For a New World de Maski

Assis dans une pièce éclairée d'une lumière blafarde, l'homme avait posé ses coudes sur une table couleur crème, au-dessus de quelques feuilles et d'un crayon. Sa tête reposant sur ses gants violets, Genbu réfléchissait. Le fait que ses chasseurs se soient faits maîtriser aussi facilement le chagrinait. Mais ce n'était pas ce qui lui importait le plus.

Une nouvelle énigme s'était présentée à lui et il n'arrivait pas à la résoudre : les enfants qu'il avait déposés près de Paûmaint faisaient-ils partie des Bêtes Nocturnes ? Les monstres de foudre qui les accompagnaient étaient sans doute à l'origine des explosions des armes de défense des hélicoptères. La fille à lunettes pouvait aussi avoir fabriqué de quoi souder les caisses remplies de munitions.

Cependant, les descriptions qu'on lui avait données ne correspondaient pas. De par leur âge, il était encore plus improbable que ces enfants soient à l'origine des précédents incidents attribués aux Bêtes Nocturnes. Néanmoins, le chef des chasseurs savait qu'il ne fallait pas tirer de conclusions trop hâtives. Ils n'avaient jamais trouvé aucune piste permettant de les identifier, si ce n'est les noms de codes employés par les malfrats. Lupus était le chef, ça, ils le savaient. Venaient ensuite Fox, Papillon, Faucon, Cabybara et Serpent. Rabbit semblait ne les avoir rejoints que bien après. Ensuite, c'était le vide total.

Comme les Bêtes Nocturnes se tenaient généralement tranquilles, Genbu n'avait pas jugé bon de s'y intéresser. C'aurait été mobiliser des ressources pour pas grand-chose vu le peu d'informations dont ils disposaient.
A présent, le stratège sentait qu'il serait dangereux de les laisser courir plus longtemps.

L'entrée d'un homme dans la pièce lui rappela que la réunion allait commencer.

Autour d'une immense table recouverte de tasses et de collations, les chefs des chasseurs chargés de la protection des autres parties de Solaris attendaient le dernier invité. Genbu entra, un sourire sur le visage, et se servit un café, comme si de rien n'était.

« Veuillez m'excuser pour mon retard. De quoi vouliez-vous discuter ? demanda-t-il en remuant la boisson pour la faire refroidir.

-Nous aimerions en savoir plus sur l'attaque dont tes hommes ont été victimes, commença un individu à la voix grave, s'en prendre au convois de maintenance des antennes anti-démons est un acte grave. »

Buvant une gorgée de café, l'homme s'adossa à sa chaise.

« Eh bien, vous n'apprendrez pas grand-chose. Les Bêtes Nocturnes sont à l'origine de cet incident. Vous devinez aisément pourquoi nous manquons d'informations.

-Alors c'était vrai ! s'écria une voix tranchante, quand cesseront-ils de causer des ennuis ?!

-Nous énerver ne nous mènera à rien, intervint une voix légère.

-Je suis d'accord, approuva Genbu, les plus gros poissons sont toujours les derniers à mordre à l’hameçon.

-Avoue que cela t'amuse ! En attendant, la population est effrayée ! Partout dans Solaris, on a peur que les Bêtes Nocturnes ne trouvent un moyen de saboter les antennes. Nous devons agir ! » rugit de nouveau la voix glaciale.

L'homme retint une grimace. Il détestait que l'on se mêle de ses parties de jeu. Les intrus détruisaient toujours ses plans parfaitement préparés et cela menait généralement à la défaite.

« Genbu, n'aurais-tu pas trouvé de nouvelles personnes avec qui jouer ? » demanda la voix grave.

Ah non ! Pas question de leur parler des enfants ! Il était encore trop tôt pour prendre le risque de les attaquer. Ils avaient échappé à de talentueux chasseurs. Les prendre à la légère comme le feraient ces trois-là serait une grossière erreur. Il faudrait faire preuve d'astuce pour les piéger. Et pour cela, il leur fallait davantage d'informations.

« Rassure-toi. Je me lasse vite. Dès que je serai sûr de pouvoir les avoir facilement, je le ferai. Il en est de même pour les Bêtes Nocturnes : nous ne savons rien d'eux. Laissez-moi m'occuper d'eux. Vous n'arriverez à rien si vous utilisez la force. »

Les trois autres parurent peu convaincus. Ils se regardèrent tour à tour. Finalement, la voix légère déclara :

« Pourquoi ne pas faire comme cela : nous mettrons en commun les informations concernant les Bêtes Nocturnes, mais chacun sera libre de prendre les mesures nécessaires pour tenter de les arrêter sur la partie de la région dont il a la charge. Bien entendu, cela devra se faire en toute légalité. »

Les autres acquiescèrent. Puis la voix glaciale lança à Genbu :

« D'ailleurs, qu'en est-il de Père ? »

La bouche de l'homme s'élargit en un sourire derrière ses gants violets.

« Mes hommes doivent avoir localisé la région où il se trouve à l'heure qu'il est. »


Les premiers rayons de soleil éclairèrent les murs blancs comme neige d'Alcaration. Trois jours étaient passés depuis l'attaque des Bêtes Nocturnes. Pourtant, les journaux en parlaient encore. Le lendemain qui avait suivi la maintenance de l'antenne géante, les rues pavées de la ville étaient en effervescence. La population craignait que le gang ne se trouve tout près – ce qui était le cas.

Les magasins spécialisés dans les articles de chasse aux démons avaient peur d'être pris pour cibles. On verrouillait portes et fenêtres la nuit, et on prenait garde à ne pas rester dehors trop tard le soir. Même la fierté de la ville, sa fontaine, n'avait pas convaincu les touristes de rester dans cette ville spécialisée dans la vente de pierres en tous genres. L'immense monument, constitué de divers minéraux aux milles couleurs disposés entre des cailloux blancs, gris ou noirs, le tout surmonté de deux colonnes de pillow-lava d'où s'écoulait une eau cristalline, trônait seul au milieu de la place principale.

Claire et Sin – que Carme avait envoyés faire quelques emplettes et glaner les nouvelles – observaient les gens absorbés par leurs feuilles de choux. La jeune femme faisait semblant de feuilleter le sien, tandis que Sin laissait traîner son oreille jusqu'à un groupe de policiers qui tentait de rassurer des civils. La sécurité avait été renforcée mais la population se sentait toujours mieux protégée si les chasseurs de Genbu étaient dans les parages.

Ce manque de confiance envers la police était source de tension, Sin en était certain. Il décida de garder cette information dans un coin de sa tête.

« Heureusement que les habitants nous connaissent et savent qu'on fabrique, entre autres, du Repousse, déclara Claire, avec la tête que tu fais, on nous soupçonnerait facilement. »

Le regard vif associé à la mine renfrognée du médecin le rendait aussi intimidant que suspect. La population d'Alcaration était habituée à ne jamais le voir sourire et, de manière générale, à ne le croiser que très rarement. L'homme était d'autant plus sombre le lendemain d'un délit : il détestait les commérages qui accusaient aveuglément les auteurs présumés.

« Je ne comprends pas pourquoi Carme m'a demandé de t'accompagner. Il sait bien que je n'aime pas les gens, grommela son compagnon.

-Parce que c'est toi le médecin et qu'on manque de médicaments peut-être ?

-N'importe qui aurait pu aller les acheter avec une liste. »

La blonde soupira et reprit son apparente lecture. Ca ne servait à rien de discuter de ça avec lui. Sin était un surdoué qui trouvait le commun des mortels énervant ou bête. Ou ennuyeux. Tous ces êtres qui s'agitaient dans les rues semblaient sortis d'un moule. Même si leur apparence et personnalité différaient, l'homme aux cheveux violets les trouvaient trop semblables. Lui par exemple : on le destinait à être médecin simplement car c'était une tradition familiale. Quelle idée stupide !

Ils entrèrent dans une pharmacie. Claire échangea quelques mots à propos de l'incident avec le vendeur. Celui-ci était furieux, reprochant aux Bêtes Nocturnes de ne pas se soucier de la vie d'autrui. Si la jeune femme pouvait facilement jouer la comédie et prétendre être du même avis que la majorité, Sin en était incapable.

Il ne pouvait pas faire semblant d'être d'accord avec cette majorité qui l'avait mis à l'écart simplement car il était meilleur que tout le monde. Et encore moins la soigner.


« Eh bah t'en fais une tête, commenta Carme lorsque ses amis entrèrent dans la salle à manger, vous n'avez pas eu de problème avec une telle tronche ?

-Ceux qui n'avaient pas le nez dans leur journal étaient trop préoccupés pour la remarquer. » répondit Claire.

Les Bêtes Nocturnes étaient les seules personnes dont Sin se souciait. Il avait été le troisième à rejoindre le groupe, juste après Claire. Elle et Carme avaient été hospitalisés suite à une rencontre avec une sorte de poulet carnivore. Pour sa petite compagnie de livraisons, le duo cherchait un chemin plus sûr et plus rapide que les grands axes. Lorsque Sin avait demandé pourquoi ils prenaient tant de risques, l'homme aux pointes blanches avait répondu que les démons qui y vivaient empêcheraient les compagnies concurrentes de découvrir l'itinéraire.

Le médecin aimait la façon qu'avait Carme d'utiliser ce qui, au départ, semblait être un obstacle pour en tirer un avantage. Les lois, les objets, les personnes, tout. Dans ce gang, Sin ne voyait plus le monde aussi fermé qu'avant.

« Ils pensent qu'on est dans le coin mais certains disent que le lieu et le moment de l'attaque n'ont rien à voir avec notre QG. La seule chose qui pourrait nous trahir, ce sont les démons, termina Claire.

-Alors on doit s'en débarrasser avant la prochaine livraison. »