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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 26/11/2017 à 14:15
» Dernière mise à jour le 27/11/2017 à 16:31

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 31 : Tissus de vérités.

 Gyl s’avança, impérial. Il n’était pas peu fier de son effet. Voir Eily aussi surprise était grandement satisfaisant ; un sentiment de vengeance accomplie se diffusait dans ses veines. Le majordome arriva en face de Caratroc, toujours recroquevillé dans sa coquille. Gyl s’accroupit.

— Inutile de jouer la comédie plus longtemps. Je sais tout sur vous deux. Je vous connaissais avant même votre arrivée au château de Sanidoma.
— …

Eily réfléchissait à toute vitesse, analysant désespérément le moindre mot de son désagréable interlocuteur. Cette idée de manquer d’informations lui était insupportable.

— Que veux-tu dire par là ? siffla la demoiselle cyan.

Gyl se releva, et sourit discrètement. Il mourrait d’envie de dire toute la vérité, mais il savait également que c’était bien trop tôt. Toutefois, l’heure ne saurait tarder. Ce n’était plus qu’une question de jours.

— Si je te disais que je suis lié à ton passé ?
— …

Eily se mordit les lèvres. Elle n’appréciait décidément pas ceux qui répondaient à une question par une autre question. Mais que venait-il de débiter ? Qu’il serait lié à son passé ? Lorsqu’Eily saisit pleinement l’information, elle manqua de bondir.

— … mon… passé ? Tu…
— C’est assez amusant de te voir aussi fébrile. Au château de Sanidoma, tu rayonnais de confiance. Mais je te comprends. C’est soudain. Malheureusement, le temps nous manque, et on ne peut plus se permettre de prendre des pincettes.

Choix de mots volontaire ou non, cette dernière phrase fut comme une lumière dissipant une partie du brouillard :

— ‘‘Manque de temps’’, ‘‘on’’, sans compter ta présence ici…, marmonna Eily. Je vois, c’est encore un coup d’Omilio…
— …

Gyl devait admettre être étonné. Il ne s’attendait pas à ce que la demoiselle cyan ne fasse si vite le lien.

— … non, j’imagine que c’était attendu, souffla-t-il finalement. Il m’avait prévenu de ta perspicacité. Oui, tu as raison. C’est bien Omilio le centre de notre affaire. Il tire les ficelle depuis les débuts ; notre rencontre au château de Sanidoma n’était d’ailleurs pas un hasard. Il t’a envoyé à moi.
— Ce type…, grogna Eily.

Gyl secoua la tête :

— Mais il ne le fait pas que pour son intérêt. Ne te méprends pas sur Omilio. Les moyens qu’il utilise sont très discutables, mais ses buts, eux, sont toujours nobles.

Eily, fit la moue, pas franchement convaincue. Elle balaya l’air d’un large geste de main :

— Au diable Omilio, j’ai l’impression de toujours parler de lui. Ce n’est le sujet, n’est-ce pas ? Tu dis avoir un lié avec mon passé. Revenons-en.
— C’est juste.

Gyl soupira un grand coup. Il s’éloigna de quelque pas, tournant le dos à Eily. Il fixa longuement le plafond, songeur. La demoiselle cyan le regarda faire, à la fois anxieuse et irritée de son comportement. Au bout de deux minutes, Gyl se retourna à nouveau, résolu :

— Tu es né à Séoht, la capitale de Prasin’da. Quant à tes parents… le sujet est difficile. Il serait possible de dire que tu es née immédiatement orpheline, mais ce ne serait pas tout à fait exact.
— … pardon ?
— Chose plus étonnante encore, tu as un rapport direct avec le Vasilias. Un rapport bien plus important que quiconque. Haha, tu es surprise ? Tu n’es pas n’importe qui Eily. Tu es plus noble que le plus noble des nobles. Ne le répète pas à Sanidoma, il risquerait d’être jaloux.

Eily écarquillait les yeux. Une abondante sueur déferlait sur tout son corps. Que se passait-il ? D’où Gyl savait tout cela ? Devait-elle le croire ? Était-ce un piège ? Essayait-il seulement de la déstabiliser ?

— Tu as l’air pâle, remarqua Gyl. Tu devrais t’asseoir. Exceptionnellement, je peux te préparer un thé si tu veux. Je te promets que je ne vais rien y mettre de toxique.

Complètement à l’opposé de son interlocutrice, Gyl restait immensément calme, se permettant même de plaisanter. Le contraste était saisissant. Remarquant qu’Eily continuait inlassablement de le fixer, les nerfs à vif, Gyl soupira :

— Je vois, au moins, j’aurais tenté de détendre l’atmosphère. Je n’ai peut-être pas l’air, mais j’ai le sens de la famille. Et cela me peine quelque peu de voir ma petite-sœur dans cet état.
— … !

Cette fois-ci c’était le coup de grâce. Gyl l’avait dit nonchalamment, mais Eily ne pouvait l’ignorer. Ces quelques mots raisonnèrent en boucle dans le crâne de la demoiselle cyan, tel un marteau cognant impitoyablement sur une enclume.

— C-Comment tu m’as appelé ?! réagit-elle vivement.

Le petit sourire de Gyl s’agrandit, jusqu’à ce que, à bout, il finisse par éclater de rire :

— Hahaha ! Omilio va tellement me tuer ! Ça, je n’étais pas censé le dire.
— Je m’en fiche d’Omilio ! cria Eily. C-Cette histoire de… ‘‘petite sœur’’… est-ce que…
— Tu en doutes ? répliqua Gyl. Je n’ai malheureusement pas de preuves, et c’est vrai que physiquement, on est loin de se ressembler. Quoique, au niveau de la personnalité, on peut retrouver des similitudes…

Le majordome continua :

— Mais si tu veux tout savoir, c’est partiellement vrai. Je ne peux pas réellement dire que je sois ton frère, mais je ne peux pas réellement dire l’inverse non plus. C’est assez compliqué, tu l’aurais aisément deviné.

Gyl soupira.

— Si compliqué que je ne peux pas l’expliquer avec des mots. Ou plutôt, si je le faisais, tu ne me croirais pas tant tout cela est absurde. La meilleure façon pour toi de tout comprendre est de voir la vérité de tes propres yeux. La vérité qui se trouve chez le Vasilias.

Gyl plongea son regard dans celui d’Eily, et lui fit un petit clin d’œil :

— Voilà, j’espère avoir assez suscité ta curiosité comme ça. Désolé de te donner autant de questions, mais si tu veux des réponses tu sais ce qu’il te reste à faire. Je laisse la balle dans ton camp, à toi de voir ce que tu décides d’en faire.

Et Gyl se dirigea vers la fenêtre du salon, qu’il ouvrit d’un coup. Il posa un pied sur le rebord, prêt à s’enfuir comme un voleur.

— Attends ! l’interrompit Eily.
— … mmh ?
— Alors c’est comme ça que tu joues ? Tu dis ce que tu veux et tu t’en vas comme un voleur ?

Gyl sourit légèrement :

— C’est mon style ; tu as un problème avec ça ?
— … puis-je au moins croire un traître mot de tout ce que tu viens de raconter ?
— Je te laisse le choix de me croire ou non. L’un de mes objectifs est de t’embrumer tellement l’esprit que tu n’en arriveras plus à dormir. N’oublie pas que je te déteste, laideronne.

Plus aucune voix ne filtra pendant quelques secondes. Pendant ce moment de flottement, Gyl dirigea son regard vers le ciel, étrangement mélancolique.

— … tu sais, lâcha-t-il soudainement. Tu as de la chance d’être encore ignorante. Tu cherches des réponses, mais lorsque tu les trouveras, tu regretteras ces moments d’innocence. Le monde cache bien de cruelles facettes ; des vérités si horribles qu’elles peuvent rendre fous le plus sain des Hommes. Mais j’imagine qu’il est inutile de te dire cela, quoi que je puisse inventer, tu continueras ta quête de vérité.

Gyl secoua la tête.

— Alors, je ne te demande qu’une seule chose. Profite de l’instant présent. Ces jours où tu peux encore rire innocemment avec tes amis. Ces jours où tu peux encore te lever le matin, et rêver d’un lendemain. Pendant les quelques jours qu’il te reste, oublie toute cette histoire. Famille, vengeance, vérités. Mets tout cela au placard, car bientôt, tu ne le pourras plus.

Un mince rire s’échappa de ses lèvres :

— … haha, même si je te déteste, au fond, je m’inquiète pour ton bonheur, petite-sœur. Tu devrais vraiment suivre mes conseils et enlever toutes ses pensées toxiques de ton esprit.

Et Gyl sauta par la fenêtre, laissant Eily seule à ses propres réflexions. Caratroc s’avança vers sa partenaire, inquiet.

— Ça va ? demanda l’Ensar.
— … il… n’avait pas les yeux d’un menteur.
— … Eily…
— J-Je crois que j’ai besoin de réfléchir à tout ça…


 ***
 ***
 ***


 Loin de toute cette agitation, au centre du quartier commercial, un joyeux duo se mêlait à la foule.
Contrairement à ce que tout le monde pensait, Evenis n’avait pas que l’alcool dans sa vie. Elle avait une autre passion, bien cachée sous des litres d’ivresse. Sidon en faisait désormais les frais. Il avait décidé d’accompagner Evenis en pensant se diriger vers la taverne la plus proche, et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il se rendit compte que la jeune noble se dirigeait en réalité vers une boutique de mercerie !

— …
— … hé.

Evenis laissa entendre son agacement.

— …
— … tu comptes me regarder longtemps comme ça ?

Sidon n’en revenait toujours pas. Il restait bouche-bée, à dévisager la pauvre demoiselle.

— … E-Evenis…, parvient-il néanmoins à marmonner.
— Quoi encore ?
— T-Tu veux dire… q-que tu ne penses pas constamment à l’alcool ?!
— Pourquoi tu as l’air aussi surpris ?!
— M-Mais ! C’est toute mon image de toi qui est brisée ! D’ailleurs il n’y a pas que moi ! Je suis sûr que tout le monde va être choqué en l’apprenant !

Fébrile, Sidon, recula d’un pas, serrant sa poigne contre sa poitrine, comme s’il souffrait. Et, théâtralement, il geignit :

— … j’ai l’impression que tout mon monde n’est que mensonge… !
— Cette réaction est beaucoup trop exagérée ! s’écria vivement Evenis.

La jeune noble soupira, et, une fois calmée, marmonna :

— … vous me voyez donc que comme une pauvre alcoolique ?

Sidon se gratta la tête, gêné :

— Bah, euh… voilà, quoi ! Tu passes ton temps à ingurgiter des tonnes de boissons à un tel point qu’on jurerait que t’as de la bière à la place du sang ! Du coup, naturellement, tu es un peu devenue la poivrote de service !
— ‘‘naturellement’’, hein… bon… c’est vrai que ces derniers temps je ne pense qu’à ça, mais… ça ne veut pas dire que j’y pense TOUT le temps !

Sidon resta figé dans sa stupéfaction exagérée quelques secondes, avant de brusquement expirer, l’air amusé :

— Haha, ricana-t-il, je sais, je sais. Après tout, on ne te connaît pas depuis si longtemps, c’est normal que nos idées préconçues soient faussées par endroit. J’en connais un rayon, Ifios a toujours cru que j’étais du genre ‘‘froid’’, avant de découvrir mon véritable caractère il y a peu…
— Mouais, je ne suis pas sûr de voir la similitude avec mon cas mais… mouais…
— Haha, ce n’est rien, je me comprends. Donc, trêve de plaisanterie, qu’est-ce que tu viens faire dans une boutique de mercerie ?

Evenis sourit d’un coup, fière de pouvoir dévoiler une nouvelle facette :

— Huhuhu, ricana-t-elle. Dis-moi Sidon, qu’est-ce que tu penses de mes vêtements ?

Sidon recula instinctivement une jambe, se mettant en position défensive.

— C-C’est une question piège ? siffla-t-il. C’est toujours un piège quand une femme demande un avis sur sa garde-robe !
— Mais non ! grinça Evenis. C’est vrai que c’est rare, mais je suis sérieuse, là !
— … vraiment ? plissa Sidon des yeux. Tu ne vas pas m’insulter et me frapper si je donne un avis négatif ou me traiter d’hypocrite et me frapper si je te donne un avis positif ?
— Hé, Sidon…, se blasa la jeune noble.
— … désolé, baissa ce dernier de la tête. Un vieux traumatisme… bref…

Ayant reprit ses esprits, Sidon détailla la tenue d’Evenis d’un œil avisé. L’homme balafré n’était pas un expert en mode, mais son âme de bandit savait reconnaître des vêtements nobles quand il les voyait. Et de ce côté, Evenis n’était pas en reste. Sa fine mais résistance tunique à dominante bleu était indubitablement finement taillé par un professionnel, dans la plus belle des matières. Sans parler de l’épaisse et riche étoffe écarlate à bordure dorés qu’elle portait autour de son cou, telle une cape. C’était sans aucun doute du velours, et exceptionnellement bien traité ; de la bordure, Sidon pouvait même percevoir une élégante dentelle blanche, une marque évidente de majesté.

— … c’est plutôt pas mal, finit par dire Sidon. En vrai, ta tenue est la seule chose qui rappelle que tu es une noble !
— Héhé, n’est-ce pas ?! … … hé, attends. C’était un compliment ou une insulte, ça ?
— Un compliment bien sûr ! assura le bandit.
— Dans ce cas tout va bien ! sourit naïvement Evenis.

La jeune noble hocha plusieurs fois la tête, en laissant s’échapper d’audibles approbations exagérées. Elle semblait si satisfaite que Sidon la laissa faire.

— Pourtant, déclara soudain Evenis, je ne viens pas d’une province très riche. Je suis peut-être la fille d’un Varon – et donc une princesse –, mais ce n’est qu’un titre. Alors, comment ai-je bien pu faire l’acquisition de tels vêtements ?! Je te laisse deviner mon secret !
— Tu peux être très grandiloquente quand tu le veux ! s’amusa Sidon. Et sinon… je ne sais pas. Mais j’imagine que tu meurs d’envie de me le dire, hein ?

Evenis gonfla ses joues, comme pour bouder :

— … tu pourrais au moins essayer de jouer le jeu ! Allez, devine ! ronchonna-t-elle.
— Je pourrais, mais ça risque de ne pas te plaire ! ricana Sidon. Écoute, tu me demandes comment t’as pu avoir des vêtements aussi coûteux alors que tu es pauvre. Et personnellement, je ne vois que deux moyens : soit tu les as volés, ou soit tu as vendu quelque chose de précieux et particulier pour obtenir le fric nécessaire !
— … quelque chose de précieux et particulier ? répéta une Evenis perplexe.
— Je parle de ton corps, sourit Sidon en détournant les yeux.

Comprenant enfin le sous-entendu, le visage d’Evenis s’empourpra et s’enfuma d’un coup :

— Q-Q-Q-Qu’est-ce que tu racontes m’enfin ! J-J-J-Je ne ferais jamais une chose pareille !
— Hahaha ! ricana fortement Sidon. Je t’avais dit que ça n’allait pas te plaire ! Et donc, c’était quoi la réponse ? J’imagine que tu n’es pas non plus une voleuse de vêtements !
— Manquerait plus que ça !

Evenis soupira lourdement, avant de hocher une la tête une nouvelle fois :

— Ces vêtements… je les ai cousus moi-même !
— …
— Hé oui, fanfaronna Evenis. J’ai des talents cachés, huhuhu !
— …
— … Sidon ? Tu m’écoutes ?

L’homme balafré continuait de fixer très sérieusement Evenis, en se frottant le menton. Puis, sans crier gare, il se mit puissamment à rire aux éclats.

— Hé ! protesta Evenis. Pourquoi tu ries, là ?! Je t’ai dit que j’étais sérieuse !
— Evenis, Evenis…, pouffa Sidon. Bien, sois sérieuse deux secondes. Je veux bien croire que tu ne penses pas constamment à l’alcool, d’accord. Mais croire à ce que tu possèdes des talents de couturières ? Toi ? Une gaffeuse sur patte ? Avec plus d’alcool que de sang dans ton corps ? En plus, la couture est un métier regorgeant d’individus gracieux et élégants ! Et toi… tu es aussi gracieuse et élégante qu’une patate lépreuse ! Et ce serait insulter les patates lépreuses ! Ne le nie pas, je t’ai déjà vu laper de la boue pour récupérer des gouttes de bières !

Evenis fronça les sourcils :

— Qu’est-ce que t’as contre les patates !? cria-t-elle. En plus, c’est très bon avec de la viande rôtie ! … attends, non, pourquoi on parle de patates là ! Ce n’est pas le sujet ! Bref, j’aime coudre depuis toujours ! Et si tu ne me crois pas, suis-moi ! Tu verras bien que je ne mens pas ! De toute façon, mon cerveau n’est pas suffisamment développé pour fabriquer des mensonges !
— C’est assez incroyable que tu parviennes à dire ça avec autant d’aplomb ! s’étonna Sidon.

Trêve de bavardage, Evenis entra dans la mercerie, suivie de Sidon. ‘‘Enfin’’, pensèrent unanimement les passants, car cela faisait bien une vingtaine de minutes que l’atypique duo bloquait l’entrer.

Lorsqu’il franchit la porte, Sidon découvrit un monde complètement nouveau. Des tissus de toutes les couleurs, de toutes les matières, absolument partout. Une chose était certaine, l’homme balafré n’était pas dans son élément. Ses gros bras n’avaient rien à faire avec la finesse de l’endroit. Evenis, au contraire, était parfaitement à l’aise, et même, lorsqu’il l’aperçut, le marchand se précipita presque sur elle :

— Evenis, ma chérie ! s’exclama-t-il. Si tu savais combien tu m’avais manqué !
— Huhuhu, pouffa la jeune noble. Allons, allons, on s’est vu il y a à peine quatre jours !
— C’est déjà trop ! Chaque seconde loin d’une personne aussi fabuleuse que vous est une torture !
— Huhuhu ! La flatterie vous mènera nulle part ! Huhuhu !

Sidon observa le spectacle l’œil circonspect. Il n’avait jamais vu Evenis agir ainsi. Et cette dernière avait beau dire, son grand sourire niais et ses gestes exagérés laissaient bien penser qu’elle était justement très faible à la flatterie. De même, Sidon ne pouvait s’empêcher d’avoir un très mauvais sentiment quant au marchand. Sa façon de sourire jusqu’aux oreilles et de se frotter les mains n’augurait rien de bon.

— … Evenis ? l’appela Sidon en pointant le vendeur. Tu connais ce gus ?
— Lui ? Bien sûr ! Il s’appelle le gérant !
— ‘‘Il s’appelle’’… ? répéta Sidon. Genre… ‘‘le gérant’’ c’est son nom ?
— Bien sûr que non ! ricana Evenis. Mais bon, il commence à avoir un peu trop de noms à retenir ici, alors l’appeler ‘‘le gérant’’ c’est plus simple ! En plus ça correspond bien, vu que c’est lui qui gère la boutique !
— Oui oui, s’immisça le gérant. Et puis, inutile de chercher à savoir mon nom, je ne suis guère important dans cette histoire. Parlons plutôt affaires mes chéris !

Le gérant se tourna vers Evenis. Cette dernière lui sourit et lui tendit un sac. Le gérant ne perdit pas une seconde et le lui arracha carrément des bras.

— Parfait, parfait ! s’exclama-t-il.

Le gérant ouvrit alors le sac et en sortit une robe, qu’il déplia devant lui, satisfait. Même Sidon devait avouer que c’était un vêtement de très bonne facture. Mais le sac ne contenait pas qu’une, mais plusieurs robes, ainsi que des tuniques, toutes parfaitement exécutées.

— Oh Evenis, ma chérie ! bondit le gérant. Toujours fidèle à toi-même ! C’est tout simplement magnifaïk !
— Huhuhu !
— Attends-moi là ma chérie, je vais chercher ta paie ! On fait comme d’habitude, d’accord ?

Sans attendre de réponse, le gérant s’enfuit dans l’arrière-boutique, après avoir remis les tenues dans son sac. Sidon pencha la tête sur le côté :

— Il a bien dit ‘‘ta paie’’ ?
— Tout à fait ! Le gérant est mon sauveur, c’est grâce à lui que je me fais mon argent de poche ! En gros, il me file de la matière première, je m’en sers pour coudre mes créations, et je lui rends le tout contre une petite rémunération !
— Je… vois, hocha Sidon de la tête. Mais attends une seconde. Admettons que toute cette histoire de couture soit vraie, tu dois être super riche !

Evenis gonfla ses joues :

— Mais puisque je te dis que c’est vrai ! Tu ne me crois toujours pas ?! Et non, je ne suis pas riche, qu’est-ce qui te fait penser ça ?
— … bah, ils sont quand même sacrément bien fichus ses vêtements, ça doit pas mal se vendre !
— Ah.

La jeune noble soupira longuement.

— C’est ce que je pensais aussi mais… c’est compliqué en fait. Le gérant m’a parlé d’une espèce de conjoncture économique complexe inadéquate au milieu sectoriel, un truc du genre…
— … qué ? lâcha intelligemment Sidon.
— Je sais, moi-même je n’y ai pas compris grand-chose. Mais en gros, il dit qu’à cause de tout ça, il ne peut me payer que 10 Vasils par pièce vêtements.

Le nombre étonna tant Sidon qu’il manqua de s’évanouir.

— Q-Quoi ?! 10 Vasils ?! Mais c’est n’importe quoi ! Ces machins doivent se vendre au moins dix fois plus ! Et encore !
— Ah ? Tu t’y connais en vêtements toi ?
— Pas vraiment, mais je connais la valeur des choses !

Mais la discussion ne put se poursuivre ; le gérant revient de l’arrière-boutique, avec une petite bourse.

— Et voici pour toi ma chérie ! 60 Vasils tout rond ! s’exclama-t-il.
— Merciii ! bondit Evenis en prenant la bourse.

Sidon fronça les sourcils :

— 60 Vasils, qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre. Ça va, vous ne dérange pas trop d’exploiter une jeune naïve ?
— Sidon ? s’étonna Evenis.
— Des vêtements comme elle vient de vous montrer, au bas mot, ça doit se vendre 200 Vasils minimum la pièce. Même en admettant que vous prenez une petite commission, cela ne justifie pas votre arnaque.
— C-Calme toi, Sidon ! paniqua la jeune noble.

Le gérant tourna vivement son attention vers Sidon, qu’il dévisagea. Il sembla le remarquer pour la première fois. Décidant de l’ignorer, le gérant lança un regard triste à Evenis.

— Oooh ! Ma chérie ! Laissez, votre ami a raison. Tes créations ont énormément de valeurs, elles sont si belles ! Comme j’aimerais récompenser ton talent à son juste prix ! Mais que veux-tu ! Je te l’ai déjà expliqué, la conjoncture économique du secteur du textile est en chute libre en ce moment, et je suis obligé de brader excessivement les prix, frisant la vente à perte ! Même, je me SACRIFIE pour te donner une paie ! Tu sais, les 60 Vasils que je te donne aurait pu être mon repas de ce soir ! Mais au lieu de ça, je te les donne, et je me contrains à dormir le ventre vide… tout ça pour toi, pour encourager ton si merveilleux talent… ! Oui ! Ton talent divin, ma chérie ! Je ne le fais que pour toi ! Ô rage ! Ô désespoir ! Ô ma chérie ! Que n’ai-je donc pas sacrifier pour t’éviter de vivre une infamie ?

Tout en long de son beau et émouvant discours, le gérant n’avait pas hésité à multiplier et sur-multiplier mimiques et larges gestes exagérés. Il s’était tellement donné qu’au moment où il avait exalté son dernier mot, il se trouvait debout sur son comptoir, les deux bras levés au plafond.

— V-Vous faites vraiment tout ça pour moi ? s’émerveilla Evenis.
— Évidemment ! s’extasia le gérant. Tu es ma précieuse alliée, ma chère chérie ! Je ferais absolument tout pour toi ! Tu es si fabuleuse !
— V-Vraiment ? Hu...huhuhu… c-c’est vrai que je suis fabuleuse… huhuhu !

Sidon manqua de peu d’écraser sa grosse main sur son visage. Tout était clair à présent. Ce gérant se fichait complètement d’Evenis et profitait de sa naïveté afin d’avoir une couturière de talent à très bas coût. Et Evenis, fidèle à elle-même, ne se rendait compte de rien.

« Inutile de la convaincre, cette gentille idiote est trop sensible à la flatterie. Ce type n’aura qu’à dire des jolis mots pour lui retourner le cerveau… », réfléchit Sidon.

L’homme balafré hocha la tête, comprenant qu’il ne lui restait plus qu’une solution. Il attendit patiemment dans son coin, ne répliquant plus. Il laissa le gérant donner à nouveau ses tissus à Evenis, et lorsque cette dernière sortie du magasin, il lui glissa simplement ses quelques mots :

— Tu peux m’attendre une seconde ? J’aimerais discuter en privé avec ce gérant.
— … euh… pourquoi ? s’étonna Evenis.
— Ce n’est rien, j’ai envie de lui parler de choses insignifiantes. Écoute, une couturière de si grand talent comme toi n’a que faire des choses insignifiantes ! Tu gagneras bien mieux à rester là, à réfléchir à tes si merveilleuses créations ! Laisse-moi te dire une chose, les génies exceptionnels dans ton genre doivent faire très attention à l’utilisation de leur temps !
— … ah ? … t-tu crois ? lâcha Evenis d’une toute petite voix.
— Mais bien sûr ! Tu es une fantastique personne Evenis ! La crème de l’humanité ! Excuse-moi de ne pas m’en être rendu compte plus tôt !

Evenis sourit naïvement, toute contente :

— … huhuhu… s-si tu le dis… huhuhu…
— Parfait ! Alors, je rentre à nouveau dans la boutique, tu m’attends bien sagement, d’accord ?
— D’accord !

Intérieurement, Sidon rit jaune :

« Elle est vraiment, vraiment trop simple à manipuler… hé, si jamais Eily apprend ça… brr… j’ose même pas imaginer… »

Et Sidon franchit une nouvelle fois la porte du magasin. Maintenant qu’Evenis était absente, il allait pouvoir se défouler un peu. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas été pleinement dans son rôle de ‘‘Sidon, le bras droit des Agrios’’.
Premièrement, Sidon lança un regard terriblement mauvais à tous les clients présents, les sommant implicitement de quitter les lieux. Ces derniers ne se firent pas prier. La menace meurtrière d’un colosse capable de briser un rocher de sa simple poigne avait de quoi titiller leur instinct de survie. Ensuite, Sidon se dirigea vers le comptoir.
Lorsqu’il l’aperçut, le gérant lui adressa un furtif regard méprisant, comme s’il dévisageait un insecte. Cependant, il reprit rapidement son sourire 100 % professionnel.

— Oh ! Vous êtes le charmant monsieur qui accompagnait ma chérie ! Vous avez besoin de quelque chose ?
— Effectivement, lâcha froidement Sidon. Evenis m’attend dehors, alors je vais être bref. J’aimerais que vous arrêtiez de l’exploiter.
— Exploiter ? s’étonna faussement le gérant. M-Mais pourquoi me redites vous ça ? Je vous ai tout dit tout à l’heure ! Je ne suis qu’un honnête commerçant ! Et ma chérie est ma magnifaïk partenaire ! Jamais je n’oserais lui faire une chose pareille !

Sidon soupira lourdement. Il commençait déjà à en avoir marre.

— Il me semble que nous ne nous sommes pas bien compris. Et malheureusement pour vous, je ne suis pas très éloquent. Les seules choses que je sache faire parler, ce sont mes poings.

Avant même que le gérant ne put réagir, Sidon fondit sur lui. Il prit violemment un tissu qui traînait sur une étagère et l’enroula autour du visage du gérant, l’empêchant ainsi de crier. Satisfait de son ‘‘œuvre’’, Sidon attrapa furieusement le bras du gérant et le traîna sans merci jusqu’à l’arrière-boutique. Une fois arrivé à destination, l’homme balafré plaqua sa cible contre le mur et se pencha sur lui de toute sa masse.

— Écoute-moi bien, petit salopard. Je déteste qu’on me prenne pour un idiot ET qu’on prenne mes amis pour des idiots. Manque de chance pour toi, Evenis est une amie. Je sais très bien que tu l’arnaques. Très beau discours sur le sacrifice tout à l’heure, mais, soyons honnête, tu te fais des couilles en or sur ses créations, n’est-ce pas ? Et n’essaie pas de m’embobiner, je sais parfaitement reconnaître la valeur des choses.

Sidon saisi férocement le gérant par sa tunique et l’éleva à sa hauteur.

— Alors voilà ce qu’on va faire. Je ne vais pas te demander de couper les ponts avec elle, non, loin de là. Tu as de très sympathique marchandise ici, et j’aimerais que tu continues de lui en fournir. Et sans rien demander en retour. Cela doit te faire plaisir, non ? Toi qui sembles tant aimer le sacrifice ! Oh, et ne t’inquiètes pas ses créations, désormais, c’est moi qui vais m’occuper de les vendre. Alors, marché conclu ?

Sidon abaissa le tissu qui obstruait la bouche de son interlocuteur, le laissant parler :

— Mais vous êtes fous ! S-Si je lui donne bêtement mes tissus, sans contrepartie, je ferais des pertes !

Sidon fit savoir son mécontentement en frappant un grand coup juste à côté du crâne du gérant. L’impact était si fort que le mur se craquela jusqu’au plafond.

— Mauvaise réponse, siffla-t-il.
— Gniiih !
— Tu as véritablement des problèmes de compréhension. Ma proposition n’admettait que deux réponses : ‘‘Oui’’ et ‘‘Avec plaisir’’. Allez, je te laisse une deuxième chance, mais tâche de ne plus te tromper. Mon poing ne manque jamais deux fois sa cible…

Le visage de ce pauvre gérant dégoulinait de sueurs. D’un côté, il n’avait absolument pas envie de dire ‘‘Oui’’ mais d’un autre côté, il tenait également beaucoup à l’intégrité de son crâne.

— … A-Avec plaisir…, finit-il par gémir.
— Voilà, on a fini par trouver un accord, sourit froidement Sidon. Et qu’on soit bien clair, tu ne parles de ça à personne, et surtout pas à Evenis. Si jamais de drôles d’idées te passent par là tête, n’oublie pas que j’ai de très hautes connexions. J’ai pas mal de type à mes ordres ici. Un mot, et, dans les minutes qui suivent, je peux avoir votre tête sur un plateau d’argent. C’est bien compris ?
— … c-compris…

Sidon hocha la tête.

— Parfait. Ah, et avant que je ne parte…

Armé d’un mauvais sourire, Sidon crispa l’index de sa main droite, et, avec son ongle, fit une fine mais profonde entaille sur le front de sa proie. Cette dernière voulut hurler, mais Sidon prit bien soin de bloquer sa bouche avec sa main gauche. Le sang se répandit sur son visage, irritant affreusement ses yeux écarquillés sous la douleur.

— Un petit souvenir. Histoire que vous ne m’oubliez pas.

Et Sidon fit demi-tour. En passant, il prit toutes les recettes du jour de la boutique. Il y en avait très exactement pour 753 Vasils.
Lorsqu’il sortit enfin, Evenis s’avança vers lui curieuse :

— Bah alors ! s’exclama-t-elle. Tu en as pris du temps !
— Haha, ricana Sidon, désolé, désolé ! D’ailleurs tiens, ton généreux gérant m’a donné ça pour toi.

Le bandit tendit la petite boîte contenant son ‘‘butin’’. Evenis resta interdite devant tant de Vasils. Elle n’en avait pas vu autant depuis belle lurette.

— M-Mais… j-je pensais qu’il était dans le rouge ! s’écria la jeune noble.
— Haha, en fait… euh… Ah voilà ! C’est une partie de ses économies ! Et il voulait t’en faire profiter, parce que tu es sa ‘‘chère chérie’’ un truc du genre !

Evenis fit la moue :

— J-Je ne peux pas accepter… c’est trop…
— Voyons Evenis ! tonna soudain Sidon. Ce don d’argent, c’est un geste de bonté exceptionnelle ! Tu ne veux tout de même pas renier la bonté du gérant ! Lui qui a pourtant tant fait pour toi ! Tu ne vas pas à présent l’insulter en refusant son don !
— … mmmh… j-je ne sais pas… j-je dois au moins le remercier…
— Ça ne va malheureusement pas être possible. Il avait un peu mal à la tête, et il a décidé de faire une petite sieste.
— … en laissant sa boutique ouverte ? s’étonna Evenis.
— Il était très pressé ! sourit exagérément Sidon.

Evenis n’était pas totalement convaincue, mais à grand renforts d’arguments et de flatterie, Sidon réussit à empêcher la jeune noble d’aller remercier le ‘‘généreux’’ gérant. Mais ce n’était pas tout, il devait à présent lui expliquer le nouvel arrangement qu’elle avait avec le gérant. Ce qui n’allait pas être une mince affaire. Sidon préféra cependant taire l’information pour l’instant. Il devait encore régler certains détails avant d’en dévoiler plus.

« … n’empêche, qu’est-ce que je fais… », geignit-il mentalement.

Techniquement, Sidon était actuellement en mission. Evenis avait de gros problèmes d’argents, ce n’était un secret pour personne. À l’origine, Sidon était censé lui proposer un marché. Si Evenis décidait d’aider Omilio dans son plan contre le Vasilias, le Foréa d’Aifos s’engageait à payer toutes les dettes de Genna, la province d’Evenis. Vu l’enjeu, Evenis n’aurait pas d’autre choix que d’accepter.

« … et au lieu de ça, je l’aide à se faire du fric… »

Cependant, Sidon n’était pas Omilio. Si l’homme balafré pouvait être impitoyable avec ses ennemis, il était incapable d’en faire autant avec ses alliés. Utiliser les dettes d’Evenis pour la manipuler, ce n’était pas dans ses cordes. C’était plus un truc d’Omilio.
Caché du regard d’Evenis, Sidon soupira longuement, un maigre sourire aux lèvres :

« … décidément…, je suis bien trop gentil… »