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Pokemonis T.2 : L'embrasement de l'Aura de Malak



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Informations

» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 11/04/2018 à 09:24
» Dernière mise à jour le 11/04/2018 à 16:15

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Action   Aventure   Présence de Pokémon inventés   Science fiction

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Chapitre 29 : Des idéaux et des manoeuvres
Diplôtom



Je n’étais plus trop présent ces temps derniers dans le manoir de Lord Stuon. Lord Kashmel m’avait en effet confié diverses tâches qui nécessitaient que je me déplace beaucoup. L’une d’entre elles était bien sûr d’épier les mouvements de Son Excellence Jugeros durant ses enquêtes dans le Quartier G-Man, mais pas seulement Jugeros. Lord Kashmel m’avait fait également suivre plusieurs G-Man dont il voulait connaître leur orientation politique ou les complots qu’ils préparaient dans l’ombre. Plus j’en découvrais, plus j’étais abasourdi. Les G-Man semblaient former un Ordre uni en apparence, mais quand on grattait un peu, on découvrait bien vite que tout le monde semblait comploter contre tout le monde ici. Une suspicion généralisée y régnait, dissimulée sous le masque de l’hypocrisie.

J’avais déjà repéré plusieurs membres de Lance… qui eux aussi n’étaient pas avares en intrigues. Les G-Man de Lance complotaient contre les fidèles du Grand Maître, mais eux-mêmes complotaient entre eux, jugeant que Lord Irlesquo allait bientôt tomber en voulant placer leur famille au dessus des autres. Le récent décès de la femme du Grand Maître avait placé la famille Irlesquo dans un état de faiblesse avancée. Même son plus puissant allié, la famille Psuhyox, était elle aussi dans la tourmente avec la disparition de sa fille aînée et héritière Tilveta. Les discussions sous le manteau pour plomber encore plus les familles régnantes, suivies par les actes de déstabilisation généralisée de Lance menaçaient d’entraîner l’Ordre dans une explosion totale et imminente. C’était d’ailleurs exactement le souhait de Lord Kashmel.

Plus beaucoup de G-Man n’osaient sortir de chez eux. Les rues du quartier étaient vides, et quand deux G-Man se croisaient quelque part, leur rencontre tournait souvent très court. Je ne comprenais pas bien tous les événements qui avaient pu entraîner cette situation pesante et tendue, mais une chose était sûre, Kashmel n’y était pas étranger. Il ne l’avait pas avoué directement, mais j’étais certain que c’était lui qui a été assassiner Lady Sareim suite à mes révélations comme quoi elle donnait des informations sur sa famille à Son Excellence Jugeros. J’étais allé répéter cela à Lord Stuon, qui semblait en avoir saisi les implications. De fait, Kashmel et Stuon ne se parlaient plus beaucoup, et pour une raison ou une autre, Kashmel se montrait bizarrement froid et distant envers Six maintenant. L’ambiance suspicieuse et morose du Quartier G-Man semblait s’être totalement installée dans le manoir de Lord Stuon également.

Mon rapport - ou devrai-je dire mon roman - avançait bien, lui. La somme des informations qui m’étaient donnés petit à petit sur les G-Man, les humains et leurs modes de vie respectifs était hallucinantes, à tel point que j’avais du mal à classifier tout cela. Rapporter par écrit une révolution en étant au plus près de ses protagonistes principaux était hautement grisant, même pour l’intellectuel stoïque que j’étais. Mais je pense que j’étais tombé dans le piège classique de ceux qui s’attelaient à ce genre de tâches. Je n’étais plus neutre. Plus qu’un simple observateur et rapporteur, j’étais moi aussi devenu un acteur, en aidant la cause de Kashmel de diverses façons.

Et surtout, je commençai à éprouver une certaine forme d’attachement pour Six. C’était grâce à elle que j’étais au cœur de tout ceci. C’était elle, mon sujet d’étude originel. Elle avait beau être une humaine ignorante, disgracieuse et malodorante comme ceux de son espèce, fussent-ils G-Man ou non, je l’aimais bien. Je voulais qu’elle parvienne à ses objectifs. Donc, je prenais parti. Et ça, ce n’était pas professionnel. Mon récit risquait d’être jugé trop subjectif par mes confrères érudits du coup. Mais je n’allais pas réfréner mes sentiments pour autant. Je suivais mon idéal, qui voulait que je reste toujours sincère envers les autres, mais surtout envers moi.

- C’est peut-être mon dernier bal G-Man, ce soir, marmonna Six.

Elle était allongée sur son lit dans l’une des chambres du manoir de Lord Stuon, à regarder le plafond richement décoré sans bouger, perdue dans ses pensées. Moi, je devais me rendre dans la ville-basse, pour aider Immotist à reforger son réseau d’informateurs pour le mettre au service de Kashmel. Mais j’avais tenu avant à rendre visite à ma jeune amie G-Man, qui paraissait fortement préoccupée par les récents événements. Ce soir, elle devait se rendre au manoir Argoin pour un autre bal, où elle devait transmettre un message écrit de Kashmel à Lady Meika.

- Et tu le regrettes ? Demandai-je.

- Je sais pas. C’était débile, en un sens, mais je ne me sentais pas totalement mal à l’aise avec ce costume flamboyant, à fréquenter les autres G-Man et à manger des trucs aussi chers et bons. C’est bizarre non, étant donné que j’ai toujours vécu dans la ville-basse et dans la misère la plus totale ?

- Sans doute ton sang G-Man doit te parler, théorisai-je.

- Mon sang G-Man… répéta la jeune fille. J’ai toujours pensé que c’était une malédiction, qui allait finir par me faire tuer. Aujourd’hui, j’ai l’impression que je peux changer des choses, même si je suis née du mauvais côté du lit.

- Les changer comme Kashmel l’entend ?

- Je ne sais pas trop ce que Kashmel entend. Il n’a jamais été très clair sur ce qu’il comptait faire. Mais je ne pense pas que l’Ordre actuel soit totalement perdu. Je ne pense pas que tous les G-Man approuvent cet immobilisme et les règles iniques de l’Empire. Et je ne pense pas que tout le monde à Lance pense qu’il faille assassiner des Pokemon pour se faire entendre. Il y a de braves gens dans l’Ordre.

Je savais que Six songeait à cet ami qu’elle s’était faite lors de ces deux premiers bals, ce Rohban Irlesquo qu’elle avait sauvé.

- Je veux faire toute la lumière sur qui je suis, reprit Six en s’asseyant. Je compte bien retrouver ma mère, et savoir si ce Lord Gilthis est bien mon père ou non. Puis je jugerai de moi-même ce que veulent réellement Lance et Meika Irlesquo. Après tout, Kashmel m’a toujours dit qu’un vrai G-Man est un G-Man qui pense par soi-même !

- L’érudit et étudiant que je suis ne pourra pas te dire le contraire, approuvai-je. C’est bien de se faire enseigner des choses, mais il faut toujours conserver son regard critique sur tout, et pas se fier à la lettre à ce que les personnes plus sages et expérimentées que nous nous disent.

J’ouvris mon livre avec mes pouvoirs psychiques et en tournai les pages très vite.

- Tu es de ceux qui forgeront leur propre épopée, Six. La tienne, et pas celle d’un autre. Et je veux être celui qui l’écrira et qui la fera partager au monde !


***


Furaïjin




J’étais seul avec Kashmel dans le grand salon. C’était là d’ailleurs ce que j’espérai. Il m’était impossible de lui parler franchement désormais s’il y avait quelqu’un d’autre avec nous. Nos secrets avaient fini par avoir raison de nous. Nous ne pouvions même plus parler à cœur ouvert avec nos propres alliés… si toutefois « alliés » était bien le mot. Plus le temps passait, et moins j’avais l’impression que Kashmel les considérait ainsi. Le terme « pions » aurait été plus approprié.

- Tu es sûr de ce que tu fais, Kashmel ? Demandai-je.

Mon vieil ami soupira en grommelant.

- Me le demander dix fois par jours ne changera pas ma réponse. N’ai-je pas prouvé que j’étais prêt à tout ? Qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible ?

- Si, en tuant Sareim ?

Je n’arrivais pas à lui pardonner cela. J’avais connu Sareim les deux années que j’ai passées au Quartier G-Man après que Kashmel m’eut trouvé dans la salle secrète du manoir Irlesquo. C’était une amie. Elle l’avait toujours été, même après toutes ces années de séparation. Surtout que je ne voyais pas l’intérêt dans le plan de Kashmel d’avoir eu à l’éliminer. Ça ressemblait pour moi à un simple règlement de compte.

- C’était la preuve de ma détermination ; la mise de côté de mes sentiments pour la seule et entière réussite de la tâche qui nous a été allouée, acquiesça Kashmel sans l’ombre d’une repentance. Nous avons été choisi par lui. Tu le sais, Furaïjin. Nous sommes les élus, ceux qui sauveront l’Ordre G-Man de lui-même. Nous accomplissons sa volonté, telle qu’il te l’a transmise il y a si longtemps, avant que tu ne t’endormes durant tous ces siècles. Tu peux douter de bien des choses, mais pas de ça !

- Je ne doute pas de lui, ni de sa volonté, répliquai-je. Mais la situation a évolué. Tu as entendu comme moi les nouvelles que Stuon nous a rapportées. Elles sont vraies. On ne parle plus que de ça partout en ville. Les Paxen ont gagné une grande bataille contre l’armée impériale. Ils ont éliminé le fameux colonel Tranchodon et protégé la base. Nous n’avons peut-être plus besoin d’activer le Phénix maintenant…

Kashmel secoua la tête.

- La situation des Paxen n’a rien à voir avec ce que nous faisons. Certes, Astrun, Ludmila et les autres ont pu repousser l’Empire un temps. Mais ce n’est que partie remise, tu le sais. Légionair ne restera pas sur cet échec. Maintenant que l’identité de la base Paxen est connue, il reviendra à la charge, avec une plus grosse armée encore. Quant au plan d’Astrun et de Cernerable, tu sais ce que j’en pense… Mais qu’ils fassent donc ce qu’ils veulent ; j’en ferai de même de mon côté. Notre quête dépasse les idéaux des Paxen. C’est l’Aura que nous servons. C’est elle que nous devons sauver. Et si notre plan réussi, ça n’en sera que bénéfique pour les Paxen.

Kashmel se mit à tourner autour du salon, comme quand il était agacé et impatient.

- Nous ne pouvons plus attendre. Nous ne pouvons plus hésiter ! Si on laisse les choses en l’état, l’Aura finira par disparaître totalement, et notre race aussi. L’Ordre G-Man tel qu’il est devenu sous l’Empire a été une calamité, qui a affaiblit notre digne espèce. Rends-toi compte ! Avant Xanthos, les G-Man avait une espérance de vie de plus de 130 ans. 130 ! Aujourd’hui, c’est à peine si nous vivons plus longtemps que les simples humains. À cause de ce mode de vie absurde, notre ADN s’est affaiblie, tandis que l’Aura s’est dissipée toujours un peu plus. Ton ami l’avait prédit, six cent ans plus tôt, et nous sommes en plein dedans ! Le Phénix doit être utilisé, Furaïjin. Et ce très bientôt.

J’acquiesçai mollement.

- Je le sais. Mais… et Six ? Elle ne sait encore rien, pourtant, elle va finir par s’en rendre compte. Tu sais quel genre de rêves elle fait.

- Nous n’aurons pas à nous en inquiéter encore longtemps. Ce soir, elle donnera ma lettre à Meika. Nous n’aurons ensuite plus besoin de Bradavan ou de son marmot si nous l’avons elle sous la main. C’est amusant, comme la pire malédiction peut se transformer en bénédiction…

Mon ami eut un ricanement qui me hérissa le poil. Quelque chose de sinistre, que je ne reconnaissais plus.

- Tu comptes donc t’en servir jusqu’à la fin, et l’abandonner ensuite ? La donner en pâture au Phénix, comme les autres ?

- Je ne savais pas ce qu’elle était, se défendit Kashmel. Je n’ai rien contre cette gosse, mais on ne peut pas tout réparer pour ensuite courir le risque que tout reparte en couille simplement parce que nous avons été trop tendres. C’est une purge, Furaïjin. Une remise à zéro générale. Les boulets du passé doivent tous disparaître pour que tout cela ait un sens.

- Mais…

Kashmel m’arrêta, la main levée.

- Je sais que tu t’es attaché à elle. Et aussi étrange que cela puisse te paraître, moi aussi. Je n’ai encore rien décidé à son sujet. Ça dépendra de la situation sur l’instant, et de son comportement. Pareil pour Stuon… et ça semble assez mal parti pour lui, si j’en juge à son attitude récente. Il doit se douter de quelque chose…

- Parce que tu n’as pas été sincère dès le début.

- Ils ne m’auraient pas suivi si je l’avais été. Nous seuls pouvons comprendre la volonté qui nous a été transmises. Je te l’ai dit : nous sommes les élus. Nous avons été choisis par lui. Les autres ne comptent pas. Seule sa volonté compte. Toutes ces années de recherches, toutes ces manœuvres… Tout cela va aboutir dans quelque jours, Furaïjin. J’ai besoin de toi à mes côtés. Je ne peux y arriver tout seul. C’est notre destin commun. M’aideras-tu, mon ami ? Accomplirons-nous sa volonté ensemble, comme il l’avait souhaité ?

Il y avait une telle passion dans la voix et dans les yeux de Kashmel que mes quelques doutes me semblèrent tout d’un coup indignes. Kashmel suivait son idéal sans broncher, quelque soit les épreuves… tout comme lui, jadis. Oui, Kashmel était celui qui avait été choisi. Comment pourrai-je en douter, après trente ans passés à ses côtés ?

- Bien sûr. Je serai là, acquiesçai-je. Je ferai ce qui doit être fait.


***


Meika




Dans la salle d’entraînement que j’avais aménagée moi-même dans le manoir, je tournoyai, la Lamétrice en main, en contrant les attaques qui venaient de tous les côtés et en détruisant les pantins censés représenter des ennemis dispersés partout autour de moi. J’étais tellement plongée dans l’Aura que rien ne pouvait plus me surprendre au sein de mon environnement. Je voyais tout. J’étais dans mon corps, mais aussi ailleurs. Au dessus, en dessous, derrière. Dans ce monde gris-bleu qu’était celui de l’Aura, le moindre frémissement, la moindre perturbation me parvenait. Je sentais les projectiles tirés venir vers moi, et je savais exactement dans quelle direction et à quelle vitesse. Quand j’en esquivais un, je lançai moi-même deux attaques foudres qui étalaient proprement trois voir quatre pantins à la fois.

Techniquement, je n’aurai pas eu besoin d’esquiver les petits cailloux qui était lancés automatiquement par les mécanismes installés partout dans la pièce. En tant que G-Man de Pokemon Roche, je pouvais solidifier ma peau et me prémunir de toute douleur liée à des impacts. Parfois, je m’entrainai à ça. Je demandai à un domestique de m’attaquer à divers endroit du corps avec un couteau, et je contrai les attaques juste avec ma peau. Mais là, je voulais m’entraîner à esquiver les tirs tout en contrattaquant. Rien ne me toucha, et mes pseudos ennemis furent tous éliminés en à peine trente secondes.

Tirant une petite décharge électrique du bout du doigt sur l’interrupteur du mécanisme général de la pièce, j’arrêtais l’entraînement. J’étais en sueur et à bout de souffle. Ce n’était évidement pas ma première séance, mais ma trentième. Et je faisais ça tous les jours. Pas forcément le même entrainement - je m’en étais inventé pas mal - mais chaque jour, j’en faisais un. Et ce depuis mes dix-sept ans. Père trouvait cela stupide et inutile, mais il me laissait faire, du moment que ça n’impactait pas sur mes activités officielles d’héritière des Irlesquo. Ça ne le dérangeait pas outre mesure que l’on sache que sa fille était devenue la seconde G-Man la plus puissante de l’Ordre grâce à son entraînement acharné, mais ça lui rappelait sans doute trop son frère déchu Kashmel, qui lui aussi en son temps était un grand partisan de l’entraînement.

J’étais G-Man d’un Pokemon particulier. Un Grolem, oui, mais pas n’importe lequel. Il existait, sur des îles éloignées non-soumises à l’autorité impériale, une race spécifique de Grolem, qui avaient cédé leur type Sol pour un type Electrique. On ne savait pas trop pourquoi ; sans doute une mutation progresse à cause d’un environnement particulier. Ce qui était étrange, c’était d’avoir hérité de ce gène, qui de toute évidence n’était pas naturel… ou plus précisément, qui n’existait pas encore à l’époque antique de l’apparition des premiers G-Man. J’étais la première à posséder l’ADN d’un Pokemon avec une forme inhabituelle, et les plus vieux et sages G-Man, eux-mêmes ne l’expliquaient pas.

J’étais unique, et parce que j’étais unique, je me devais d’être forte. À l’heure où le gène G-Man ne cessait de faiblir et de produire des G-Man de piètre qualité, mon double type Roche et Foudre m’offrait des possibilités multiples. Mon entraînement constant m’avait renforcé physiquement, et j’étais un maître dans la lecture de l’Aura. Mais je n’étais toujours pas satisfaite. Malgré ma particularité et tous mes efforts, je n’étais toujours pas la première. Gilthis me dépassait, encore et toujours. Togekiss était un Pokemon puissant, certes, mais ça allait bien plus loin que ça. J’ignorais son secret, mais il faisait forcément quelque chose pour posséder cette force. Et il ne fallait pas compter sur lui pour me le dire.

Je voulais le dépasser. Je ne serai satisfaite que lorsque j’aurai gagné un duel contre lui. En attendant, je ne pouvais que me languir de sa présence. Cet homme était tout à fait insupportable, et poursuivait des buts connus que de lui seul, mais il m’attirait fortement. Peut-être justement parce qu’il était le seul ici à me dépasser. Je m’apprêtai à relancer la machine et à faire une autre séance, encore plus dure et rapide, quand mon père débarqua dans la pièce. Il fronça les sourcils à ma vue. J’étais, pour ainsi dire, particulièrement dénudée, et ruisselante de sueur.

- Habille-toi et essuies-toi, m’ordonna-t-il d’un ton sec. Nous avons à parler.

Acquiesçant, j’allai chercher mes vêtements et ma serviette, tout en observant, d’un air amusé, la réaction de mon père du coin de l’œil, qui semblait éviter de me regarder. Par Sacha, cet homme était tellement pudibond et coincé que c’était à se demander comment il avait pu mettre ma mère enceinte… Il n’attendit pas cependant que j’ai terminé pour me demander :

- Où est Rohban ?

La façon dont il avait posé la question m’indiquait que c’était là la raison de sa venue, et pas une simple interrogation secondaire.

- Je n’en sais rien, père, dis-je d’un air indifférent.

C’était la stricte vérité, en plus. J’en savais rien, et je m’en fichais royalement. Père n’avait jamais accordé une attention énorme à Rohban non plus, mais même lui avait fini par comprendre que quelque chose n’allait pas.

- Cela fait trois jours que plus personne ne l’a vu ! Tonna-t-il. Il a disparu, peut-être de la même façon que Tilveta !

Je retins un ricanement. Tout le monde croyait encore que Tilveta Psuhyox avait fugué ou s’était faite enlever. Enfin, quand je disais tout le monde, je parlai bien sûr seulement des G-Man non-affiliés à Lance… qui commençaient sérieusement à devenir minoritaires.

- C’est possible… dis-je sans trop m’avancer.

- Par Xanthos, ça ne t’inquiète pas ?! C’est peut-être Lance qui est derrière tout ça ; un plan visant nos grandes familles en faisant disparaître nos enfants !

- Vous m’étonnez, père. J’ignorais que vous aviez un tel attachement envers Rohban.

Bradavan Irlesquo se rembrunit.

- Ne soit pas stupide. C’est la seule réputation de notre maison qui est en jeu. Rohban est insignifiant, mais il porte notre nom. Si quelqu’un peut faire disparaître l’un des nôtres sur notre territoire même, alors aux yeux des autres, nous ne sommes plus une maison qu’il faut craindre.

- Vous dramatisez, renchéris-je. Rohban était très proche de mère. Sa mort a été un grand choc pour lui, et il a probablement été faire son deuil loin d’ici.

- Tu ne penses pas qu’il aurait pu se suicider ? S’alarma père. C’était déjà très dur à faire passer aux yeux des autres pour Sareim, alors si lui aussi s’y met, que va-t-on dire de nous ?

L’inquiétude réelle de mon père à ce sujet me donna envie de vomir. Ahhhh, comme je pouvais haïr cet homme détestable ! Comme il me donnait la nausée à chaque fois que je parlais avec lui ! Pour lui, tout tournait autour de sa petite personne insignifiante. Tous les autres n’avaient de valeur qu’en fonction du prestige qu’ils pouvaient lui offrir. Il n’aimait personne à part lui-même. Qu’il me tardait… Oh oui, qu’il me tardait que Lance passe enfin à l’action, pour voir la chute de cet individu méprisable et futile.

- Rohban n’est pas du genre à se suicider, dis-je pour le rassurer. C’est un lâche.

Un peu comme vous, manquai-je d’ajouter. À vrai dire, la disparition de Rohban m’avait un peu surprise. Je n’ai jamais imaginé qu’il puisse trouver en lui le courage d’abandonner tout le confort et la sécurité du Quartier G-Man. Probablement que j’y étais pour quelque chose, après l’avoir directement menacé. Mais qu’importe, hein ? J’avais dit à la gamine Sixtine que je ne le tuerai pas pour le moment, et j’ai tenu parole. Qu’il aille donc mourir dans un caniveau de la ville-basse si ça lui chante.

- Il refera surface bien assez tôt quand il aura faim, poursuivis-je. Je tâcherai de dissimuler sa disparition lors du bal ce soir. Vous venez, d’ailleurs ?

- Non, grommela mon père. J’ai déjà prévenu Argoin. L’heure n’est plus aux amusements nocturnes. Son Excellence Jugeros rode de plus en plus dans le coin, et j’ignore ce qu’il a pu dénicher sur Lance. Il faut que je me prépare à rendre compte à Sa Majesté à ce sujet.

J’étais dans la même situation que père, sur ce coup ci. Je ne savais pas ce que Jugeros avait pu trouver sur mon organisation rebelle. Normalement rien, si tous ceux qui en font partie avaient bien suivi mes ordres et mes appels à la prudence. Mais on ne pouvait jamais être sûr, avec Jugeros. Ce damné Pokemon avait une extraordinaire capacité à toujours réunir les preuves qui lui manquait dans une affaire. Mais de toute façon, ça importait peu, maintenant. Lance allait bientôt passer à l’action, et prendre le pouvoir. Moi, je ferai en sorte de me charger de Jugeros, avec l’aide de Gilthis. Puis les mercenaires que j’avais contacté, sous les ordres de Draïen Malket, cet ancien Paxen à la sale réputation, arriveront dans la capitale, pour la mettre à feu et à sang avec l’aide de mes fidèles G-Man, quand nous aurons exterminés tous les autres.

- Dois-je m’y rendre moi-même alors, ou préférez-vous m’avoir avec vous ?

- Non, vas-y. Il faut que quelqu’un nous représente, et il ne me reste plus que toi. Suis fidèlement mes instructions, Meika, et tu hériteras d’une maison forte et respectée, et comme il en fut de tout temps.

Je m’inclinai, feignant la soumission.

- Naturellement, père. Je vous ai toujours été fidèle et dévouée, vous le savez.

Le Grand Maître hocha la tête et eut l’air un peu plus rassuré qu’il n’était venu en sortant. Je le suivis du regard tandis qu’il partait, accablée par tant de bêtise et d’aveuglement de sa part. Je n’arrivai pas à comprendre comment un homme si idiot avait pu mettre au point un stratagème pour prendre le contrôle de la famille, en faisant tuer au passage ses parents et fuir son frère aîné. Ça avait été son plus grand coup d’éclat, assurément, et probablement le seul. Naître fils cadet, G-Man médiocre d’un Insolourdo, et bâtard par-dessus le marché, et parvenir à s’élever au sommet malgré tout…

Oui, il avait bien joué à l’époque, même si son plan était bien sûr moralement immonde. Kashmel Irlesquo avait commis l’erreur de l’avoir sous-estimé. Ou peut-être lui faisait-il confiance ? Il était dommage qu’aujourd’hui, ce même Bradavan qui avait brillé vingt-huit ans plus tôt se soit lui aussi aveuglé à un tel degrés au point de ne pas voir la traîtrise au plus proche de lui. Mais on pouvait voir ceci comme un juste retour des choses. Une forme de justice. J'en vins à me demander vaguement si un jour, moi aussi, je serait confrontée à une trahison de la part d’un proche, sans l’avoir vu venir…