Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Distort City de Feather17



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Feather17 - Voir le profil
» Créé le 19/04/2018 à 12:17
» Dernière mise à jour le 10/11/2021 à 14:01

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
004. I - 4 : Cyano l'intello
JOUEUR : RED
BADGES : 0
POKÉDEX : 4
TEMPS : 0:48

Le deuxième jour de notre périple, la météo s’était calmée. Bien sûr, je ne m’en souviens plus très exactement, peut-être y a-t-il eu quelques nuages qui ont parsemé le ciel lumineux de Jadielle, mais je sais qu’il n’a pas plu. Je le sais car je les évènements qui se sont déroulés cet après-midi-là sont marqués à jamais dans ma mémoire. Tu t’en doutes surement : c’est la première fois que j’affrontais mon rival dans un combat Pokémon, la première fois que je ressentais autant de haine pour une personne.

Nous étions tous deux déterminés à prouver que nous avions du talent, résolus à crier sur tous les toits qu’il n’y avait pas meilleur dresseur que nous dans la région. Avec le recul, j’ai presque envie de ricaner. Que connaissions-nous sur le monde des Pokémon ? Que savions-nous de leurs modes de vie, de leur mode de procréation, de leurs pouvoirs exceptionnels et de leurs talents particuliers ? Je te le dis : nous ne savions rien. Nous étions deux ignorants arborant un sourire fier de ceux qui croient tout savoir et qui en réalité ne savent pas ce qu’ils font.

Prenons par exemple la capture d’un Pokémon. Lorsqu’on lit les manuels, cela parait si évident : on trouve le Pokémon, on l’attaque, on l’affaiblit et on lance une Pokéball en espérant qu’il s’y laisse absorber sans opposer de résistance. Simple. Basique. Tiens, si je tenais un dresseur en herbe devant moi — non, si j’avais la possibilité de remonter le temps et de tenir une conversation avec moi-même, je ne sais pas si je me ferais un sermon ou si j’attendrais de me planter pour me moquer de moi-même. Avoue, en me voyant faire, tu t’es souvent demandé ce que je faisais avec mes Pokéball. Non ? Même pas au début de notre relation ? En même temps, tu es venu tard dans mon équipe…

Bref, revenons à la capture. Fouiller les hautes herbes, attaquer, affaiblir, capturer. Pas si simple que cela finalement. Le simple fait de trouver un Pokémon sauvage relève de l’acharnement du passionné qui détient si fort la foi qu’il préfère passer sa journée et sa nuit à quatre pattes dans la boue plutôt que bien au chaud dans son lit. Si on m’avait dit que trouver un Pokémon sauvage aurait été si rude… Tu n’as pas idée du nombre d’heures que j’ai passées à tourner en rond dans la poussière, juste pour trouver un Aspicot ! C’est qu’un Pokémon sauvage, c’est plutôt malin. Dès qu’un humain s’approche de son habitat, il préfère s’enfuir rejoindre son nid plutôt que de l’affronter. Et je peux le comprendre ! Nous sommes vraiment des brutes, nous les dresseurs.

Cependant, de temps à autres, un Pokémon distrait, ou naïf, croise notre chemin. Un Roucool sauvage apparaît ! Le dresseur envoie son Carapuce ! Que doit faire Carapuce ?

— Carapuce, attaque « Charge » !

La tortue se jette de toutes ses forces sur le Roucool sauvage qui tombe au sol sous le coup de son adversaire. Le Roucool sauvage utilise « Jet de sable » : une motte de poussière s’écrase dans les yeux de Carapuce, ce qui diminue sa précision.

— Carapuce, attaque « Écume » !

L’écume qui s’échappe de la bouche de la tortue fouette le plumage du Roucool sauvage qui, sous la douleur, pousse un piaillement de douleur. Le dresseur lance une Pokéball dans les airs. La sphère rouge et blanche retombe lourdement sur le crâne de l’oiseau qui est aspiré en son sein. La Pokéball ne s’ouvrira plus. Et hop ! Roucool est attrapé !

Blue ramassa sa Pokéball et l’essuya d’un revers de manche afin de la faire briller au soleil. Satisfait, il accrocha sa deuxième Pokéball à sa ceinture. Son Carapuce le rejoignit en quête de félicitations, mais son dresseur ne lui accorda aucune importance.

— Et c’est comme ça que tu veux montrer que tu es digne de confiance ?

Derrière lui, une jeune femme l’avait rejoint au bord du lac qui s’étendait sur une bonne partie de la Route 22. Elle secoua sa longue chevelure brune dans le vent, comme pour accentuer l’autorité qu’elle avait sur Blue, et croisa ses bras, le regard fermé.

— En martyrisant des Pokémon ?
— Qu’est-ce que tu fais là, Green ? lui répondit Blue sur un ton peu chaleureux.
— Je suis venue t’empêcher de commettre une monstrueuse erreur, petit frère.

Blue leva les yeux au ciel, sachant pertinemment le contenu du discours moralisateur qu’allait lui soumettre sa sœur. Il préféra lui tourner le dos et reprendre sa route.

— Rentre à la maison tant qu’il en est encore temps, lui dit-elle sans hausser le ton. Je te connais, je sais que tu fais ça pour défier grand-père et le mettre en colère. Mais tout ceci n’apportera rien de bon.
— Alors comme ça, toi aussi tu n’as pas confiance en moi ?
— La confiance n’a aucune place dans cette situation. Tu ne te rends pas compte d’à quel point ce voyage que tu veux réaliser est dangereux !
— Existe-t-il une seule personne dans cette famille qui voudra bien considérer que j’ai un cerveau comme tout le monde et que je suis capable d’évaluer une situation ?
— Peut-être qu’on s’en rendrait compte si tu prenais les bonnes décisions ! Comme celle de rentrer à Bourg-Palette.
— Tu n’as qu’à y rentrer, tiens ! Je te suis, promis. Mais je dois d’abord capturer tous les Pokémon de la région, ajouta Blue avec sarcasme.

Green se mordit la lèvre, perdant patience.

— Pourquoi est-ce que tu tiens tant à ce que je ne fasse pas ce voyage ? Il me semble que toi, l’année passée, personne ne t’en a empêché. J’ai exactement le même âge que toi lorsque tu as réalisé ton propre voyage !
— Et tu sais très bien que j’aurais pu y rester !
— Ma vie aujourd’hui aurait été tellement plus simple sans toi !

Blue avait dépassé la limite que Green avait tracé dans sa tolérance. Blue, j’en suis sûr, avait dû regretter tout de suite ses propos. Sans un regard vers son frère cadet, elle lui indiqua l’hôtel où elle résidait à Jadielle au cas où il changeât d’avis, et l’abandonna dans ses remords.

Un Rattata vola dans les airs avant de disparaître dans un éclat de lumière rouge. C’est à ce moment-là que nos chemins se sont croisés. J’étais en effet occupé à remplir ma mission : compléter les informations du Pokédex du Professeur Chen. J’avais déjà capturé un Piafabec la veille, ainsi qu’un Roucool en début de matinée. Tout allait bon train pour moi : je vidais allègrement les routes de Kanto de ses habitants Pokémon en les incluant dans mon équipe. Je m’étais aventuré en dehors des rues pavées de Jadielle à la recherche d’un Nidoran mâle : apparemment, contrairement à son homologue féminin, son évolution au stade final était d’une puissance redoutable. Avec un Nidoking dans mon équipe, j’aurais été capable de vaincre n’importe quel Pokémon sauvage. C’est alors qu’en trouvant un Rattata aux abords de Jadielle, j’étais tombé sur mon rival juste après sa dispute avec sa sœur. Je savais que nous allions reprendre notre affrontement là où il avait été écourté la veille. Il me tardait de lui faire fermer son clapet, de lui prouver que j’étais le futur meilleur dresseur de notre génération.

— Red !

Je levai les sourcils en reconnaissant Blue. Loin derrière lui, telle une photo touristique, un immense bâtiment aux briques rouges s’élevait dans les montagnes. Blue avait suivi mon regard et il esquissa un sourire goguenard.

— Tu vas à la Ligue Pokémon ? me demanda-t-il en ne cachant pas son sourire. Je n’avais absolument aucune idée de ce qu’était la Ligue Pokémon à l’époque. Je te l’ai dit : nous étions stupides et incultes. Quoi qu’il en soit, je vis bien à ce moment qu’il m’accostait afin d’éviter sa conversation avec sa sœur.

— Laisse tomber ! T’es bien trop minable.

Ne pas répondre à sa provocation, rester calme, garder le contrôle.

— En plus, il te faut des badges. Les gardes ne laisseront pas passer un minable comme toi !

Surtout, ne pas répondre, ne pas lui donner la satisfaction d’être celui qui commet l’erreur. Alors, Blue lança l’offensive.

— Enfin, si tu veux, je suis prêt à exploser tes Pokémon !

À ces mots, Blue envoya son Roucool mal en point. Le pauvre piaf tremblait de douleur et son plumage indiquait qu’il venait d’être passé à tabac. C’est là que j’ai compris qu’il venait à peine de le capturer. Pardonne-moi pour ces sauts dans le temps dans la narration, je veux simplement que tout soit bien clair et te prouver que je n’invente rien.

Pour en revenir à ce combat qu’on venait de m’imposer, je n’allais pas gaspiller inutilement les forces de mon Pokémon le plus fort pour venir à bout de cet oiseau. J’ai alors lancé la Pokéball que je venais d’utiliser et mon tout nouveau Rattata s’en était extirpé. Heureusement pour moi, je n’avais pas dû l’affaiblir énormément pour le capturer. J’avais donc l’avantage.

Que doit faire Rattata ? Facile. Sous mes ordres, Rattata remua sa queue afin de prendre le Roucool adverse par surprise et diminuer sa défense. Alors que Roucool envoyait un nuage de poussière cacher la vue de mon Pokémon, j’envoyais ce dernier charger la bête ennemie. Le Roucool de Blue tomba K.O. sans tarder.

— Très bien, puisque c’est comme ça, tu vas voir de quoi mon Carapuce est capable ! s’était énervé Blue.

La tortue rejoignit son dresseur au pas de course alors que j’hésitais à changer de pokémon. Trop tard, Blue avait agi : Carapuce s’était jeté de ton son poids sur mon Rattata qui, beaucoup plus faible que lui, avait fini écrasé dans l’herbe.

Sans trop m’en faire, je remplaçai mon Rattata par mon Piafabec. Un bon petit « Rugissement » pour bien commencer le combat, mais Carapuce répliqua avec un « Mimi-Queue ». D’un côté, la défense de mon Pokémon diminuait, mais d’un autre l’attaque de son adversaire suivait le même destin. Nous aurions pu continuer ce petit manège, mais le résultat était identique : les coups portés l’un contre l’autre ne varieraient pas en termes de puissance.
« Reste l’offensive ! » en conclut Blue.

J’ordonnai à mon Piafabec de picorer son adversaire avec l’attaque « Picpic » mais Blue avait été plus intelligent. En faisant attaquer son Carapuce avec son « Écume », il avait touché mon Pokémon à distance et l’avait empêché d’atteindre sa cible. Le temps de se relever, Carapuce frappait à nouveau mon oiseau de plein fouet, et Piafabec perdait connaissance.

Décidément, son Carapuce était redoutable. Je ne savais pas combien de Pokémon Blue possédait à cet instant — si tu as bien suivi mon récit, il n’y a plus de suspens pour toi —, mais j’avais encore quelques cartes dans ma manche. C’était au tour de mon propre Roucool d’attaquer. En le comparant avec celui de Blue, je remarquai que le mien était plus grand, mais moins épais. Il y avait donc des différences entre les Pokémon identiques. Que je pouvais être bête de penser l’inverse !

Comme toujours, la stratégie de Blue était de baisser la défense de mon Pokémon avant de l’attaquer. Mauvaise technique. Évidemment, Blue ne pouvait pas être au courant, mais moi je savais que non seulement la vitesse de mon Pokémon me permettait d’attaquer en premier, mais aussi que sa défense était très pauvre et que son état de fatigue était avancé. Je venais en effet de l’utiliser pour capturer Rattata. En résumé, mon Roucool n’aurait eu qu’une seule chance d’attaquer. En diminuant sa défense, Blue venait de lui en offrir une deuxième, que je mis directement à profit !

Mon Roucool envoya son « Jet de sable » pour diminuer la précision des attaques de Carapuce. Premier coup. Roucool envoya un nouveau nuage de poussière sur Carapuce. Deuxième coup. Mais Carapuce réussit tout de même à charger et envoya mon Pokémon au tapis.

Ce Carapuce allait me donner du fil à retordre ! À lui seul, il venait d’abattre trois de mes Pokémon. En effet, il ne m’en restait plus qu’un. Celui que m’avait offert le Professeur Chen la veille. Celui sur qui tout reposait.

— Voilà enfin ton Salamèche ! s’exclama Blue. Ce qui veut dire que tu n’as plus de Pokémon en état de se battre !

Même un ignorant pouvait en arriver à cette conclusion, pas de quoi se pavaner !

Salamèche contre Carapuce. Le duel final. Dit comme ça, il n’y a pas de doute possible : mon Salamèche n’a aucune chance. Cependant, mon Piafabec avait diminué l’attaque de Carapuce, et Roucool s’était chargé de baisser sa précision à deux reprises. Tout était encore possible.

— Carapuce, tu sais quoi faire !

Nouveau combat, nouvelle attaque « Mimi-Queue ». Pas de problème, il ne fallait pas beaucoup de temps à Salamèche pour en finir. En espérant seulement que les effets du « Jet de sable » soient efficaces rapidement.

Sous mes ordres, Salamèche poussa un « Rugissement », juste pour être sûr. Carapuce envoya alors son attaque « Écume ». La poisse ! Non seulement, Carapuce restait très précis dans son attaque, mais surtout, il venait de porter un coup critique ! Salamèche tomba au sol, très mal en point.

Ni une, ni deux, je brandis une potion que je m’étais procurée le matin-même à la boutique de Jadielle et en aspergeai le corps de Salamèche. Il était à nouveau debout. Cependant, Carapuce en profita pour attaquer de plus belle. Pas de coup critique cette fois, et Salamèche tint bon. Il fallait à tout prix que je l’atteigne ! Sinon… Non, je n’osais pas imaginer le ridicule dont j’aurais eu à souffrir si je perdais ce combat.

Comme tu le sais, ce combat, je l’ai perdu. Ma technique était pourtant sans faille. Mais tel est le principe du combat Pokémon : il y a toujours une variable sur laquelle nous n’avons pas de contrôle. La chance. Ce jour-là, contre mon rival, je n’en ai pas eu. C’est amusant comme le destin est moqueur. Si je me retrouve en ce moment à dépoussiérer mon passé face à ma mort imminente, c’est parce que je n’ai pas eu plus de chance que lors de mon premier combat Pokémon contre mon rival.

Plusieurs attaques de mon Salamèche avaient échoué, une attaque « Écume » bien placée de la part de Carapuce, et le tour avait été joué.

— Il n’y a aucun danger qui me fasse tressaillir, avait annoncé Blue.

Je savais qu’il s’était adressé à sa sœur absente, et non à moi. Alors que je m’empressais de retourner à Jadielle afin de sauver la vie de mes Pokémon, Blue reprit son chemin vers le nord.

***
Comme tous les jours à Distort City, le soleil s’était levé de bonne heure, éparpillant rapidement les quelques nuages qui trainaient à l’horizon. Au chant du rouge-gorge qui avait élu domicile dans l’arbre se situant près de sa fenêtre, Cyano ouvrit ses paupières avec lenteur. Une nouvelle journée commençait, et avec elle, une nouvelle déception de voir le lit adjacent vide. Il avait toujours cru qu’avec le temps, la solitude de sa chambre se comblerait à mesure que son chagrin s’amenuiserait, mais force fut de constater qu’il avait tort. Comme chaque matin, Cyano s’était réveillé le cœur fendu.

Bien vite, il s’empressa de s’afférer à ses préparatifs quotidiens afin de disperser ses sombres pensées. Le jeune adolescent agrippa le petit arrosoir en plastique qui se trouvait au pied de sa table de nuit et fit perler quelques gouttes d’eau sur la demi-douzaine de plantes qu’il observait grandir avec passion au fil de l’année. Comme à l’accoutumé, il remplit le réservoir à graines de la cage de son canari dont le pelage rouge et marron se levait et s’abaissait au rythme du sommeil de l’animal. Enfin, il s’approcha de son aquarium afin de nourrir son plus fidèle animal de compagnie, et il étouffa un cri de surprise. Donatello, sa tortue de mer qu’il avait reçue de sa sœur lorsqu’il était un enfant, ne s’y trouvait plus. Cyano examina de fond en comble l’intérieur de l’aquarium, sachant que Donatello aimait se cacher dans le sable de temps à autre, mais après dix minutes de recherches intensives, il dut se rendre à l’évidence : sa tortue n’était plus dans son aquarium.

Voyant le temps défiler, le jeune adolescent ravala les larmes de tristesse et d’effroi qui menaçaient de couler sur ses joues, et se précipita dans la salle de bain afin de terminer sa routine par une toilette qui ne dura, comme d’habitude, que quelques minutes. En effet, Cyano détestait perdre son temps à prendre soin de son corps, privilégiant au contraire abreuver son esprit de nouveaux savoirs à la moindre occasion.

C’est pourquoi son rituel matinal se terminait toujours par un épluchage minutieux des informations du jour sur toutes les plateformes qu’il possédait. L’actualité, ce matin-là, était centrée sur le jugement en appel du célèbre criminel Tom Tereack ainsi que sur les pronostics de ceux qui se qualifiaient « d’experts » sur les candidatures possibles pour les prochaines élections locales. Depuis le scandale lié à une affaire de corruption qui avait uni le criminel au maire de Distort City, il ne s’était pas passé une seule journée sans que les médias ne discutent du probable remplacement du maire lors de ces élections dans lesquelles il se présentait à sa propre succession, ce qui avait fini par agacer fortement Cyano.

L’adolescent soupira en reposant sa tasse de café. Comme toujours, aucune information n’avait été partagée sur les mouvements culturels ou sur la migration des oiseaux qui avait commencé, ces actualités passaient souvent sur un plan secondaire.

Car Cyano était un passionné de la nature. S’il ne visitait pas une fois par semaine les Serres Publiques de Distort City, c’est qu’il avait été retenu par l’observation des animaux peuplant le bois aux abords de la ville. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il était autant détesté par ses camarades de classe, ou par tout autre adolescent du même âge qui voyait en lui la personnification de l’ennui. Afin d’éviter d’être tourmenté à l’Académie, Cyano avait dû mettre en place des stratégies, parfois peu efficaces. De fait, alors que la plupart des étudiants s’épuisaient à courir après un ballon durant les pauses, lui préférait s’installer dans un coin frais des couloirs d’un étage désaffecté de l’Académie et plonger son nom dans un bouquin sur les mammifères marins. Lorsqu’il croisait inopinément un de ses persécuteurs, il avait pris l’habitude de cacher son livre dans son sac à dos et de feindre le sommeil : personne n’attaquait quelqu’un d’endormi.

Cependant, sa vie telle qu’elle lui était donnée de vivre ne le dérangeait pas. Il avait adopté au fil des années une philosophie nihiliste, acceptant simplement d’être la victime de ceux qui en cherchaient une. Au final, cela lui semblait plus facile à gérer. Oh, il avait bien sûr essayé de se révolter par le passé, mais sa petite taille, son teint frêle et sa voix qui n’avait pas encore mué ne lui avaient procuré aucune arme sérieuse contre ses bourreaux. Et puis, l’univers lui avait arraché celle qu’il aimait le plus au monde, et il s’était finalement résigné.

Ce jour-là, Cyano s’était installé au pied d’un hêtre dans les jardins de l’Académie, à l’abri des regards et des sifflements moqueurs. Le soleil radieux lui avait procuré l’envie soudaine de se plonger dans son encyclopédie préférée : celle qui décrivait avec détails l’ensemble des plantes carnivores sauvages de la région. Retroussant ses manches délavées, il tourna une page et reconnut la dionée, cette plante attrape-mouche qui le passionnait tant.

— Eh, l’intello !

Cyano sursauta et se leva d’un bond, effrayé de se retrouver nez-à-nez avec le plus grand des tyrans de l’Académie, le chef de la meute. Cyano préféra ne pas le laisser prendre l’ascendant et rangea son livre dans son sac à dos, mais son agresseur lui arracha l’objet des mains d’un coup sec. Derrière lui, trois de ses comparses habituels l’avaient rejoint.

— Fais voir ce que tu lis aujourd’hui, Langue-Crasseuse ! Matez un peu ça, les gars ! Une encyclopédie sur les plantes carnivores sauvages !

Le groupe de garçons éclatèrent de rire sous la consigne de leur chef, sans trop savoir pourquoi l’information relevait du comique.

— Ah mais oui ! Je comprends ! On m’avait dit que ta famille n’avait pas un rond, mais je pensais pas que vous êtes si miteux que vous bouffez des plantes !

À nouveau, ses sbires hurlèrent d’un rire gras tandis qu’il affichait un sourire satisfait devant un Cyano tremblant de honte. S’il avait eu un brin de courage, il lui aurait fait remarquer sa faute de concordance des temps dans sa remarque cinglante, et il en aurait eu pour son grade. Ceci dit, il était à peu près sûr qu’il aurait terminé au sol, roué de coups.

— C’est tout ce que t’as trouvé ?

Cyano fit quelques pas en arrière. Il ne manquait plus que ça : l’étudiant qu’il détestait le plus venait de se mêler à l’offensive, comme d’habitude. Redwan ne pouvait-il pas le laisser en paix, pour une fois ? Si on le surnommait « Langue-Crasseuse », c’est parce que ce surnom lui avait été attribué à cause de Redwan qui s’était moqué de lui le premier jour de classe, lorsque Cyano avait répondu à la quasi-totalité des questions des enseignants. Chaque fois que cet adolescent se mêlait de ses conflits, Cyano souffrait d’une salve d’insultes supplémentaires. Pourquoi ne voulait-il pas le laisser tranquille ?

— T’as pas une fille après laquelle courir désespérément ? cracha Redwan en récupérant le livre de force. Il paraît que t’as essayé de sortir avec Sabrina mais qu’elle t’a remballé. Et si tu allais pleurer un coup chez ta mère pour te calmer l’esprit ?
— Je te conseille de te calmer tout de suite, cowboy, rétorqua le chef de meute. Si y a un gosse ici qui chiale dès qu’il a un problème, c’est pas moi !

Ce dernier lui fit un signe de tête en direction de Cyano qui ne pouvait empêcher une larme de terreur de couler sur sa joue. Cyano le regrettait déjà, mais c’était plus fort que lui : le conflit le stressait, et le stress lui faisait perdre tous ses moyens. Comme chaque jour, ses nerfs avaient fini par craquer et il s’était à nouveau posté en victime. Le groupe d’adolescents ricana de plus belle face à l’imitation de leur chef de clan qui se donnait en spectacle en mimant un enfant en pleurs.

— C’est pas vrai, ça ! s’emporta Redwan en découvrant Cyano en pleurs. C’est tout ce que tu as trouvé pour te défendre ? Tu sais quoi, c’est la dernière fois que je te viens en aide. J’aurais dû te laisser aller te réfugier dans les bras de ta sœur, comme d’habitude !

Excédé, Redwan lui rendit son livre en le plaquant contre son torse et quitta l’endroit d’un pas décidé. Cyano prit ses jambes à son cou et évita de croiser les regards des autres étudiants qui avaient assisté à la scène.

Assis en terrasse du Café du Coin, dégustant avec plaisir son capuccino habituel, Redwan repensa à son altercation dans la matinée et regretta amèrement son intervention. Il s’était pourtant juré de ne plus prendre sa défense, et l’échec de sa dernière intervention plaida en faveur de la décision qu’il avait rapidement ignorée. Finalement, Cyano méritait peut-être d’être la victime des gros-bras de l’Académie. Au vu de la manière dont il réagissait, et son faible tempérament, cela ne pouvait que lui construire une carapace contre la violence de la vie. C’était décidé, plus jamais Redwan n’interviendrait !

En parlant de carapace…

En terminant son cocktail, Redwan se souvint des évènements qui s’étaient produits l’avant-veille : comment il avait fini trempé jusqu’aux os par l’orage, étalé dans la boue, une tortue à la main et son vieux voisin maboul le menaçant d’une arme, évitant de justesse le chêne abattu par la foudre. Depuis cette mystérieuse soirée qu’avait prédite Adam sans aucune erreur, l’étrange garçon avait littéralement disparu de la circulation. Non pas qu’il lui manquât, mais Redwan était intrigué par cette disparition peu anodine. Après l’avoir suivi pendant des heures pour le convaincre que sa vie était entièrement fictive, Redwan s’était attendu à ce que l’enfant ne le quittât plus d’une semelle. Peut-être ses parents avaient-ils fini par remettre la main dessus et l’avait enfermé dans sa chambre ? Ou mieux, peut-être avait-il été enfermé définitivement dans un asile ? Ou en maison de redressement ?

Car finalement, Adam avait causé de nombreux dégâts deux jours plus tôt : le chêne de son voisin, le Prof Maboul, avait failli l’écraser et le vieil homme avait fini par se blesser dans sa chute.

Poussé par un élan d’humanisme, et surtout parce qu’il se sentait coupable des blessures occasionnées au vieil homme, Redwan décida d’aller prendre des nouvelles de son voisin.

Au-dessous de la sonnette, une étiquette délabrée affichait difficilement à l’encre décolorée le nom « Monsieur Shane ». Il savait qu’elle n’était plus fonctionnelle depuis des années. Aussi, il toqua plusieurs fois à la porte de la vieille bâtisse. Malgré sa longue attente, personne ne vint l’ouvrir. Le Prof Maboul était-il de sortie ? Cela l’étonnait, car la dernière fois que le vieil hurluberlu s’était aventuré à l’extérieur, il était resté au pas de sa porte, complètement perdu.

Redwan jeta alors un coup d’œil vers le jardin qui se trouvait derrière le vieux moulin à vent, qu’il n’avait d’ailleurs jamais vu en mouvement : la moitié du tronc d’arbre du chêne était étendue sur toute la longueur du jardin, l’autre tenait toujours debout, mais avait la couleur du bois carbonisé. Les séquelles subies par la foudre seraient irréversibles pour cet arbre.

Après quelques minutes, décidant que l’absence de réponse de son voisin était inquiétante, Redwan tenta d’ouvrir la porte. Comme il s’y était attendu, le vieux fou avait oublié de la verrouiller.

La porte d’entrée grinça en lui permettant d’ouvrir un passage vers l’intérieur moisi et miteux de la maison. Une odeur putride de chat et de nourriture pourrie lui souleva le cœur, mais Redwan résista et pénétra dans la masure inhospitalière. C’était la première fois qu’il s’aventurait dans la maison du Prof Maboul, et il se promit de ne plus renouveler l’expérience à l’avenir. L’intérieur était un véritable taudis : d’immenses toiles d’araignée délimitaient chaque coin de la pièce, des livres ouverts jonchaient le sol, des assiettes et tasses de café étaient éparpillées ci-et-là sur tous les meubles, les murs humides et défoncés laissaient perler la poussière, créant une atmosphère digne des pires films d’horreur. Jamais Redwan n’avait vu un habitat aussi déplorable.

Un bruit sourd attira son attention. Il provenait d’une porte entrouverte située sur le côté de l’escalier en bois. Discrètement, Redwan se faufila à l’intérieur et manqua de tomber dans une cage d’escalier qui descendait vers la cave. L’envie de s’enfoncer dans les sous-sols d’une telle maison en ruine lui manquait, mais il devait malgré tout s’assurer que le Prof Maboul allait bien. Rassemblant son courage, et se pinçant le nez, Redwan descendit les marches avec prudence.

— Monsieur Shane ? appela-t-il.

Sa voix résonna dans l’immense salle qu’il venait d’atteindre. Redwan resta pétrifié de surprise. Jamais il n’aurait imaginé découvrir une pièce semblable dans un tel endroit. La salle ressemblait étrangement à un laboratoire abandonné, le genre de laboratoire dans lequel se devaient se dérouler des expériences illégales. Devant lui, une série de cages étaient alignées au sol, mais une seule était habitée : il s’agissait d’une espèce de petit animal vert, mi-lézard mi-batracien, qui mangeait lentement une feuille de laurier. Au plafond étaient accrochées une demi-douzaine de cages rondes suspendues par des câbles en métal. Une salamandre pâlotte se tenait immobile dans un vivarium poussiéreux. Enfin, sur le mur du fond, un gigantesque aquarium à l’eau verte et sale renfermait la tortue de mer qu’il avait sauvée deux jours plus tôt. Heureusement pour lui et pour sa phobie, une large vitre le séparait de l’animal. Le reste du laboratoire peu éclairé était rempli de meubles cachés par des tissus en décompositions, et des bibelots en tout genre étaient disposés afin de rappeler la décoration de l’étage supérieur.

— Monsieur Shane ? appela-t-il une seconde fois, de plus en plus inquiet.

Une ombre se dessina dans un coin du laboratoire, entre une vieille armoire en bois et une énorme machine recouverte par un voile blanc et crasseux. Le Prof Maboul était assis sur un tabouret branlant et écrivait avec véhémence dans un calepin, appuyé contre une table qui ne pouvait contenir un livre de plus sans s’effondrer. Redwan se rapprocha du Prof Maboul qui marmonnait dans sa barbe des paroles incompréhensibles.

— …existent… Je les ai vus… partout…
— Monsieur Shane ?

Le vieil homme sursauta et se tourna vers lui, terrifié.

— Qui vous a laissé entrer ? Qui êtes-vous ? s’exclama-t-il. Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Je suis venu prendre de vos nouvelles, après ce qu’il s’est passé mardi, j’avais peur que…
— Vous êtes venus voler mes études ?! s’emporta le vieil homme fou.
— Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Redwan, votre voisin. On s’est vu mardi, pendant l’orage. C’est comme ça que vous avez eu votre tortue, vous vous souvenez ?
— Ma tortue ?

Le Prof Maboul plissa les yeux, comme s’il scrutait dans sa mémoire à la recherche d’un quelconque souvenir. Redwan lui montra l’aquarium du doigt et le regard du vieil homme se perdit dans l’eau verte. Puis, il éclata d’un rire franc.

— Ce n’est pas une tortue !

Le rire du Prof Maboul s’estompa et il se retourna vers son calepin afin d’y ajouter quelques notes, en poursuivant ses marmonnements :

— Ils sont partout… Je peux le prouver… ai vu… j’en ai même entendu un parler…
— De qui vous parlez ? s’inquiéta Redwan en essayant de lire l’écriture hachurée du Prof Maboul par-dessus son épaule.
— Les monstres ! Ils sont partout ! Ils peuvent prendre l’apparence des animaux et des plantes… et peut-être même des êtres humains…

À ces mots, le Prof Maboul s’était penché vers lui et avait levé son stylo comme s’il tenait un scalpel, prêt à autopsier le corps de Redwan à la recherche de preuves pour sa théorie. L’adolescent recula de quelques pas, préférant mettre de la distance entre lui et le fou. Il n’avait pas oublié que la veille, le Prof Maboul l’avait menacé d’une arme à feu.

— Je pense que vous délirez…
— Oh, tu crois ça ? Attends de voir cette salamandre cracher du feu !

Le Prof Maboul se leva d’un bon et se précipita sur le vivarium qu’il secoua avec violence. Mais la salamandre ne fit que se terrer en boule, terrifiée par la brutalité de son propriétaire.

— J’en ai vu un de mes propres yeux ! » hurla alors le Prof Maboul. « Un rat ! Qui se comporte comme un être humain ! Un gros rat violet ! Je l’ai vu ! Je l’ai entendu parler !!!

Le Prof Maboul entra dans un délire que Redwan ne put contrôler. Il se jeta sur ses documents à la recherche de preuves et envoya valser tous les objets qui le séparaient de ses livres.

— POURQUOI PERSONNE NE ME CROIT ?! JADE ! hurla-t-il. JADE !
— Monsieur Shane, calmez-v…
— JADE ! A L’AIDE ! On veut me voler mes études ! JADE !

Le Prof Maboul se jeta sur Redwan et lui agrippa son sweat-shirt.

— Amenez-moi Jade ! Amenez-moi ma petite fille !

Et il roula des yeux avant de s’écrouler sur Redwan.