30- Et après ?
“Old soldiers never die; they just fade away.”
— Douglas MacArthur (1880 - 1964) —
“Old soldiers never die
Never die, never die
Old soldiers never die
They just fade away.”
Vaughn Monroe, “Old Soldiers Never Die”, 1951
* * *
« Qui aurait cru que ces légendes étaient fondées... soupire Melvin Eaton.
— Et vous étiez le premier à dire que c'étaient des conneries ! ricane Joseph Macarthur.
— Hm ! Eh bien je me suis salement trompé visiblement. »
Les deux hommes descendent la passerelle du Wailord, l'air aussi soucieux l'un que l'autre. Pendant que le reste de la troupe du général s'occupe de rassembler les affaires sur le navire, ils mettent pied à terre.
Non sans un soupir, d'ailleurs.
Partout autour, on distingue de vagues signes du désastre de la nuit dernière. Mais aucun d'eux n'a envie de regarder ça maintenant. Alors ils font semblant de ne rien voir. C'est plus commode, dans un sens.
Le plus jeune sort son éternel étui à cigarettes argenté, qui brille sous les rayons du soleil. Deux bâtonnets blancs remplis de tabac en sont extraits avant que l'objet ne regagne une poche. D'un geste sûr et rapide, le général craque une allumette et met feu aux cigarettes.
Tous deux, en silence, tirent leur bouffée de fumée. Quelque chose paraît peser lourd sur la conscience de chacun d'eux.
Surtout celle du marin, d'ailleurs. Il s'est montré nerveux pendant presque tout le trajet, et n'a pas tardé à s'enfermer dans sa cabine. Paradoxalement, il ne s'est pas fait prier pour quitter la navire une fois celui-ci amarré.
De toute évidence, quelque chose ne va pas. Mais Macarthur a trop de tact pour lui demander directement ce qui le tourmente. Il commence à connaître Eaton ; il ne dira rien de rien. Sacrément buté, ce vieux marin.
Le voilà d'ailleurs qui se retourne, dans l'intention évidente de dire quelque chose. Le général attend, pas pressé pour un sou. Maintenant que la mission dans le désert est terminée, il a l'impression d'être plongé dans une étrange langueur.
Le timbre grave et tranchant du loup de mer lui fait bien vite oublier cette confortable passivité ; comme un coup de fouet.
« Vous n'avez jamais eu l'impression que... »
Le brun hausse un sourcil en expirant sa fumée. Pas à l'aise avec les mots, on dirait. S'en étonner vaut peut-être mieux que s'en amuser.
« C'est difficile à dire, en fait.
— Prenez votre temps. La guerre peut bien attendre. »
S'écarquillent doucement les prunelles du marin, qui ne devait pas s'attendre à une telle pique. Ils ne se connaissent pas vraiment, tous les deux, au final. Si bien que ce genre de détails les étonne l'un et l'autre.
Eaton sourit.
« Disons que votre vie est bien réglée. Vous savez à quoi vous en tenir sur la plupart des choses.
— Je vous suis, jusque là, admet volontiers le général.
— Et d'un coup d'un seul, quelque chose vous tombe dessus. Totalement inattendu, comme, euh... Un coup sur la tête ? »
Macarthur plisse les yeux, de plus en plus intrigué. Après tout, aurait-il envie de se confier ? Non, ça n'a aucun sens. Il ne l'aurait pas choisi lui, plutôt qu'un autre. Mais cette manière de parler laisse-t-elle place au doute ? C'est du moins plutôt agaçant.
« On va pas s'en sortir, si vous parlez par énigmes. Vous devez être amoureux, voilà tout. Je conçois ; le coup de foudre, ça vient d'un coup sans prévenir. Et le lendemain vous vous réveillez avec trois gosses.
— Hmm... »
Le capitaine ne cherche pas à nier ou quoi que ce soit d'autre. Peut-être que le problème est résolu. Identifié, à tout le moins. C'est déjà ça. En y pensant, le général n'a pas envie d'écouter les problèmes des autres. Il s'inquiète déjà suffisamment pour ce pauvre garçon qui ne se remet pas très bien de la mort de son ami.
Ouais, pauvre garçon.
Pensif, il jette son mégot sur le pavé et l'écrase distraitement. Depuis que cette histoire de Tokotoro est réglée, une certaine mélancolie s'est emparée de lui et de son équipe. Forcément, il se fait du souci pour ses subalternes. Même un peu pour cette énigmatique Snow. Froide, mais pas inhumaine.
Ou alors peut-être que ça remonte à avant qu'ils aient quitté le désert. La mort de Marlowe ? C'était quelque chose, de voir ce cadavre si joyeux quelques heures auparavant, c'est sûr.
Bah.
Pourquoi y repenser, après tout ? Ça n'a pas de sens. Ou plutôt, si ; ça en a un, mais il aimerait bien que non. Pour une fois, oublier la guerre...
Mais comment oublier quand on se trouve en plein milieu ?
« 'Savez, soupire le marin, parfois j'en viens à me demander si je deviens pas fou. »
Macarthur lève les yeux au ciel ; que peut-il faire d'autre ?
« Comme nous tous !
— Vous m'avez pas l'air fou, général. »
Le concerné penche légèrement la tête de côté, sans trop comprendre sur quel terrain le plus âgé essaie de le mener.
« Peut-être bien que j'en ai pas l'air. Je saurais pas dire.
— Ouais. C'est normal. »
Eaton passe une main fatiguée sur son visage livide, vraisemblablement en proie à quelque trouble. Un peu plus et il s'évanouit, songe avec inquiétude le plus jeune. Peut-être serait-il plus sage de le raccompagner au navire...
Par précaution, il le soutient par l'épaule. Ce serait fâcheux qu'il se fasse du mal en tombant bêtement de fatigue.
« Je crois que vous devriez dormir un peu, capitaine. Le surmenage ne mène à rien du tout. La preuve, vous vous mettez à dire n'importe quoi, depuis tout à l'heure !
— Mon sommeil va très bien, grommelle l'intéressé.
— Et moi je suis la reine d'Unys ! Allons, mon vieux, ne faites pas l'enfant. Vous ne voudriez pas que je vous borde, hein ? »
Pour toute réponse, le grisonnant n'offre qu'un vague grognement. Les yeux plissés, Macarthur se demande ce qu'il peut bien avoir consommé dans sa cabine.
La guerre, ça fait décidément de drôles de ravages.
* * *
« Vous savez, je risque pas de m'enfuir. »
Cilliana marque une pause, sans quitter des yeux le militaire impassible qui lui noue les poignets à l'aide d'une corde solide. Sûrement celle dont ils se servent pour faire leurs drôles de nœuds marins.
« Je connais peu la ville, en plus. Akala est un terrain quasiment inconnu pour moi. Vous pourriez me lâcher en pleine nature, je me perdrais. »
Rien à faire, le jeune type sans expression ne lève pas la tête de sa besogne et ne lui répond pas non plus. Elle émet un soupir contrit. Déjà que le trajet en bateau a été plutôt pénible, alors si en plus elle doit supporter ça jusqu'au quartier général de ces militaires...
Elle ne sait même pas où c'est, pour commencer. Peut-être qu'ils la mettront dans un de ces machins qu'ils appellent « voitures », fort inconfortables ; surtout avec les routes non entretenues de l'île. Non, songe-t-elle. C'est probablement en ville qu'ils sont installés.
En dépit de son allégeance au camp indépendantiste, elle ne sait pas grand chose. Peut-être parce qu'au final, la seule chose qu'elle ait faite pour ses alliés soit de se faire bêtement capturer par l'ennemi. On ne devait pas attendre beaucoup d'une gamine.
Encore moins d'une gamine à l'ascendance aussi trouble qu'elle. Son teint a de quoi susciter des interrogations, forcément. Et si elle avait osé dire que son second pays d'appartenance est Unys... Elle en frissonnerait presque.
« Ne vous éloignez sous aucun prétexte du lieutenant Weigall, énonce gravement le jeune soldat en lui lâchant les mains. Ça vous vaudrait un bon coup derrière la tête.
— Je tâcherai de m'en souvenir, marmonne la jeune femme avec un rictus nerveux. Mais ça m'étonnerait qu'il me frappe lui-même. Oh, merci d'avoir mis tant de soin dans votre tâche. Les liens sont tellement serrés que j'en ai presque mal. »
Peu réceptif au sarcasme, le sans grade laisse couler et s'éloigne à grandes enjambées. Coincée sur le pont du bateau avec le blondinet, elle se sent déjà un peu plus libre qu'en présence de ce garçon guindé.
« Dire qu'il a probablement quelques années de moins que moi ! souffle-t-elle. Et on dirait un vieillard.
— Si vous avez plus de trente ans, je veux bien me pendre ! ricane le lieutenant sans conviction. Ne parlez pas comme si vous étiez déjà une vieille dame. »
Cilliana lève les yeux au ciel, amusée. Elle n'ignore pas que ce drôle de bonhomme a quelque sens de l'humour, mais ça lui fait toujours bizarre d'entendre le rire d'un Unysien. Surtout si l'Unysien en question s'adresse poliment à elle.
Quoiqu'elle n'est pas certaine de ses intentions. Peut-être bien qu'il cherche à sympathiser pour lui soutirer des informations. Et elle s'est vaguement laissée prendre au piège, dans le désert, quand elle lui a parlé de sa famille. Chose qu'elle a aussi évoquée lors d'une conversation avec le général...
Elle secoue la tête, atterrée par sa propre attitude. Qu'est-ce qui ne va pas, chez elle ? N'est-elle pas capable de choisir son camp ? Ce serait dommage d'être à cheval entre les deux à cause de sa simple condition d'enfant malchanceuse.
Elle aurait voulu croiser les bras sur sa poitrine, comme elle le fait souvent, mais se rappelle subitement la présence de la corde autour de ses poignets. Elle retient à grand peine une grimace. Oui, ce gars-là a vraiment bien serré. Sans doute trop.
« Dites, c'est qui le maître à bord, ici ? Je l'ai même pas vu, le capitaine du bateau.
— Il a passé la majorité du trajet enfermé dans sa cabine, pas étonnant. J'imagine qu'il est quelque peu malade... Le général l'a traîné sur le pont, il y a... dix, douze minutes.
— Vous faites une drôle d'armée...
— Ça oui. On n'a rien d'un groupe uni et motivé par le seul amour de la patrie », admet-il.
La jeune femme laisse échapper une sorte de gloussement. Ce qu'il dit lui paraît presque trop sensé, à elle qui a l'habitude d'entendre toutes sortes de commentaires dégradants sur l'ennemi. Alors que finalement, ils sont plutôt clairvoyants, ces étrangers.
Peut-être que certains le sont trop.
« Récemment, je vous ai dit que vous n'apparteniez pas vraiment à cette armée...
— Je m'en rappelle, acquiesce le jeune homme, curieux.
— Vous êtes contre cette guerre, non ? C'est... l'impression que vous me donnez, parfois. »
Un long silence s'installe entre eux, comme le militaire ne répond pas immédiatement. Perplexe, elle étudie sa physionomie. Son teint semble avoir un peu pâli, depuis qu'ils ont quitté le désert. Peut-être n'aime-t-il pas trop les bateaux ; mais il ne paraît pas malade.
Comme à son habitude, il garde un visage impassible. Lèvres à peine pincées, sourcils immobiles, yeux bien fixés à ceux de son interlocutrice. Fatiguée, elle détourne les siens et par-dessus le bastingage, observe le port encore rouge de sang.
Quelques corps sont encore entassés près de l'eau, mais la plupart ont déjà été... emballés, dans des sacs de fortune. Ils n'auront probablement jamais de vrai cercueil. La distinction est bien faite entre les deux camps ; dépouilles unysiennes bien alignées d'un côté, et cadavres kantonais de l'autre.
Elle ignore si cette image d'ordre la rassure ou non. Pas vraiment. Mais ils ont pris le temps de disposer soigneusement des corps ennemis quand même. Il leur reste peut-être quelque honneur ; quelque humanité, surtout.
Cette vision ne lui plaît pas, alors elle se retourne. Weigall est aux prises avec une cigarette et une allumette. Elle s'étonne vaguement.
« Je croyais que vous ne fumiez pas ?
— Seulement en cas de... grande nervosité, avoue-t-il à mi-voix. Fâcheuse habitude que je ne tiens pas à prendre. »
Il parvient à allumer le bâtonnet, et lâche en même temps une légère quinte de toux. La native s'en amuse l'espace d'une seconde. Celui-là n'a clairement pas l'allure ni les manières d'un militaire, c'est un fait. Il lui rappelle davantage certains touristes, plutôt. Quoiqu'il paraît nettement moins exubérant.
A la réflexion, difficile de le ranger dans une seule case. Il faudrait le couper en morceaux pour le ranger correctement. Cette pensée macabre la fait tressaillir.
« Quand descend-on ? Ce bateau... Je n'aime pas les gros bateaux », qu'elle soupire.
Il tire une bouffée de tabac, jette négligemment la cigarette à peine consumée par-dessus le pont humide, puis esquisse un vague sourire.
« Moi non plus. Allons-y, mais ne m'en voulez pas trop si ce que vous voyez en bas vous déplaît.
— J'ai déjà eu une vue d'ensemble... Ça ira.
— Quoi qu'on en dise, on ne s'y fait jamais, déclare-t-il en l'aidant à descendre la passerelle. Le général ne devrait pas tarder, s'il réussit à faire entendre raison au capitaine Eaton. Vous allez peut-être pouvoir rencontrer notre chef d'état-major... »
Un malaise fugace s'empare d'elle, le temps d'un tressaillement. Elle chasse la pensée désagréable de son esprit. Puis elle hoche calmement la tête. Après tout, qu'est-ce qu'un entretien ennuyeux après d'éprouvantes péripéties dans le désert ?
* * *
Installé dans son fauteuil, le général Jackson garde les yeux rivés vers l'extérieur. En contrebas, dans la cour du complexe, quelques militaires en pause discutent à l'abri d'un parasol ; c'est vrai que l'astre tape fort, aujourd'hui. A ce propos, le grand homme aurait bien envie de passer un mouchoir sur son front moite de sueur. Cela dit, l'énergie lui manque un peu.
Il sait qu'il recevra l'unité du général Macarthur dans quelques temps. Ils ont dû arriver en ville, déjà. Ce ne sera pas long... Et puis cette conversation avec le capitaine Eaton l'a quelque peu exténué.
Ce bonhomme-là... Le moustachu commence à ne plus trop savoir quoi en penser. Il l'a bien connu, fut un temps. Droit dans ses bottes et ne mâchant pas ses mots. Ça n'a pas l'air d'avoir beaucoup changé, mais à ses vingt ans, le marin ne faisait pas montre d'une insolence aussi évidente.
C'est sûrement l'âge qui lui donne cette drôle d'assurance. Passé le seuil des cinquante ans, certains officiers se figurent que tout leur est dû. C'est particulièrement vrai chez ceux qui ont juste fait leurs classes à l'académie et qui ont fini par intégrer le ministère. Mais Eaton n'est pas de ceux-là, bien au contraire.
Jackson secoue la tête et laisse échapper un soupir. A quoi bon s'en préoccuper ? Se disputer avec un vieux rival ne fera pas avancer la guerre ; ce serait plutôt susceptible de la faire reculer, si une telle chose est possible. Il l'ignore. La situation est déjà assez floue comme ça.
Et reste toujours en suspens cette maudite question au-dessus de sa tête : à quelles extrémités sont prêts les Kantonais ?
Depuis l'apparition de ce navire étrangement dissimulé, il se l'est posée au moins cent fois. Ou est-ce deux cents ? Et toujours pas de réponse, naturellement. Non pas qu'il s'attende à en obtenir une. Cette histoire-là est préoccupante et soulève une inquiétude dans les rangs. Certains parlent sans doute déjà de fuir l'archipel.
Ils le pourraient peut-être, à dos de pokémon. Cela représenterait une distance considérable pour rallier Unys ou un pays neutre, mais ça n'a rien d'impossible. Peu d'intrépides s'y risqueraient vraiment, néanmoins. On peut toujours être attrapé.
Las, le général se détourne de la fenêtre pour faire face à la porte fermée. La petite vitre floue ne permet pas de distinguer clairement le couloir, mais il peut deviner la forme imprécise de son aide de camp juste derrière. Il suit les ordres, comme de juste.
En jetant un coup d'œil dans un coin de la pièce, il aperçoit une plante négligée. Ses feuilles commencent à perdre leur belle couleur verte, et se replient sur elles-mêmes. Curieux, comme ça peut lui rappeler sa propre situation.
En comparant le manque d'eau de la plante à l'absence de sa fille, il arriverait presque à se reconnaître dans cet arbuste. Il se retient d'en ricaner. Dans quel état peut-il bien se trouver, s'il se met à s'identifier à des plantes ?
La réponse n'a pas le temps de lui venir, puisque la porte s'ouvre ; tout absorbé qu'il était dans sa contemplation, il ne la regardait plus. La silhouette longiligne du sergent Waller apparaît dans la pièce. Dans le couloir, trois personnages en uniforme patientent derrière lui.
« Le général Macarthur, le colonel Snow et le lieutenant Weigall, mon général.
— Merci, Waller. Prenez votre pause. »
Un salut respectueux plus tard, le jeune homme s'éclipse, laissant entrer les visiteurs. Le blondinet reste debout, vraisemblablement pressé de s'en aller ; alors ses deux supérieurs prennent les sièges vacants.
Rapidement, Jackson les examine tour à tour. Voilà un bon moment qu'il ne les a pas vus, et il a quelque difficulté à les reconnaître entièrement. Macarthur n'affecte plus cette insolence qui le caractérise, Snow paraît moins hautaine, et le jeune Weigall semble plus lointain que jamais.
Le désert change les gens, on dirait. Ou bien est-ce autre chose. La perte de ce médecin, peut-être, dont on l'a vaguement informé par télégramme. Après tout, il ne veut pas savoir. Il n'y a qu'une chose qui importe, maintenant. La suite.
« Vous avez la pokéball, j'imagine ? »
Pour toute réponse, Macarthur la sort de sa poche et la tend à son supérieur. Elle semble un peu terne à cause du sable du désert, mais intacte. Jackson en observe un instant la surface avant de la remiser dans un tiroir de son bureau pour le moment.
« Bien, ça nous fera une préoccupation en moins... Il ne manque plus que le retour de l'unité d'Akala pour que les quatre gardiens soient au complet. Ils ont eu un petit problème avec un groupe d'Alolais, mais ça devrait s'arranger. Après ça... »
Il jette un regard en biais au blond, qui ne bronche pas. Il a quelque peu l'air d'avoir pâli, et ses yeux ne réflètent plus trop cette espièglerie qui l'animait avant son départ.
« Après ça, on avisera pour ce qui est des légendes et consorts. J'imagine que vous pourrez nous éclairer à nouveau, lieutenant Weigall ? »
Le concerné cligne un instant des yeux, comme si on venait de le réveiller, puis hoche doucement la tête.
« Bien entendu, mon général.
— Parfait. Et, hum, si je peux vous poser une question, général Macarthur... »
Celui-ci se redresse sur son siège, tout ouïe.
« Mon général ?
— Pourquoi avoir ramené une prisonnière ? Vous auriez aussi bien fait de la tuer dans le désert, on a déjà assez peu de cellules pour une personne comme ça, et vous avez insisté pour l'installer seule...
— Pure précaution, intervient Snow. Elle est très rusée, et la mettre avec d'autres prisonniers ne manquerait pas de se retourner contre nous.
— ...j'aurais pas dit mieux, ajoute Macarthur, intrigué. Même si elle se comporte bizarrement, mais j'imagine qu'elle tient ça de ses origines. »
Jackson passe une main sur son front brûlant, s'en inquiète l'espace d'une seconde, et plisse les yeux.
« Que voulez-vous dire par là ? Elle n'est pas alolaise ? »
Macarthur hausse vaguement les épaules, comme il aime si bien le faire, et met nerveusement une main dans sa poche. Sûrement cette absurde habitude de fumer sans arrêt qui le reprend. Le chef d'état-major ne dit rien.
« Si, si, elle est alolaise, et elle en a bien le tempérament... Mais si j'ai bien compris, l'un de ses parents est de chez nous. Elle a un accent parfait, d'ailleurs, et difficile de me tromper en la matière.
— C'est tout à fait vrai, ajoute le colonel devant l'air circonspect du moustachu. Intelligente, et avec des origines floues.
— Hm ! Vous feriez mieux de lui en demander plus, mais elle essaie peut-être de nous rouler dans la farine. Après tout, on ferait aussi bien de l'exécuter maintenant...
— Ce serait inutile. »
Trois paires d'yeux se braquent sur le lieutenant Weigall, qui a ouvert la bouche pour la première fois depuis son arrivée. Son visage reste impassible, quoique ses sourcils sont légèrement froncés en signe de désapprobation.
Jackson s'apprête à répliquer, mais le jeune homme reprend, imperturbable :
« Cette jeune femme est entre nos mains, si j'ose dire. Et c'est une Alolaise. Vous comprenez sûrement que c'est à notre avantage d'en avoir une à portée.
— Pas plus que les quelques dizaines qui croupissent à Kokohio ! grommelle le chef militaire, agacé. Où voulez-vous en venir ?
— Contrairement à la majorité des prisonniers de Kokohio, cette demoiselle parle parfaitement notre langue ; on pourrait lui demander n'importe quoi, elle comprendrait, ce dont bon nombre de ses compatriotes sont incapables. C'est une source de renseignement très importante ! »
Sans répondre, le général s'enfonce dans son fauteuil et croise les bras. Peut-être que ce gosse a raison, mais il s'y prend de manière bien trop insolente. Comme ce maudit capitaine de marine. Comme beaucoup trop de monde ces temps-ci, d'ailleurs.
Il soupire machinalement, et se lève, suivi de près par les deux qui se trouvent assis.
« J'aimerais parler rapidement avec le général Macarthur. Merci, colonel, lieutenant. »
Les intéressés quittent promptement la pièce, trop heureux d'en finir avec ce désagréable entretien. Seul face à son chef, Macarthur ne montre aucune crainte, pas le moindre agacement. Il a simplement l'air affreusement fatigué, à la vérité.
Les deux hommes se rassoient. Jackson se sert un fond de whisky, et en propose gracieusement un verre à son interlocuteur ; qui n'a certainement pas le cœur à refuser. L'atmosphère paraît déjà un peu moins tendue, mais aucun des deux n'est véritablement à l'aise.
« Il faut que je vous dise... » commence le plus haut gradé, hésitant.
L'homme aux yeux bleus vide son verre rapidement, et le pose sans un bruit sur le bureau.
« Eh bien ?
— Pour dire la vérité, j'ai un peu peur de ce qui pourrait se passer.
— Peur ? Allons bon, pas vous ! Kanto n'est qu'une bande d'arrogants, et jusque là leurs tactiques n'ont pas payé pour un sou.
— Pas encore, corrige le chef d'état-major.
— Bah, personne ne peut vraiment voir l'avenir en tirant des cartes ; les repousser ne tient qu'à nous. »
Jackson hoche mollement la tête et repose son récipient vide à son tour. Mauvaise idée que de se confier à un type aussi pragmatique et sûr de lui que ce Macarthur. Non pas qu'il soit dépourvu d'humanité, mais il a encore ses enfants, lui. Différence de poids.
Le plus jeune prend rapidement congé, laissant l'occupant des lieux seul, à nouveau. Son regard est comme attiré par la plante, alors qu'il repense à ce mot qui n'arrête pas de le hanter depuis le dernier appel du ministère.
Changement.