Résolutions
Le yacht glissait avec douceur sur les vagues de la mer calme d’Alola. Une légère brise marine et nocturne soufflait dans les cheveux d’Iris, qui accueillait cette pointe de fraîcheur avec plaisir. Elle était accoudée à la proue du petit bateau et observait les lumières scintillantes qui tapissaient les quatre îles s’éloignant peu à peu tandis qu’elle se rapprochait d’une destination plus funeste. Elle regarda son poignet, sur lequel était attaché un large bracelet en or décoré de perles de différentes couleurs. Plusieurs losanges étaient taillés et dans l’un d’eux était fixé la Dracozélite de Valhanya, récupérée par Gladio dans les décombres de sa maison après l’attaque de la Fondation Æther. Gladio insista pour que le Maître d’Unys prenne le Cristal Z, malgré les protestations de cette dernière.
« - Ce n’est pas mon Bracelet Z, ni mon Cristal, avait-elle déclaré. Si Félinferno ne voulait pas me les prêter, c’est qu’il y a une raison, je ne peux pas aller à l’encontre de sa volonté!
- Nous devons mettre toutes les chances de notre côté, Iris, avait rétorqué Gladio. Et je doute qu’ils s’en serviront de nouveau un jour. »
C’était donc à contre-cœur qu’elle avait accepté les objets. A peine remis de leurs blessures physiques et morales qu’ils s’étaient attelés à un entrainement intensif durant lequel Tili et Gladio avaient enseigné à Iris les capacités Z liées à la Dracozélite. Les cinq derniers jours s’étaient écoulés à une vitesse vertigineuse pour les trois adolescents, qui étaient sortis certes épuisés mais plus déterminés que jamais à mettre fin aux agissements et à la démence fanatique de Lilie, et ce, par n’importe quel moyen.
Jusqu’à présent, le voyage s’était déroulé sans encombres malgré la légère phobie d’Iris concernant les traversées en bateau. Malgré elle, elle continuait à scruter le fond de l’océan, à la recherche d’une lumière rouge et au moindre clapotis de l’eau, son pouls s’accélérait.
Le combat final approchait. Iris se remémora cette dernière semaine surréaliste. Lorsqu’elle avait embarqué pour Alola, elle était loin d’imaginer qu’elle allait assister à de telles scènes d’horreur et à une telle démence fanatique de la part de Lilie. Plusieurs fois elle avait souhaité de tout son cœur que tout ceci ne soit qu’un cauchemar mais plus la situation évoluait et plus elle empirait. Elle sut qu’elle avait atteint le point de non-retour lorsqu’elle eut réalisé qu’elle allait probablement avoir du sang sur les mains et que cela était une nécessité.
Ses pensées se tournèrent vers Sacha. Elle avait réussi à entrer en contact avec lui juste après l’attaque de la Fondation à Mele-Mele afin de lui exposer la situation, ses doutes et ses inquiétudes. Depuis ce jour, il fut injoignable. La peur que Lilie ait pu s’en prendre à lui comprimait son cœur.
L’imposant bâtiment de la Fondation apparut à l’horizon, surplombant avec fierté l’archipel artificielle. Des petites lumières éclairaient la lisière de l’île mais l’édifice était totalement plongé dans le noir. Iris prit une grande inspiration et essaya de calmer les tremblements de ses mains. Tout le monde, sans exception, allait sortir changé à jamais de cet affrontement.
***
Les mains dans le dos, le Capitaine Vinoth faisait tranquillement les cent pas lorsque le yacht des trois adolescents, accompagnés de Silvallié, accosta sur les quais privés de la Fondation Æther. Il les accueillit avec un sourire qui se voulait chaleureux mais qui dévoilait en réalité une impatience malsaine.
« - Eh bien ! Susurra-t-il en les observant débarquer d’un pied ferme. Qu’est-ce que c’est que ces méchants regards?
- Elles sont où, Lilie et Valhanya? » Demanda Tili sans autre forme de procès.
Cette question sembla irriter le sous-fifre qui grimaça.
« - Lilie est occupée actuellement, elle rejoindra la petite fête plus tard, expliqua-t-il sèchement. Quant à Valhanya…
- Tili, je suis là! »
Les trois jeunes adolescents se tournèrent en même temps vers la direction de la voix et émirent un hoquet de surprise, tandis que le Pokémon chien grogna.
Une jeune fille de leur âge marchait calmement vers eux, une expression radieuse sur son visage félin, encadré par de longs cheveux noirs, dont les pointes légèrement bouclés remuaient doucement au rythme de ses pas et tombaient de manière souple et naturelle sur ses épaules carrés. Ses lèvres étaient peintes d’un noir profond, faisant ressortir le rouge flamboyant qui colorait la totalité de sa peau. Les vêtements qu’elle portait mettait en valeur son corps carré anormalement musclé: une petite brassière noire cachant uniquement sa poitrine révélait un abdomen plat et solide ainsi que des bras gonflés par la puissance. Un jean droit de la même couleur lui arrivant à la cheville recouvrait ses cuisses et ses mollets bombés mais laissait libre une grande queue de fourrure rouge striée de noir, dont le bout ondulait de manière nonchalante derrière elle.
« - Va…Valhanya? Balbutia Tili, reculant instinctivement d’un pas.
- Eh bien, pourquoi tu me regardes comme ça? Dit-elle avec un sourire qui fit ressortir deux belles canines. Je ne te plais plus, comme ça? »
Pour la première fois de sa vie, Tili n’eût aucune répartie.
« - Avec une aussi belle créature, comment pouvez-vous ne pas être d’accord avec la Fusion? Dit le Capitaine Vinoth en se dirigeant vers Valhanya. N’est-elle pas magnifique? »
Il passa amoureusement un bras autour de ses larges épaules et la rapprocha doucement contre torse. Valhanya lui sourit et ronronna joyeusement, heureuse de l’attention et de la tendresse du Capitaine.
Iris pouvait physiquement sentir la rage de Tili qui se tenait à côté d’elle. Sa mâchoire inférieure tremblait de colère, ses poings étaient tellement serrés qu’elle put apercevoir les jointures blanchir. Il n’en fallut pas plus pour que le Maître remplaçant explose, une nouvelle fois.
« - Ne la touche pas !
- Tili, non ! » S’écrièrent en même temps Iris et Gladio.
Aveuglé par la fureur et la jalousie, il se rua vers le Capitaine. Il bondit sur lui, leva son poing droit vigoureusement scellé, prêt à lui décocher toute sa haine en un coup dans le visage. Mais il n’en fit rien. Il fut stoppé brutalement par une douleur à l’abdomen qui lui coupa littéralement le souffle. Il émit un son étouffé et se courba, tenant son ventre de ses deux mains. Il tomba à genoux, de la salive suintant de ses lèvres. Le coup de poing du Maître d’Alola était partie à une vitesse formidable et possédait une puissance étonnante.
« - Eh bien, Tili? Dit Valhanya en se penchant vers lui, les poings sur les hanches. Même en combat réel, tu n’es pas capable de me battre? Quel remplaçant de pacotille… »
Comme si elle frappait dans un ballon, elle lui donna un coup de pied dans les côtes. Le corps du jeune homme se souleva et il fut projeté quelques mètres plus loin avant de retomber lourdement à terre, aux pieds de ses deux amis. Tili resta à terre, tremblant de douleur et toussant du sang.
« - Tili ! S’écria Iris en s’agenouillant à ses côtés tandis que Gladio se plaçait debout devant lui afin de le protéger. Tili, tiens bon !
- Iris, fit Gladio entre ses dents. Va-t-en.
- Quoi?
- Va retrouver Lilie. Elle doit être dans ses appartements, derrière le bâtiment. Retrouve ma sœur et arrête-la. Tili et moi, nous nous occupons de Valhanya et de Vinoth.
- Mais Tili est blessé…
- Vas-y! »
Iris sursauta, surprise du ton employé par Gladio, habituellement si calme et posé. Tili se racla la gorge et se releva difficilement, essuyant d’un revers de main le sang qui avait coulé de sa bouche.
« - T’inquiètes, on te rejoindra quand on aura fini, dit-il en essayant d’adopter une posture assurée. On a des comptes à régler avec eux. Et ce n’est pas un simple coup dans le ventre qui va m’arrêter.»
Iris regarda ses deux amis, debout devant elle, faisant face à Valhanya et au Capitaine Vinoth qui les observaient tous les deux d’un air moqueur.
« - Vous allez me faire pleurer, dit l’employé de la Fondation sur un ton théâtral. Mais vas-y Iris, va retrouver Lilie. Elle t’attend, comme l’a justement deviné Gladio, dans ses appartements. »
Il arbora de nouveau ce sourire perfide qu’elle détestait tant, qui lui hérissait les poils sur les bras. Un piège l’attendait là-bas, c’était certain, il ne s’en cachait pas. Il s’amusait et se réjouissait du fait qu’au vu des évènements, elle n’avait pas d’autre option que de retrouver la jeune Directrice. Depuis le début de cette rencontre, les trois adolescents jouaient sur le rythme donné par le Capitaine. C’était à eux à présent, d’imposer le leur. Tili sortit une Pokéball de sa ceinture tandis que Gladio émit un sifflement bref et aigu pour Silvallié qui se mit en position de combat près de son Dresseur, prêt à bondir à tout moment. Iris les observa en silence, constatant chez les deux jeunes hommes une résolution sans faille. Elle comprit qu’ils allaient mener une bataille personnelle, une bataille qu’il leur était nécessaire de mener et qui allait définir la suite de leur existence. Elle réalisa qu’elle aussi, son propre combat et son destin l’attendait, derrière l’imposant édifice.
« - Très bien. J’y vais, déclara Iris sur un ton plus assuré. Vous savez où me trouver.
- On n’en a pas pour longtemps. » dit Tili, un grand sourire provocateur sur ses lèvres.
La jeune fille sortit son fidèle Drattak de sa Pokéball avant de s’envoler sur son dos. Elle ne se retourna pas lorsqu’elle entendit la cacophonie que produisaient les différents rayons et lasers que les adversaires s’envoyaient mutuellement. Les larmes aux yeux, elle demanda à Drattak d’accélérer lorsqu’elle entendit Tili émettre un hurlement inhumain qui éclata dans tout le ciel de l’archipel.
***
Les infrastructures de la Fondation Æther étaient tellement imposantes et semblaient occuper l’archipel tout entier qu’on ne remarquait pas la petite colline qui s’élevait discrètement derrière le bâtiment principal. Sur son sommet fut bâtie la résidence personnelle de la jeune Directrice, une somptueuse demeure mélangeant modernité et élégance.
Bien haute dans le ciel, Iris tournait au-dessus de la villa en repérage, guettant le moindre mouvement suspect. Les environs étaient relativement calme, son Drattak ne sentant aucune présence particulière. Elle croyait parfois entendre les cris de Tili qui résonnaient au loin mais espérait que c’était uniquement son imagination. L’île était grande et elle était suffisamment loin du combat de ses compagnons pour ne plus y être impliquée d’une quelconque manière.
La villa était entièrement éclairée, signe que Lilie - ou bien quelqu’un d’autre - était présent. Après avoir vérifié une énième fois qu’il n’y avait aucun danger venant de l’extérieur, elle décida de s’y rendre.
Sur ordre de sa Dresseuse, Drattak déposa Iris dans le jardin de la villa avant d’être rappelé dans sa Pokéball. L’allée principale était éclairée par de petites loupiotes, montrant le chemin jusqu’à la porte d’entrée. La jeune fille commença à suivre le sentier tout tracé lorsqu’une voix claironnante l’interpella, la faisant sursauter:
« - Iris ! Iris, attends, je t’ouvre, ne bouge pas ! »
Elle leva les yeux et vit Lilie sur le petit balconnet, lui faisant un signe de la main. Elle disparut puis réapparu quelques secondes plus tard sur le perron, invitant Iris à entrer. Frustrée d’être en territoire inconnu et de devoir composer selon les plans de ses ennemis, elle grommela. Mais ce fut sa seule option et elle s’y résigna.
L’intérieur magnifiquement éclairé par divers chandeliers en cristal, était somptueusement décoré par du mobilier et des objets de très grande valeur, qui présentait un travail artisanal remarquable. Bien que le blanc fut, une nouvelle fois, la couleur dominante, la décoration présentait d’autres nuances, notamment dans le pastel que la propriétaire semblait affectionner particulièrement.
Iris n’eût pas le loisir d’admirer plus longtemps l’agencement intérieur, car Lilie la pressait pour qu’elle la suive. Elle avait revêtu une jolie robe blanche d’été à volants sur lequel était agrafé au niveau de la poitrine un noeud fin en soie, de couleur rose pâle. Ses pieds nus foulaient avec grâce et souplesse le tapis de velours bordeaux qui recouvrait les marches des larges escaliers en colimaçon. Iris resta derrière elle et monta les escaliers en silence, ne baissant pas sa garde. Elle espéra que dans cette maison ne l’attendait pas une nouvelle atrocité.
Après avoir atteint l’étage et traversé le couloir, Lillie s’arrêta devant la toute dernière porte du corridor. Elle toqua et ouvrit la porte doucement, sans un bruit.
« - Bonsoir maman ! Fit-elle, enjouée. Iris est arrivée ! Viens, entre ! »
Iris entra dans la vaste pièce dans laquelle flottait la singulière odeur de vanille de Lilie, signe qu’elle passait beaucoup de temps ici. La chambre possédait le strict nécessaire en terme de mobilier mais à l’image de la villa, tous les objets furent des objets de luxe.
Dans le lit, une femme d’une quarantaine d’année dormait paisiblement. Sa peau était grisâtre et son visage était creusé et ridé par la maladie, ce qui lui donnait un air fantomatique accentué par les draps blancs qui la recouvraient. Iris s’approcha du lit et fut frappée par la ressemblance entre Lilie et sa mère malgré l’aspect cadavérique de cette dernière.
« - Nous risquons pas de la déranger? Demanda Iris, évitant tout de même de parler trop fort.
- Non, ne t’inquiètes pas, expliqua Lilie tout en faisant infuser un sachet de thé dans une théière en porcelaine. Elle ne fait que dormir. Parfois, elle se réveille et croit que Gladio et moi sommes encore des enfants.
- Je vois… » répondit la jeune fille, pensive.
A cet instant, elle se sentait sincèrement désolée pour Lilie et réalisa que ces cinq dernières années furent difficile pour elle, mais également pour son frère.
« - Tu as eu l’occasion de rencontrer Valhanya? N’est-elle pas charmante?
- Je ne pense pas que charmante soit le mot, rétorqua Iris avec une grimace. Lilie, pourquoi fais-tu tout ça? Est-ce que cela à un rapport avec ta mère? »
Lilie posa avec une certaine violence la théière sur son socle qui tinta dans un bruit cristallin. Iris décida de creuser cette hypothèse.
« - J’ai vu comment la Fusion a disons… guéri Valhanya, expliqua-t-elle en mimant des guillemets au mot ‘guéri’. Bien qu’elle ait l’air d’avoir subi un lavage de cerveau, la Fusion l’a sorti du coma et si on enlève ses caractéristiques physiques particulières dû à son Félinferno, elle est plutôt en bonne santé. Veux-tu faire la même chose avec ta mère? Essayer une nouvelle forme de fusion sur elle afin de la guérir?
- Tu parles de ça comme si tu connaissais tout de la situation, dit Lilie d’une voix rauque, le dos tourné à son invitée. Qu’est-ce que Gladio t’as raconté comme idioties?
- Il ne m’a rien raconté du tout. Je formule des hypothèses avec les informations que j’ai. Tu veux en parler, c’est ça? Sinon, pourquoi m’aurais-tu emmenée voir ta mère? Tu as une assez grande villa pour qu’on puisse discuter autre part. »
Lilie écoutait tout en continuant de faire son thé machinalement. Iris sentait une certaine tension émaner de son amie.
« - Réponds moi, Lilie. Tout ton discours sur le fait de devenir des Dieux, tu ne le penses pas vraiment, n’est-ce pas? Tes recherches et ta collaboration avec la Devon SARL ont pour seul et unique but de guérir ta mère.
- Je t’ai dit d’arrêter de faire la fille qui sait tout ! »
La tasse se fracassa contre le mur dans un bruit de porcelaine brisée. Iris avait tout juste eut le temps de se baisser et de couvrir sa tête afin d’éviter le projectile et ses débris.
Le visage de Lilie était rouge de colère, ses yeux remplis d’animosité pour son invitée.
« - Qu’est-ce que tu en sais, de ma relation avec ma mère? S’écria Lilie, devenue soudainement hystérique. Elle m’a rejetée, reniée ! Affirmant que je lui faisais honte, que je n’avais aucune ambition dans la vie, que je servais et servirai à rien ! Et voilà que je suis en train de réaliser le plus grand projet de notre ère, le plus grand projet de l’espèce humaine, que je présente fièrement à mes soi disant amis qui ont tous décidé de se liguer contre moi !
- Lilie, il faut que tu comprennes que…
- C’est toi qui doit comprendre ! »
Lilie hurlait à présent, pointant un doigt tremblant vers Iris qui essayait d’adopter un faciès calme et posé. En réalité, son cœur battait la chamade et elle dû faire un véritable effort physique pour éviter de montrer ses tremblements.
« - Pourquoi? Pourquoi personne ne comprend mes recherches? Mes ambitions? Je veux que nous vivions tous à notre plein potentiel. Actuellement, nous sommes incomplets. La Fusion, le PokeFlow nous permettront d’être enfin nous-mêmes, de nous débarrasser de toutes les imperfections que possède le corps humain. Tu l’as dit toi-même, Iris ! Valhanya est en excellente santé alors que cela faisait six mois qu’elle était dans le coma !
- Mais Valhanya n’est plus elle-même ! Elle a attaqué Tili !
- Ah! Arrête d’être aussi naïve par rapport à Tili et Gladio, ils… »
Lilie fut coupée par le bruit d’une petite alarme qui se fit entendre dans la pièce. Soudainement paniquée, elle se rua sur son sac à main posée sur un fauteuil rembourrée couleur rose pastel, fouilla à l’intérieur et en sortit un petit appareil portable dont l’écran clignotait en rouge. Elle eut un hoquet d’horreur.
« - Non… Non, non, non, non ! Pas ça !
- Lilie? Risqua Iris. Qu’est-ce qui se passe?
- Ils attaquent la réserve de PokéFlow ! Hurla-t-elle d’une vois sur aigue. Si on détruit la réserve, ça sera une véritable catastrophe ! »