Chapitre 336 : Innocence dévoyée
- La Gourmandise est péché. La Paresse est péché. La Luxure est péché !
- Péché ! Péché ! Péché !
- Nous sommes le rempart contre le péché. Nous sommes la main d’Erubin. Nous sommes les Défenseurs de l’Innocence, et nous allons libérer votre ville de la corruption qui l’imprègne, au nom de notre sainte reine Eryl !
- Eryl ! Eryl ! Eryl !
Brimas Atilus, leader des Défenseurs de l’Innocence, venait de terminer sa déclaration aux habitants de Villedargent, au son des cœurs des autres Blancs Manteaux alignés à ses côtés. Dès leur entrée dans cette petite ville située entre Veframia et Lavanville, les Défenseurs de l’Innocence avaient massacré les quelques soldats du Grand Empire qui patrouillaient. Puis ils avaient réuni les quelque centaines d’habitants devant le plus grand bâtiment de la ville, à savoir une salle de Concours Pokemon. Les habitants, hagards, regardaient ces envahisseurs qui ressemblaient à des cosplayeurs de fantômes blancs avec une inquiétude naissante, et même hostilité.
Mais Atilus ne leur en voulait pas. Il avait seulement pitié d’eux, pauvres âmes errantes qui avaient été abusées par la corruption du Grand Empire et écartées du juste chemin de l’innocence. Il allait leur ouvrir les yeux et les libérer de leurs péchés permanents. C’était son devoir divin, celui que Sa Majesté Eryl lui avait donné. Depuis que les Blancs Manteaux étaient arrivés à Kanto, ils avaient déjà « purifié » des dizaines de villes, et plus que tout, ils s’approchaient peu à peu de leur véritable objectif…
- Ce lieu, reprit Atilus en désignant le centre des Concours Pokemon, corrompt vos âmes. Il vous fait croire à la beauté de voir des Pokemon se donner en spectacle sur scène, alors qu’en réalité, il vous détourne de la seule vraie beauté : l’amour qu’Erubin voue à tous les êtres vivants. Tenter de reproduire la beauté, alors qu’Erubin seule peut l’incarner, est péché. C’est de l’arrogance, et donc de la fierté, l’un des Sept Péchés Capitaux que nous combattons. Il nous revient de fortifier nos âmes pour résister à l’immonde corruption qui se dégage de Veframia, jusqu’à ce que notre divine reine vienne la purifier.
Sur un signe d’Atilus, les Blancs Manteaux jetèrent leurs torches enflammés sur le bâtiment et dans les fenêtres. Certains, qui étaient dresseurs, appelèrent leurs Pokemon Feu pour accélérer l’incendie. Les gens de Villedargent regardèrent leur centre de Concours brûler, impuissants. Ce bâtiment était le seul lieu notable de leur ville, et ce pourquoi des coordinateurs Pokemon venaient chez eux. Une femme osa protester. Vu son habillement, elle semblait justement être l’une de ces coordinateurs qui se donnaient en spectacle avec leurs Pokemon.
- De quel droit faites-vous cela ?! Ce lieu n’a rien à voir avec la guerre ou le Grand Empire, et encore moins avec votre soi-disant corruption !
Atilus soupira en prenant un air commisératif.
- Bien tristes sont les aveugles, car leurs cœurs, bercés de mensonges, ne peuvent percevoir la sainte lumière d’Erubin…
- Au diable votre Erubin ! Continua la coordinatrice. Qui y a t-il d’innocent ou de juste à brûler un lieu où les humains et les Pokemon se rassemblent pour se dépasser et rechercher le bonheur et l’émerveillement du public ?!
- Le vrai bonheur nait d’Erubin. Le réel émerveillement nait de sa sagesse et de son amour. Tenter de les reproduire est un sacrilège. Tout comme contredire ses fidèles Défenseurs qui apportent la lumière en son nom.
Atilus claqua des doigts, et aussitôt, trois Blancs Manteaux allèrent se saisir de la femme qui se débattait en protestant. Quand ils commencèrent à l’amener en direction du bâtiment en flammes, elle commença à crier et à demander de l’aide. Mais le public, terrifié et encerclé par une centaine de Blancs Manteaux en armes et avec des Pokemon, n’osa rien faire. Les hommes d’Atilus brisèrent les bras et les jambes de la malheureuse avant de la jeter dans les flammes, où ses hurlements stridents retentirent un moment avant de s’éteindre. Atilus leva les bras et harangua la foule.
- Il ne peut y avoir de doute ! Il ne peut y avoir de contestation ! Erubin est absolue. Ce n’est qu’en croyant avec foi en son amour et en sa vision que nous pourront chasser les ténèbres tentatrices qui nous entourent. Pour nous guider, nous êtres faibles et pécheurs, elle nous a envoyé sa messagère, la reine Eryl, et lui a fait don de ses pouvoirs. Vénérons-la pour sa miséricorde. Louée soit Erubin !
- Louée soit Erubin ! Reprirent les Blancs Manteaux en chœur. Louée soit Erubin ! Louée soit Erubin !
Après cela, les Blancs Manteaux se déployèrent en ville, pour leurs vérifications habituelles. Pour chaque village sous leur contrôle, ils fouillaient des maisons au hasard pour y dénicher des preuves de soutient au Grand Empire, ou bien des signes de péchés capitaux. Pour les premières, la punition était toujours la mort. Pour les seconds, ça pouvait aller du simple avertissement au fouet en public. Les Blancs Manteaux faisaient la chasse à tout signe extérieur de richesse abusive, de nourriture de luxe, de non respect de l’acte sacré du mariage, de sexualité débridée ou de fainéantise chronique. Tout cela amenait inévitablement à un ou plusieurs des Péchés Capitaux.
Pour bien vivre selon la foi d’Erubin, un homme n’avait besoin que de simples habits pour cacher sa nudité, d’un travail honnête, d’une vie humble et du strict minimum de comestible pour se sustenter. La vie en couple en dehors du mariage était interdite. Le divorce était interdit. L’adultère était interdit. L’homosexualité était interdite. Pour tenir à distance le péché de la Luxure, un homme devait être lié à une femme par les liens sacrés du mariage, et par eux seul. Quant à l’acte d’amour en lui-même, il ne devait servir qu’à se créer une descendance, et non à rechercher un quelconque plaisir charnel.
Une fois la région soumise, Atilus comptait bien mettre en place un système avec lequel les Défenseurs de l’Innocence pourront contrôler la vie sexuelle de tout le monde. La procréation ne sera autorisée que sous le regard attentif d’un Blanc Manteau et après les démarches administratives nécessaires, dans le seul et unique but de concevoir un enfant. Tout autre acte sexuel serait interdit et passible de mort. Il fallait forcément en passer par là pour combattre la Luxure, et ne pas laisser les humains se comporter comme des animaux.
En même temps qu’ils fouillaient les maisons au hasard, les Blancs Manteaux mettaient le feu à tous les bâtiments inutiles ou pouvant amener le péché. La liste était longue et sûrement pas exhaustive : les maisons closes qui était un véritable nid à Luxure, les centres d’aide sociale qui favorisaient la Paresse, les grands centres commerciaux qui encourageaient la Gourmandise… Si tribunal il y avait, il était totalement réquisitionné par les Blancs Manteaux, seuls aptes à dispenser la justice d’Erubin. Parfois, ils passaient devant des boutiques qui ne leur plaisaient pas et les mettaient à sac. Ils brûlaient des voitures aussi à l’occasion. Oui, les voitures étaient inutiles ; un homme avait deux jambes pour marcher, alors qu’il s’en serve, sinon, ce n’était que de la Paresse.
- Nous vous apportons l’innocence, déclara Atilus au milieu de tout ce chaos de destructions aveugles et sauvages. Nous vous apportons la paix de l’âme. Soyez reconnaissants. Priez. Ayez la foi !
Atilus laissa ensuite ses fidèles disciples procéder au recrutement de certains des villageois. Ils faisaient ça à chaque fois qu’ils « purifiaient » un village. Parfois, certains habitants se joignaient à eux, le cœur plein de foi et d’espérance, afin de lutter contre le Grand Empire qu’il détestait. Parfois, les Blancs Manteaux se contentaient de prendre quelque femmes et enfants en otages pour en « convaincre » d’autres. Le fait est que grâce à ces recrutements, ils avaient triplé leurs effectifs depuis qu’ils étaient arrivés à Kanto. Plus ils seraient nombreux, mieux ce serait. Non pas que ce genre de petits villages, quasiment abandonnés des autorités impériales, soit un réel problème pour eux. En revanche, Atilus avait une cible qui allait être sans aucun doute plus difficile à conquérir…
Officiellement, les Défenseurs de l’Innocence étaient là pour affaiblir le régime du Grand Empire en lui dérobant sa province petit à petit, et pour préparer l’arrivée de la reine Eryl. Mais Sa Majesté, avant d’envoyer Atilus, l’avait pris à part pour lui laisser sous-entendre une autre mission un peu plus discrète. Il était temps d’en finir avec des hérétiques qui pensaient servir Erubin mais qui en réalité avaient été corrompus il y a longtemps par un serpent qu’ils avaient hébergé en leur sein.
Pendant que les sélections se déroulaient, Atilus étudia en détail une carte du coin. Elle regorgeait de petits villages comme celui-ci ; ceux qui étaient invisibles quand on regardait la carte officielle de Kanto. Et Villedargent était le dernier village avant la cible officieuse des Blancs Manteaux : un grand domaine privé, qui comprenait un lac, la moitié d’une petit forêt et un jardin immense, avec au centre un somptueux manoir. Tant de richesses et de luxe était clairement le signe du péché. C’était le domaine Brenwark, appartenant au célèbre avocat Oswald Brenwark.
Cet homme, aujourd’hui retiré du barreau, avait pris part aux plus retentissants procès de la planète, toujours en défendant les victimes ou les plus faibles, et n’avait jamais perdu. Il avait accumulé une fortune personnelle immense et une notoriété tout aussi grande, qu’il avait mises au service des Gardiens de l’Innocence. Son manoir était devenu leur base, et ce depuis maintenant près de vingt ans. Mais aujourd’hui, Brenwark était prisonnier de sa propre demeure, tandis que Vaslot Worm, suspecté d’être un Agent de la Corruption voir le Marquis lui-même, dirigeait l’organisation en diffamant le saint nom de la reine Eryl. Cette hérésie devait cesser. Worm allait connaître le sort réservé aux ennemis d’Erubin, et si jamais les autres Gardiens s’avisaient de résister, il en serait de même pour eux.
Les Gardiens étaient le passé. Ils étaient faibles, inutiles et surtout corrompus. C’était aux Défenseurs de prendre le relai. Une fois que le recrutement fut terminé, Atilus rejoignit ses fidèles, dont les rangs avaient un peu plus grossi. Tout comme lui, la plupart d’entre eux savaient que le manoir Brenwark était tout proche, et Atilus pouvait lire dans leurs yeux une folle envie d’en découdre avec ces hérétiques. Armés d’armes automatiques, de pistolets, de Pokemon, de fourches ou simplement de torches, ils allaient faire une nouvelle fois triompher la parole sacrée d’Erubin et de son envoyée terrestre.
- Pieux soldats d’Erubin ! Clama Atilus. Les hérétiques qui se font faussement appeler les « Gardiens de l’Innocence » sont tout près ! Ils ont refusé la main tendue de notre sage souveraine, ils l’ont traité de fausse divinité, et ont préféré se ranger derrière ce traître corrompu de Vaslot Worm ! Encerclons leur demeure ! Brûlons leurs fausses idoles ! Capturons-les tous et soumettons-les à la question pour savoir s’ils sont seulement idiots et inutiles ou bien carrément des serviteurs du Maître de la Corruption ! Louée soit Erubin !
- LOUÉE SOIT ERUBIN !
***
Vaslot venait de rendre visite à l’ancien chef Brenwark. Il le faisait rarement, mais étrangement, ce soir, il en avait eu envie. Oswald était toujours enfermé nuit et jour dans l’aile gauche du manoir, qui comprenait une chambre énorme, la bibliothèque et quelques autres pièces. Au début, Vaslot, qui avait craint qu’il ne tente de s’échapper pour monter les Gardiens contre lui, l’avait fait surveiller. Mais désormais, près de deux ans après, il ne prenait même plus la peine de fermer les portes à clé.
Brenwark semblait avoir perdu toute espèce de volonté. Il ne vivait plus que par automatisme, passant le plus clair de son temps plongé dans une catatonie chronique, les yeux dans le vague. Voilà que depuis peu, il ne prenait même plus la peine de se laver et de se raser. Il mangeait très peu. Il avait énormément maigri, et tenait à peine debout. On aurait dit un cadavre ambulant. Ses yeux semblaient encore plus morts que le reste de son corps.
Certes, c’était Vaslot qui était en parti responsable de son état, en l’ayant accablé devant les autres Apôtres et limogé de son poste de Premier Apôtre. Mais il était plus probable que ce soit la trahison de son fils Silas qui lui ait fait tant de mal, bien plus que sa démission forcée. Silas Brenwark, qui avait en réalité été le fils de Funerol, un ancien Marquis autrefois grand ami d’Oswald, servait depuis très longtemps le Marquis actuel. Oswald ne s’en était pas rendu compte. Il l’avait élevé comme son fils en mémoire de son vieil ami, sans voir en lui les même ténèbres que son père. Il n’avait pas pu sauver Funerol, et voilà qu’il n’a pas su élever correctement son fils. De plus, à cause des secrets sur Marine et Lyre Sybel qu’il n’avait pas pu révéler à ses collègues, il avait laissé le Marquis se renforcer et recruter des serviteurs de choix.
Pour tout cela, Oswald se savait responsable, et cette responsabilité pesait sur lui jour après jour, jusqu’à qu’il en soit venu à se détester lui-même. De plus, depuis que Lyre Sybel avait corrompu la Bénédiction de la Lumière, Brenwark ne pouvait plus se servir de la statue d’Erubin dans le jardin pour puiser dans ce pouvoir réservé aux seuls Premiers Apôtres. Un pouvoir qui n’avait rien de vital bien sûr, mais qui, une fois qu’on le laissait nous envahir, provoquait une sensation de manque si, pour une raison ou une autre, on ne pouvait plus le recharger ensuite. D’ordinaire, les anciens Premiers Apôtres supportaient tous ça, mais avec tout ce que Brenwark avait dans la tête, ça n’aidait pas.
Vaslot devait admettre qu’il se sentait mal pour lui. Il n’avait jamais apprécié le chef Brenwark, qui avait été un proche ami de Dan Sybel, l’homme que Vaslot avait détesté par-dessus tout. Mais malgré tout, il l’avait sincèrement respecté, pour sa force, pour sa droiture, pour son intransigeance. Et aujourd’hui, l’homme qu’il avait devant lui n’était plus rien de tout cela. Un corps sans but qui n’attendait que de mourir.
- Je suis désolé de vous voir ainsi, Oswald, lui dit Worm. J’aurai préféré que vous continuiez à me résister, peut-être à tenter de rejoindre Silvestre et Divalina aux cotés d’Eryl Sybel. Voir un homme aussi combatif que vous sombrer dans une telle dépression, c’est toujours triste…
Le vieil homme décharné quitta des yeux le point invisible qu’il fixait devant lui pour dévisager Vaslot. Ce dernier fut content de pouvoir y lire encore une pointe de défi et de colère. Toute émotion n’avait donc pas encore déserté Oswald Brenwark.
- Vous allez perdre, Worm… murmura-t-il avec faiblesse.
- Vraiment ?
- Oui. J’ignore ce que vous comptez faire avec les Gardiens pour le compte de vos alliés Agents, mais vous allez perdre. Si Eryl gagne, vous ne serez plus rien, si tant est qu’elle choisisse de vous laisser en vie. Si le Marquis gagne, il finira par vous trahir, car vous deviendrez alors inutile, et parce que c’est la façon de faire des serviteurs d’Horrorscor.
- Voilà qui est intéressant. Alors, vous ne partagez pas les doutes de que la Comtesse Divalina a transmit à la reine Eryl, comme quoi je serai carrément le Marquis des Ombres ?
Brenwark secoua faiblement la tête.
- J’ai rencontré le Marquis à Dolsurdus, après qu’il m’ait capturé. Il m’a parlé. Il m’a dit des choses… que seul Funerol aurait pu me dire.
- Funerol est censé être mort, répliqua Worm, sinon quoi Horrorscor n’aurait eu aucun intérêt à quitter son corps pour entrer dans celui de ma sœur Marine qui a pris sa place.
- N’allez pas me faire croire que vous ignorez la vérité, Worm. Vous savez tout, j’en suis sûr. Vous savez tout depuis toujours, et vous œuvrez dans le dos de tout le monde pour vos propres objectifs, quels qu’ils soient. Dan a toujours eu raison à votre sujet : vous êtes un asticot qui se faufile partout et que se nourrit de la pourriture tout autour de lui.
- Quelle piètre opinion vous avez de moi ! Sourit Vaslot. Mais bon, j’ai l’habitude effectivement, depuis ce cher et si héroïque Dan Sybel.
- Vous l’avez toujours envié pour tout et sur tout… Mais vous n’êtes jamais arrivé à sa cheville, et vous n’y arriverez jamais. Au rythme où vont les choses, vous serez le tout dernier des Premiers Apôtres d’Erubin, que ce soit le Marquis ou Eryl qui gagne à la fin.
- Vous êtes bien incisif, moi qui suis venu m’enquérir de votre état par pure courtoisie. Vous voulez entendre des vérités sur moi ? Eh bien allons-y. Oui, je suis corrompu de A à Z. Comment n’aurai-je pas pu l’être, avec le milieu dans lequel j’ai grandi et que j’ai fini par contrôler ? La mafia, le trafic en tout genre, les assassinats, la prostitution… Ça a toujours été mon monde, tandis que vous et Sybel vous plaisiez à vous pavaner dans la lumière et dans la droiture… Mais je vais vous apprendre quelque chose, Brenwark. Il ne s’est pas passé un seul jour sans que je ne mette ma propre corruption au service de l’innocence. Bien qu’étant considéré comme un pestiféré parmi les Gardiens, j’ai toujours œuvré contre Horrorscor et ses sbires, quitte pour cela à employer les méthodes les plus sales et les plus abjectes. Votre destitution en était une. Oui, j’ai comploté avec les Agents pour prendre votre place. Je ne le regrette pas, car mon travail va bientôt porter ses fruits.
- Des fruits qui auront été cultivés par vous ne pourrons être que pourris.
- C’est possible. Mais je vous assure que même mes fruits pourris auront leur utilité. Par exemple… j’ai appris que le Marquis avait passé un accord avec le Pokemon Légendaire Giratina pour qu’il ouvre temporairement les portes du Royaume des Ombres. Le Marquis a fait ressusciter Zelan Lanfeal pour qu’il lui donne la localisation du Cœur d’Horrorscor. Je compte m’en emparer avant lui.
Oswald cligna des yeux, sceptique.
- Et comment allez-vous faire ça ?
- N’attendez pas d’un magicien qu’il vous donne le secret de ses tours, sourit Worm.
Brenwark allait répliquer, quand Izizi, l’étrange et mystérieux Apôtre toujours camouflé dans son ample manteau beige et sa longue écharpe entra précipitamment.
- Désolé de l’intrusion, chef Worm, mais la situation est grave. Toute une horde de bolcheviques comploteurs du grand patronnât est à nos portes. Ils ont déjà brûlé la forêt, et s’approchent dangereusement !
Worm soupira.
- Peut-être pourriez-vous êtes plus précis, Izizi ?
- Ce sont les fous d’Eryl Sybel, avec leur tenue du Ku Klux Klan. Étant donné leurs cris et leurs armes brandies, il semblerait qu’ils réclament votre tête. Dois-je tous les trucider ?
- Non. Faites passer les apprentis Gardiens par le tunnel secret pour les mettre à l’abri. Guidez-les avec Dame Cosmunia.
- Nous abandonnons le manoir à ses gauchos-bobos-innocenmistes ?!
- Lutter contre ces fanatiques ne nous apportera rien. Ça devait arriver un jour, de toute façon. Nous prenons la fuite, mais nous continuerons notre plan. Même seul, je le continuerai.
- Vous ne serez pas seul, Premier Apôtre, lui assura Izizi.
- Merci. Partez devant, je vous rejoins sous peu.
Izizi salua et laissa les deux hommes seuls.
- Vous voulez vous donner le beau rôle, Vaslot ? Ricana Brenwark. Le persécuté idéaliste qui va poursuivre son devoir, quoi qu’il advienne ?
- Le Grand Empire est fini. Johkan va tomber entre les mains d’Eryl Sybel sous peu. Et malgré tous ses beaux discours, elle ne pourra pas endiguer le fanatisme qu’elle a elle-même créé de si tôt. Ce sera un terrain parfait pour que le Marquis passe à l’action. Nous seuls seront capables de nous concentrer sur ce qui importe le plus : la destruction définitive d’Horrorscor. Ne voulez-vous pas vous joindre à moi, Oswald ?
Le vieil homme secoua la tête.
- J’ignore si vous mentez, si vous dites la vérité ou si vous délirez. Je ne peux pas vous faire confiance, et vous le savez. Je me suis assez battu, de toute façon.
- Votre identité ne vous sauvera pas des fous qui sont dehors. Ils vont brûler le manoir, et vous avec, à moins qu’ils ne vous capturent pour vous torturer.
Brenwark haussa les épaules, l’air totalement indifférent.
- Vous m’avez regardé ? Je rendrai mon dernier souffle dès qu’ils m’arracheront un ongle. Filez, et laissez-moi là. C’est ma maison. C’est tout ce que j’ai bâti dans ma vie. J’entend bien disparaître avec. Je ne sais pas si vous êtes un sincère serviteur d’Erubin, Vaslot, mais si c’est vraiment le cas, alors qu’elle vous garde en son sein.
Worm cligna de son seul œil visible, l’air surpris par cette déclaration. Puis il mit sa main sur son demi-masque qui dissimulait la partie gauche de son visage.
- Alors c’est un adieu, chef Brenwark. Mais avant, laissez-moi vous montrer… une partie de la vérité.
Vaslot Worm retira son masque. L’ébahissement, la peur et l’horreur se succédèrent sur le visage de Brenwark. Puis alors, des larmes coulèrent sur son visage asséché. Des larmes reflétant une intense émotion qui ne saurait être décrite par de simples mots.
- D-depuis tout ce temps… murmura-t-il.
- En effet.
Alors, Worm dégaina sa petite canne dont l’embout était un fragment de Lunacier, ce métal légendaire capable d’absorber, de stocker et de relâcher toute énergie. Un rayon blanc en sortit à une vitesse que l’œil humain ne pouvait pas suivre. Quand le flash de lumière fut terminé, Oswald Brenwark, un grand trou fumant dans le torse, s’écroula en arrière, mort. Worm remit son masque et rangea sa canne, le visage indéchiffrable. Puis il se rendit dans le grand salon qui avait une large vue sur le jardin. Cosmunia l’y attendait, son corps étoilé de Pokemon Cosmique qui ressemblait à une vue de la Voie Lactée brillant encore plus que d’habitude.
- J’ai ordonné l’évacuation du domaine, lui reprocha Worm.
- Izizi s’en occupe. Je tenais à vous attendre.
- Votre loyauté envers votre Premier Apôtre est toujours des plus appréciables, Dame Cosmunia, fit Vaslot en se moquant à moitié.
Le chef des Gardiens regarda d’un air méprisant par la fenêtre, où dehors, des centaines d’hommes enragés et armés de torches envahissaient les jardins en détruisant tout, et même en profanant les tombes des Gardiens enterrés.
- Je me demande vaguement ce qu’Eryl dirait si elle voyait ça, sachant que son père bien aimé repose ici…
- C’est là le lot commun à tous les humains, fit Cosmunia avec philosophie. Quand il sont baignés trop longtemps dans une seule et même croyance, et qu’on leur apprend à en haïr une autre, ils deviennent des bêtes enragées, persuadés qu’ils ont raison et que tout ce qu’ils feront, même les choses les plus terribles, est juste. La jeune Eryl pense sûrement à bien, persuadée d’agir pour éradiquer la corruption, mais elle a vécu trop peu longtemps pour se rendre compte que les humains peuvent si facilement sombrer dans la folie et le mal.
- Eryl ne nous sauvera pas. La Pierre des Larmes est une arme destinée à éradiquer Horrorscor. Mais si l’arme commence à penser par elle-même et à vouloir agir à la place de celui qui l’utilise, il n’en résultera rien de bon. Venez, partons d’ici. Le combat continue. Il continuera tant que nous ne serons pas morts.
Cosmunia hocha la tête, mais avant de suivre Worm, elle regarda la porte du bureau de Brenwark.
- Et Oswald ? Demanda-t-elle.
- Il a choisi de rester ici.
Comme si Worm sous-entendait autre chose par ces simples mots, Cosmunia le regarda avec suspicion.
- Je ne mens pas, se défendit Worm. Vous pouvez déceler les mensonges avec votre Talent non ?
- Vous ne mentez jamais, chef Worm, mais vous ne dites jamais non plus toute la vérité. J’ai remarqué cela depuis un moment chez vous…
- Vérité et mensonge sont autant dangereux l’un que l’autre. C’est pour cela que je m’efforce d’en dire toujours le moins possible, que ce soit l’un ou l’autre, sourit Vaslot.