Chapitre 339 : Le futur du Grand Empire
Vilius était en train de rédiger une lettre par mail, à l’adresse du colonel Kasai Tender, le commandant de la garnison de Doublonville, pour tenter de le convaincre de fuir ou de se rendre. Mais il ne se faisait pas trop d’illusions. Il connaissait le jeune frère du général Tender de réputation ; un jusqu’au-boutiste très attaché aux notions de loyauté et d’ordre, l’archétype même du militaire Rocket rigide. Et à l’inverse de son frère, c’était un admirateur reconnu de la politique de sa nièce Venamia. Cette dernière, peu avant de disparaître, l’avait d’ailleurs promu et lui avait confié Doublonville en reconnaissance de sa loyauté. Vilius doutait donc qu’il plie bagage ou qu’il hisse un drapeau blanc au sommet de la Tour Radio. La Confédération allait devoir se battre.
Plus le temps passait, ici, au Palais Suprême, et plus Vilius se demandait s’il ne devrait pas prendre la tangente lui aussi. Il craignait qu’à chaque seconde, les GSR aient vent de son petit manège avec Estelle et ne l’arrêtent. Les fanatiques de Venamia, en l’absence de leur Dirigeante Suprême, devenaient vite instables, rêvant d’en découdre contre la Confédération dans un dernier assaut suicide. Ce crétin d’Esliard continuer d’user de tout son génie propagandiste pour faire croire à la population et aux soldats que l’absence de Venamia relève d’un plan ingénieux de sa part, et qu’au final, elle sauvera le Grand Empire des rebelles de la Confédération Libre.
Dans le même temps, la répression en ville atteignait des sommets inégalés. Le peuple commençait à se rebeller, et c’était normal. Il était sans nouvelle de sa dirigeante, et livré à lui-même face aux mensonges d’Esliard, alors que les rumeurs sur la chute future et imminente de Veframia allaient bon train. La GSR et les milices pro-Venamia n’hésitaient plus à tirer à vue sur les agitateurs, et arrêtaient automatiquement les gens sur la base d’une simple dénonciation. Les prisons étaient pleines à craquer, et les prix avaient quadruplé, à tel point que pour se nourrir, la majorité de la population avait recourt aux vols, ce qui faisaient encore plus augmenter le nombre de prisonniers et d’exécutions sommaires. Bref, ce qui se passait en ville avait toutes les caractéristiques d’un régime totalitaire qui était en train de vivre ses dernières heures, et c’était pas beau à voir.
Vilius priait chaque jours Arceus que la reine Eryl et ses potes viennent vite achever le Grand Empire avant que ça ne dégénère vraiment. Il ne savait pas combien de temps il pourrait tenir ici, à prôner la raison face à tous ces demeurés qui devenaient de plus en plus violents et instables. Vilius s’inquiétait surtout pour Julian ; il ne faudrait peut-être pas longtemps pour que la GSR ne décide de le prendre sous sa garde, à la fois comme chef symbolique pour justifier une action désespérée, et aussi comme otage. Mais Vilius ne pouvait compter sur personne ici. Il ignorait totalement à qui faire confiance.
Il reçut un mail et cliqua dessus. Comme il s’y attendait, Kasai Tender lui avait envoyé une fin de non-recevoir, affirmant qu’il allait lutter jusqu’au bout contre les « anarchistes-républicains-fondamentalistes de la Confédération qui voulaient détruire le si grand modèle de société que représentait le Grand Empire ». Ceci bien sûr pour la gloire de Lady Venamia, à qui il avait juré allégeance. Vilius soupira et secoua la tête. Alors même qu’elle n’était plus là, Venamia continuait à faire perdre la tête aux gens. À croire que sa folie était contagieuse. À moins que ce soit le fameux Horrorscor qui, par son biais, pouvait corrompre les autres.
Vilius s’étira sur sa chaise et se frotta les yeux. C’est fou comme la fin d’un Empire demandait encore plus de travail que sa création. Il quitta son bureau avec la vague idée d’aller voir Julian. Le gamin était sans doute l’une des rares personnes du palais à ne pas avoir le cerveau détraqué. Mais quand il se dirigea dans sa chambre, il vit de loin un homme en armure noire militaire qui sortait d’un couloir. Vilius s’approcha discrètement, car il avait reconnu l’homme de dos : Naulos, un des officiers de la GSR. Vilius ne le voyait pas souvent, celui-là. Il vagabondait de temps en temps dans le palais, pour des tâches connues de lui seul. Et alors que c’était l’un des hommes les plus brutaux de la garde personnelle de Venamia, il ne prenait plus part aux combats.
Il devait trafiquer quelque chose ici, et probablement que Venamia n’était pas étrangère à ce qu’il faisait. Mais là, en l’occurrence, il venait de quitter le grand couloir qui menait à la section recherche et développement ; un coin quasiment toujours gardé par la GSR, là où Crenden et ses scientifiques développaient Arceus seul savait quelles horreurs pour le compte de Venamia. Vilius était inquiet à propos de la bombe Arctimes depuis que le conseil militaire du Grand Empire avait émit l’idée de s’en servir. Il voulait savoir où Crenden et son équipe en étaient. Donc, même si c’était pas très prudent d’aller fouiner par là, Vilius s’engagea dans le couloir et y chercha le labo de Crenden. La plupart du temps, il était gardé par un GSR, mais vu que Naulos en était parti, ça devait être lui qui surveillait aujourd’hui. Vilius avait donc un peu de temps avant qu’il revienne ou qu’un autre GSR prenne sa place.
Il fit passer sa carte d’accès, ce qui déverrouilla la lourde porte. Avant même qu’il ne soit totalement entré dans le laboratoire, il resta pétrifié devant tout ce qu’il y trouva. La labo était pourtant grand, mais là, il n’y avait presque plus de place pour que la petite équipe de scientifiques s’y déplacent. De droite à gauche, d’en haut en bas, il y avait des machines et des appareillages en tout genre, des trucs dont Vilius n’aurait même pas pu imaginer la fonction. C’était quoi tout ce bazar ?
- Ah, c’est vous, m’sieur Vilius, fit Crenden en le voyant. Je pensais que c’était Naulos qui revenait nous ralentir…
Le scientifique paraissait ne pas avoir dormi d’une semaine. Son teint pâle et les cernes violacés sous ses yeux lui donnaient l’apparence d’un cadavre. Il était mal coiffé, il ne s’était pas rasé depuis des jours, et avait le regard enfiévré. Du reste, tous les autres scientifiques semblaient plus ou moins dans le même état. Et pourtant, Vilius était sûr d’une chose en voyant Crenden : le scientifique paraissait plus joyeux que jamais. Il affichait un sourire resplendissant, en tenant trois dossiers dans ses mains et en lisant deux en même temps.
- Qu’est-ce qui se passe ici, bon sang ? Demanda Vilius. C’est quoi tout ces trucs ?
- Ça ? Ce sont les fruits de notre génie, répondit Crenden avec fierté. Depuis trois mois maintenant, nous enchaînons avec succès tout ce que nous inventons. Même la GSR n’arrive plus à nous suivre et à tester tout ce que nous lui donnons à temps. Les scientifiques ont fini par dépasser les militaires !
Il leva le poing en l’air en signe de victoire, et toute son équipe en blouse blanche l’applaudit. Vilius fronça les sourcils. Ils n’avaient pas l’air dans leur état normal. On aurait dit que les scientifiques… étaient comme drogués.
- Regardez notre dernière trouvaille ! Reprit Crenden en mettant Vilius face à une espèce de réacteur avec des tuyaux partout. C’est un prototype qui nous permettra de créer de l’Eucandia artificielle. La GSR commence à en manquer sérieusement depuis qu’ils ont pompé tout ce que les anciennes usines de Zelan avaient à offrir. Avec ça, nous pourrons en produire de façon illimitée et à moindre coût ! Ce n’est pas encore tout à fait au point bien sûr, nous avons du mal à stabiliser l’afflux énergétique de la masse quantique des…
- Mais qu’est-ce que vous foutez au juste ? L’interrompit Vilius, horrifié. Pourquoi vous fabriquez tout ça pour la GSR ?!
Crenden le regarda sans comprendre.
- Pourquoi ? Bah… parce que ce sont mes employeurs ?
- L’Empire est sur le point de disparaître, et ça se passera le plus en douceur possible s'il n’a rien à opposer à la Confédération quand elle sera là. Fournir à la GSR de nouvelles technologies qu’ils pourront utiliser comme arme éloignera encore plus la fin du conflit, et ne fera qu’accroître son nombre de victimes ! Je ne vais pas vous faire un dessin, bon sang !
Crenden secoua la tête, le visage inexpressif.
- Ce n’est pas mon problème, m’sieur Vilius. Je suis un chercheur. J’invente des choses, et quand on est en période de guerre, ces choses ont souvent la mauvaise habitude d’être des armes. Mais on me paie bien pour cela, et cet argent sert à financer mes autres recherches.
Vilius regarda le scientifique avec ébahissement.
- Ce n’est pas vous qui aviez peur de ce que la GSR pourrait faire de la bombe Arctimes que Venamia vous a commandée ! Vous m’aviez même dit que vous étiez prêt à fuir et à demander l’asile politique à la Confédération !
- Hum… oui, j’ai peut-être dit des trucs de ce genre, admit Crenden. Mais c’est du passé. Vous ne comprenez pas ? Mon cerveau est en ébullition là ! Je ne sais pas pourquoi, mais je vois tout clairement désormais ! Les formules s’affichent dans mon esprit sans que j’ai à les résoudre, les chiffres s’emboitent parfaitement, et j’ai au moins trois idées d’inventions nouvelles par jour ! Je me fiche donc de la guerre ou de l’utilisation de mes créations ; je veux continuer à concevoir, autant que je peux, tant que j’ai l’esprit si clair !
Vilius commença à s’inquiéter de la santé mentale de Crenden. Il paraissait… totalement changé, lui qui avait toujours présenté le visage d’un mec démotivé en puissance, à la limite de la dépression.
- La bombe Arctimes ? Demanda alors Vilius. Dites-moi que vous ne l’avez pas finie ?
- La bombe ? Ricana Crenden. Ça fait deux mois qu’elle est opérationnelle. C’est même le premier truc qu’on a terminé, juste après que nos cerveaux aient eu cette révélation scientifique presque divine !
Vilius dut se retenir méchamment de lui envoyer son poing dans la gueule.
- Mais nom de dieu Crenden, je vous avais demandé de retarder ce projet de dingue autant que possible ! Où est-elle ?
- Naulos l’a emporté, bien sûr. Elle doit être dans la caserne de la GSR.
Vilius prit alors une pose qui lui aurait valu le meilleur mème catégorie facepalm sur Internet. Sans remarquer l’affliction de Vilius, Crenden lui montra une autre de ses œuvres.
- En ce moment, c’est sur ça que la GSR veut qu’on mette le paquet. Peut-être qu’ils imaginent que Venamia va revenir, et comptent la lui offrir.
C’était une espèce d’armure de couleur noire ou bleue très foncé qui était exposée en pièces détachées. Elle luisait de façon chromée, et possédait un casque pour le moins terrifiant, faisant penser à un prédateur. On aurait dit un vague mélange entre l’armure d’un chevalier noir et celle de Robocop. Il y avait même un truc bizarre qui flottait derrière elle, une sorte d’écran plasmique sombre en arc de cercle.
- Oserai-je demander ce que c’est que cette horreur ? Marmonna Vilius.
- La Dark Armor, répondit Crenden avec fierté.
- Je vous ai dit que vous étiez très naze quand il s’agit de trouver des noms ?
- Pourtant, ce choix coule ici de source. Ce n’est pas une armure ordinaire. Elle est faite d’un alliage de métal comportant du Sombracier, que l’on a réussi à déphaser et à reconstituer partiellement avec des particules que l’on peut retrouver dans la plupart des attaques spéciale de type Ténèbres.
- Je vois… pas. Ça veut dire quoi au juste ?
- Eh bien, vous pouvez voir la Dark Armor comme une armure fantôme, sourit Crenden. Il n’est nul besoin de l’enfiler ; on peut la matérialiser et la dématérialiser à volonté, un peu comme moi. De plus, celui qui la porte pourra aussi bénéficier de ce déphasement artificiel, et se mouvoir comme un Spectre. On a créé une épée qui va avec aussi ; imaginez : grâce à l’armure, vous déphasez tout votre corps sauf la main qui tient l’épée. Ah, et vous voyez cet écran derrière elle ? C’est un bouclier auto-dirigeable mentalement dont la structure comprend trois couches de déphasement différents. Il a été dur à concevoir, mais je vous souhaite bonne chance pour trouver quelque chose qui puisse le percer. On peut aussi s’en servir comme arme. Enfin, vu qu’on peut dire que l’armure est composée en partie de ténèbres à l’état solide, elle offre une très bonne résistance à tout ce qui pourrait se rapprocher du psychisme ou des influences mentales. J’ajoute que vu que cette armure se commande grâce à la volonté du porteur, même un tétraplégique pourrait bouger à l’intérieur. Ce n’est bien sûr qu’un prototype, et elle est spécialisée pour le combat, mais la Dark Armor pourrait devenir en temps de paix une formidable avancée médicale pour les plus infirmes !
Plus Crenden lui vendait sa monstruosité, plus Vilius était prit de migraine. Il imaginait assez bien ce qu’une sadique comme Venamia pourrait faire avec ça, si tant est qu’elle en ait besoin alors qu’elle avait son Ecleus en Revêtarme. Mais si Crenden avait été capable de concevoir un truc pareil en seulement quelques mois, pourquoi diable le Grand Empire était-il en train de perdre la guerre ?!
- Et vous voulez me faire croire que vous avez réussi à créer une « armure fantôme » contrôlable par l’esprit… parce que votre cerveau a été soudainement éclairé ?
Crenden haussa les épaules, l’air penaud.
- Je ne sais pas quoi vous dire. Le fait est que je me suis jamais senti aussi bien que je le suis aujourd’hui, et c’est la même chose pour mes collègues ici présents. Nous voyons tout clairement, comme jamais nous avons vu. C’est comme si… une voix me soufflait toutes ces idées de création, et que je savais instinctivement comment les concevoir. C’est peut-être vraiment Arceus qui a décidé de faire de moi le plus grand scientifique de tous les temps ! Et ce juste au moment où le Grand Empire connait de grandes difficultés. Pour moi, ça parait assez clair : c’est un message me demandant de continuer à travailler pour lui, et la certitude que seul ce pays me permettra de dévelloper mes inventions !
Les autres savants hochèrent la tête à l’unisson, aussi convaincus et enthousiastes que leur chef. Vilius ne put que les contempler avec ébahissement. Quelqu’un leur avait fait quelque chose, c’était obligé. Et il devenait donc plus urgent que jamais que la Confédération se dépêche c’en terminer avec le Grand Empire avant que ce dernier ne se serve à fond de la nouvelle boîte à malices de Crenden.
***
Le Palais Suprême était le lieu de tout Johkan qui regroupait le plus de métiers différents. Avec près de mille cinq cents employés civils, le centre du pouvoir du Grand Empire possédait une large gamme de représentants de toutes les professions possibles et imaginables. Le prince Julian, du haut de ses cinq ans, l’avait bien compris. Tous étaient des serviteurs de sa mère, mais tous n’étaient pas pareils. Il y avait les femmes de ménages pour faire son lit et laver sa chambre, les cuisiniers pour lui faire ses repas, les couturiers pour lui fabriquer ses costumes princiers sur mesure, et même les dresseurs qui s’occupaient des Pokemon avec lesquels il jouait.
Ce qui manquait à Julian, ça aurait été des enfants de son âge avec lesquels s’amuser… ou même seulement parler. Mais faute de camarade, il devait trouver comment s’occuper par lui-même. Les serviteurs du palais étaient plus que ravis d’exaucer la moindre de ses demandes. Julian avait donc demandé les services de la couturières en chef. Il voulait qu’elle l’aide à fabriquer une peluche de Pokemon. Mais pas n’importe quelle peluche. Il en avait déjà plein en sa possession, mais aucune du Pokemon qu’il voulait. La couturière lui avait assuré qu’elle lui ferait en peluche le Pokemon qu’il désirait pour le lendemain, mais Julian tenait à participer à sa conception. Après tout, c’était un cadeau qu’il voulait offrir.
Le jeune prince passa donc une partie de la journée en compagnie des couturières du palais, qui prirent plaisir à la présence du garçonnet. Julian était, de l’avis de tous, un garçon adorable, poli, intelligent et terriblement craquant. Julian avait bien compris l’effet qu’il faisait aux gens. Il prenait soin à travailler cet effet, pour que justement les adultes se montrent encore plus prompts à exaucer ses désirs. Il avait vite compris la différence entre lui et à sa mère à ce sujet. Julian charmait ses interlocuteurs pour avoir d’eux ce qu’il désirait, alors que Venamia, elle, elle les terrifiait et les menaçait. Cette façon de faire, qui consistait à sourire innocemment plutôt qu’à froncer méchamment des yeux, c’était Erend qui la lui avait apprise. Et bien qu’il ne le montra à personne au Palais Suprême, Julian n’avait rien perdu de ce qu’il avait appris d’Erend.
Le lendemain donc, il avait sa peluche, sur laquelle il avait lui-même travaillé selon les instructions des couturières. Julian en était fier. C’était la première chose qu’il faisait, ou du moins en partie. Il joua toute la journée avec elle, et quand Vilius passa le voir après le dîner, le jeune prince était tout content de pouvoir la lui montrer. L’adulte aux cheveux de toutes les couleurs la prit en main avec stupéfaction.
- Oh, mais c’est…
- Ecleus, oui ! S’exclama Julian.
C’était bel et bien le Dieu Guerrier de la Foudre que Julian avait demandé en peluche. Évidement, comme Julian ne l’avait vu qu’en de rares occasions sous sa forme normale, il avait dû utiliser une illustration comme modèle.
- C’est un cadeau pour maman, quand… elle reviendra, ajouta-t-il.
Vilius le dévisagea intensément, sans un mot, et lui rendit la peluche. Julian savait que monsieur Vilius espérait que Venamia ne revienne jamais. Julian comprenait pourquoi ; une fois que sa mère serait de retour, elle continuerait à faire de mauvaises choses, alors que Vilius s’évertuait à réparer un peu ce qu’elle avait fait. Et pourtant, pourtant… Julian ne pouvait pas s’empêcher de vouloir retrouver sa mère. Il n’était bien sûr pas idiot ; il savait ce qu’elle avait fait. Vilius lui avait même révélé qu’elle avait tué son père, l’Empereur Octave de Lunaris, dont Julian gardait assez peu de souvenirs. Venamia avait aussi enlevé Erend et séquestré quelque part, où il était sûrement mort aujourd’hui.
Julian savait tout ça. Il était assez intelligent pour comprendre que sa mère était une méchante personne. Mais à son avis, Lady Venamia était plus triste que méchante. Il se souvenait encore comment elle s’était mise à pleurer un jour, juste devant lui, alors qu’elle venait juste d’élever un peu la voix. Si sa mère avait fait tout ce qu’elle avait fait, c’était parce que quelque chose n’allait pas avec elle. Elle était triste, elle avait mal quelque part, elle n’avait pas d’ami. Et Julian voulait la revoir, pour tenter de remédier à cette tristesse. C’était pour cela qu’il avait fait cette peluche d’Ecleus. Pour rendre sa maman heureuse. Et quand elle sera suffisamment heureuse, alors elle arrêtera d’être méchante. Un plan infaillible.
- Je ne sais pas si ta mère va un jour revenir, fit enfin Vilius, et je ne peux pas prétendre qu’elle était ma meilleure amie et qu’on était d’accord sur tout, mais je sais une chose : elle voulait que ce soit toi qui hérite de l’Empire qu’elle s’est créé. Elle l’a fait pour toi. Mais tu ne peux pas régner comme elle l’a fait. Une fois que la Confédération aura encerclée Veframia, il faudra signer une armistice en bonne et due forme, et un traité d’intégration du Grand Empire au sein de la Confédération.
- Ce… ça veut dire quoi ?
- Ça veut dire que le Grand Empire deviendra une partie de la Confédération. Si la reine Eryl et les autres dirigeants le permettent, tu pourras en être le représentant. Tu le dirigeras au nom de la Confédération.
- Mais je… je sais pas diriger le Grand Empire comme toi ou maman…
Vilius ricana.
- Ils ne te laisseront pas toutes les manettes directement, ne t’inquiète pas. Mais je crois que c’est la seule chose à faire, pour qu’un héritage de ce qu’a créé ta mère subsiste. Le problème, ce sont les… euh… grands amis de ta mère.
- Monsieur Naulos, monsieur Gallad et monsieur Esliard ? Demanda pertinemment Julian.
- Oui, eux, entre autres… La GSR ne veut pas de ce plan, et compte se battre jusqu’au bout contre la Confédération, en utilisant probablement de nouvelles armes au potentiel de destruction terriblement…
Voyant que Julian ne suivait plus, Vilius modula son langage.
- Je veux dire… ils vont se servir de trucs très méchants qui font beaucoup de morts.
- Dis leur de ne pas le faire.
- Je ne peux pas. La GSR n’obéit qu’à ta mère, et à personne d’autre.
- Moi je vais leur dire alors.
- Je doute que ça change quoi que ce soit. Julian, les choses vont devenir certainement très dangereuses… et très moches ici. Il vaudrait mieux que tu partes et que tu rejoignes la Confédération au plus vite. Ils t’accorderont l’asile politique et auront une source de légitimité supplémentaire pour conquérir l’Empire.
Julian n’avait pas trop compris la fin de la phrase, mais avait bien saisi que Vilius voulait qu’il s’en aille de Veframia. Mais ça ne lui plaisait pas, et il le fit savoir.
- Non.
- Non ? Répéta Vilius, interloqué.
- C’est dangereux d’essayer de me faire sortir du palais, c’est toi qui l’a dit ! La GSR te fera du mal si elle sait que c’est toi qui m’a aidé. Et sans toi ni moi, c’est la GSR qui commandera tout !
Une fois de plus, Vilius fut stupéfait et admiratif devant l’art de la déduction employé par ce gamin. Ce qu’il disait était effectivement la pure vérité, mais Vilius avait fini par s’y résigner. Il ne pouvait de toute façon pas empêcher la GSR de faire ce qu’elle voulait. En revanche, éloigner Julian de ce coin chaud serait judicieux. Probablement suicidaire pour lui, mais judicieux quand même.
- Tu parles encore comme un adulte responsable, le félicita Vilius. Mais un adulte responsable sait aussi quand il doit partir pour pouvoir faire ensuite ce qu’il doit faire.
- Je ne partirai pas maintenant, rétorqua Julian. Quand la reine Eryl, papy Tender et tante Galatea seront arrivés, oui, mais pas maintenant. Je suis le prince Julian oc Lunaris, le fils de la Dirigeante Suprême, et ce palais est ma maison !
À cet instant, le regard bleu acier de Julian - emprunt de détermination et d’une certaine arrogance - ressembla tellement à celui de Venamia que Vilius en eut des frissons. Peut-être Igeus avait-il raison ? Peut-être ce gamin sera-t-il le futur dirigeant dont le monde avait tant besoin. Quelqu’un qui possédait tout le génie tactique et politique de Venamia, mais aussi l’empathie et la droiture qui lui avaient tant fait défaut. Car Vilius était un sincère partisan d’un monde unifié par un seul pays et un seul dirigeant. C’était pour cela qu’il avait épaulé Siena Crust dans son ascension dans la Team Rocket. Le Grand Empire de Johkan était une formidable création. Son seul problème, c’était Venamia. Si le Grand Empire avait eu un dirigeant éclairé, juste et respectueux de la vie humaine, cette guerre mondiale n’aurait jamais eu lieu. Que de gâchis…
- Très bien, renonça Vilius en posant sa main sur l’épaule du jeune prince. On va essayer d’empêcher que tout parte en couille alors, tous les deux. Et quand ça sera finit, quand la Confédération aura gagné, peu importe alors ce qu’elle décide pour moi - s’ils veulent m’emprisonner ou me condamner - je veux être le premier à faire vœu d’allégeance devant vous… mon prince.