Début décembre. Il se fait tard. Je marche dans la ville éclairée par les néons colorés. J’aperçois des Pokémon électriques sur les toits, usant de leurs fulgurantes étincelles pour permettre à la magie des fêtes d’opérer. J’essaie de ne pas leur prêter attention, pas plus qu’à la lumière qui irradie des lampadaires. Une lumière traîtresse. Artificielle. Aveuglante.
Et voilà. Je l’ai regardée. Je ferme les yeux. Mais les enseignes criardes de la ville me restent en mémoire. Des taches de couleurs vives restent gravées sous mes paupières. Je suis agressé par cet éclat sombre et sournois.
Je n’aime pas Noël. Ou plutôt, je déteste ce qu’en font les humains. Une fête en l’honneur du factice. Tout est faux dans cette célébration hypocrite. Le Père Noël, les prétendus liens qui unissent les Hommes, et surtout, la lumière. Les néons, les lampadaires, les guirlandes… Je les méprise. Au moins autant que mes congénères ne les adorent. J’ai toujours été comme cela. À contre-courant.
Ainsi, au milieu de la masse grouillante de visages flous et indistincts baignés par les sinistres illuminations, je lève la tête. Afin de contempler le ciel et son œil brillant. La Lune seule est ma lanterne, et les étoiles sont mes bougies. Le halo argenté qui les entoure a le don de me rasséréner. J’en oublierai presque les ténèbres de l’éblouissante rue. Presque. Un seul regard alentour, et l’ambiance morbide recommence déjà à me peser. La nuit vient.
Je presse le pas. Les lueurs confuses des néons, des lampadaires et des guirlandes se mélangent dans mon champ de vision. Ce chaos indescriptible m’oblige à clore à nouveau les yeux. Les taches de couleurs se font d’abord plus violentes. Mais je sais que c’est éphémère. Bien plus serein, je ralentis le rythme. Mon cœur fait de même.
Les couleurs voyantes commencent déjà à s’atténuer. Je marche désormais tranquillement. Mes yeux sont toujours fermement clos. Je n’ai pas peur. Je l’ai fait des centaines de fois. Cela m’a appris à écouter pour éviter le danger. Même les Pokémon et les enfants qui jouent en pleine rue ne sont plus un obstacle pour moi.
Je sens les couleurs disparaître.
Je consens enfin à rouvrir mes paupières. Comme je m’en doutais, mes pas m’ont guidé tout droit au foyer. Là où les lugubres lumières de la ville ne sont plus que des points à l’horizon. Je soupire de soulagement. Enfin. Ma maison. Si sombre et pourtant si rassurante.
J’entre aussitôt. Le lit m’attire alors à lui comme une force surnaturelle. Inutile de lutter plus longtemps. Mon corps réclame son repos. Quand ai-je dormi pour la dernière fois ? Je ne m’en souviens plus. Mon esprit est brumeux, et mon corps affaibli.
Je m’allonge sur le matelas, bien décidé à sombrer dans le songe. Je reste ainsi, figé, pendant un très long moment. Les portes du sommeil demeurent impénétrables, apparemment. Je me redresse et quitte mon lit. J’ouvre les volets. Puis je me mets à contempler l’habitacle éclairé par l’éternel manteau de la nuit. Pourquoi ai-je donc mis une boule à facettes au plafond ?
Soudain, la réponse s’impose d’elle-même. La danse des miroitements. Les milliers de fragments de lumière qui se répandent et dansent en harmonie. Les paillettes de la petite Lune illuminent entièrement la pièce, diffusant le doux faisceau opalin de l’astre mère. Partout, les reflets scintillants se meuvent en silence.
A foxtrot above my head
A sock hop beneath my bed
The disco ball is just hanging by a threadCertains effectuent
un foxtrot au-dessus de ma tête, d’autres dansent
un sock hop sous mon lit… Tout ça grâce à
une boule à facettes qui ne tient qu’à un fil.
Je souris, seul dans le noir. Ce spectacle m’en rappelle un autre. Le plus beau que je n’ai jamais vu de ma vie. Peut-être se joue-t-il en ce moment ? Je dois absolument en avoir le cœur net. Tant pis pour mon repos. Le sommeil attendra. Il attend depuis déjà bien longtemps. Trop, sans doute. Mais peu importe.
Laissant mon foyer derrière moi, je me mets à courir à toute haleine vers la forêt sombre, indifférent au froid glacial qui me paralyse les os. Je n’ai qu’une seule pensée en tête : rejoindre la forêt. Un soir de doute, ou devrais-je dire, un soir comme les autres, j’y ai fait la plus merveilleuse des découvertes. Mon cœur s’emballe à mesure que je traverse les différents branchages qui me rapprochent un peu plus de mon objectif.
Elle est là.
La clairière aux lucioles.Et elles sont là aussi.
You would not believe your eyes
If ten million fireflies
Lit up the world as I fell asleep
'Cause they'd fill the open air
And leave teardrops everywhere
You'd think me rude but I would just stand and stareJe les contemple un instant, émerveillé.
Vous n’en croiriez pas vos yeux. Une volée de Muciole et Lumivole illumine le ciel, et moi, j’essayais de dormir !
Les bestioles remplissent l’air supérieur de leur luminescente présence. Elles tournoient dans les cieux pour exécuter leur chorégraphie enchanteresse. Points dansants entre terre et éther, ce sont de véritables larmes d’étoile.
Vous allez peut-être me trouver impoli, mais… Je resterais simplement là, debout, à les observer, si je le pouvais.
Bientôt elles s’aperçoivent de ma présence. Une nuée d’insectes de toutes les couleurs fond alors sur moi. Bleu. Rouge. Violet. Jaune. Une aura chatoyante irradie des Pokémon Luciole et fait ressortir les jolies couleurs de leur petit corps. Des teintes pastel, chaudes et rassurantes, en cet hiver difficile. Me voilà bien loin des nuances criardes de la ville.
Je me sens bien. Serein. Pourquoi ?
'Cause I'd get a thousand hugs
From ten thousand lightning bugs
As they tried to teach me how to danceParce que je reçois un millier de câlins,
de la part de dix mille insectes scintillants, pendant qu’ils essaient de m’apprendre à danser. Et je me prête au jeu. Je reste des heures à danser ainsi avec eux, pendant qu’ils virevoltent autour de moi.
I'd like to make myself believe
That planet Earth turns slowly
It's hard to say that I'd rather stay awake when I'm asleep
'Cause everything is never as it seemsJ’aimerais croire que la Terre tourne, doucement… Mais, en cet instant, plus qu’au déplacement monotone de la planète, je crois en la valse des lucioles.
C’est difficile à dire, mais… Je préférerais rester éveillé lorsque je dors. Parce que rien n’est jamais ce qu’il paraît.Leave my door open just a crack
(Please take me away from here)
'Cause I feel like such an insomniac
(Please take me away from here)
Why do I tire of counting sheep?
(Please take me away from here)
When I'm far too tired to fall asleep D’ailleurs, tout ceci n’est peut-être qu’un rêve. Je pourrais très bien avoir enfin trouvé le sommeil, bercé par le doux halo de ma boule à facettes. Avec ma porte à peine entrouverte,
car je me sens réellement insomniaque. S’il vous plaît, emmenez-moi, loin d’ici, loin de cette chambre, où, chaque soir, je me fatigue à compter les Wattouat,
quand bien même je suis bien trop épuisé pour m’endormir.To ten million fireflies
I'm weird 'cause I hate goodbyes
I got misty eyes as they said farewell
But I'll know where several are
If my dreams get real bizarre
'Cause I saved a few and I keep them in a jarL’hypnotique et étincelant récital touche à sa fin. Les adorables lucioles effectuent leur dernière danse. Moi qui suis d’ordinaire si solitaire, je déteste nos au-revoir. Je suis vraiment bizarre. Pourtant, j’ai les yeux embrumés à chaque fois qu’elles me font leurs adieux.
Mais je sais où en trouver certaines, si mes rêves deviennent vraiment étranges, car j’en ai préservé quelques-unes, et je les garde dans une sphère…
Les Muciole et Lumivole à la croupe luminescente s’élèvent au plus haut des cieux, comme s’ils souhaitaient devenir les enfants de la Lune. Allongé sur l’herbe viride, je regarde ces étoiles montantes peu à peu s’éloigner de moi. Et je souris.
Puis j’ouvre les yeux. N’était-ce qu’un rêve ? Non. Je ne suis pas dans mon lit. La seule couverture qui me recouvre est une fine pellicule de neige. Je suis toujours dans la clairière aux lucioles. Mais les lucioles, elles, n’y sont plus.
It's hard to say that I'd rather stay awake when I'm asleep
Because my dreams are bursting at the seamsCependant, je ne suis pas inquiet. Je sais que les reverrai. Chaque soir passé en leur compagnie remplit un peu plus mes rêves. Vraiment,
c’est difficile de me dire que je préférerais rester éveillé lorsque je m’assoupis… Car mes rêves sont pleins à craquer.Une pensée me traverse l’esprit. Toutes les lucioles ne sont pas parties. Toujours allongé, je me saisis des deux précieuses sphères qui ne me quitteront jamais. Apparaissent alors sur le manteau neigeux deux lucioles colorées, qui me couvrent de leurs embrassades. Les deux lucioles les plus brillantes et les plus attachantes qu’il puisse exister. Je les serre fort dans mes bras. Puis nous admirons ensemble le lever du Soleil, ce magnifique présent de la nature.
Début décembre. L’aurore diapre la clairière aux lucioles et ses trois résidents d’une lueur orangée. Les réjouissances sont encore à venir pour la plupart… Mais les fêtes sont déjà passées pour moi. Et j’ai obtenu le plus beau des cadeaux.
« Muciole, Lumivole… Joyeux Noël. »
D'après Fireflies, d'Owl City