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GREAT WARS T.1 : All men dream, but not equally de Eliii



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» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 27/12/2017 à 11:30
» Dernière mise à jour le 27/12/2017 à 11:30

» Mots-clés :   Action   Alola   Guerre   Mythologie   Présence d'armes

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28- Doux-amer
« Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu. »
— Jules César (100 av. J.-C. - 44 av. J.-C.) —


* * *


Le soleil s'est longtemps fait désirer, ce matin.

Doucement, sa forme immense émerge de derrière les nuages sombres, résidus de ce qui s'est passé durant la nuit. Le feu, les cris, les larmes, le sang ; la mort. Tout ça a laissé derrière un gros paquet de nuages épais. Mais c'est de l'histoire ancienne, maintenant. Bientôt.

La lumière du jour vient lentement se déverser sur les quais meurtris, dessine de longs et fins rayons qui s'épaississent au fur et à mesure que se troue la couche cotonneuse. C'est à présent comme si le monde ouvrait les yeux sur le carnage.

Éclairé de plus en plus efficacement, le spectacle macabre donnerait la chair de poule même à Giratina. C'est un tel étalage de violence, un tel déferlement de haine incurable... S'ils venaient eux-même voir ça, les types de l'état-major en vomiraient leur petit-déjeuner.

Les pavés et la promenade de bois longeant la mer sont maculés de rouge. Partout, la couleur si enivrante, semblable à celle du vin, a marqué son territoire. Une odeur persistante flotte dans l'air, aussi. Une odeur métallique qui se mélange aux relents d'eau, de poissons. Rien à voir avec des grands crus.

Un mélange immonde, sans doute pas plus agréable que la puanteur des rattatas morts dans les égouts de Volucité. Un mélange qui dresse les cheveux sur la tête et qui fait tordre les visages en grimaces dégoûtées. Quelque chose qu'on aimerait oublier, en tout cas.

« C'est dégueulasse, marmonne un soldat dans la trentaine, faisant les cent pas sur ce sol étrangement coloré.
— Ouais, admet son comparse.
— On dirait qu'un abruti a repeint le port. Enfin, ça y ressemblerait ; sans les cadavres.
— Ouais. »

Car bien sûr, en plus de cet enfer rouge à n'en plus finir, il faut bien que la couleur ait une source. Et cette source, ce n'est pas moins que quelques centaines de corps entassés pêle-mêle dans une toile morbide. Un peintre moderne aurait pu faire quelque chose comme ça, sûrement. La galerie de Volucité est remplie de ce genre de mochetés, de nos jours.

Les cadavres, eh bien... On distingue naturellement les bleus et les bruns de leurs uniformes, mais ils sont tous dans le même bateau. Tous maculés d'un rouge démoniaque, ou alors noircis par une attaque de type feu perdue.

L'avantage de cette ignoble couche de liquide vital, songe le lieutenant Bill Hunter en cherchant frénétiquement un paquet de cigarettes dans ses poches, c'est qu'on distingue mal l'horreur des blessures. Ce n'est pas une si mauvaise chose que tous ces morts soient les uns sur les autres, au final.

Il s'en veut un peu de penser ça, bien sûr. Lui, il n'est là que pour dresser un compte rendu de la situation avec son collègue Wright. Un type un peu naïf, et sûrement secoué par la situation. Il ne fait que répéter des « ouais » sans intonation depuis tout à l'heure. Pauvre garçon. On aurait mieux fait de le laisser dormir.

Hunter finit par tomber sur ce qui reste de ses clopes ; un paquet à moitié éventré, dans lequel un bâtonnet de tabac solitaire attend son heure. Trop heureux de pouvoir dissiper un peu ces effluves ignobles avec sa fumée, le lieutenant l'allume à l'aide de son darumarond, perché sur son épaule.

La brave bestiole reçoit une caresse, et glousse de bonheur. Au moins, y en a qui savent voir les choses du bon côté, songe le militaire en reportant son regard sur la scène de massacre. On aurait pu se croire devant une mise en scène d'opéra.

Mais non. Tout est réel, des cadavres au sang sur le pavé, en passant par les uniformes maculés. Tout.

« Hé, dis voir, Wright », qu'il soupire entre deux bouffées de tabac.

Le concerné lève les yeux dans sa direction, et bat des paupières plusieurs fois, hébété. Avec ses traits juvéniles, son uniforme un tantinet trop neuf et l'inquiétude au fond de ses yeux gris, il a vraiment l'air d'un gamin perdu dans une cour d'école trop grande. Non, pas une cour d'école. L'analogie ne correspond pas, vu l'horreur du spectacle.

« T'étais où toi, cette nuit ? Pendant l'attaque, je veux dire. »

Pas de réponse. Ou bien il cherche ses mots, ou bien il est intimidé par le regard perçant de son supérieur. Il y a certainement un peu des deux. Hunter s'efforce de se radoucir, pour ne pas lui faire peur. Manquerait plus qu'il lui claque entre les doigts, tiens !

Il inhale les vapeurs bienvenues de sa cigarette ; finalement, il reste quand même un peu de l'odieux mélange sang-mer en note de fond. Mais au moins, le tabac a pris la tête. Mieux que rien.

« J'étais de garde à l'hôtel, mon lieutenant. Vous savez, à la grille... On était, euh, quatre ou cinq à patrouiller près de la cour.
— La cour, répète le plus âgé, songeur. C'est là qu'était le général Jackson, non ?
— Je crois... »

Le jeunot déglutit, comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose qu'il devrait garder pour lui. Soudain intrigué, l'officier s'approche un peu plus, son pokémon toujours en équilibre sur l'épaule. La créature de type feu semble un peu plus calme, maintenant qu'elle a cerné l'atmosphère.

« Tu crois... tu crois quoi ?
— Je sais pas, c'est juste qu'on a entendu... Enfin, le chef d'état-major avait l'air assez abattu, quand il était dans la cour. On aurait dit qu'il croyait plus à la victoire, qu'il abandonnait... Enfin non, mais je l'ai senti inquiet. Après, il est rentré, alors je sais pas... »

Hunter hausse un sourcil blond, déçu. Finalement, ça ne fait que confirmer les rumeurs qui se baladent au QG depuis quelques temps. Comme quoi le général commence à perdre les pédales, qu'il a fait son temps, qu'il sera bientôt mis au rebut, tout ça. Bah, de toute façon, ça concerne qui ? Seulement les gradés.

Autant revenir aux cadavres présents. Pris d'une curiosité morbide, le lieutenant s'accroupit, et passe un doigt légèrement tremblant sur le pavé peint de rouge. Sec. C'est aussi bien comme ça. Ce serait dommage de se tacher les mains avec ce truc.

Un peu incommodé par la caresse du vent dans ses cheveux, il s'éloigne du bord et des cadavres. Il y en a pas mal dans les rues, aussi. Quelques pokémons blessés s'y sont réfugiés avant de rendre leur dernier soupir. En particulier des raichus et des arcanins, avec quelques autres espèces. Heureusement, la plupart ont l'air d'avoir pu s'enfuir.

Après tout, c'est débile d'entraîner ces bêtes dans de tels massacres. Leur loyauté envers leurs dresseurs les ont tuées.

« Si c'est pas malheureux », grommelle l'officier, vaguement répugné.

Il se laisse tomber sur un banc, curieusement épargné par la folie générale de cette nuit. C'est bien, ça, d'avoir laissé le banc tranquille. C'est que c'est utile, un banc. Peut-être que les soldats d'hier ont songé que ce serait gentil de le laisser là, pour que des gars comme lui, chargés de la sale besogne, puissent se reposer.

Bill Hunter sourit ; ce qu'il peut être débile. C'est une pensée typique de son jeune acolyte, ça. Le gamin s'empresse d'ailleurs de le rejoindre, trop heureux de pouvoir quitter un moment le charnier en plein air.

Hésitant, il paraît tergiverser quelques minutes avant de s'asseoir à côté de son supérieur. Le grand blond fait souvent cet effet-là aux recrues dans son genre. Pour un peu, il se croirait méchant.

« C'est pas joli, hein ? »

Wright acquiesce, les yeux dirigés vers la façade de l'immeuble juste en face.

« Ouais. »

L'autre lève les yeux au ciel. Ne peut-il pas formuler une réponse plus longue que cette agaçante monosyllabe ? Bah. Après tout, c'est idiot de forcer une âme sensible à en dire plus qu'il ne le peut. Sûrement que s'il garde sa bouche ouverte trop longtemps, son petit-déjeuner en profitera pour s'enfuir.

Voilà un jeune homme qui n'a rien à faire dans l'armée, en somme. Un peu comme lui. Depuis le temps qu'il voit de la violence, ça l'en dégoûte chaque fois un peu plus, de cette maudite institution. Pourquoi ne pas avoir le cran de s'en aller ? Bonne question.

« Qu'est-ce que t'en penses, de tout ça ? » questionne le lieutenant, soudain d'humeur bavarde.

Un instant, il croit que le gosse va juste répondre « ouais », ce qui n'aurait aucun sens. Mais non, à la place, il le dévisage avec ses grands yeux gris. On dirait ceux d'un pokémon sur le point d'être abattu par un chasseur.

« C'est effrayant, je dois dire... Quand je me suis engagé, c'est pas à ça que je m'attendais...
— Comme beaucoup d'entre nous, petit.
— A mon avis on devrait mettre fin à tout ça tant qu'il temps, poursuit-il, bizarrement loquace. J'veux dire, les généraux peuvent bien décider d'éradiquer sérieusement l'Alaka'i... Ou alors ils peuvent signer un fichu traité de paix et nous laisser rentrer à la maison... »

S'il n'avait pas un minimum de compassion, Hunter aurait ricané. Mais non. Lui-même aspire secrètement à la même chose, au fond. La paix, tout simplement. Y en a bien assez de la guerre. L'humanité elle-même est une guerre et ça n'est pas près de se terminer.

« Faudrait qu'on soit poussés vachement loin dans nos retranchements pour qu'un armistice soit signé, gamin. C'est la fierté de nos généraux qui nous poussera tous au fond du gouffre. »

Il jette un œil à sa montre et se lève, quittant à regret le toucher rassurant du banc.

« Allez, on y retourne. Faut bien s'y mettre, à ce compte-rendu. »

Le lieutenant se retourne sans attendre de réponse ; derrière lui, un vague « ouais » se fait entendre.


* * *

« Merde, c'est pire que du poisson pourri. »

Le capitaine Eaton n'a pas pû s'empêcher de le laisser échapper à voix haute ; ça le démangeait, de faire une remarque agacée. Forcément, avoir passé la nuit sur son navire pendant la bataille contribue à son humeur massacrante.

Il regarde un moment la scène de désolation devant ses yeux. Rouge. Sang. Corps entassés. Uniformes. Pokémons. Mort.

A quelques pas de lui, l'officier de liaison Harper reste impassible comme à son habitude, le menton légèrement relevé, droit comme un automate. Le brave garçon essaie probablement de se donner contenance devant l'horreur ambiante.

Même un marin vétéran comme le quinquagénaire se sent oppressé par tant de violence. Il s'empresse de détourner les yeux, en même temps que les talons, pour s'éloigner du port. Sans prononcer un mot, le rouquin prend sa suite.

C'est étrange, de retrouver encore une fois les rues de Ho'ohale, silencieuses et désertes. La dernière fois, il n'y avait pas même un soldat, et cela a résulté d'une fâcheuse agression... A présent, plusieurs types en uniforme surveillent ardemment les environs.

Le grisonnant accorde volontiers une pensée aux civils qui doivent être tassés dans certaines demeures ou à l'hôtel des Embruns. Connaissant le comportement des gens de la bonne société, il se doute que ça va finir en esclandre.

Les richards risquent d'envoyer une délégation de quelques nantis un tant soit peu éloquents, et Jackson sera bien en peine de les repousser. Il esquisse un sourire en songeant à ce vieil imbécile. Ce serait le moment qu'il courbe l'échine...

Bah, pourquoi lui donner tant d'importance ? C'est déjà ce qu'ils font tous les deux en allant au quartier général. Surtout, ne pas en rajouter. Cet abruti qui l'a réduit à un spectateur n'en mérite pas tant.

Eaton lance un regard en coin au jeune homme qui l'accompagne, muet comme une tombe. Pas très étonnant, au vu de ce qu'ils viennent de voir — et du caractère plutôt taciturne de Harper. Seulement, parfois, il vaut mieux parler pour se libérer l'esprit des considérations inutiles.

Plus facile à dire qu'à faire, probablement. Mais autant essayer.

« Dites, ça va, Harper ? »

L'intéressé ne cille pas, mais hoche tranquillement la tête ; par respect de son supérieur plus que par réelle envie de discuter.

« J'ai l'avantage de ne pas avoir mangé ce matin, mon capitaine.
— Sage décision... souffle l'aîné, avec une grimace de dégoût. Quoi qu'on en dise, Jackson a sa part de responsabilité là-dedans. Il a envoyé des types à la mort, mais il aurait pu nous demander en renfort. »

Il s'interrompt, pensif. Certes, le général n'est pas tout blanc dans l'histoire, mais le blâmer entièrement n'est pas la solution non plus.

« Hm, c'est le lot de la guerre, j'imagine. Sans victimes une guerre n'en est plus une.
— Certainement, admet le jeune. C'est dommage. Que tout ça... »

D'un geste de la main, il désigne les alentours ; la ville, la mer, la végétation au loin. Eaton croit lire de l'amertume et de la tristesse sur ses traits. Désillusion, sûrement. Il y en a beaucoup dans son cas.

« Que tout ça finisse en cendres à cause d'un litige. Finalement, on pourrait mieux régler ça dans un tribunal. Quelques plaidoiries bien menées, des documents signés, un compromis pour la forme...
— Vous parlez comme un avocat, constate le capitaine avec une once d'amusement.
— Plaignez-vous à mon père, qui m'a élevé dans l'optique d'en devenir un. Ça n'était pas fait pour moi. »

Le plus âgé hoche la tête. Il ne peut pas dire qu'il comprend. Si, peut-être un peu. Lui non plus n'est pas réellement fait pour son « travail ». Plus maintenant, en tout cas. Volonté trop émoussée, patriotisme évanescent... Respect disparu, aussi. Il ne trahira pas, bien sûr. Mais ne mettra pas tant d'ardeur à la bataille qu'un autre.

C'est le temps et son œuvre, ça. On finit par comprendre. Que tout est vain, et surtout les guerres. Quoi de plus stupide qu'un homme A et un homme B qui s'entretuent pour une raison X ou Y ?

Assurément rien. Rien sinon un marin buté et trop lâche pour discuter les ordres et s'imposer.

« Jackson pense que tout ça sera bientôt fini. Mais entre nous, je crois bien qu'il en est déjà rendu à boire pour oublier. »

Le rouquin s'étonne d'une telle franchise. C'est vrai que le capitaine n'a jamais porté le chef d'état-major dans son cœur.

« Vous croyez que le ministère va...
— J'en sais rien, petit. Ce serait pas une si mauvaise chose... Bah, vous savez, ça nous regarde pas tout ça. »

La conversation ne leur apporte pas grand chose ; autant s'arrêter là. Le trajet se poursuit en silence. Dans ces rues sans vie, ça fait un drôle d'effet. Le silence est partout, les enveloppe. Aucun pokémon pour égayer un peu l'endroit. Avec le raffut d'hier et l'odeur de mort, c'est compréhensible.

Devant le quartier général, les habituelles sentinelles. La seule chose qui change, c'est le nombre ; il y en a un peu plus, maintenant. Ce n'est pas réellement utile. Après la défaite écrasante de Kanto la nuit dernière, ils ne s'y reprendront pas.

Sauf s'ils sont vraiment stupides. Peut-être bien que c'est le cas. Eaton préfère croire que non, histoire d'éviter les mauvaises surprises. Surestimer vaut toujours mieux que sous-estimer, dans ce milieu...

L'un des types en uniforme brun s'approche, le pas martial et l'air légèrement hautain. A croire qu'il se prend pour un général. Bah.

« Vos papiers, messieurs ? »

Les documents passent d'une main à l'autre. Le chien de garde vérifie que tout est en ordre, les restitue et fait ouvrir le portail à un autre gars un peu plus loin. Ils entrent tous les deux, rassurés d'être désormais sur un territoire mieux protégé que les rues de la ville.

En le regardant comme ça, on penserait que le complexe est toujours le même. Un hôtel de luxe comme les autres, avec des bassins, des parasols, des fleurs exotiques... La silhouette massive du bâtiment se découpe dans le ciel, curieusement menaçante.

Ça doit sûrement venir du fait qu'il n'a pas envie d'être là, mais qu'il a choisi cette situation quand même. S'il ne s'oppose pas à Jackson maintenant, il ne le fera jamais ; ça, il en est certain. Autant profiter du courage pendant qu'il est encore là.

« Vous êtes sûr de vouloir faire ça, mon capitaine ? questionne Harper, un sourcil vaguement froncé en signe d'inquiétude ; comme d'habitude, il n'est pas expansif.
— Vaut mieux ça que de nous laisser marcher dessus, vous savez. Jackson fait partie de cette espèce qui se considère comme à mi-chemin entre un Homme et un dieu dès lors qu'on lui donne un peu de pouvoir. Autoritaire, borné... Du moins, c'est ce qu'il essaie de faire croire.
— Ce qu'il essaie de faire croire ? »

Le grisonnant hoche la tête, évasif.

« C'est une ombre, maintenant. Tout ce qui le reliait à son humanité a disparu dans le désert. Ouais. C'est juste une machine, maintenant. Une machine qui donne des ordres, qui en reçoit... »

Sans expliciter sa pensée, le vieux marin passe les portes de l'hôtel, de son habituelle démarche à la fois sûre et tranquille. Harper hausse les épaules et le suit, pas d'humeur à l'embêter davantage.


* * *

Le marché du village Toko est plus actif que jamais, aujourd'hui. Quelques militaires viennent s'approvisionner, chose qu'ils se refusent à faire d'habitude, par principe. Tous sauf le lieutenant Weigall, qui n'a pas pris la peine de quémander une autorisation pour sortir acheter des fruits.

A peine réveillé d'un ersatz de sieste, le jeune homme observe avec intérêt les différents étals. Des couleurs, des odeurs, le tout mélangé... Ça lui rappelle ce jour où ils sont arrivés dans le coin, avant de partir dans le désert. Ça n'est pas si loin, mais on dirait que cette soirée remonte à des années.

Il esquisse un sourire en apercevant le vendeur auquel il a acheté des baies, justement. Celui-là même qui lui a valu un sermon du général juste après. Mais cette fois, le grand brun à l'éternelle cigarette n'est pas là pour lui dire quoi faire.

Nonchalant, il retire sa casquette et s'avance jusqu'à l'étal, plein à craquer de petits fruits colorés. Il laisse ses yeux dériver sur les peaux jaunes et rugueuses des baies sitrus, et puis celles, plus douces, des baies pêcha.

Puis il lève les yeux vers le grand homme à la peau brune, cheveux et barbiche noirs. En reconnaissant le jeune étranger qui lui fait face, il écarquille les yeux, un léger sourire au coin des lèvres.

« Alola, monsieur, lâche l'Unysien, amusé. Deux sachets, s'il vous plaît. Sitrus et pêcha.
— Tout de suite, marmonne le commerçant, clairement étonné par l'audace du blondinet. Je ne pensais pas que vous auriez le cran de revenir ici, après ce que vous avez été faire dans le désert... »

Weigall, surpris, manque de lâcher les pièces qu'il allait tendre au natif. Celui-ci le remercie d'un hochement de tête.

« Vous savez ce qu'on a été faire dans le désert ? »

L'homme soupire, et s'assoit sur un petit tabouret de bois derrière son étal.

« C'est ma région, vous savez. Mais peu importe, vous faites ce que voulez de toute façon... C'est votre comportement vis-à-vis de la jeune Cilliana que je cautionne pas.
— Oh.
— Ouais, « oh » ! Ça tu peux le dire. »

Le militaire ne cesse pas pour autant de sourire. Il n'aime pas faire preuve d'arrogance habituellement, mais sur ce coup-là, il s'estime ne pas être en tort. C'est la guerre, après tout !

« Excusez-nous de vouloir mettre un terme à ce conflit de la façon la plus efficace possible, souffle le blond. Enfin, quand je dis « nous », je parle de mon armée. Moi-même, ça me passe un peu au-dessus de la tête... Un concours de circonstances a fait que je me retrouve impliqué là-dedans, c'est tout.
— Allons bon ! grommelle l'Alolais.
— Vous doutez et vous êtes en droit de le faire. Mais sans moi, cette jeune femme ne serait pas aussi bien traitée. Je ne sais plus ce qu'elle m'a dit à ce sujet... Que je la voyais comme « un être humain et pas juste un sac de viande ». Elle vous le redirait mieux que moi. »

Le jeune homme tourne les talons, dans l'intention évidente de s'éloigner, mais se ravise. Au lieu de quoi il tire à nouveau son portefeuille de sa poche. Ses doigts fins en sortent rapidement un morceau de papier caractéristique ; billet de banque.

D'un geste sûr et tranquille, il le pose sur l'étal de fruits. Pour quoi, il l'ignore. Compensation pour la capture de Cilliana ? pour sa participation à la guerre ? Peut-être. Il sourit, serein.

« Bonne journée à vous. Puissiez-vous connaître la paix, bientôt. »

Le curieux personnage s'éloigne sans un mot de plus, sous le regard franchement éberlué du marchand. Il s'autorise un sourire, lui aussi.

« Drôle d'étranger ! »