Le Renouveau de Valhanya

« - J’ai peur Sacha. J’ai peur de ce qui peut se passer ici.
- Je suis désolé Iris, je ne pensais pas que le séjour allait prendre une telle tournure. J’aurais dû venir avec toi…
- Personne n’aurait pu prévoir. »
Iris renifla discrètement et s’essuya les yeux avec un mouchoir en tissu. Après le départ de Lilie, elle s’était immédiatement réfugiée dans sa suite de luxe et relâchant la pression, avait pleuré toutes les larmes de son corps. Entre deux sanglots, elle s’était entretenue avec son Drattak, s’excusant des dizaines de fois pour ce qu’elle lui a ordonné de faire contre le Tentacruel. Le Pokémon dragon, tout aussi abattu qu’elle, ne lui en tint pas rigueur et la consola. Fatiguée par les évènements, les émotions et l’incompréhension, elle s’était finalement endormie contre les grandes ailes de son Pokémon et s’était réveillée en début de soirée. Elle se força à sortir et à dîner à l’extérieur, puis elle rentra et appela Sacha pour lui narrer le cauchemar vécu en mer et les retrouvailles troublantes avec Lilie. Durant son récit, elle s’effondra une nouvelle fois en pleurs, déstabilisant Sacha qui se trouvait totalement impuissant face à la détresse de son amie.
« - J’irai demain à la Fondation, reprit Iris. Elle m’a dit qu’elle m’arrangerait un entretien avec ce fameux capitaine Vinoth. Elle m’a confirmé ça un peu trop facilement d’ailleurs.
- Je sais que c’est dur mais il faut que tu rassembles le maximum d’informations possibles sur cette Fondation et les travaux de Lilie.
- Je sais Sacha, je sais. Je veux aussi découvrir la vérité. Je veux sauver Lilie. Elle est devenue… Bipolaire. Sa manière de pensée a changé également. La Fondation est censée sauver les Pokémon, n’est-ce pas?
- Oui, confirma Sacha. Des bienfaiteurs qui recueillent les Pokémon démunis et les sauvent de leur misère ou de Dresseurs violents. C’est l’image qu’ils véhiculent au public.
- Drôle de méthodes de sauvetage… »
Un silence s’installa entre les deux jeunes gens. Iris se moucha de nouveau. Son nez et ses yeux étaient sensiblement irrités par les pleurs à répétition, une migraine lui martelait le crâne.
« - Je vais me coucher, Sacha.
- Pas de problèmes. Appelle-moi s’il y a quoi que ce soit. Fais attention à toi, s’il te plaît.
- Ne t’inquiète pas, mes Pokémon sont avec moi. »
Elle raccrocha après lui avoir souhaité bonne nuit, puis partit directement se coucher dans son lit king size. Contre toute attente, elle s’endormit presque instantanément mais eut un sommeil agité, dans lequel elle voyait le Tentacruel diriger ses longs tentacules vers elle. Elle ne savait pas s’il voulait l’emprisonner ou bien s’il voulait qu’elle le sauve. Il émettait une longue plainte, qui jouait inlassablement une mélodie mélangeant rage et désespoir et qui hanta Iris pendant toute la durée de son sommeil. A son réveil, les images et le cri n’avaient pas disparu et restaient constamment en sourdine dans un coin de son esprit.

***

La Fondation Æther était basée sur une île artificielle en plein centre de la région d’Alola. L’ensemble de l’îlot leur appartenait et en plus des locaux, bureaux et laboratoires de recherche, un refuge Pokémon avait été construit au sein du bâtiment afin de pouvoir les recueillir et les soigner. Un yacht privé, personnellement mandaté par Lilie, avait conduit Iris jusqu’à l’archipel. Après l’incident de la veille, le jeune Maître d’Unys ne se sentait pas en sécurité à bord du petit bateau et tout le long du voyage, avait guetté une lumière rouge au fond de l’océan. Même les différents Pokémon aquatiques typiques de la région qu’elle avait pu apercevoir à la surface de l’eau n’avaient su détourner son attention et la rassurer. C’est donc avec un grand soulagement qu’elle débarqua sur les quais de la Fondation, sur lesquels Lilie l’attendait avec impatience.
« - Iris ! Comment vas-tu? Tu as passé une bonne nuit? »
A peine Iris eut posé un pied sur la terre ferme que Lilie se rua vers elle, toute souriante et rayonnante dans un nouveau tailleur de couleur rose pastel. Epuisée, Iris se laissa aller dans les bras de son amie et le temps de l’étreinte, s’autorisa à tout oublier. L’incident, le comportement de Lilie, ses peurs, tout ce qui avait pu se passer ces dernières vingt-quatre heures qui avaient été éprouvantes pour elle, aussi bien physiquement que psychologiquement. Son doux parfum de vanille flottait toujours autour d’elle et Iris s’enivra de son odeur. Des souvenirs de Kanto et de leur rencontre remontèrent à la surface et elle dut se contrôler pour ne pas se mettre à pleurer. Tout paraissait si simple, il y a cinq ans de cela…
« - Iris?
- Oui, pardon… J’ai dormi mais j’ai eu un sommeil plutôt agité.
- C’est compréhensible. Ménage-toi, Iris »
Comme à son habitude, Lilie l’embrassa sur les deux joues et posa sur elle un regard attendrie tandis qu’Iris essuyait discrètement une larme. Elle se racla la gorge et essaya d’adopter une posture plus assurée.
« - C’est donc ici que tu mènes tes recherches… fit Iris en observant le grand bâtiment principal qui s’érigeait fièrement au centre de l’île.
- C’est ça. Suis-moi, je vais te faire visiter les principaux locaux. »

Jamais Iris ne vit de d’édifice semblable à celui de la Fondation Æther. La structure intérieure était conçue d’une telle manière que le bâtiment semblait ne présenter aucune limite architecturale. Les corridors se déployaient à perte de vue, de part et d’autre du hall principal à travers tout le bâtiment. Iris leva la tête et eut presque le tournis en voyant la hauteur vertigineuse du plafond, surplombé par un gigantesque et magnifique dôme en verre qui laissait filtrer la lumière du soleil tropical d’Alola tout en apportant une chaleur modérée et agréable. Elle compta en tout sept étages, dont les couloirs affluaient d’employés, traversant le bâtiment d’un pas rapide et pressé ou discutant entre eux. Etrangement, toute cette activité pourtant intense, ne produisait qu’un léger brouhaha et l’ensemble du bâtiment était relativement calme. L’infrastructure était à la pointe d’une technologie et d’une modernité raffinée, très différente de ce que à quoi Iris était habituée chez elle, à Unys.
Cependant, malgré une architecture certes disproportionnée mais axée sur l’ouverture et l’épuration, Iris ressentit la même sensation d’oppression, lui rappelant le Foyer Æther. Elle y retrouva ce blanc immaculé et impersonnel, couleur phare et caractéristique de la Fondation, qui recouvrait la quasi totalité de l’édifice, à l’intérieur comme à l’extérieur.
« - Viens, je vais d’abord te faire visiter un de nos refuges! » s’exclama Lilie, enthousiaste.
Comme lorsqu’elles étaient plus jeunes, Lilie prit Iris par la main et l’entraina dans un des multiples ascenseurs de verre qui étaient disposés un peu partout dans le hall principal. Elle passa sa carte d’accès dans un des multiples boitiers présents sur le tableau de commande et appuya sur le sixième étage. Sans une secousse ni un bruit, l’ascenseur se mit en marche et monta rapidement vers sa destination. Un léger signal sonore leur indiqua l’arrivée et dans un coulissement velouté, les portes s’ouvrirent. Tenant toujours son amie par la main, Lilie la guida prestement à travers divers couloirs identiques dans leur configuration, dans lesquels elles croisèrent de multiples employés qui saluaient de manière très protocolaire leur jeune Directrice. Ils étaient tous affublés du même uniforme blanc; Iris ne remarqua aucune variante au niveau des vêtements, ni aucun signe permettant de distinguer leur poste ou leur grade au sein de la Fondation.
Enfin, elles passèrent une grande porte coupe-feu, et pendant un moment, Iris crut qu’elle avait rejoint l’extérieur du bâtiment.
« - Mais… Nous sommes encore à l’intérieur? Balbutia Iris, surprise.
- Oui, répondit fièrement Lillie. Ce sont des espaces crées artificiellement pour les Pokémon afin que nous puissions les soigner et les réintégrer à la nature dans les meilleures conditions possibles. »
Des Pokemon qu’Iris n’avait jamais vu mais également des Pokémon connus de sa région mais qui présentaient une forme différente couraient, jouaient ou se prélassaient dans une forêt, une rivière ou encore un champ. Iris fut émerveillée et avec l’autorisation de Lilie, pénétra dans le refuge à la rencontre des bêtes.

Plusieurs employés surveillaient et prenaient soin des Pokémon présents. Iris s’extasia devant un Miaouss violet affichant une attitude très fiere. Elle commença à discuter avec un des employés présents en lui posant de multiples questions sur la forme unique de ce Miaouss.
« - C’est un Miaouss d’Alola, expliqua-t-il tout en caressant la queue du Pokémon chat. Il a adopté cette forme afin de pouvoir s’adapter à la région. Plusieurs Pokémon ayant migré chez nous ont présenté ce phénomène. »
Pendant toute une partie de l’après-midi, Iris oublia totalement l’atmosphère pesante du bâtiment ainsi que les raisons de sa venue à la Fondation et s’amusa avec Lilie qui lui présentait tous les Pokémon exclusifs à la région d’Alola. Les deux jeunes filles apprécièrent ce moment chaleureux. C’étaient leurs réelles retrouvailles, ponctuées d’anecdotes en tout genre et de fous rires. Durant ce court instant, Iris retrouva Lilie, la jeune fille perdue à Kanto rencontrée cinq ans plus tôt. La jeune fille naturelle, attachante et innocente qui était devenue par la suite une amie chère à son coeur.
Ce fut la dernière fois qu’Iris vit Lilie être réellement elle-même.

***

Le Capitaine Vinoth était plus jeune qu’Iris ne l’avait imaginé. Au vu des évènements et de la philosophie de l’escouade de sauvetage, elle s’attendait à un homme d’âge mur à l’attitude assez martiale. Ce fut non sans surprise qu’elle serra la main à un jeune homme d’une vingtaine d’année, souriant et à l’air décontracté. Iris s’en méfia tout de même, n’écartant pas l’hypothèse que ce visage radieux pouvait en réalité cacher une personnalité perfide.
« - Enchanté de vous rencontrer, Maître Iris, dit-il d’une voix voluptueuse. Je suis heureux de voir que vous n’êtes pas blessée suite à l’incident de hier.
- On ne peut pas dire que tout le monde ait eu cette chance. » répondit Iris sur un ton cassant.
Le Capitaine Vinoth eut un sourire triste et désolé. Ses yeux d’un bleu océan présentaient quelque chose d’hypnotique et semblaient scruter dans ses moindres détails le visage d’Iris, ce qui l’irrita. Ses cheveux châtains étaient soigneusement coiffés avec du gel et une petite barbe propre et travaillée recouvrait le bas de son visage rond. Sa peau absorbait régulièrement les rayons de soleil, son teint halé joliment coloré ressortait dans l’éternel uniforme blanc immaculé. Dans d’autres circonstances, Iris aurait pu le trouver charmant mais à cet instant précis, elle ne ressentait uniquement que de la méfiance vis-à-vis du jeune homme.
« - C’est le pire incident qu’Alola ait connu ces dix dernières années, expliqua le Capitaine Vinoth. Nous nous sommes occupés des passagers qui avaient réussi à s’enfuir grâce à des Pokémon volant et nous avons également ouvert une cellule psychologique.
- Très bien, bonne initiative. J’ai justement quelques questions à vous poser concernant la… Gestion de cet incident par votre escouade de sauvetage.
- Avant tout de chose Iris, coupa Lilie, le Capitaine Vinoth et moi-même souhaitions te montrer quelque chose.
- Qu’est-ce que c’est?
- Suis-nous. »

Après avoir traversé d’autres couloirs identiques aux précédents, ils empruntèrent un petit ascenseur fermé qui cette fois-ci, descendit dans les sous-sol de la Fondation. Iris fut à peine surprise de constater la présence de locaux souterrains et dissimulés. L’agencement des corridors fut la même qu’à la surface et après avoir franchi une porte blindée à multiple cartes d’accès et mots de passe, Iris se retrouva dans une immense salle remplie de diverses machines technologiques dont elle devina la complexité. Dans la pièce, un étrange Pokémon noir et blanc sans visage, possédant cinq membres qui ressemblaient à d’étranges tentacules déambulait de manière nonchalante. Il ne s’intéressa pas aux nouveaux arrivants.
« - Quel est ce Pokémon? Demanda Iris, surprise.
- L’obsession de ma mère, répondit Lilie d’une voix sombre. C’est une espèce appelée Ultra-Chimère, venant d’une dimension parallèle à la notre qu’on appelle Ultra-Brèche. Celui-ci se nomme Câblifère. »
Lilie narra les évènements survenus cinq ans plus tôt et la vraie raison de sa venue à Kanto. Iris écouta le récit attentivement mais resta bouche bée devant les découvertes de la Fondation Æther lorsque celle-ci était dirigée par Elsa-Mina, la mère de Lilie.
« - Le problème est que depuis la fuite de Lunala, nous n’avons plus assez d’énergie pour garder les Ultra-Chimère dans notre dimension, ce qui retarde nos recherches, expliqua Lilie tout en caressant le Câblifère. Parfois, leur corps se perd dans l’espace-temps et ils ne sont plus visibles dans notre monde. 
- Est-ce que ce Câblifère était présent lors de l’incident? Demanda Iris après réflexion. Une attaque de type électrique et une Cage-Eclair ont été lancées contre le Tentacruel mais je n’ai vu aucun Pokémon.
- Oui, c’était bien lui, confirma le Capitaine Vinoth. Je pense que son corps s’est perdu à ce moment-là.
- Ou que vous l’avez délibérément dissimulé. »
Iris défia du regard le jeune Capitaine qui resta silencieux, attendant la suite de l’explication.
« - Pendant que mon Drattak lançait son Ultralaser, j’ai aperçu un mouvement de retour à une Pokéball. Cependant, la lumière de l’attaque m’empêchait de voir quel Pokémon avait été ramené vers son propriétaire. Vous avez utilisé le fait que Câblifère puisse devenir invisible pour piéger ce Tentacruel puis, vous vous êtes servis de moi afin de pouvoir le rappeler en toute discrétion au cas où son corps réapparaitrait dans notre monde. Mon attaque ne servait pas à affaiblir Tentacruel mais uniquement à cacher vos actions. Vous avez planifié de tuer ce pauvre Tentacruel depuis le début, vous n’aviez pas besoin de moi pour vous aider, vos Dracaufeu sont assez puissants.
- Je n’en attendais pas moins du Maître d’Unys, dit le Capitaine Vinoth avec un sourire malicieux qui ne plut pas à l’intéressée. Vous avez une amie très intéressante, Mademoiselle la Directrice.
- Dites-moi la vérité sur cet incident. Pourquoi ce Tentacruel avait une morphologie anormale et un comportement aussi violent?
- Viens Iris, la visite n’est pas finie. »
Après une dernière caresse à l’Ultra-Chimère électrique, Lilie se dirigea au fond de la salle vers une deuxième porte blindée dont le système de sécurité fut identique à la précédente. Irritée, méfiante et inquiète, Iris entra dans la nouvelle pièce, suivie du Capitaine Vinoth.
Son cœur manqua un battement lorsqu’elle la vit.
« - C’est… Par Arceus, mais qu’est-ce que c’est que ça?! S’exclama Iris, choquée.
- L’évolution Iris, répondit Lilie d’une voix lugubre avec un sourire machiavélique presque imperceptible. Le futur des humains et des Pokémon. »