Arthur
Vingt heures. Les rues d'Illumis brillent de mille feux, surtout la Tour Prismatique qui trône fièrement au centre, se parant de ses plus belles couleurs. Autant dire que la pollution lumineuse bat son plein, cela revient au même.
Le moteur d'une petite voiture couleur citrouille vrombit, rompant le silence de la capitale de Kalos. Il n'est pas rare de l'entendre à cette heure-là, les gens rentrent souvent chez eux en taxi après tout quand ils finissent trop bourrés, même si d'habitude, c'est quand l'heure est encore plus avancée que ça.
Elle arrive devant la boutique Détente et Beauté où l'attend un homme vêtu chiquement, sa veste bleue marine découpée à l'italienne et ses cheveux bruns plaqués vers l'arrière avec sûrement beaucoup trop de laque. Il tient dans sa main gauche un bouquet de vingt-quatre roses rouges tandis qu'il regarde nerveusement sa montre. Il lève la tête et semble pousser un léger soupir en voyant le véhicule se garer. Il s'approche du bord de la route avant de remarquer le slogan sur la portière. Quelques secondes s'écoulent avant qu'il ne s'installe à l'arrière, posant délicatement les fleurs à côté de lui comme si elles étaient un trésor.
« Alors comme ça, vous préférez l'blabla plutôt qu'le liquide ? concept assez original j'dois dire. »
Il a une voix plutôt rauque même si pas désagréable, au contraire, celle-ci semble plus chaleureuse qu'autre chose.
« Vous pouvez me déposer devant le Firmament ? Je dois y être pour vingt heures trente. »
Le conducteur de la petite citadine orange acquiesce et allume le moteur.
« Bon bah du coup, j'm'appelle Arthur, ouaip, comme l'roi dans les contes. Du coup, mon mari aime bien... »
Il sourit.
« Ouais nan, ça fait toujours un peu bizarre, c'est assez récent, désolé. J'disais donc, ouais, il aime bien m'faire comprendre que chuis genre le « Roi de son kokoro ». Ah j'vous jure, il est pas croyable c'mec. On dirait pas vu sa tête mais il est pas si sérieux qu'ça hein. »
Il passe une main dans ses cheveux, ou au moins, essaie, avant de se souvenir de l'état dans lequel ils se trouvaient. Il ramène presque timidement sa main devant lui.
« Ça va faire aller, cinq ans qu'on est ensemble et seul'ment deux ans qu'on est marié. 'Fin techniquement, ça fait plus longtemps mais... quitte à r'conter tout ça, mieux vaut commencer par le commencement nan ? »
Il reste silencieux un moment. Le taxi orange vient de tourner dans l'Avenue Thermidor.
« Chuis né ici, à Kalos, à Illumis même. On dirait pas vu ma tronche plutôt tannée hein. Faut dire qu'j'ai passé pas mal de temps à Hoenn aussi, environ...vingt-deux ans, ouais c'est ça, vingt-deux ans. On a déménagé là-bas quand j'avais dix ans, du coup, j'ai fais la grande majorité d'ma scolarité sous les tropiques. J'dois dire qu'c'est plutôt cool. »
Il se met à rire.
« M'enfin. J'ai rencontré Max à l'université de Mérouville, à Hoenn. Nos études étant plus ou moins similaires, on s'est r'trouvé dans l'même bâtiment. Il voulait s'lancer dans la géologie et moi l'océanographie, mais c'était une spécialisation à choisir en fin de cursus. Oh oui, du coup, Max, c'est mon mari. Et je... »
Il commence à rire de nouveau. On sent qu'il va avoir du mal à finir sa phrase.
« Oh bordel, on est vraiment deux gros idiots j'en peux plus d'nous. Nan parce que...il... On peut dire qu'il m'apporte un max de bonheur. »
Le chauffeur ne peut s'empêcher de sourire. En tout cas, leur relation semble solide. Arthur essaie de se calmer en observant l'extérieur. Ils viennent de dépasser la Loterie ID.
« Il avait vingt-ans et chuis plus âgé de deux printemps. On s'est r'contrer un peu par hasard, on s'est percuté alors que j'sortais du bahut et que lui y entrait. C'était drôle. Il a rougis comme une tomate le pauvre. On est resté silencieux un moment, il s'est excusé et on r'partis chacun de son côté. »
Le passager soupir. Il a l'air nostalgique. Il tourne la tête vers le bouquet de roses et l'effleure du bout des doigts. Puis, rapidement, il jette un coup d'œil à sa montre. Vingt heures quinze. Arthur commence à tapoter son poignet droit.
« Y a eu pas mal de hauts et de bas j'dois dire entre nous, pis finalement, après cinq années passées ensemble, on s'est séparé. On avait des idéaux, des objectifs différents. Il voulait agrandir les terres et moi les mers, mais on avait tous les deux d'bonnes raisons. »
Le chauffeur s'arrête peu avant la Place Centrale pour laisser passer un groupe de piétons. Il en profite pour observer son client dans le rétroviseur. Il tapote un peu plus rapidement sa montre.
« Vous ne seriez pas les anciens écoterroristes d'Hoenn ? » s'enquit le conducteur de la petite voiture.
Arthur relève la tête d'un geste vif. Le taxi reprend sa route, les yeux du chauffeur rivés sur celle-ci comme s'il ne s'était rien passé.
« Euh si, malheureusement. Ou heureusement. Ouais, plutôt malheureusement en fait. On a failli la défoncer sévère c'te pauv' région. D'ailleurs, ça nous a valu un beau séjour en prison. 'Fin, encore heureux dira-t-on, nan parce que, des criminels qui finissent pas en taule bon. »
Ils passent devant la Tour Prismatique et la contournent par la gauche. Quelques nuages filent avec le vent, laissant la Lune encore plus à découvert. Son disque plein et brillant illumine la ville lumière.
« On est resté huit ans en prison, à méditer sur tout et n'importe quoi, même sur nos vies d'ados débiles qu'on a eu. Pis finalement, les Maîtres d'la Ligue d'Hoenn ont réussis à nous faire sortir, promettant qu'ils gard'raient un œil sur nous pour rassurer les Galifeu. On a appris plus tard qu'nos admins n'avaient pas eu cette chance d'visiter les prisons, à la place, ils les surveillaient juste. J'vous dis pas la joie quand on s'est r'trouvé. »
Un nouveau rire émane de sa gorge.
« Peu après, genre, deux trois ans, on s'est engueulé encore une fois. Alors, j'me suis cassé à Alola, histoire d'visiter un peu et de r'trouver un vieux pote, mais en fait, on s'est.... euh.... »
Arthur semble hésitant, comme s'il ne voulait pas dire toute l'histoire.
« Y a eu un accident. Le p'tit Max s'est inquiété et il est venu m'chercher. Par contre, il a fini avec une jambe cassée. »
Le taxi vient de finir de contourner la tour illuminée. Désormais, il entame sa traversée de l'Avenue Ventôse. Le passager regarde sa montre. Vingt heures vingt-cinq. Il arriverait à l'heure pour son rendez-vous. Il soupire. Connaissant Max, il devait déjà y être depuis une bonne dizaines de minutes, voir plus.
« Pour finir vite fait, bah ouais, après ça, on a décidé d'se marier – enfin – et d'bien clarifier ainsi not' situation. Chais pas trop c'que nous réserve l'avenir mais bon, on verra bien hein. »
Il s'étire et jette un coup d'œil par la fenêtre. Le restaurant approche à grands pas, les lumières sur sa façade éclaire une bonne partie de la route.
« Ça m'a fait du bien d'revenir à Illumis après toutes ces années, ça n'a pas tant changé qu'ça en plus. J'espère qu'on aura l'temps demain de continuer not' visite. Oh d'ailleurs, Max était tout content à l'idée d'voir où j'étais né ahah. »
Sur le trottoir, le regard perdu vers le disque d'argent, un homme attend. Sa chevelure rouge vive contraste avec son costume rouge de velours. Le chauffeur de la voiture à la carrosserie rousse s'arrête devant le Firmament. Max tourne la tête et se mordille les lèvres en voyant son chéri en sortir. Il retient également un cri en voyant les fleurs.
Arthur s'approche et donne le bouquet au rouquin. Celui-ci le prend et sourit. Tendrement, il se fait enlacer par son mari. Leurs visages se rapprochent petit à petit. Max sent ses joues rougir et ne peut s'empêcher de sourire timidement.
Quelques secondes s'écoulent avant que l'ancien chef de la Team Aqua ne se retourne vers le taxi. Il se penche à la fenêtre côté conducteur et sourit à pleines dents.
« Merci pour la course ! Je me demande si vous retenez les noms et visages d'vos clients, ça doit faire pas mal de gens ahah. Sur ce, passez une bonne Saint Valentin ! »
Le chauffeur lève son pouce en signe d'approbation. Les deux tourtereaux s'échangent un regard, prennent chacun une Poké Ball et entre enfin dans le Firmament. Le moteur du taxi vrombit de nouveau au même moment. Il passe la première et retourne se perdre au milieu des éclairages de la ville lumière, au risque de passer sous les feux et projecteurs.
By Dagyne