Comment elle pénétra dans ma vie
Je pouvais pas le dire à M'man. Déjà qu'elle était pas trop là à cause des problèmes des villageois, si en plus elle apprenait qu'elle avait donné naissance à un bestiau tel que moi. J'pouvais pas lui rajouter tant de problèmes sur le dos.
Puis, surtout rien m'indiquait que c'était réel. Je veux dire pt'être que j'ai trop pioncé hier soir ? C'était pt'être qu'un rêve, non ? Comment est-ce qu'j'pouvais croire que c'était la réalité si, là, en m'regardant dans le miroir, j'voyais rien d'autre que mon reflet. Les mêmes cheveux ébouriffés que la veille.
Le miroir reflétait aussi les champs de baies, derrière ma fenêtre, qui s'étendaient à l'infini. Et la montage de travail qui allait avec, tout ce travail pour bibi !
Le même train-train s'enchaînait.
Arroser.
Récolter.
Labourer.
Amasser.
Transporter.
Poser.
Et, enfin, manger.
Ça aurait bien que ça m'occupe toute la journée. Mais, aujourd'hui, j'sais pourquoi j'ai tout fait plus vite. On peut dire que j'l'ai bien terminée cette montage de tâches à la ferme. Et tout seul, pardi ! J'ai travaillé comme une bête. C'est vrai qu'j'avais moins de mal à transporter les gros paniers remplis; on aurait dit qu'un tas de plumes à transporter. J'ai mis aussi moins de temps à traverser les hectares de la ferme, j'allais plus vite peut-être parce que j'voulais en finir avec cette journée.
Non j'avais écouté ce phénomène le doc du village en parler à des gamins ; j'crois qu'ils appellent ça la puberté. Ça rend fort et apparaît sans qu'on le sache. Si ça m'permettait de filer me promener, c'était tant mieux !
Enfin, j'aurais pu m'reposer tranquillement l'aprèm. A regarder le ciel couché dans les fleurs près de l'étang d'à côté. Mais non, fallait bien qu'autre problème se pointe. Ce problème se traduisait par la venue de M'dame Grossellia ; la prof de Pokémon du village. J'comprends pas qu'on perde autant de temps avec ces choses-là. Aujourd'hui, elle v'nait voir ma mère mais c'était qu'elle était pas là. J'crois qu'elle m'avait parlé d'aller en ville pour une course de M'sieur Duron.
Bref, M'dame Grossellia s'était pointée avec son pigeon bizarre là tout rouge qui danse tout le temps. J'suis sûr que les voisins l'auraient trouvé bons au four. Mais bon soi-disant qu'il faut pas "manger" les Pokémon. Enfin, bref, elle s'est pointée en sonnant à ma porte. J'crois que c'est actuellement l'une des seules qui sonnent chez nous avant de passer le portillon ; les autres du village sont trop occupés à se presser de défoncer la porte pour nous parler.
Son problème était pas facile à comprendre vu qu'j'y connaissais rien en Pokémon. Elle m'a expliqué que chaque matin elle faisait sa balade dans le bois d'à côté, là où M'sieur Paquelle aurait disparu. Et qu'elle n'aurait pas vu les Candine de d'habitude. Du coup, elle a trouvé ça bizarre et a jugé bon d'venir en parler à ma mère. A c'qui paraît les Croquine et Candine seraient une "part importante de notre patrimoine culturel" ; à part embaumer les bois d'leur parfum j'vois pas à quoi y servaient.
J'lui ai dit que j'irai et elle m'a conseillé d'y aller maintenant avant que le soleil se couche plus même si ça faisait depuis longtemps qu'j'le voyais plus. Il allait bientôt faire nuit noire. Mais bon, j'en avais marre d'entendre son cours sur les particularités de la région et du climat pour les Pokémon et les Hommes.
Alors j'ai pris ma veste, elle m'a suivi jusqu'à temps que je sorte et parlait de tout, de rien.
Bla bla bla, les Candine sont mignonnes parce que bla bla. Les Croquine résistent moins parce qu'elles ont pas bla bla.
J'me suis dirigé vers les bois et elle me suivait plus mais j'aurais pas su dire à quel moment, elle m'avait quitté mais le v'là ce fameux bois.
C'est vrai qu'il empestait moins le sucre que d'habitude mais bon pas d'quoi s'inquiéter. Mes narines s'en porteraient mieux.
Je saurais dire si j'ai marché pendant longtemps mais j'voyais moins bien parce qu'il faisait si sombre qu'j'voyais plus le bout de mon nez. J'allais rentrer de toute façon, plus qu'à faire le chemin à l'envers, mais par où ?
Alors que j'y pensais, j'ai croisé une image que j'ai su qu'j'pourrais jamais oublier.
Elle était revenue.
Elle était là sous mes yeux, la chose qu'j'avais vu la veille, dans mon rêve. Enfin, ces deux yeux rouges qui m'fixaient ; j'les avais bien déjà vus. C'était pas un rêve, bien une réalité, elle m'avait déjà mordu la saloperie. Et M'sieur Paquelle aussi été là. Enfin plus là. Il était présent mais absent. C'est-à-dire qu'il y avait un trou gigantesque au milieu de son corps. La bête m'avait pas vue et dévorait un reste de Dodoala. La patte en moins du p'tit Pokémon offrait une vision terrible à ce tableau. J'étais pas au courant qu'il pouvait lâché son bout d'bois. J'savais pas non plus qu'il y avait autant de sang qui pouvait sortir de là, dedans.
Je sais pas ce que j'ai fait. J'ai dû me reculer, dégoûté de tout ça. Peut-être que j'ai émis un bruit de dégoût, un soupir de surprise ? Peut-être que j'ai respiré trop fort ? Mais il a jeté son morceau - ça m'écoeure rien que de le dire - de Dodoala au sol et a retourné sa tête pour me voir sans bouger son coeur.
Sa langue a glissé le long de ses dents aiguisées et ses yeux rouges ont grossi. Il a tendu ses poings vers le sol, ses griffes dégoulinaient de sang et ce sang tombaient pas au sol mais sur le cadavre de M'sieur Paquelle. C'était une véritable boucherie.
Soudain, je tombai. Mes jambes se rétrécirent ; se divisèrent. Ce qui était au nombre de deux étaient devenues quatre longues pattes poilues blanches, où au plus haut des nuances orangées se distinguaient, me forçant à ne plus me tenir debout mais à quatre pattes comme un Pokémon, comme une bête, comme un monstre. De mon corps s'était étendu une queue blanche qui fouettait l'air comme pour chasser l'invisible. Je sais pas si le pire c'était qu'mon nez s'était allongé en un long museau au bout marron ou si c'est que j'parvenais plus à me carapater. Mes cheveux s'étaient regroupés au-dessus de ma tête et j'sentais bien que quelque chose était apparu là-dessus.
Et là, quand j'étais au sol, au milieu de ce silence mortuaire d'un chasseur qui traque sa proie qui sait même pas se déplacer. Sauf que j'étais pas le chasseur mais le chassé. Des rochers sont sortis de nulle part alors que la bête hurlait. Et dès qu'ils sont tombés au sol, j'ai hurlé à la lune. Un rocher m'est tombé sur la patte avant.
Mais le plus effrayant c'est qu'il m'a pas achevé.
Il a hurlé avec moi à la lune.
L'espace d'un instant, on bougeait plus, on était face à face, et on hurlait.
Je voyais plus rien, les yeux fermés, cette symphonie résonnait en moi.
Elle avait quelque chose de bestial, d'une bestialité qui vous confine à l'apaisement.
Alors j'ai hurlé à la Lune avec lui, à croire que je passe plus de temps à me promener sous la Lune qu'à voir le Soleil maintenant.
Sauf que son hurlement a pas continué, on chantait bien pourtant tous les deux. Il a gémi une première fois et j'ai rouvert les yeux. Dès que j'ai perçu à nouveau le monde, une flèche m'a longé le visage, m'a fait perdre un cheveu et est venu se planter dans les jambes de la bête. J'ai tendu ma main. Une autre flèche m'a devancé et, alors que la bête tombait au sol, est venue se planter pile dans sa crête. Il est tombé au sol, sans hurler.
"Fais un pas et je ne vous manquerai pas" a affirmé une voix dans mon dos. Elle me faisait pas peur parce qu'elle était la chose la plus humaine que j'avais entendu depuis longtemps ; une des voix les plus douces que j'avais jamais entendu.
Alors que je voyais cette fille, devant mes yeux, s'approcher de la bête et ranger son arbalète.
Alors qu'elle retirait la flèche de la crête de la bête et qu'elle se retournait vers moi.
Alors que ses cheveux bruns tombaient devant son visage.
J'ai senti quelque chose qui coulait là, sur ma joue.
Et j'ai hurlé.
J'ai hurlé à la Lune.