Chapitre 4 - Sabelette
Surpris dans leur sommeil, partout les réfugiés étaient priés de sortir de leur tente et de présenter leurs Pokémon aux policiers. Certains agents pénétraient eux-mêmes dans les habitations de fortune, insensibles aux protestations des gens de Johto.
- Mais enfin on s’est déjà enregistré au départ de Johto, vous avez déjà toutes ces informations !
- Vous n’avez pas le droit de rentrer dans ma tente comme ça, je vais porter plainte !
- Et d’abord pourquoi faire ça en pleine nuit !?
Mais c’était comme s’ils parlaient dans le vide, mis à part le message répété dans les haut-parleurs, les agents n’avaient pas l’air de parler un seul mot de la langue de Johto, et puis des Chelours policiers étaient chargés de les tenir à l’écart pendant la fouille. Quel bazar, tout le monde criait mais personne ne se comprenait.
- Iguolta, attaque Flash !
Il y eu un éclair aveuglant à ma gauche, et puis un cri :
- Arrêtez ! Laissez les tranquille !
C’était la voix de Jin, sous l’effet de la colère elle avait abandonné les rudiments de langue locale qu’elle connaissait.
L’officier avec l’Iguolta, encadré par deux autres agents, se tenait devant la tente des trois frères.
- Ces trois-là ne répondent pas aux sollicitations de la police. Ils doivent cacher un autre Pokémon que ce Phampy, mais ils refusent de s’écarter pour nous laisser procéder aux fouilles, lança le dresseur de l’Iguolta. Agents, embarquez les et fouillez la tente !
- Ne leur faites pas de mal ! s’écria Jin, les bras écartés pour leur barrer le passage.
- Je ne comprends rien à ce que tu racontes gamine, lança l’officier d’un ton méprisant, mais si tu ne nous laisses pas passer je t’embarque toi aussi pour obstruction !
Jin fit sortir son Embrylex de sa pokéball, prête à en découdre.
- Tu l’auras voulu… Iguolta, attaque Queue de fer !
- Officier Kramer, non… souffla un des agents. Mais trop tard, l’attaque était déjà lancée.
- Coup double !
La queue de fer de l’Iguolta s’arrêta net, tout comme Embrylex qui s’apprêtait à riposter avec une attaque charge, tous deux immobilisés par les queues de Capidextre.
- Arrêtez, dis-je d’une voix forte dans le dialecte d’Alola, vous faites une erreur.
- Qu’est-ce… bredouilla l’officier Kramer, surpris, tu veux que je te coffre pour obstruction toi l’intello ?
- Non, mais vous faites erreur, ces enfants ne vous défient pas, ils sont sourds, ils ne comprennent pas ce que vous dites.
- Comme c’est pratique… répliqua l’officier avec un rictus.
- C’est la vérité ! lançai-je. Capidextre !
Les agents se préparèrent à recevoir une attaque, mais mon Pokémon se tourna alors vers les trois frangins et leur demanda de s’écarter en langage des signes. Ce qu’ils firent aussitôt.
- Vous voyez, il n’y a pas de problème, laissez-moi traduire à tous ces gens ce que vous désirez, et de votre côté ne les brutalisez pas, et tout se passera bien.
- Que fait-on, chef ? demanda un des agents.
- Continuez, laissons ce jeune homme traduire et après on l’embarque, dit l’officier Kramer.
- Quoi ?? lança Jin. Mais il n’a rien fait de mal !
- Je passe l’éponge pour vous car vous êtes mineurs, mais l’obstruction à la police ne peut être tolérée de la part d’un adulte !
Capidextre sauta devant moi, dans une attitude de protection, prêt à lancer une attaque sur l’Iguolta qui avait à nouveau déployé sa collerette.
- Officier Kramer !
La voix avait surgi de l’obscurité. Dans la lumière des attaques flash, je vis apparaître le chef de la police, celui-là même qui était en grande discussion avec Pectorius la veille à Lilli’i.
- Commissaire, je… tenta l’officier Kramer avec une voix soudainement devenue mielleuse.
- Rappelez vos hommes, vous rentrez tout de suite !
L’officier Kramer tenta une dernière fois de se justifier, mais il fut rappelé à l’ordre et n’insista plus. La dizaine de policiers évacua alors le camp. Resté en arrière, le commissaire s’adressa à moi, autant qu’aux gens rassemblés tout autour :
- Je suis le commissaire James McGill, je suis navré pour cet incident, l’opération de cette nuit n’a pas été autorisée. Ce n’était l’initiative que d’un officier zélé. J’espère que vous ne nous en tiendrez pas rigueur.
Son visage était resté impassible tout du long, aucune trace de remords ne perçait. Je ne lui faisais pas confiance. Pectorius lui avait conseillé de fouiller les réfugiés et c’est exactement ce qu’il s’était passé ce soir. Je ne croyais pas aux coïncidences. Cependant, il fallait avouer que son arrivée nous avait évité une situation déplaisante. Je ne répondis rien. Il sembla prendre ça pour une assurance que nous nous quittions en bons termes, et il tourna les talons. Ce fut encore une nuit où personne ne dormit beaucoup.
Le lendemain matin, j’eus la confirmation que la police de l’île entendait bien contrôler de plus près les réfugiés débarqués de Johto. Un décret était placardé un peu partout dans le camp. L’accès à la plus grande partie de l’île nous était maintenant interdit, pour des raisons de sécurité disaient-ils. Nous étions libres de circuler à Ekaeka, et jusque dans les hauteurs au-dessus de la ville, vers le cimetière. Pas au-delà. Le volcan était quant à lui bouclé par les forces de l’ordre. On n’avait plus revu Electhor depuis l’affrontement, mais les quelques éclairs d’électricité statiques qui apparaissaient parfois au sommet de la montagne indiquaient que le Pokémon légendaire était encore vivant. On n’avait également aucune nouvelle de Tokorico. Les paroles de Pectorius me trottaient dans la tête… Quelle était cette chose qui, selon lui, viendrait affronter Electhor si le Pokémon légendaire de l’île disparaissait pour de bon ? Un Pokémon encore plus puissant ?
Perdu dans mes pensées, je montai le sentier qui menait au cimetière de la ville. J’avais décidé de sortir du camp aujourd’hui, besoin d’air. J’étais parti dès le petit matin, Jin et les garçons dormaient encore. Après avoir peu dormi cette nuit, ils étaient finalement tombés dans le sommeil aux premières lueurs de l’aube. J’avais emporté avec moi quelques malasadas, je projetais de déjeuner en haut de la colline, face au soleil, comme au bon vieux temps, au sommet des falaises d’Irisia.
Je traversai une étendue d’herbes hautes quand je sentis bouger à ma gauche. Quand je tournai les yeux, plus rien ne bougeait, mais mon instinct me disait que ce que j’avais entendu se tenait toujours là, à l’affut. Un coup de vent passa, projetant de la poussière, je fus forcé de fermer les yeux un bref instant. La chose en profita pour se carapater à toute vitesse. Arrivée sur les rochers, elle s’immobilisa et se retourna. C’était un Pokémon. Un Sabelette. Mais il était différent de ceux que je connaissais. Il avait une couleur bleutée, et ses écailles brillaient comme des miroirs. Serait-ce un de ces Pokémon chromatiques dont j’avais tant entendu parler ?
Pas question de laisser passer ça ! J’étais un peu rouillé mais… Un petit combat Pokémon était pile ce qu’il me fallait aujourd’hui. Je détachai ma pokéball de sa ceinture. Au lieu de s’enfuir en voyant la pokéball, Sabellette sembla vouloir relever le défi. C’était un Pokémon sol, donc pour se protéger de ses attaques, il fallait…
- Nat’ en avant !
Natu apparut dans une lumière blanche, les ailes déployées.
- A nous deux ! dis-je dans la langue de Kanto, cela m’amusait de rendre hommage aux origines de mon adversaire.
- Attaque Picpic !
C’était une de ses attaques fétiches, Natu réussissait à l’exécuter avec une vitesse remarquable. Mais Sabelette avait prévu le coup, il avait lancé une Boul’armure, et l’attaque Picpic rebondit avec un son métallique des plus inhabituels.
Natu eut à peine le temps de regagner un peu d’altitude, Sabelette lançait déjà son attaque. Je sais bien que je ne suis pas un bon dresseur, mais jamais je ne me serais attendu à celle-là : le Pokémon sauvage forma une Ball’glace entre ses pattes et la lança si rapidement sur Natu qu’il eut du mal à l’éviter. L’extrémité de son aile gauche était à présent givrée. De la glace ? Non c’est impossible, un Sabelette ne peut pas… A moins que… Je me revis quelques années auparavant, à l’université de Doublonville, à moitié somnolant dans un cours qui ne m’intéressait pas. Il me semble cependant que le prof à cet instant avait parlé des Pokémon qui changeaient de forme, et parfois de type pour s’adapter à leur environnement.
- Alors comme ça tu es un Sabelette un peu spécial hein ? Dans ce cas… changement de stratégie ! Natu, Atterrissage ! Et maintenant… Psyko !
Comme je m’en doutais, Sabelette d’Alola ou pas, ce Pokémon manquait de défense spéciale. Il fut projeté contre le palmier le plus proche et peina à se relever. C’était le moment !
- Pokéball go !
Un rayon de lumière rouge aspira Sabelette dans la pokéball. Elle retomba dans l’herbe avec un bruit sourd puis remua, une fois, deux fois, trois fois, avant de s’immobiliser. Parfait !
Je n’eus pas le temps de me réjouir, une pierre me frappa l’arrière du crâne, m’assommant à moitié. Face contre terre, je fus pris de vertiges, ma vision se troubla, mon souffle était court. Je distinguais trois silhouettes qui s’approchaient de moi, masquées par le contre-jour. Un des arrivants ramassa la pokéball qui contenait Sabelette.
- Non… Rendez-la moi, c’est… c’est à moi…
- Ce Pokémon n’est pas à toi, parasite ! dit une voix forte.
Je relevai la tête, je ne voyais pas encore très clair, mais les silhouettes se dessinaient plus précisément. Il s’agissait de trois jeunes hommes, je les entendais ricaner. A côté d’eux, un Pokémon qui ressemblait à un loup était dressé sur ses pattes arrière.
- Les Pokémon d’Alola appartiennent aux habitants d’Alola, reprit la voix, vous venez nous envahir, prendre nos terres, et maintenant vous voudriez prendre nos Pokémon ?! Apprends à rester à ta place !
Un cri étouffé et un bruit mat m’indiqua que Natu venait lui-aussi de recevoir une attaque Jet-pierres.
- Bande d’ordu… marmonnai-je
- Qu’est-ce que tu dis le mioche ?! menaça la voix, Lougaroc, attaque Morsure !
Je serai les dents, en attendant l’attaque… qui ne vint pas. Il y eu un choc sourd, puis un glapissement.
- Très bien ! Et maintenant, Vibrobscur ! dit une voix familière au-dessus de moi. Je sentis l’onde de l’attaque me hérisser les poils. En me relevant, je vis que l’Embrylex de Jin avait mis K.O. le Lougaroc. Un des trois types le rappela dans sa pokéball et les trois prirent leurs jambes à leur cou.
- Balèze, cette attaque, dis-je en me massant l’arrière du crâne, je t’en dois une.
- Embrylex a le niveau pour être Tyranocif tu sais, j’ai juste préféré ne pas le faire évoluer, répondit Jin en m’aidant à me relever.
- Vous allez bien vous deux, pas de casse ?! demanda une voix paniquée derrière nous. Le professeur Pimprenelle venait de surgir de la forêt. J’ai tout vu, mais j’étais trop loin pour intervenir… Ohlala, je suis vraiment désolée, les gens d’ici sont tous en train de péter les plombs », dit-elle d’un air affolé.
- C’est bien l’impression que j’avais, marmonna Jin d’un ton amer.
- Il faut vite régler le problème de l’ombre, dit-elle lentement en regardant l’horizon, ou tout cela va mal finir. Au fait, je suis le professeur Pimprenelle, j’étudie les Pokémos à Alola, et ça… Elle ramassa par terre la pokéball de Sabelette qu’un des types avait laissé tomber en s’enfuyant… Il me semble que c’est à toi mon garçon.
Elle me tendit la pokéball, et je la saisis pour la mettre autour de ma ceinture.
- Normalement, il n’y a pas de Sabelette sauvage ici, l’environnement de cette jungle est top chaud, analysa Pimprenelle en fronçant les sourcils. Ça ne peut vouloir dire qu’une chose…
- Qu’est-ce que cela veut dire ? demandai-je.
- Ça signifie que les choses sont en train de dégénérer plus vite que prévu, répondit-elle. Dis-moi, tu es Taki n’est-ce pas ? Oh c’est le chef de la police qui m’a parlé de toi, ajouta-t-elle devant mon air surpris. A vrai dire, j’étais à ta recherche. Que dirais-tu de m’accompagner sur l’île d’Ula-Ula, j’aurais besoin de tes services.
- Mes services ?
- Tes talents de traducteur pour être plus précis. Ils pourraient nous aider à comprendre ce qu’il se passe… A Kanto et Johto.
- L’ombre ? Vous voulez dire que vous savez ce que c’est ?
- Nous progressons. Mais rentrons au camp, je t’expliquerais tout là-bas, au calme.
De retour à Ekaeka, nous fûmes surpris de trouver le camp vide. Mais où était passé tout le monde ?
- Par ici ! lança Jin.
Une clameur s’élevait du port. Et en effet, la plupart des réfugiés étaient rassemblés sur le débarcadère.
- Que se passe-t-il ? demandai-je à un homme près de moi.
- Rien, justement. Le bateau… Le bateau qui était programmé pour aujourd’hui… Et bien il n’est jamais arrivé…
Tous ces gens sur le quai, en pleurs, enfermés dans le mutisme, mais tous le regard perdus vers l’horizon, ils avaient compris ce que je venais de réaliser. Si le bateau n’était pas arrivé cela signifiait probablement qu’Irisia, non Johto tout entière était tombée.