaugea durement le noble rondelet. D’un coup, Sanidoma sentit la température monter de plusieurs crans ; il lui était impossible de discerner sa sueur de ses larmes de peur.

— Vous dites connaître Yvain, c’est bien cela.
— … o-o-oui…

Danqa croisa les bras, réfléchissant. Techniquement, il faisait lui-même partie de la rébellion. Même si les nobles étaient allés trop loin, ils étaient nécessaires au plan d’Omilio. Ainsi, bien que cela lui démangeait, Danqa ne pouvait se permettre de massacrer Yvain. Cependant, si quelqu’un parvenait à le convaincre d’arrêter sa folie, sans l’usage de la force…

— Très bien. Je vous fais confiance. Venez avec moi.

Sanidoma glapit. Il ne savait pas encore comment, mais il avait réussi. Restait maintenant à savoir si c’était une bonne ou une mauvaise chose…


 ***

 Eily, Caratroc, Ifios, Evenis, Tza, Sidon, Fario et Gyl continuaient de suivre les deux individus voilés. En traversant le Palais de l’Ambre, les horreurs de l’extérieurs étaient plus qu’audibles. Un sentiment de culpabilité étreignit le groupe. Après tout, ce coup d’État, ils en étaient les complices. Si des gens souffraient et mourraient dehors, c’était à cause d’une guerre qu’ils soutenaient. Tza serra fermement la main gauche d’Eily et la main gauche d’Ifios. La tension était devenue si insupportable qu’elle en avait envie d’hurler.

— … courage, lui murmura Ifios.

Le fils de Danqa était pourtant loin d’être confiant. Encore maintenant, il se demandait ce qu’il faisait là. Il avait juste l’impression de s’être laissé entraîner dans quelque chose de bien plus gros que lui. Dire qu’il y avait encore quelques semaines, il était encore reclus dans ses montagnes.

— Le Vasilias…, s’impatienta Evenis. Il est si proche…

La jeune princesse n’en pouvait plus d’attendre. Le Vasilias, celui qui laissait le peuple de Genna mourir de faim, devrait bientôt rendre des comptes. Evenis sera rageusement ses poings. La source de ses malheurs serait bientôt devant elle. Oui, bientôt, elle pourra enfin faire sonner vengeance.

— Du calme.

Sidon posa une main sur l’épaule d’Evenis.

— … ne te laisse pas envahir par tes émotions.
— … plus facile à dire qu’à faire…
— … haha, je veux bien le croire…

Le groupe pénétra finalement dans la salle du trône, entièrement vide. D’ailleurs, le palais lui-même était étrangement vide. Il n’y avait pas âme qui vivaient, on se croirait presque dans un immense manoir hanté.
Les deux êtres voilés guidèrent le groupe dans une petite salle derrière le trône. Elle était juste assez grande pour contenir les dix individus. Fario fut le premier à comprendre :

— Cette pièce, on dirait la Tour d’Ivoire, nota-t-il neutrement.
— La Tour d’Ivoire ? l’interrogea Eily.
— Oui. Tu t’en rappelles certainement, pour accéder aux étages de la tour, il faut emprunter un ascenseur.
— La boîte magique ! se souvint Tza.
— Une technologie de l’Ancien Monde permettant de gravir de grandes hauteurs sans effort, acquiesça neutrement Fario.

Sidon se frotta le menton :

— Tu veux dire que cette pièce… est un ascenseur ?
— C’est juste, répliqua Gyl. Sauf que cette ascenseur ne monte pas, il descend. Il va nous mener aux profondeurs du Palais de l’Ambre, autrement dit, le laboratoire du Professeur.
Le déchet dit vrai , compléta les deux voilés. Le Professeur vous attend en bas .

Gyl ricana faiblement. Alors comme ça, ‘‘déchet’’ était son surnom officiel. Le pire, c’était que les deux êtres voilés l’avait prononcé sans la moindre animosité, comme si c’était parfaitement normal.
Sans plus de blablas, les deux guides activèrent l’ascenseur ; ce dernier se mit à descendre lentement. Chacun déglutit. C’était enfin le moment tant redouté. Cet ascenseur était la toute dernière limite séparant la surface de la profonde vérité. Chacun le savait, dès que les portes métalliques s’ouvriront à nouveau, ils pénétreront dans un monde caché, le monde du Vasilias. Le monde où se terraient les secrets les plus obscurs.