Chapitre 337 : La mort n'est plus rien
C’était triste à dire, mais Zelan se languissait du Monde des Esprits de Giratina. Il n’en gardait guère trop de souvenirs, mais il était sûr que c’était bien plus agréable qu’être prisonnier des Agents de la Corruption depuis près d’un an maintenant. Il ne s’était pas passé un jour sans que ce fou de Silas Brenwark ne tente de le briser mentalement, soit en lui racontant d’un air jouissif toutes les horreurs qu’avait pu commettre Siena, soit en usant de son mystérieux pouvoir de création de l’imaginaire pour faire de son quotidien un enfer permanant. Parfois, c’était même Lyre Sybel qui venait, pour le torturer avec sa main voleuse de vie, l’amenant à chaque fois jusqu’aux portes de la mort.
Mais Zelan n’avait pas cédé. Il refusait de collaborer avec ces gens. Il refusait de laisser Horrorscor le manipuler à nouveau. Comme il était conscient d’avoir été ramené d’entre les morts, et également conscient de n’avoir aucun avenir, il s’était forgé une résistance mentale que les Agents avaient été incapable de percer. Il n’aurait pas dû être en vie, donc il se contrefichait de cette nouvelle vie que les Agents lui avaient accordée pour satisfaire leurs désirs. Il préférait la passer en souffrant qu’en leur obéissant.
Durant tous ces mois de captivités, Zelan avait eu tout loisir de repenser à ce qu’il avait fait de son vivant. Une moitié de vie passée à semer des germes de corruption un peu partout, à mentir, à trahir, à faire le mal. Il se souvenait très bien de tout ce qu’il avait fait subir à Siena, celle qui fut sa meilleure amie, celle qu’il avait même aimé. Était-ce de sa faute, si elle était devenue ce qu’elle est aujourd’hui ? Sans l’ombre d’un doute, oui, ne serait-ce que c’était parce qu’elle avait été proche de Zelan qu’Horrorscor l’avait choisie pour être son nouvel hôte.
Zelan s’en voulait d’être devenu un tel pion pour Horrorscor, qui s’était servi de sa haine des Pokemon quand il était enfant pour le pousser à un plan totalement fou impliquant un génocide de masse de tous les Pokemon du monde. Libéré de son emprise mentale et corruptrice, il comprenait maintenant toute la vacuité qu’avait été son existence antérieure. Mais pour Siena, c’était différent. Horrorscor n’avait joué ni sur sa haine ni sur ses peurs, mais sur sa seule ambition, sur la certitude qu’elle était quelqu’un à part, promise à un grand destin, en l’occurrence, celui d’unifier et de sauver le monde. Le Maître de la Corruption savait très bien juger comment fonctionnaient les gens, et se servir de leurs propres pensées contre eux. S’il l’avait pu, Zelan aurait tenté de la prévenir, de lui dire qu’Horrorscor se jouait d’elle, de tenter de la sauver.
Mais tout cela était futile maintenant. Venamia était portée disparue depuis des mois. À moins qu’elle ne fut morte, le Marquis des Ombres devait parfaitement savoir où elle était et pourquoi, grâce à Horrorscor, dont l’âme était dans eux deux à la fois. Silas avait dit qu’elle ne comptait plus, que ce n’était qu’une question de temps avant que le Marquis ne l’élimine pour récupérer la part d’âme d’Horrorscor, et pour enfin le ressusciter. Leur fameuse Armée des Ombres serait bientôt prête à propager la corruption partout dans le monde, donnant ainsi à Horrorscor la dernière part d’énergie qui lui manquait pour retrouver une enveloppe terrestre. Bien sûr, il leur fallait quand même le Cœur d’Horrorscor pour tout ça, et c’était justement aujourd’hui que les Agents comptaient agir à ce sujet.
On avait fait sortir Zelan de sa prison sous le Palais Suprême et on l’avait amené dans une espèce de vaste cave aménagée, probablement creusée dans la roche. Silas, Lyre et Fantastux étaient là, mais cette fois, ils avaient quelqu’un avec eux. Un imposant individu drapé d’un manteau sombre, d’un chapeau tricorne et d’un masque blanc. Rien que sa présence semblait glacer l’air déjà frais de la pièce. Zelan ne doutait pas d’avoir en face de lui le maître des Agents de la Corruption, et le premier serviteur d’Horrorscor : le Marquis des Ombres en personne.
- Zelan Lanfeal, dit-il d’une voix très bizarre, comme un écho. Le temps est venu de retrouver ton vrai corps et la pleine nature des pouvoirs qui t’ont été donnés par notre Seigneur.
- Même si vous me redonnez mon vrai corps, je n’aurai plus un seul pouvoir, pour la simple raison qu’Horrorscor n’est plus en moi, répliqua Zelan.
- Tu te trompes. Notre Seigneur Horrorscor a en tête chacun des êtres avec qui il a partagé leurs corps, la nature de leurs dons et de quelle façon ils s’en servaient. Si on couple ces informations très précises avec le pouvoir de Silas, nous pouvons recréer les corps originaux de tous les hôtes avec leurs capacités pleines et entières, même si le Seigneur Horrorscor n’est plus en eux. Lyre se chargera ensuite d’animer le corps, et notre allié Giratina, par le biais de Fantastux ici présent, nous fournira les âmes en question depuis le Royaume des Esprits. C’est ainsi que nous créerons le fer de lance de notre Armée des Ombres : tous les anciens Marquis et Marquises ressuscités, avec leurs différentes capacités intactes.
Zelan déglutit difficilement. Était-ce vraiment possible, ce genre de truc ? Passe encore pour Lyre ; Zelan avait appris qu’elle était une Enfant de la Corruption, et de son vivant, il avait étudié tous les récits à leurs propos : c’était véritablement des monstres aux pouvoirs distordus et allant à l’encontre de la nature. Mais les capacités de Silas Brenwark ne trouvaient aucune source d’explication plausible. Il se tourna vers lui.
- De quelle genre de magie te sers-tu pour parvenir à ces prodiges ? Tu m’as dit que tu étais un Modeleur de l’Esprit, mais je sais que ça ne peut pas exister !
- Vraiment ?
- J’ai étudié les Modeleurs, pour en avoir eu un parmi mes Armes Humaines. Si on ne sait pas vraiment d’où ils viennent, il est certain qu’ils ne peuvent contrôler que les choses tangibles, comme la matière ou, plus rarement, l’énergie. Mais les choses intangibles comme l’imagination ne peuvent pas faire l’objet d’un modelage.
- Quel homme cultivé tu fais, mon cher Zelan, ricana Silas. Mais c’est pas faux ce que tu dis. Je me qualifie de Spiritmod par commodité, mais effectivement, je ne suis pas vraiment un Modeleur. Mon pouvoir vient d’autre part. Tu as déjà entendu parler des Imaginatus ?
- Non, fit honnêtement Zelan.
- Alors, il ne sert à rien d’en parler. Je vais juste me contenter de te recréer ton ancien corps, avec tes anciens pouvoirs. Tu n’a jamais été un Marquis des Ombres, mais tu auras toute ta place avec eux dans la grande armée du Seigneur Horrorscor.
- J’ai déjà dit que je ne collaborerai pas avec vous.
- Nous n'avons nul besoin de ta collaboration, répliqua le Marquis. Lyre ici présente contrôle parfaitement tous les corps qu’elle réanime, comme des marionnettes. Tu feras ce qu’on te dira, que ça te plaise ou non.
- Je serai peut-être obligé de me battre pour vous, mais ça ne vous permettra pas d’avoir accès à l’info que vous cherchez ! Même si vous recréez mon œil cybernétique en état, il n’y a que moi qui peut y récupérer les données mémorielles scellées à l’intérieur, et ceci ne se fait que par un acte conscient de volonté. Vous pouvez donc contrôler mon corps autant que vous voulez, c’est mon esprit qu’il vous faudra pour que je vous dise où j’ai fait cacher la Pierre d’Obscurité !
Lyre le gifla de sa main qui aspirait l’énergie vitale, donc en plus d’avoir mal à la joue, Zelan sentit sa force le quitter momentanément et il tomba à genoux.
- Tu parles toujours pour rien dire, pauvre débile, cracha-t-elle. Penses-tu pouvoir prendre le Marquis au dépourvu ? Il n’y a rien qu’il n’ait pas prévu !
Le Marquis ne perdit pas une miette de son calme et répondit de sa voix double et résonnante :
- Je sais très bien que Lyre ne pourra pas te forcer à débloquer les données mémorielles de ton œil, Zelan Lanfeal. Mais j’ai de la chance : parmi mes trente-cinq prédécesseurs, il y en a un pour qui les méandres de l’esprit et de la mémoire n’ont aucun mystère. Mais nous allons d’abord commencer par toi.
Il fit un geste de la main, et les deux gardes au masque en smiley le levèrent et le placèrent devant Fantastux. D’une main, il pointa son chapeau sur lui, et de l’autre… il enfonça ses doigts tranchant en métal dans la poitrine de Zelan, qui sur le coup fut trop surpris pour pousser un cri. La main du Pokemon venait de lui transpercer le torse, et avait écrabouillé son cœur. Zelan se sentit très vite engourdi, et sa vision se brouilla.
- Ah, j’ai oublié de préciser, refit la voix désormais lointaine du Marquis. Pour que tu puisses retrouver ton corps d’origine, il faut que ton âme quitte celui-ci, ce qui implique une brève mort.
Zelan n’entendit plus rien, et ne se sentit même pas toucher le sol. Quand il revint à lui, il était nu, et se trouvait deux mètres à côté de l’endroit où Fantastux l’avait tué. Il en avait pour preuve son propre cadavre, qui se trouvait toujours là. Lyre se trouvait devant lui, l’air satisfait. Elle venait visiblement de le toucher pour animer son nouveau corps sans vie. Zelan ne savait pas trop ce qu’ils avaient fait, mais ça avait marché. Il reconnaissait son ancien corps. Il sentait son vrai œil cybernétique et les possibilités qu’ils pouvaient offrir. Et surtout, il ressentait en lui à nouveau les pouvoirs spectraux et ténébreux qu’il avait hérité d’Horrorscor. Il aurait voulu sur le champs s’en servir contre le Marquis et ses sbires, mais il n’avait plus aucun contrôle de lui-même. Malgré les ordres de son cerveau, son corps refusait de faire le moindre geste.
- Lève-toi, ordonna Lyre.
Alors, sans que Zelan n’ait eu l’envie d’obéir, son corps le fit de lui-même. Le Marquis n’avait visiblement pas menti. En animant son corps sans vie que Silas avait recréé grâce aux souvenirs de la part d’Horrorscor dans le Marquis, Lyre l’avait sous son total contrôle. Il était devenu sa marionnette impuissante, de la même façon qu’elle contrôlait les cadavres. Mais Zelan n’était pas un cadavre, et c’était donc pire : il était conscient, il avait une volonté, mais son corps n’était plus à lui.
- Voici le topo maintenant, vermine, lui dit Lyre. Tu es à moi. Ton corps ne fera que ce que j’aurai décidé qu’il fasse. Je t’autorise seulement à parler, pour apprécier tes supplications au moment où tu craqueras. Tu ne peux plus vieillir. Ton temps s’est stoppé dès que je t’ai touché. La seule chose qui pourrait te libérer, c’est ma mort ; ton corps redeviendrait alors une simple coquille vide. Ou bien la mort de Silas ; ton corps, né de son imagination, disparaîtra alors purement et simplement.
- Dans ce cas, je ne vais pas cesser de prier Arceus pour que quelqu’un vous fasse la peau, répliqua Zelan.
En réponse, Lyre lui ordonna mentalement de se mordre la langue, ce qu’il fit malgré lui jusqu’au sang. Silas se débarrassa de l’ancien corps de Zelan d’un claquement de doigt, le faisant partir en fumée.
- Maintenant, tu vas pouvoir contempler de tes yeux le rituel qui t’a fait revenir, lui dit le Marquis.
Il tendit la main à Silas, qui la prit avec respect. L’Agent de la Corruption ferma les yeux, comme s’il se concentrait. Zelan pensait savoir ce qu’ils faisaient : par le biais du Marquis, une espèce de connexion mentale s’était créée entre Silas et Horrorscor. Le Maître de la Corruption lui donnait toutes les informations sur la personne qu’ils voulaient ressusciter, et Silas laissait son travail imaginatif travailler. Quelque secondes plus tard, un corps se matérialisa du néant devant eux.
Il s’agissait d’un homme au look quelque peu dérangeant. Peut-être parce qu’il avait un troisième œil sur le front, ou bien à cause de sa barbe violette immense qui devait bien faire dans les trois mètres de long. Fantastux pointa son chapeau sans fond sur lui, et une petite lueur blanche et lumineuse en sortit : l’une des âmes auxquelles Giratina avait permit de quitter le Monde des Esprits, comme celle de Zelan y a quelques temps. L’âme voleta lentement vers le corps de l’homme mystérieux, et y rentra par la poitrine. Enfin, Lyre vint poser sur lui sa main droite, et l’homme ouvrit les yeux. Ses deux yeux normaux. Le troisième au milieu du front resta fermé. L’homme paraissait quelque peu perdu.
- Sois le bienvenu parmi nous, mon ami, lui dit le Marquis des Ombre en s’approchant. Nous sommes en l’an 2019, et je suis le 36ème Marquis. Nous t'avons ramené, moi et mes serviteurs, du Monde des Esprits de Giratina, pour que tu puisses servir à nouveau la cause de notre maître Horrorscor… Balphetos, 21ème Marquis !
Le dénommé Balphetos se mit debout - uniquement parce que Lyre le lui avait autorisé - et inspecta son corps quelque temps avant de se tourner vers le Marquis.
- Je vois… Ainsi je suis revenu des morts ? Intéressant. Tu as un pouvoir appréciable, 36ème.
- Il s’agit en réalité de l’union de plusieurs pouvoirs et capacités, avec en plus l’assistance de Giratina lui-même. C’est assez compliqué à expliquer, et tu n’en auras pas besoin. Le fait est que tu es revenu, près de trois-cent ans après ton époque. La résurrection du Seigneur Horrorscor approche, et il te veut dans son armée, toi, et tous ceux qui t’ont précédé et succédé. Mais nous t’avons ramené en avance, pour que tu fasses quelque chose pour nous.
Balphetos ignora superbement le Marquis pour se tourner vers Fantastux.
- Oh, mais qui voilà ? Fantastux ! Ainsi, tu es toujours vivant, deux-cent trente sept ans après !
- Fantastux vous salue, Seigneur Balphetos, kish kish kish… Vous avez manqué à Fantastux. Vous étiez un Marquis des plus intéressants, kish kish kish !
- Ben moi, ton rire ne m’a pas manqué. Je suis même désolé de devoir ressusciter si c’est pour l’entendre à nouveau. Alors, si tu es là… c’est que ce type masqué dit vrai ?
- Oui. Il est bien l’actuel Marquis des Ombres, et le règne final de la corruption est pour très bientôt. Les Sept Démons Majeurs sont libres et à nos ordres. La corruption n’a jamais été aussi forte dans le monde. Et nous aurons bientôt le Cœur d’Horrorscor complété. Grâce à vous.
- À moi ? S’étonna Balphetos.
- Le jeune homme que vous voyez là, fit le Marquis en désignant Zelan, il sait où se trouve le Cœur d’Horrorscor. Ou du moins, son esprit le sait. Hélas, il n’est pas très coopératif. C’est là que vous intervenez. Fantastux m’a longuement parlé de votre pouvoir spécial.
- Je vois, soupira le 21ème Marquis. À peine revenu d’entre les morts qu’on me replonge à nouveau dans le labeur. J’ai fait don de ma vie au Seigneur Horrorscor, je ne pensais pas non plus devoir lui faire don de mon après-vie… Mais bon, pour la gloire de la corruption, n’est-ce pas ?
Alors, Balphetos regarda intensément Zelan. Et il le regarda avec son troisième œil, au dessus du nez, qui venait juste de s’ouvrir. Zelan ressentit alors une atroce douleur dans sa tête, comme si on venait de l’ouvrir en deux. Alors qu’il se débattait avec cette souffrance immonde, le Marquis actuel dit, l’air de rien :
- Le Marquis des Ombres Balphetos était connu pour être né avec une malformation bien étrange : un troisième œil au niveau du front. Mais aucun nerf optique n’était relié à cet œil. Il ne servait pas à voir. Du moins, pas à voir la lumière. C’était un œil qui lui permettait de disséquer l’esprit des autres, et d’y infiltrer sa propre volonté. C’est grâce à cela qu’il est devenu l’un des plus dangereux Marquis des Ombres de l’Histoire, en recrutant un nombre considérable d’Agents qu’il soumettait à sa volonté.
Au-delà de la douleur, Zelan pouvait en effet sentir une présence dans son propre esprit. Un peu comme quand il abritait un morceau d’âme d’Horrorscor… mais en différent. Horrorscor n’avait jamais pu prendre possession de son propre esprit. Alors que là, Balphetos semblait se trouver au milieu de l’être conscient de Zelan, pensant à sa place, réfléchissant à sa place, tandis que Zelan lui-même était relégué au second rang, incapable d’écarter ce visiteur indésirable. À son propre désarroi, il sentit l’esprit de Balphetos déverrouiller mentalement les informations codées de l’œil cybernétique. Alors, toute la mémoire qu’il y avait enregistré se déversa dans l’esprit de Zelan… et également dans celui de Balphetos. Il se souvenait où il avait demandé à son Arme Humaine Xan de cacher la pierre reconstituée. C’était dans…
- Dans les ruines de l’ancien château royal, au Mont Argenté, dit Balphetos après avoir quitté la tête de Zelan. Il y a un passage secret installé par le dernier roi de Johkan. Dans l’idée d’en faire une planque, ce gamin de Zelan y a installé nombre de pièges, mais après avoir donné les indications sur ce lieu à son sbire qui y a amené le Cœur d’Horrorscor, il les a effacé de sa propre mémoire.
Vaincu, sans plus aucun moyen de lutter, Zelan ne put même pas se laisser tomber à genoux. Bien qu’il ne vit du visage du Marquis que son masque blanc, il était certain qu’il souriait derrière.
***
Depuis que Divalina avait fait allégeance à la Confédération Libre, elle ne cessait de se demander si elle y était à sa place. Certes, ils combattaient directement les Agents de la Corruption. Certes, Venamia était un hôte d’Horrorscor. Et certes, Eryl était la Pierre des Larmes et la possible réincarnation d’Erubin. Mais malgré tout ça, quelque chose la dérangeait. Déjà, elle n’était pas faite pour la guerre. Elle était une aristocrate de naissance, et ancienne membre d’une organisation qui avait fait de la paix et du pacifisme une façon de vivre. Elle se sentait de nouveau complète avec Jivalumi en elle, mais il y avait toujours un élément perturbateur dans ce nouveau quotidien.
Ce n’était pas son univers, tout cela. Oh bien sûr, les autres étaient gentils avec elle, et ils la respectaient pour sa force au combat, grâce à Jivalumi. On lui donnait du « Comtesse » et on s’inclinait presque devant elle. Mais cela ne changeait pas le fait que l’innocence que servait la Confédération était très loin de celle que Divalina avait servi elle au sein des Gardiens de l’Innocence. Les Blancs Manteaux, les conversions d’office, les bûchers punitifs, les exécutions… jusqu’à l’attitude guerrière d’Eryl Sybel. Pour Divalina, tout cela était un dévoiement pur et simple de la véritable Innocence. Elle avait rejoint la Confédération pour tenir sa promesse envers Wasdens, vu qu’elle avait récupéré Jivalumi, mais elle aurait finalement été plus à sa place avec Cosmunia et les autres.
Silvestre, lui, s’était bien mieux adapté. En peu de temps, il était devenu l’un des plus importants conseillers de la reine, et le concepteur de sa politique. Dans le nouvel Etat Fédéral qu’Eryl voulait fonder, nul doute qu’il aurait un poste de choix, comme Premier Ministre ou Chancelier. La politique était, après tout, son domaine. De plus, il semblait partager depuis quelque temps une espèce de relation très amicale avec la boss de la Team Rocket, Estelle Chen. Bref, il n’avait aucunement l’intention de partir et Divalina n’allait certainement pas le forcer.
En revanche, depuis que la Confédération avait débarqué à Johto, Divalina avait pris sa décision. Combattre le Grand Empire ne sonnait plus comme une priorité à ses yeux. Les Démons Majeurs étaient absents, et Venamia avait disparu. Le Marquis des Ombres devait comploter quelque chose de gros, et allait le mettre en place pendant que la Confédération était occupée à reconquérir Johkan. C’était ce que Divalina suspectait, et elle se trompait rarement. De plus, Jivalumi avait abondé dans ce sens.
- Je n’ai jamais vraiment rencontré le vrai Marquis, lui avait-elle dit. C’était toujours Vrakdale ou plus récemment Mister Smiley… je veux dire, le duo Silas/Lyre, qui nous transmettaient ses ordres. Mais le gros de son projet était pour bientôt, ça c’est sûr.
- La Confédération n’en sait pas assez sur lui, et de toute façon, ils sont trop obnubilés par le Grand Empire pour se soucier de lui, avait répondu Divalina. Pourtant, c’est bien lui la menace principale. J’ai eu beau tenté de le dire à la reine, elle s’est contentée de répondre qu’on s’occuperait de lui en temps et en heure. Sauf que du temps, je doute qu’il nous en reste beaucoup…
Oui, c’était le Marquis des Ombres, le responsable de tout ce fourbi. Détruire le Grand Empire ne résoudra rien ; c’est sans doute même ce que le Marquis avait prévu de la Confédération.
- Je vais le trouver, et tenter de le détruire, avait alors décidé Divalina. S’il est vraiment Vaslot Worm, alors je connais un peu sa façon de fonctionner.
- Tu veux affronter le Marquis ? Seule ?! S’était exclamée Jivalumi dans sa tête.
- Seule non. Tu seras avec moi. Enfin… seulement si tu le veux bien sûr.
- Je ne te quitterai plus maintenant, quoi que tu fasses. Mais je doute de pouvoir arriver à quoi que ce soit face à lui. Ta reine Eryl et ce Pokemon là, Imperatus… elles nous ont bien dit que toutes leurs attaques ne lui ont strictement rien fait !
- C’est parce qu’elles ne savent pas ce que je suspecte.
- Tu veux dire, à propos de son corps, et du talent spécial de Munja ?
- Oui. Si comme je le pense, il a hérité du corps Spectre et Ténèbres d’Horrorscor, et qu’il a bien été le receveur de la formule Sygma de Munja commandée par Worm, alors seules les attaques de type Fée peuvent le blesser.
- Ça ne nous avance pas à grand-chose. Je ne suis pas de type Fée. Je ne suis même pas un fichu Pokemon !
- Ne t’en fais pas. J’ai un plan…
Son plan en question monté de A à Z, et sa décision arrêtée, elle est allée prévenir Wasdens de son choix. Il s’était inquiété pour elle, il avait tenté de la raisonner, mais ne l’avait pas empêché de s’en aller, ce en quoi elle lui était reconnaissante. Divalina avait ensuite hésité à amener avec elle Gluzebub, mais y avait renoncé. Le Démon Majeur de la Gourmandise était un atout important pour la Confédération, qui aurait besoin de lui pour la reprise de Veframia. Et puis de toute façon, un Pokemon Ténèbres et Poison comme lui ne servirait pas à grand-chose face au Marquis. Elle est quand même passé le voir juste avant de partir.
Elle était un peu sa seule amie ici. Les autres membres de la Confédération, après presque un an, commençaient à lui faire assez confiance pour ne pas le suivre en permanence, mais aucun ne cherchait à être proche de lui, mis à part les quelques tentatives honnêtes des membres de la X-Squad. Elle le trouva, comme à son habitude, en train de s’empiffrer au réfectoire, avec ses dizaines de tubes de mayonnaise devant lui. Divalina songea avec amusement qu’en ralliant Gluzebub à la Confédération, elle leur avait aussi rallié le soutient du lobby de la mayonnaise. Grâce à Gluzebub, leurs ventes devaient avoir connu une hausse aussi rapide que spectaculaire.
- Oh, copine Divalina ! S’exclama le Pokemon à forme humaine en la voyant arriver. Je suis en train de goûter à la mayonnaise de Johto, pour voir si elle est différente de celle d’Hoenn.
- Je doute que ce soit le cas, sourit la jeune femme. Ces trucs là sont produits en série.
- J’aimerai bien savoir comment, soupira Gluzebub. Quel genre de miracle du ciel peut donner naissance à cette matière divine ?
Par mesure de sécurité, Divalina avait bien demandé à TOUS les membres de la Confédération, de la reine Eryl en personne jusqu’au balayeur de couloirs, à ne jamais divulguer la recette de la mayonnaise à Gluzebub. Divalina voulait croire qu’il soit réellement des leurs à présent, mais on ne savait jamais comment un Démon Majeur pouvait réagir si jamais il apprenait qu’on l’avait trompé. Mais avec Gluzebub, peu de risque ; le Pokemon était grossièrement naïf et influençable.
- Je vais m’en aller quelque temps, lui apprit Divalina. J’ai quelque chose d’important à faire.
- Hein ? Tu me laisses tout seul ?
- Tu n’as pas besoin de moi en permanence. Tu t’es fait de nouveaux amis non ?
- Oui, Galatea est sympa. Elle me laisse toujours une part de son repas. Et Goldenger est marrant, en plus c’est un Pokemon comme moi. Mais toi tu es ma première copine, la seule à m’avoir fait découvrir la gastronomie humaine ! Je suis content de ne pas t’avoir mangé ce jour là, même si j’aurai voulu savoir le goût que ça a, un Apôtre d’Erubin…
- Je vais te confier un secret, fit Divalina d’un air conspirateur. Surtout, ne le dis à personne, mais… les humains ont tous le même goût.
- VRAIMENT ?!
- Vraiment. Mais tu sais quoi, quand je rentrerai, et que la guerre sera finie, je t’amènerai visiter le lieu caché et sacré où les humains fabriquent la mayonnaise.
Gluzebub regardait Divalina de ses grands yeux globuleux remplis de larmes, comme si elle lui promettait le plus fabuleux des cadeaux.
- C-C’est vrai… Tu promets ?
- Bien sûr. C’est une promesse. Et alors, avec un peu de chance, tu arriveras à créer toi-même ce condiment ultime.
C’est comme ça qu’ils se quittèrent ; Gluzebub en poussant des cris de joie à faire fuir tout le monde, et Divalina en songeant avec amusement que visiter une usine à mayonnaise serait le plus beau jour de sa vie si la guerre venait à finir et la corruption à perdre enfin de son influence. Et c’était pour cela qu’elle devait en finir une fois pour toute avec le Marquis.