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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 11/02/2018 à 13:33
» Dernière mise à jour le 11/02/2018 à 13:33

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 38 : Mise en relation.

 Peu après, le groupe décida de clore la réunion et de se disperser. Chacun avait de quoi méditer. Ifios et Tza partirent ensemble, Evenis et Sidon repartirent à la taverne, et Fario décida de rester encore un peu seul dans sa demeure. Eily, elle, choisit de vagabonder dans les rues. Du moins, c’était ce qu’elle avait prévu de faire ; dès qu’elle eut mit un pied dehors :

— Tu vois, ce n’était pas si dur.
— … !

Eily sursauta. Elle se retourna vers ce mystérieux individu qui l’avait interpellé. Un homme svelte qui détonnait par sa longue et pétante chevelure cyan. Eily plissa les yeux. En y regardant de plus près, elle reconnaissait ce visage. Elle le reconnaissait même très bien.

— … Omilio ? tenta-t-elle.
— Bingo. Tu es toujours aussi observatrice.
— … que signifie cette coiffure ou plutôt… cette perruque !
— Voyons, tu sais bien que les Foréa sont adulés par le peuple. Je ne pourrais jamais me balader normalement en ville si je ne me déguisais pas un peu.
— … et tu avais vraiment besoin de prendre une perruque qui à la même couleur que mes cheveux ?
— Pas spécialement, mais c’est plus drôle ainsi, tu ne penses pas ?
— C’est surtout beaucoup plus stupide…

Eily soupira lourdement. Pourquoi les Foréa avait-il ce pénible besoin d’être excentrique ? Déjà lassée, elle ne prit même pas la peine d’articuler lorsqu’elle reprit la parole.

— Et donc t’es juste venu m’montrer ta superbe perruque ?
— En partie, mais pas tout à fait. Je voulais simplement prendre de tes nouvelles.
— Et je vais bien. Satisfait ?
— Pleinement, sourit Omilio.
— …

Eily leva les yeux aux ciels ; le Foréa d’Aifos profita allègrement de l’occasion pour incruster un prospectus dans les mains de la demoiselle cyan. Cette dernière n’avait même plus la force d’être surprise par les excentricités de son interlocuteur. Interlocuteur qui arborait toujours son sourire rayonnant.

— … tu attends que je pose la question ? siffla Eily.
— Haha, s’amusa Omilio. Je pensais que tu lirais au moins le papier !
— Flemme. Et donc, ça dit quoi ?
— C’est une liste de petits boulots que l’on peut trouver à Aifos. Le quartier commercial est extrêmement vivant, et beaucoup de marchands ne diraient pas non à un peu d’aide, même si juste pour quelques heures.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ?

Omilio adoucit son sourire. Il resta un moment silencieux et, une fois qu’il eut assez installé de malaise entre la demoiselle cyan et lui, le Foréa se gratta la perruque :

— Il paraît que faire des choses inhabituelles permet de se changer les idées, répliqua-t-il. En plus, le travail est une activité parfaite pour ouvrir ses horizons et accroître ses capacités d’adaptation. Tu as encore l’esprit lourd avec tout ce que t’as raconté Evenis, n’est-ce pas ? Toi, Eily, tu pensais être celle qui avait le plus souffert, qui avait l’expérience de vie la plus traumatisante. Et en un discours, l’ivrogne de service a dérobé ta place de martyr. Tu es impressionnée par son courage et t’interroges sur le tien. Tu es en pleine remise en question.
— …

Devant le regard courroucé d’Eily, Omilio ne put s’empêcher de pouffer.

— Inutile de me fixer ainsi, haha. Ce que tu ressens est normal. On a tous un peu l’impression d’être le centre du monde, alors, on a dû mal à imaginer que d’autres ont pu souffrir autant, sinon plus, que nous. Et pour remédier à ça, il faut sortir de notre petite bulle, et aller à la rencontrer des gens. Accumuler les petites rencontres, se confronter à d’autres univers ; tout ça pour relativiser notre égocentrisme. Et pour ce faire, quoi ce mieux que de se mettre aux services des autres ? Tu verras, c’est une expérience très enrichissante.

Eily recula d’un pas.

— Attends, parce que tu crois vraiment que je vais le faire ?
— Bien sûr, je lis en toi comme dans un livre ouvert.
— … je te conseille de sérieusement remettre tes compétences de lectures…
— J’ai une totale confiance en mes compétences, s’amusa Omilio. Mais si tu es aussi réticente, mettons autre chose dans la balance. Tu sais, je viens d’intercepter une missive envoyée de la capitale à destination d’Asda. Elle doit rentrer demain matin.

La demoiselle cyan leva la tête ; une certaine pointe aigre-douce gênait sa gorge.

— Oh, déjà…
— Déjà ? Elle est restée très longtemps pourtant. Mais je te comprends, le temps passe très vite quand elle est dans les parages. Quoi qu’il en soit, que dirais-tu de lui acheter un cadeau avec de l’argent que tu as toi-même gagné ? Je suis certain qu’elle en serait très heureuse. Elle te tient en haute estime, tu sais ?
— … tss.

La demoiselle cyan détourna les yeux. C’était juste déloyal.

— Haha, tu n’as plus rien à redire ? Dans ce cas, c’est décidé. Dépêche-toi, notre journée sera longue !
— Quoi ? Tu veux que je bosse maintenant, là ?
— Et pourquoi pas ? D’un autre côté, on peut difficilement remettre ça à plus tard. Tu comprendras qu’il faut absolument finir nos tâches avant demain.

Eily tiqua :

— Un instant, intervient-elle. « Notre journée », « nos tâches »… pourquoi ce « nous » ? Ne me dis pas que…
— Tout à fait, la coupa Omilio. Je compte t’accompagner et également de mettre la main à la pâte ; à deux, c’est plus simple, non ? Et puis, j’ai pas mal de temps libre en ce moment, je me suis dit que ce serait l’occasion de faire connaissance. Si on réfléchit bien, on ne se connaît pas tant que ça toi et moi.
— Et je ne m’en plaignais pas, siffla la demoiselle cyan.
— Haha, eh bien, tu auras matière à te plaindre désormais. Allez, en route chère amie ! Allons montrer au monde ce que nous savons faire !


 ***

 Omilio s’arrêta premièrement devant un petit établissement où se dégageait un appétissant fumet épicé. Eily en eut l’eau à la bouche ; surtout que le fumet lui rappela que midi venait de passer et qu’elle n’avait pas encore mangé.

— C’est un nouveau restaurant qui vient d’ouvrir, expliqua Omilio. Un charmant endroit qui s’inquiète beaucoup du bien-être alimentaire de ses clients, à des prix raisonnables. Une sorte de restaurant gastronomique à la portée du petit peuple, en somme. Bien qu’il soit récent, il est déjà très populaire.
— … et donc ? le pressa Eily.
— Et donc nous allons y travailler comme serveurs. Le gérant lui-même a été pris de court par son succès et est en manque de personnel. On va le soulager de son fardeau pendant le service du midi.
— …nyah…, lâcha piteusement Eily.
— Courage, c’est pour la bonne cause !

Et l’atypique duo entra dans le restaurant. Omilio alla directement s’adresser au gérant. Il se présenta comme un père de famille qui enchaînaient les petits boulots divers avec sa fille. À cette mention de ‘‘père’’, un sourcil d’Eily se figea dans un stupéfiant arc de cercle. Le gérant ne le remarqua pas.
D’ailleurs, d’après l’irradiante reconnaissance qui fulminait de ses yeux, Eily supposa que ledit gérant était plutôt d’accord pour les engager temporairement.

Quelques minutes plus tard, Omilio et Eily avaient enfilé le classieux tablier de l’établissement et portaient déjà une assiette dans chaque main. Eily se demanda sérieusement à quoi elle jouait, là, actuellement, à transporter des plats de tables en tables. Si ce matin, on lui avait annoncé qu’elle allait faire la serveuse, elle aurait ri au nez. Maintenant, elle ne riait pas.

« Gnn… c’était pour quelle table déjà ? 1 ou 2 ? Et pourquoi je m’embrouille avec ses bêtises ? Comme si j’ai une tête à me souvenir de ce genre d’idioties ! Et bordel, j’ai faim moi ! »

D’un coup, Eily fureta à droite et à gauche. Que se soit les clients ou les autres serveurs, tous le monde était trop occupé pour la regarder

« … yep, j’ai faim. Personne ne remarquera si je prends une bouchée ou deux, non… ? »

Un éclat espiègle et malicieux brilla dans ses yeux. La petite excitation de l’interdit. La demoiselle cyan cala discrètement une assiette entre son avant-bras et sa poitrine, et, de l’autre main, elle s’apprêta à commettre son larcin. Soudain, au dernier moment, une autre main arrêta fortement la sienne. Stupéfaite, Eily tressaillit si violemment qu’elle faillit renverser son plat.

— Tututu, ce n’est pas bien de voler, chantonna la voix d’Omilio.
— Ny… ! E-Espèce d’imbécile ! bafouilla Eily.

Le Foréa déguisé s’éloigna. Eily, encore sous le choc, resta un moment sur immobile. La honte d’avoir été prise la main dans le sac teintait ses joues du plus moite des rouges. Omilio fut obligé de revenir, et de lui lancer une petite pichenette afin de lui faire reprendre ses esprits.

— Calme-toi et reprends ton service, posa-t-il sereinement. Je te payerais de quoi manger ensuite.

Eily pesta mentalement mais obéit néanmoins. Ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Heureusement pour la demoiselle cyan, la clientèle du restaurant était plutôt calme et poli, rien à voir avec ces papiers buvards sur pattes des tavernes. Il eut bien un moment où un homme un peu trop confiant voulut apposer une main entreprenante sur la demoiselle cyan, mais c’était sans compter le vigilant Omilio. Avant même que l’homme eut pu commettre son méfait, une imperceptible aura psychique entoura sa main, et d’un coup, cette dernière se retourna contre son propriétaire et lui flanqua une baffe retentissante. Pendant que le pauvre homme fixait, décontenancé, sa propre main, Eily continua son chemin sans même savoir ce qui s’était passé dans son dos.

Trois heures plus tard, Omilio et Eily finirent leur service. La demoiselle cyan était déjà vannée, en plus d’être affamée. Porter des assiettes encore et encore, non merci ; ses douloureux poignets n’en voulaient plus. Cependant, elle n’avait pu s’empêcher de ressentir une certaine fierté lorsque le gérant lui donna son petit salaire de 30 Vasils. C’était peu d’argent ; elle en avait déjà vu plus, beaucoup plus. Mais c’était de l’argent qu’elle avait gagné ; cette simple pensait suffisait à doubler la valeur des petites pièces. Subitement, un puissant et impressionnant gargouillement la ramena à la réalité :

— … j’ai faim…, grinça-t-elle.
— Je t’ai fait une promesse, non ? lui rappela Omilio.

La Foréa d’Aifos guida ensuite Eily dans une zone du quartier où fourmillaient des étales de nourritures. Il y en avait pour tous les goûts. Des brochettes de viande cuisaient et rependaient leur salivante effluve ; à côté, un autre marchand faisait lui griller des appendices de poulpes, dont l’appétissante odeur rivalisait dangereusement avec celle de son voisin. Un peu plus loin un vendeur hélait la douceur de ses fruits confits, des cris qui se faisaient largement couvrir par toute une foule d’enfants toute excitée devant un marchand de sucreries.

— Je m’attendais plus à un repas dans une auberge, ou dans le restaurant où nous étions, lâcha Eily.
— Ce serait trop conventionnel, s’amusa Omilio. Manger à l’extérieur, en arpentant des étales, a également un certain charme. Allez, c’est ma tournée, tu peux prendre ce que tu veux.
— Un sacré élan de générosité !
— Haha, je ne peux rien refuser à ma fille !
— … encore cette histoire ? se moqua Eily. Qu’est-ce qu’y t’as pris de dire ça au fait ?

Omilio gloussa légèrement.

— Ça te dérange ? On a pourtant la même chevelure !
— Tu portes une perruque !
— Un détail.
— … mouais, je vais te laisser avec des lubies. Je peux prendre ce que je veux, c’est ça ?
— Tout à fait. Attention à ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre cependant, ce n’est pas bien de gaspiller.

Omilio avait conclu sa réplique avec le même ton qu’un parent utiliserait pour mettre en garde son enfant. Eily leva les yeux au ciel et ne répliqua pas. Elle avait bien trop faim pour ça.

Quelque instant plus tard, la demoiselle cyan dégustait en boucle toutes sortes d’aliments, sucrés et salés. À côté d’elle, Omilio transportait toute une masse de nourriture, à un tel point qu’il avait du mal à marcher droit. De la nourriture qui était bien sûre destinée non pas à lui, mais à Eily.

— Je revis ! s’exclama la demoiselle cyan.
— Moi je m’écroule, rit Omilio. Tu m’as vraiment pris au mot.
— La prochaine fois, tu réfléchiras à deux fois avant de faire une telle promesse !
— J’ai intérêt, si je ne veux pas vider les caisses d’Aifos !
— Dur d’être un Foréa, hein ? ironisa Eily.
— Surtout quand on a une fille aussi dépensière ! se plaignit faussement Omilio.

Eily ricana et enfourna une autre brochette dans sa bouche. Elle s’étonnait elle-même de son comportement. D’ordinaire, dès qu’elle se trouvait à proximité d’Omilio, sa tension grimpait au plafond. Mais là, étrangement, elle était détendue ; elle avait baissé sa garde. La Foréa d’Aifos paraissait désormais plus simple, plus accessible, et beaucoup moins perfide et manipulateur. Eily parvenait même à plaisanter et rire naturellement avec lui.

Peu après, lorsque la masse de nourriture disparut enfin, Omilio claqua ses mains nouvellement libres :

— Bien ! On va chercher un autre travail ?
— Encore ? geignit Eily.
— Évidemment. Ce n’est pas avec tes 30 Vasils que tu vas offrir quelque chose à Asda.
— … mouais. J’espère juste que ça serait moins fatiguant qu’au restaurant !

À cette mention, Omilio ne put s’empêcher de souffler du nez.


 ***

 Eily fixa, mi-curieuse, mi-écœurée, l’objet qui s’était incrusté dans sa poigne. Indubitablement, c’était une pelle. Le genre d’outil aux fonctions multiples, comme, par exemple, celle de creuser des trous. Cependant, il n’était nulle question d’excaver Mère Nature ici, loin de là. Au grand dam de la demoiselle cyan.

— Il n’y a pas de sot métier, signifia Omilio.
— … certes, mais quand même…, geignit Eily.
— Chaque engrenage est précieux dans une société.
— … certes, mais quand même…
— Sans les petites mains, tout s’effondre.
— … certes, mais quand même…

La demoiselle cyan serra les dents, observant difficilement l’immonde tas boueux qui recouvrait la rue.

— Pourquoi est-ce que je dois jouer les éboueuses ?! s’écria-t-elle brusquement. Je pensais qu’on allait aider des marchands !
— Ce serait possible. Cependant, ce travail-ci est bien payé, l’employeur a su se montrer généreux.
— Et qui est cette magnanime personne ? Je n’ai rencontré personne encore…
— Vraiment ? Pourtant, tu as cette fameuse personne devant toi.

Eily plissa les yeux, comprenant peu à peu le sous-entendu.

— … nan, ne me dis pas que…
— Eh oui. C’est moi, Omilio, le Foréa d’Aifos. En tant qu’employeur, laisse-moi t’expliquer la situation. Il y a quelques jours, un curieux évènement perturba les canalisations d’Aifos. Les égouts ont soudainement débordé et les immondices sont remontées, souillant ainsi quelques rues. Tu vois ce que je veux dire, n’est-ce pas ? Une perturbation dans les canalisations ?
— … oh.

Un rictus hésitant apparut au coin des lèvres d’Eily. Une perturbation dans les canalisations. Forcément, cela lui disait quelque chose.

— … le jour où on a réactivé la source chaude, hein ?
— Si je ne l’avais plus réactivée, c’était pour une bonne raison, soupira Omilio. Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, j’étais absent ce jour-là et je ne vous avais pas mis en garde. Quoi qu’il en soit, il faut nettoyer maintenant. Normalement, j’ai des équipes pour ce genre de problème, mais le cas est particulier. À un tel point que je dois demander de l’aide à la population.
— …

Une petite culpabilité se forma dans les yeux de la demoiselle cyan. Elle n’avait aucune idée de toutes les conséquences qui avaient suivi l’évènement de la source chaude. Difficile d’ignorer les répercussions à présent.

— Tss, pourquoi est-ce je dois faire ça ? Mon canapé me manque…, grinça Eily.

La demoiselle cyan fit claquer sa langue :

— Qu’on soit bien clair, je veux vraiment, VRAIMENT être bien payé !
— N’ai-je pas dis que l’employeur est très généreux ? pouffa Omilio.

Peu après, le duo se mit au travail. Ils se trouvaient dans une rue éloignée du quartier résidentiel, quasiment jamais empruntée. De toute façon, si un passant vagabondait dans le coin, la pestilence émanant des ordures auraient vite fait de l’éloigner.
Eily suait littéralement à la tâche. Dégager une rue d’immondices provenant des égouts était très loin d’être une partie de plaisir et la demoiselle cyan n’hésitait pas à le faire savoir :

— … ça schlingue… ça colle au vêtement… j’ai mal au dos… j’uis fatiguée… j’ai faim…
— Intéressant, analysa Omilio. Plus tu fais des efforts, et plus tu régresses mentalement.
— Parce que j’en ai marre ! Et je n’en vois pas le bout ! Il y en a des tonnes de cette boue puante ! On va en avoir pour toute la nuit, et encore !
— Si tu peux encore crier, c’est qu’il te reste encore de l’énergie, rit Omilio.
— Tss…
— Allez jeune fille, on persévère. Je ne vous ai pas élevé pour abandonner à la moindre difficulté !
— Encore avec ce jeu parent/enfant… ? soupira une Eily lassée.

La demoiselle cyan continua longtemps de baragouiner dans sa barbe inexistante, mais elle ne stoppa pas ses gestes. Sa pelle continuait inlassablement de dégager la rue, réunissant les immondices dans un tas de plus en plus gros. Après tout, elle avait connu pire, chez les Agrios. Ce n’était pas des simples déchets qui allaient lui faire peur.
Une demi-heure plus tard, la demoiselle cyan et Omilio s’accordèrent une petite pause. Il était important de savoir reposer son corps de temps à autre, sinon, la contre-productivité tendait ses bras.

— Je me demandais, souffla Eily. Pourquoi tu n’utilises pas tes pouvoirs de Foréa ? Tu devrais être capable de tout nettoyer en un clin d’œil, non ?
— C’est très possible, avoua Omilio. Mais tu sais, parfois, c’est intéressant de se mettre à la place des gens ‘‘normaux’’. Oui, j’ai des pouvoirs. Je pourrais avoir une vie bien plus aisé si j’en abusais. Mais est-ce vraiment ce qui est important ? Le problème avec le pouvoir, c’est qu’on en devient vite accro. On en devient dépendant, et, pire, on se met à mépriser ceux qui ne le possèdent pas. On en arrive à créer des hiérarchies ; ceux qui ont le pouvoir, de la valeur, en haut, et ceux qui n’en ont pas, sans valeur, en bas.

Omilio leva la tête ; son regard se perdit vers les flottantes nébuleuses.

— Alors que c’est complètement faux. Nous avions tous la même valeur, Eily. Que ce soit un citoyen lambda ou un roi divinisé, il n’y a aucune différence. Ce sont deux êtres pensants. Le pouvoir, la richesse, le charisme, tout cela n’est que du décorum. Ce qui compte, c’est l’esprit. Dès qu’un être est doué d’esprit, dès qu’il peut penser, dès qu’il peut ressentir, il devient aussi important que n’importe qui d’autre.

Le Foréa d’Aifos sourit faiblement.

— Ça semble si évident, et pourtant, peu pensent ainsi. Il y aura toujours une hiérarchie. Les nobles auront toujours cette tendance à mépriser les pauvres. Mais l’inverse est également vrai. Les ‘‘roturiers’’ auront eux aussi cette tendance à mépriser ou à aduler ‘‘l’élite’’. Il suffit de faire le tour de la ville ; demande à l’un de mes citoyens s’il est prêt à mourir pour moi. Il te répondra certainement par la positive, car il estimera que je vaux bien plus que sa pauvre vie. N’est-ce pas triste ? Pourquoi faut-il à ce point des gens au-dessus et des gens en dessous ? Une société ne pourrait-elle pas se construire sans ses barrières sociales ?

Omilio secoua doucement sa tête.

— Excuse-moi, je divague. Quoi qu’il en soit, je ne veux pas utiliser mes pouvoirs pour un oui ou pour un non. Et puis, gloussa soudainement le Foréa, dans le cas présent ça me permet de créer de l’emploi !
— Alors c’est ça…, souffla Eily.

La demoiselle cyan se posa quelques secondes, laissant le vent souffler entre Omilio et elle. Et, elle continua :

— La passion d’un idéaliste.
— … haha, un idéaliste ? Oui, tu as peut-être raison.
— C’était difficile, mais je crois bien t’avoir totalement cerné maintenant. Tu rêves tout simplement d’un monde où tout le chacun pourrait être heureux, je me trompe ? Mais tu es également réaliste, tu sais qu’une telle utopie ne peut se construire sans sacrifice.

La demoiselle cyan sourit doucement.

— Omilio, tu fais toujours d’incroyables efforts pour paraître méchant, mais ce n’est qu’une fuite. Dès notre première rencontre, tu n’as pas caché ton côté manipulateur. Plus tard, tu m’avais avoué tous les crimes que tu avais commis pour ton plan. Ce n’est pas l’attitude de quelqu’un qui veut attirer la sympathie ; parce que tu voulais l’inverse, je me trompe ? Tu voulais que je te déteste, car tu te détestes toi-même.
— … haha.
— Tout le sang que tu as fait coulé. Tout le sang que tu vas faire couler. Il te mine, te ronge, te détruit. Tu es bien trop gentil pour oublier les vies que tu as et vas éteindre. Mais tu es aussi bien trop gentil pour laisser le Vasilias asseoir sa tyrannie ; et pour l’arrêter, le sang est inévitable. Tu es déchiré par ce paradoxe.

Eily raffermit son rictus :

— Ne compte pas sur moi pour alléger ton fardeau. De te dire que ce que tu fais est juste ou non. Mais juste une chose, je ne te laisserais pas mourir. Ce serait trop facile.
— … pourquoi dis-tu cela ? répliqua évasivement Omilio.
— Pourquoi ? Ai-je vraiment besoin de m’expliquer ? Une personne qui se déteste autant, au point de vouloir la haine du monde, ne peut penser qu’à une seule chose. Omilio, tu comptes te sacrifier durant ton plan, n’est-ce pas ? Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, mais je suis certaine que tu comptes le faire. En offrande à toutes les vies que tu as et vas gâcher, tu veux sacrifier la tienne. Tu penses que c’est le seul moyen d’expier tes péchés, tel le stupide idéaliste que tu es.
— … tu te tromp…

La demoiselle cyan avança d’un puissant pas, coupant la protestation naissante. Elle fixa durement Omilio, droit dans les yeux.

— Laisse-moi te le redire. Je ne te laisserai pas te sacrifier, pas après tout ce que tu m’as fait subir. Je ne te laisserai pas fuir tes responsabilités. Je te tirerais par la peau du cou s’il le faut, mais je vais te montrer le monde que tu désires. Un monde sans Vasilias, avec toutes les emmerdes qui vont nous couler dessus ensuite. Ne pense pas bêtement mourir et nous passer le flambeau. Tu seras avec nous. Tu seras écrasé par la culpabilité, mais je m’en fiche. Tu seras avec nous. Et tu verras, de tes propres yeux, si tes actions étaient juste ou non.

Dans toute sa noblesse, la détermination d’Eily perça l’iris écarquillé du Foréa.

— Omilio, je ne te laisserai pas mourir.

Pris de cours, le Foréa d’Aifos recula d’un pas, et resta figée dans sa surprise. De longues secondes passèrent, sans que le moindre mouvement ne vint perturber ce tableau. Et, d’un coup, Omilio se détendit. Il laissa ses bras couler le long de son corps. Une profonde mélancolie envahit l’éclat de ses yeux ; un mélancolique sourire s’ancra sur son visage.

— … vraiment, si j’avais une fille, j’aurais adoré qu’elle soit comme toi…
— Moi, j’aurais détesté avoir un père comme toi.
— …
— …

D’un coup, Omilio pouffa. Eily n’eut aucune peine à se faire entraîner. Il ne fallut que quelques secondes pour qu’un double rire cristallin n’envahisse la rue déserte. Un rire, qui, durant sa douce existence, sembla créer un monde où tout problème n’était que chimère.


 ***

 Le soir venu, Eily était complètement épuisée. Elle avait passé toute son après-midi à nettoyer la rue. Et, dès qu’elle eut fini, elle dût arpenter le quartier commercial à la recherche d’un cadeau pour Asda. À ce moment-là, la demoiselle cyan s’était rendu compte qu’elle ne connaissait pas tant que cela la Foréa ailée. Quel cadeau pourrait lui faire plaisir ? Heureusement, si Eily avait des lacunes sur ce domaine, ce n’était pas le cas d’Omilio. Il lui conseilla d’acheté une jolie broche en forme d’aile ; le bijou était finement taillé dans un éclatant saphir aérien, dont la céleste couleur était soulignée par un argent pur. S’il était magnifique, c’était également le cas de son prix. Par chance, le dernier employeur d’Eily avait vraiment su se montrer généreux.
Le cadeau en poche, et les jambes excédées, Eily força Omilio à faire une halte dans l’un des parcs du quartier résidentiel. La demoiselle cyan laissa son dos s’écraser sur le premier banc qu’elle aperçut :

— Quelle journée ! lâcha-t-elle d’un souffle.
— Tu parles comme une personne âgée, s’amusa Omilio.
— Laisse-moi tranquille ! pouffa Eily.

Confortablement installée, Eily pointa son regard vers les scintillantes étoiles.

— Hé, Omilio. Tu savais pour Evenis, n’est-ce pas ? Je me disais aussi que tu l’avais rapidement intégrée au groupe.
— Oui, sourit tristement le Foréa. Evenis Azne Genna, princesse de la province de Genna. J’ai été surpris de la voir à Aifos au début. L’occasion était trop belle. Je savais qu’elle maintenait une ténébreuse haine envers le Vasilias. Je n’avais aucun doute quant à son soutien pour mon projet.
— … mine de rien, tu restes vraiment un manipulateur, ricana Eily.
— Je ne peux pas le nier.

Le Foréa impérial se décida enfin à s’asseoir au côté de la demoiselle cyan.

— Mais il est indéniable qu’une fois le Vasilias tombé, Evenis pourra faire revivre sa patrie. Je ne parle pas uniquement d’argent. Le Vasilias garde égoïstement les technologies de l’Ancien Monde. Des technologies qui, selon les légendes, peuvent couvrir les terres les plus arides d’une luxuriante verdure. Si on parvient à rendre les champs de Genna cultivable à nouveau, le peuple n’aura plus à craindre de la famine.
— Si les légendes sont véridiques, tempéra Eily.
— Qu’il y a-t-il de mal à rêver ? répliqua Omilio.

Eily eut un petit rictus :

— Et si ses technologies sont vraiment sans danger. Ne dit-on pas que c’est à cause de sa folle course au progrès que l’ancienne civilisation s’est auto-détruite ? Si ça se trouve, on risque d’activer des choses qui ne le devraient pas. Un peu comme les canalisations de la source chaude.

Devant la comparaison, Omilio ne put s’empêcher de lâcher un rire amusé.

— C’est très possible, finit-il par répondre. J’aimerais bien dire que nous ne ferions pas les mêmes erreurs, mais c’est impossible de prévoir le futur. Mais nous sommes différents de l’ancienne civilisation. Nous, nous connaissons les risques. Il ne tient qu’à nous de faire de notre mieux pour éviter toutes dérives.
— Qui vivra verra, hein ?
— … celui qui vivra, oui…, répliqua mélancoliquement Omilio.

Eily fronça les sourcils.

— Ne m’oblige pas à refaire mon discours de tout-à-l’heure. Tu vivras Omilio. Si tu oses mourir, je te jure que je te poursuivrais jusqu’à l’autre monde pour te le faire regretter !
— Haha, je vois. J’ai vraiment intérêt à rester en vie, alors !
— Rigole tant que tu veux, je suis terriblement sérieuse.

Omilio laissa lui aussi son dos se répandre sur le dossier du banc.

— Ça, je l’avais bien compris. Cependant, je ne m’attendais vraiment pas à ce que tu me dises de telles choses. Dès que je t’ai vu, j’avais compris que tu avais beaucoup de potentiel ; mais tu as dépassé toutes mes espérances.

Le Foréa d’Aifos pouffa doucement :

— Vraiment, je plains ce pauvre Vasilias. Il ne sait pas à quoi s’attendre avec toi !
— Il a intérêt à me donner mes réponses, ouais. Sinon, je ne vais pas aller de main morte !
— …

Soudain, le regard d’Omilio s’assombrit.

— Hé, Eily. Est-ce que tu es certaine de vouloir savoir d’où tu viens ? Ta petite vie tranquille à Aifos ne te convient pas ?
— Qu’est-ce que tu me racontes encore ? Bien sûr que je veux savoir. Et que je le veuille ou non, tu vas lancer ta petite rébellion avec les nobles, je me trompe ? Quoi qu’il arrive, je peux de toute façon dire adieu à ma petite vie tranquille comme tu dis. Alors autant profiter de l’occasion.
— … oui, tu as raison. Excuse-moi.

Eily soupira, loin d’être dupe :

— J’ai une origine horrible, c’est ça ? Le genre de truc qui risque de me traumatiser à vie si je l’apprends, c’est ça ? Hé bien tant pis, je veux quand même le savoir. Je préfère encore me prendre un coup dur plutôt que de vivre dans le regret.
— … haha. Tu sais que j’ai vraiment de plus en plus envie de t’adopter ? Remarque, ça serait drôle ; Tza deviendrait ta tante.
— … je préfère même pas y penser…

Les voix se turent. Eily et Omilio restèrent quelques minutes ainsi, à observer nonchalamment la nature. Le léger souffle du vent ; les stridulations des criquets ; la danse des feuillages.

— C’est si calme, déclara paisiblement Omilio.
— Ouais, acquiesça Eily.
— … bientôt, tout cela ne sera que passé. Asda était l’ultime avertissement que le Vasilias pouvait m’envoyer. S’il décide de la rappeler, c’est qu’il a comprit que je ne changerais pas d’avis. Il faut se tenir prêt.
— Tu penses qu’il s’attaquera à Aifos ?
— Je ne sais pas à quoi il pense, avoua Omilio. Il en a le pouvoir, c’est certain. Cependant, il n’a jamais vraiment essayé de lutter contre mes plans. Il se contente d’envoyer des mises en garde, comme Asda. J’imagine que de son point de vue, je ne suis qu’un insecte qu’il peut écraser quand il veut.

Eily sourit :

— Dans ce cas, on a qu’à lui faire regretter son pêché d’orgueil.
— Je n’aurais pas dit mieux, s’amusa Omilio.

Sur ce, le Foréa d’Aifos se leva.

— Et si on rentrait ? proposa-t-il. Il se fait tard, et les autres risquent de s’inquiéter s’ils ne te voient pas revenir.
— … nyah, concéda la demoiselle cyan.

À contrecœur, Eily se désolidarisa de son banc. Elle aurait bien aimé fainéanter un peu plus longtemps. Mais il n’y avait pas que ça. Même si ce n’était pas prévu, même si elle avait dû enchaîner les petits boulots, la demoiselle cyan avait véritablement apprécié passer cet après-midi avec Omilio.
Le Foréa d’Aifos avait raison, faire des choses inhabituelles de temps en temps n’était pas si mauvais ; c’était rafraîchissant. Pendant qu’elle était occupée à servir des plats au restaurant, ou à décrotter la rue, Eily put momentanément cesser de s’embrumer l’esprit. Un répit nécessaire ; désormais, ses idées étaient un peu plus claires.

« … et aussi, c’est la première fois qu’il est aussi sincère… »

La demoiselle cyan avait toujours connu le Omilio manipulateur, et ce, depuis leur première rencontre. Aujourd’hui, elle savait que ce n’était qu’une façade. Le masque qu’un homme se haïssant lui-même s’apposait volontairement. Durant cette après-midi, Omilio avait enfin abaissé son masque. Il avait laissé parler son cœur, ses idéaux, sa faiblesse, sans filtre. Une sincérité qui ne pouvait que toucher la demoiselle cyan.

« … finalement, il n’est pas aussi horrible que ça… ! », ricana mentalement Eily.


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***
***


 Suivant la fatalité du temps, le lendemain arriva. La veille, Asda avait prévenu le groupe de son départ. Une annonce qui provoqua un élan de tourments. La Foréa ailée avait parfaitement réussi à s’intégrer à la petite équipe, au point qu’il était désormais difficile d’imaginer le manoir sans elle. Cependant, ce n’était la seule raison à l’affliction de chacun.
À présent, chacun savait la vérité la concernant. Une vérité qu’Asda ignorait elle-même. Comment ne pas ressentir une point d’amertume lorsqu’elle chantait les louanges du Vasilias ? Alors que ce même Vasilias était celui ayant commandité le meurtre de ses parents ?

— C’était un plaisir de passer ses quelques jours avec vous, déclara solennellement Asda.
— Tu seras toujours la bienvenue ici, sourit Omilio.

Les ailes d’Asda frémirent.

— De toute façon, reprit-elle. On se reverra bientôt. Vous allez tous accompagner Omilio au Festival du Renouveau, non ? Je ferais mon possible pour vous saluer.
— …

Devant l’ambiance devenu étrangement pesante, Asda toussota.

— Bien, continua-t-elle d’un ton protocolaire. Il est temps pour moi de retourner au Vasilias.

Le regard de chacun s’assombrit. Eily secoua vivement sa tête, sortant de ses noires pensées. Elle avait encore quelque chose à faire. Sans attendre, la demoiselle cyan s’avança, surprenant la Foréa ailée.

— Eily ?
— Je n’allais pas te laisser partir comme ça, souffla la demoiselle cyan.

Avant même de finir sa phrase, Eily enfourna une petite boîte rectangulaire dans les mains de la Foréa ailée.

— Un petit souvenir.
— … un… cadeau ? s’étonna Asda. Il ne fallait pas…
— La maison ne reprend pas, plaisanta Eily. Si tu n’en veux pas, tu n’as qu’à le jeter dans un coin.
— J-Jamais je n’oserais faire ça !

Embarrassée, Asda rangea le cadeau dans une de ses poches. Cependant, sa curiosité l’enflammait. Elle voulait savoir ce qu’il y avait à l’intérieur de cette petite boîte tentatrice. Elle le voulait très fort. Cependant, en tant que Foréa Impériale, Asda ne voulait pas succomber à ses pulsions. Elle voulait rester fière et digne de la fonction qu’elle représentait. Un véritable Foréa ne devait pas être tout excité juste pour un simple cadeau.
Pendant qu’Asda était en plein dilemme mental, ses ailes, elles, se déchaînaient. Eily sourit espièglement :

— … personne ne t’en voudra si tu l’ouvres maintenant.
— V-Vraiment ?! s’exclama la Foréa ailée les yeux fourmillant d’étoiles.

Réalisant brusquement qu’elle s’était emportée, Asda toussota légèrement :

— … ahem.. je veux dire… si tu insistes autant, je n’ai pas le choix.

Oubliant tout scrupule, Asda reprit la boîte et s’affaira à l’ouvrir. La première Foréa Impériale écarquilla des yeux. Fébrile, elle plongea sa main à l’intérieur du contenant et en extirpa le contenu : une magnifique broche saphir, en forme d’aile. Eily la regarda faire, appréhendant sa réaction. La demoiselle cyan avait fait confiance à Omilio pour le coup mais dans les faits, elle ne savait pas si le cadeau plairait véritablement à Asda.

La Foréa ailée recula d’un pas ; ses muscles se contractèrent. Hésitante, elle plongea sa main dans sa tunique et en retira une deuxième broche. Cette dernière était bien plus vieille et rustique, mais possédait elle aussi cette symbolique forme céleste. C’était le seul souvenir de sa mère qu’elle n’avait jamais connue ; un bibelot d’une valeur sentimentale inégalée.
Asda se mordit les lèvres. Cela ne pouvait pas être un hasard si Eily lui offrait une broche ressemblant autant à la sienne. Toutefois, la Foréa Ailée ne se souvenait pas d’en avoir parlé à la demoiselle cyan, ni à personne d’autre ici. Le seul qui était au courant pour la broche était…
Rougissante, Asda leva la tête vers Omilio. Ce dernier détourna les yeux. La Foréa ailée cligna des yeux, quatre fois, réalisant petit à petit. Dans son dos, ses ailes s’emballèrent, tandis que les traits de son visage s’adoucissaient.

— … merci…, finit-elle par sourire. Je le chérirais.

Et sur ces dernières paroles, Asda tira sa révérence, non sans lancer un dernier regard attendrit à chacun. Une fois dehors, elle déploya ses ailes et fusa vers le ciel. En un instant, elle avait disparu. Personne n’osa briser le silence.
Asda l’avait mentionné tout-à-l’heure ; cet au-revoir n’était que très temporaire. Ils seront tous présents, le jour du Festival du Renouveau. Le jour où la révolte contre le Vasilias gronderait ; les prémices d’une guerre civile. Mais leur retrouvaille ne serait pas enjolivée d’amitié. Non. Bien que la simple idée perçait le cœur de chacun, à leur prochaine rencontre, ils seront ennemis.
Car elle était Asda, la première Foréa Impérial, l’ultime bouclier du Vasilias. Quiconque voulant s’en prendre au Dieu de Prasin’da devait d’abord passer outre son ange protecteur.