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GREAT WARS T.1 : All men dream, but not equally de Eliii



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Informations

» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 06/12/2017 à 16:34
» Dernière mise à jour le 06/12/2017 à 16:34

» Mots-clés :   Action   Alola   Guerre   Mythologie   Présence d'armes

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25- Surprise !
« J'ai conquis un empire, mais n'ai pas été capable de me conquérir moi-même. »
— Tsar Pierre Ier, dit « Pierre le Grand » (1672 - 1725) —


* * *


Occupés. Toujours. Sans arrêt.

« On est occupés », c'est ce qu'ils n'arrêtent pas de dire, et pourtant il doit bien y en avoir au moins un qui n'a rien à faire. Comme s'ils étaient si sollicités qu'ils veulent le faire croire. Des fainéants, voilà tout. Sûrement un ramassis de paresseux comme on n'en fait plus.

Depuis ce matin, tout est bien trop calme, d'ailleurs. On s'enferme dans son bureau à double tour pour n'en sortir qu'au moment des pauses, et puis on repart se terrer. Il n'a pas vu grand monde dans les couloirs, quand bien même ça fait un bon moment qu'il les arpente en attendant un signe.

Voilà bien quoi, vingt-cinq minutes qu'il a été reçu par un jeunot un peu grognon ; il s'est fait proprement rembarrer parce que le service téléphonique est soi-disant débordé. Tu parles ! C'est qu'on n'autorise pas les sous-fifres à passer des coups de fil, plutôt.

Clyde Jonson n'en sait rien, mais ça ne l'empêche pas de penser que les grands pontes doivent avoir l'avantage, ici aussi. On favorise toujours les riches et les puissants. Ce n'est pas un vulgaire capitaine comme lui qui se fera entendre.

Et après le fiasco de ce matin avec Stella, il n'a pas tellement envie de retourner dans le bureau de Jackson. Le chef d'état-major lui a fait assez mauvaise impression, à la vérité. Pas à cause de son air abattu — quoique ça ajoute un côté encore plus lamentable au tableau.

C'est surtout la lâcheté apparente et flagrante de ce bonhomme qui a bien refroidi l'aviateur. Non pas que lui soit un modèle de courage tout à fait admirable, mais... La manière d'agir du leader du quartier général traduisait clairement le sentiment dominant chez lui.

La peur.

Le trentenaire ne saurait trop dire quelle en est la cause, mais il a bien sa petite idée sur la question. Brighton effraierait n'importe qui, visiblement ; pour qu'il bouleverse Stella à ce point, c'est qu'il doit être du genre redoutable.

Mais en y repensant, Jackson a normalement tout pouvoir sur ce type-là et peut probablement le renvoyer au pays quand bon lui semble. A moins qu'il n'ait les mains liées par le ministère, évidemment...

Lorsqu'il étudiait encore à l'académie des officiers, Clyde passait parfois de longs moments à flâner entre les rayonnages de la grande bibliothèque. Il a ainsi pu feuilleter un certain nombre d'ouvrages traitant de politique, et donc acquérir quelques connaissances utiles dans le domaine.

Ce qui ressort de ses recherches et de ses discussions ultérieures avec d'autres cadets, c'est que le ministère de la Guerre est un cercle d'aristocrates qui n'ont probablement jamais mis le pied sur un champ de bataille.

Des jeunes « fils à papa » arrogants aux vieux conservateurs aigris, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Et forcément, s'ils ont la mainmise sur l'état-major stationné à Alola, pas étonnant que la guerre mette tant de temps à se terminer.

Si elle se termine un jour. Aucune des deux parties ne semble décidée à abandonner, en tout cas, et ça n'est pas pour rassurer la plupart des militaires concernés directement par le conflit. Y compris l'aviateur, bien sûr.

Ce n'est pas qu'il se sente particulièrement nostalgique de sa terre natale. On a après tout beaucoup plus d'espace pour voler dans le ciel alolais qu'entre les hauts immeubles d'Unys. Mais là-bas, il y a la famille qui lui reste, et ça fait mal d'en être éloigné.

Stella a beau jouer la dure, c'est plus facile pour elle, puisque son frère travaille au Hano-Hano. Alors que de savoir sa fille de cinq ans à des centaines de kilomètres n'est pas pour remonter le moral de son comparse.

« Tous occupés, ben tiens ! marmonne-t-il entre ses dents, sans cesser de faire les cent pas dans le couloir désert. Je parierais cinquante pokédollars qu'ils sont en train de se marrer en buvant un bon coup. »

Soudain lassé de son petit manège, il s'immobilise et sort les mains de ses poches, pour enfouir son visage entre ses doigts. Ce que c'est long ! Ce satané téléphoniste lui a dit qu'il reviendrait rapidement pour lui dire si, oui ou non, son appel est recevable, mais pas trace de ce connard.

« Et puis merde. Je ferais aussi bien d'aller voir. »

Joignant le geste à la parole — ou plutôt à la pensée —, l'aviateur tripote machinalement son foulard gris, caractéristique de son appartenance à l'armée de l'air, et se dirige d'un pas décidé vers la porte fermée menant à la salle des communications.

Il laisse un moment ses doigts sur la poignée assez chaude, puisque la fenêtre, située juste en face, laisse en permanence passer les rayons du soleil directement dessus. Il déglutit, puis actionne le mécanisme pour faire tourner le battant sur ses gonds.

Un brouhaha de sons mélangé parvient à ses oreilles sitôt qu'il fait un pas dans la pièce ; des conversations, des bruits de téléphone — sonneries, claquements du combiné contre son support...

Toute cette ignoble cacophonie ne tarde pas à s'arrêter, au moment où les opérateurs posent leurs regards acérés sur lui. On dirait une horde de piafabecs prêts à fondre sur leur proie, pour arracher sa chair et se disputer les meilleurs morceaux de viande.

Le trentenaire retient un frisson en faisant l'analogie, sans doute guère appropriée. Ces bureaucrates en chemises, cravates, bretelles et pantalons d'uniformes offrent un drôle de spectacle ; comme s'ils appartenaient à l'armée, mais seulement à moitié. C'est en tout cas ce que laisse supposer leur accoutrement.

Sûrement à tort, parce que sans ces gars-là, l'information ne serait pas partagée aussi rapidement qu'elle l'est à l'heure actuelle. Malgré son aversion pour les bureaucrates, Clyde est bien forcé d'admettre qu'ils font du bon travail.

L'un d'entre eux s'avance dans sa direction, les sourcils froncés. L'aviateur reconnaît le jeunot qui lui a dit d'attendre dans le couloir. Vu son air dédaigneux, c'est probablement un fils à papa qui a joué de ses relations pour avoir un poste sans gros risque.

Typiquement le genre de type avec qui il ne pourrait pas s'entendre.

Autour d'eux, les autres téléphonistes observent la scène avec un intérêt qu'ils ne prennent pas la peine de dissimuler. Il y a quelques femmes dans le lot, qui ne doivent pas être beaucoup plus âgées que l'arrogant personnage.

« Je vous ai dit d'attendre dans le couloir, capitaine, euh...
— Jonson.
— Capitaine Jonson, répète-t-il en hochant la tête — comme s'il allait s'en souvenir. Vous ne m'avez peut-être pas bien compris, mais—
— J'ai très bien entendu, vous voulez pas me laisser téléphoner. Y a une raison à ça ? Tout ce que je demande, c'est cinq minutes de communication avec Unys. Ça fait des jours que j'attends ça ! »

La gorge sèche, il songe qu'il aurait dû aller boire avant de commencer à faire ses récriminations. Trop tard, maintenant. L'autre le regarde avec un mélange d'étonnement et de condescendance. Il serait presque ridicule, avec son air trop sérieux sur ce visage encore très jeune.

« Le général Jackson a ordonné qu'on suspende les demandes de communication, avoue-t-il dans un soupir. Jusqu'à nouvel ordre », juge-t-il bon de préciser.

Le trentenaire écarquille les yeux, interloqué. D'où vient cette histoire ? Pourquoi ne pas lui avoir dit ça avant ?

« Vous me prenez au dépourvu, grommelle-t-il. Et pourquoi c'est suspendu ?
— Il faut poser la question au général, mon capitaine. »

Le jeunot jette un coup d'œil à sa montre, en prenant l'air de quelqu'un d'important qui n'a pas de temps à perdre avec la plèbe.

« Bien, si vous n'avez rien d'autre à demander, je vous conseillerais de quitter les lieux. Les autres îles n'attendent pas. »

Agacé, le concerné hoche la tête et marmonne un vague « merci » en tournant les talons, pour se retrouver à nouveau dans le couloir. Et merde ! Dire que cet abruti aurait pu le prévenir directement, mais non, il n'en a pas pris la peine.

S'efforçant de garder son calme, l'aviateur descend les escaliers rapidement pour se retrouver au rez-de-chaussée. Une fois dans l'immense hall parqueté pourvu de banquettes confortables, d'un bureau de réception somptueux, de fontaines et de toutes sortes de plantes vertes, il se dirige vers le restaurant réaménagé en réfectoire, dans l'aile ouest du bâtiment.

La salle offre un drôle de spectacle, avec ses tables rondes recouvertes de belles nappes, auxquelles sont installés des hommes et femmes en uniforme au lieu des habituels touristes riches dans leurs costumes et robes à dix mille pokédollars.

Mais l'habitude ayant fait son œuvre, plus personne ne s'attarde là-dessus maintenant. Clyde se dirige d'un pas sûr vers une fontaine d'eau potable. Son verre rempli, il parcourt la salle des yeux, et aperçoit sa coéquipière, l'air maussade, assise à l'une des plus petites tables.

« Ça a pas l'air d'aller », constate-t-il inutilement.

Sans paraître bien surprise, elle lève les yeux vers lui et son visage s'illumine. Peut-être qu'elle s'est un tant soit peu remise de ses émotions, songe-t-il en s'asseyant en face d'elle.

« La journée a été longue, hein ?
— Mon frère m'a emmenée pêcher sur les quais, admet-elle en vidant ce qu'il reste de son repas léger. C'est vrai que ça manque cruellement d'action, ces temps-ci... »

Clyde ne peut s'empêcher d'être un peu étonné par son comportement détaché, alors qu'elle était sur le point de craquer le matin même, après leur entretien avec Jackson. Peut-être a-t-elle compris qu'il ne servait à rien de paniquer tant que Brighton ne sait pas qu'elle a assisté à la scène.

Tandis que l'eau le soulage de sa gorge sèche, il prie Arceus que le général n'aille pas raconter tout ça à son collègue. Sait-on jamais...


* * *

Lorsque ses doigts lâchent la bride de cuir fin, un immense soulagement l'envahit. La dernière fois. C'est la dernière fois qu'il descend de bourrinos avant, il l'espère, un long moment. Terminées, les nuits glaciales et les journées brûlantes dans le désert.

Il tâtonne un instant dans la poche de sa veste, en tire un étui à cigarettes, une allumette et aspire goulûment la fumée âcre. Ça fait un bien fou.

Alentour, ses subalternes s'affairent avec leurs propres montures, les attachant aux poutres en bois prévues à cet effet. Dans le soir tombant, la silhouette noire du petit hôtel se découpe comme une ombre irréelle. Un peu plus loin, il y a la frontière entre terre et sable. Sable qui n'est plus qu'un souvenir maintenant.

De l'autre côté, les quelques lumières du village Toko, et puis surtout celles du quartier général local, brillent comme des dizaines d'yeux jaunâtres. Le silence est presque absolu, si l'on excepte le fracas léger des vagues contre la roche et les bruissements de l'herbe.

C'est étrangement apaisant, comme atmosphère. Le général sait bien qu'il y a bon nombre d'habitants hostiles à l'armée dans cette bourgade, mais ça ne l'inquiète pas. Comme si la guerre allait de pair avec le désert, finalement.

Là, debout en pleine nature, sans autre préoccupation que le bâtonnet de tabac qui se consume dans sa main, il est presque bien comme au pays. Il l'est en quelque sorte, chez lui ; Alola n'appartient-elle pas à Unys, après tout ?

Non.

Plus vraiment, depuis que l'Alaka'i sème le doute sur l'archipel. Alola, plus que les terres, c'est le monde qui y vit. Si ce monde n'est pas d'accord avec l'occupation, alors il n'y a plus d'appartenance, juste...

Il secoue la tête et aspire une nouvelle bouffée de tabac. A quoi bon se torturer les méninges pour rien ? Si Jackson veut enrayer la mécanique de cette « révolution » désordonnée, très bien. Macarthur obéira.

Pas besoin de chercher plus loin. Le cœur battant de ces terres sauvages n'a pas son mot à dire. C'est la loi du plus fort qui prime, et en l'absence de Kanto, il n'y a pas de doute possible ; les colonisateurs pourraient en écraser dix, des rébellions comme ça !

Mais il y a cette alliance dans l'équation, qui fausse tous les calculs. Kanto, c'est un enfant terrible qui fonce tête baissée. Ça rate neuf fois sur dix, mais il reste une valeur inconnue.

Un « x » dégoûtant qui n'inquiète pas l'état-major, parce que ces gens-là sont trop sûrs d'eux. Mais c'est qu'ils n'ont pas vu le massacre du campement des rocheuses. On s'entretue sans arrêt. Jusqu'à ce que... quoi ?

Agacé par ces réflexions dont il ne veut pas, le brun jette la cigarette et l'écrase sous le talon de sa botte. Bah. Le quartier général a peut-être un bon whisky pour passer la soirée dans de meilleures dispositions.

Il jette un œil au reste de l'équipe. Tout le monde est là, attendant sûrement un ordre de sa part pour bouger. Ses lèvres s'étirent en un sourire ; au moins, il garde le contrôle sur quelque chose.

« On va au QG, faites bien gaffe à la prisonnière. Tenez-la fermement, on ne sait jamais... »

Sans attendre l'assentiment du groupe, il ouvre la marche, et saisit la pokéball contenant son cizayox pour l'en faire sortir. L'insecte de métal rouge se dresse sur ses pattes, et observe l'horizon du haut de son bon mètre quatre-vingts.

Puis il suit son dresseur, silencieux comme son ombre, les cliquetis de ses lourdes pattes résonnant dans le silence ambiant.

Pensif, le général songe à ce qui l'entoure. Depuis que le conflit a commencé, il n'a plus pris le temps d'admirer la faune et la flore riches d'Alola. Cette nature dense et indomptable lui rappelle la semaine passée sur Akala avec sa famille. Ça doit bien remonter à un an, ça. Un et demi.

Tout le long du trajet, il s'efforce de rester concentré sur l'imposante silhouette du quartier général, avec ses grandes fenêtres d'où s'échappe une lumière chaleureuse. Suffisamment pour lui redonner un peu de baume au cœur, du moins.

Un peu surpris par l'air froid qui règne ce soir, il accélère le pas, sans plus se soucier de ses subordonnés derrière lui, ou même de son partenaire qui progresse sûrement à son propre rythme, désireux d'apprécier les lieux à leur juste valeur.

Pour une fois, rien que le temps d'une soirée, il aimerait vraiment oublier la guerre. Laisser le sang, les cadavres, les larmes et les flammes derrière lui. Dormir pour de vrai, sans être perturbé par des visions ignobles qui le conduisent à préférer le réveil.

Se sentir quelques heures en paix avec lui-même.

Il a beau se le dire et répéter, que c'est pour le pays... Il a les mains sales, et les passer sous l'eau pendant des heures n'y changerait rien. Rien du tout. Le sang colle comme un aspicot. On ne l'enlève pas si facilement.

Le général ne s'arrête de marcher qu'en arrivant devant la double porte en bois épais, gardée par quatre jeunes types vigoureux en uniforme — nettement plus propres et présentables que le sien. En l'apercevant, ils plissent les yeux, l'air méfiant.

C'est sûr que débraillé comme il est, couvert de sable et sentant probablement la transpiration à plein nez, il a de quoi éveiller les soupçons. Néanmoins, les gardes remarquent rapidement les trois bandes rouges de chaque côté du col, symboles de son grade.

« Mon général ! Bon retour au village.
— Voulez-vous qu'on fasse venir quelqu'un pour vos affaires ? »

Macarthur acquiesce distraitement, et retire le lourd sac à dos plein à craquer qu'il porte pour le laisser tomber à même le sol. Pour ce que ça change, de toute façon ; ce matériel ne lui servira plus. En tout cas, il n'envisage pas de retourner crapahuter entre les dunes.

Il retient un tremblement à cause de la température relativement basse, et passe la porte pour déboucher sur un hall agréable. Assez terne, mais déjà plus accueillant que le sable du désert et cette maudite tente dans laquelle il a dormi bien trop longtemps.

A l'extrémité gauche de la grande salle, une cage d'escalier mène certainement aux bureaux et aux chambres occupées par les officiers. Il n'a encore jamais été plus loin que le rez-de-chaussée, qui abrite une cantine, les dortoirs des sans-grade, les réserves, ainsi qu'un salon confortable.

Il laisse un moment ses yeux bleus arpenter les lieux, sans réellement y prêter attention. Tout ce qu'il note, c'est la présence de banquettes contre le mur d'en face, et la chaleur bienvenue. Quelques bibliothèques, aussi ; mais il n'est pas tellement d'humeur à lire.

Par un miracle de volonté dont il ne se savait pas capable, il se traîne lentement jusqu'au canapé le plus proche, et s'assoit tranquillement, en veillant à ménager son dos ankylosé. Décidément, rester perché sur un bourrinos pendant des heures ne rend pas service.

Las, il allume une nouvelle cigarette, sans se soucier d'une éventuelle interdiction de fumer ici, et attend. Le reste de son équipe doit être dehors en train de discuter avec les gardes, ou quelque chose comme ça.

D'ailleurs, l'un d'eux pousse la porte pour venir à sa rencontre. Tiré à quatre épingles dans son uniforme immaculé, il fait plus vieux que l'âge trahi par ses traits. Une petite vingtaine d'années, sûrement.

« Mon général, que fait-on de votre, euh... prisonnière ? »

Macarthur prend son temps pour expirer la fumée, et lève ses yeux fatigués.

« Mettez-la dans une chambre sans fenêtre, et veillez à ce qu'elle soit bien gardée. Elle est futée, et je crois bien qu'escalader une façade pour sortir lui ferait pas peur pour un sou.
— Bien, mon général. S'il y a autre chose, transmettez vos directives au colonel Sterling. »

Le brun acquiesce, et laisse le jeunot repartir à son poste, tandis que ses propres subordonnés entrent à leur tour dans le hall. Il laisse échapper un soupir fatigué, et songe qu'il pourrait bien s'endormir sur ce canapé.

Ce ne serait pas si mal.


* * *

Une secousse terrible. Comme si toute la foudre du ciel s'abattait en même temps ; comme si la terre s'ouvrait en deux dans une vision apocalyptique, terrifiante, plongée dans un nuage de peur.

Les yeux gris comme l'acier s'ouvrent d'un seul coup, en même temps que la sihouette robuste se redresse sur sa couchette. La couverture tombe par terre dans un froissement. Le marin, agacé, porte une main à son front. Aucune trace de fièvre.

Puis il note le léger tangage. La cabine, et le reste du navire, sont en mouvement. Pourtant, le Wailord est supposé stationner dans la baie de Ho'ohale pour surveiller le port.

« Qu'est-ce que... »

Nouvelle secousse. Plus faible que la première, mais suffisamment forte pour faire vaciller l'homme, qui se retient tant bien que mal en agrippant une poignée fixée au mur, prévue à cet effet. Le capitaine Eaton déglutit, mal à l'aise.

Il n'est pas tellement certain de comprendre la situation, mais un mauvais pressentiment s'empare de lui comme une main griffue.

Le navire est en danger.

Une fois le calme plus ou moins revenu, il rajuste machinalement sa chemise, attrape sa veste tombée au sol, et l'enfile, bien conscient du froid qui règne à l'extérieur à cette heure ; c'est sûrement encore la nuit.

D'un pas pressé, il traverse les coursives du navire, sans croiser âme qui vive, hormis un axoloto appartenant à l'un ou l'autre de ses subalternes. Tout le monde a dû se rassembler sur le pont pour observer ce qui se passe, et quelques uns se trouvent probablement au poste de commandement.

En poussant la lourde porte qui donne sur l'extérieur, il aperçoit la silhouette indistincte de la ville, à une distance relativement courte compte tenu de la vitesse de l'engin. Comme escompté, la plupart des occupants du bateau observent avec affolement quelque chose.

Il ne tarde pas à découvrir quoi à son tour, et écarquille les yeux.

Un navire de guerre, à moitié camouflé par une brume sans doute due à des pokémons, s'avance en direction du port. En évaluant rapidement la distance, Eaton comprend qu'il sera trop tard pour l'empêcher de déverser des soldats ennemis sur la ville.

Les secousses précédentes devaient être des bombardements lancés à proximité du Wailord pour l'avertir.

« Kanto, grommelle-t-il entre ses dents serrées. Merde ! »

Sans s'éterniser, le capitaine rebrousse chemin, et emprunte à nouveau les coursives, cette fois en direction du poste de commandement du cuirassé. Ses pas s'accélèrent sans qu'il semble s'en rendre compte, et lorsqu'il parvient enfin à sa destination, il se surprend à courir.

Il passe la porte rapidement, et se dirige immédiatement vers le poste de communication, auquel est assis, comme escompté, son adjoint Wilfred Harper. Le rouquin manipule des machineries auxquelles le plus âgé ne comprend rien.

Tout ce qu'il peut faire, c'est regarder, la gorge nouée.

Il sait qu'au dehors, une pluie de flammes ne tardera pas à ravager Ho'ohale. Comment diable ce navire ennemi a-t-il pu passer inaperçu ?

« Faites que Jackson réagisse ! »