Comment tout commença
Le monde ment. Ils disent que quand on meurt, on voit toute sa vie défiler devant ses yeux. Pourtant, c'est un mensonge. Parce que moi, je n'ai vu qu'elle.
J' vivais dans un petit village pas très connu des touristes. Un p'tit hameau près de la montagne, je crois qu'on n'était même pas sur la carte de la région. Tellement, on était paumé au milieu de nulle part. Mais, moi, j'habitais quand même dans ce trou à Rattata. Pourquoi je dis ça moi ? J'aime pas les Rattata. Ni même les Rattatac. J'aime pas leur pelage charbon. J'aime pas leurs moustaches comme électrisées. J'aime pas quand ils viennent m'bouffer tout mon stock. J'aime pas ces bêtes.
J'aime pas les Pokémon. Ils sont petits, ils crient partout et tout le temps. Ils grandissent, changement physiquement - mais moralement aussi – et prétendent devenir vos copains. Je veux pas qu'ils deviennent mes amis. Un jour, sans crier garde, ils me quitteraient et me laisseraient seul comme ma mère fut délaissée, seule. Une bonne femme, ma mère ! Elle se débrouille comme une pro à la ferme. Elle a pas eu besoin de mon père pour vivre. Depuis que son Persian l'avait quittée, elle a pas eu besoin de Miaouss non plus ni de sales Pokémon, ni même de mon père et encore moins d'un Denticrisse. Ma mère est forte ; c'est la chef du village tellement elle en impose. Quinze ans qu'elle vit là, quinze ans qu'elle tient la ferme, quinze ans qu'elle m'élève seule. Maintenant, je l'aide aux champs ma mère. On vit des Baies qu'on produit mais aussi de nos échanges avec les voisins. Baies, œufs, légumes, céréales, eau ; on manque de rien. Notre quotidien monotone au village, c'est notre vie. On est loin de ces urbains, qu'on voit partout dans ces émissions de dégustation de Malassada, ou ces crâneurs qui font je ne sais quelle sorte d'études sur les bêtes. On est loin aussi des acteurs qui passent dans les films du Pokéwood. On est loin des comédiens qui jettent strass et paillettes partout. Nous vivons, au jour le jour, notre journée banale, nous souciant seulement de nos repas.
Alors c'est ce jour-là, quand ma mère me réveilla pas ; que mon quotidien se brisa. Un cri. Pas la douce voix maternelle, non. Bel et bien un cri encadré de pleurs. C'était pas ma mère qui criait. C'est quand j'suis descendu en pyjama à moitié encore endormi que j'ai discerné Madame Paquelle en train de pleurer à grosses larmes. Elle venait souvent Madame Paquelle entortiller ses longs cheveux blonds en parlant à ma mère, de ses problèmes, de ses ragots, de ses nouvelles, de tout et de rien. Là, elle pleurait tellement qu'elle avait, au moins, dû réveiller les maisons voisines.
“Je vous l'ai dit, répétait-elle d'une voix bouleversée, c'est qu'il est parti en forêt, la nuit dernière, pour aller pêcher une truite rare qu'il disait. Et ce matin, v'là qu'j'retrouve un morceau de son veston déchiré. Il est parti, je vous le dis. Parti !”
Et elle éclata à nouveau en sanglots. Le morceau de tissu qu'elle avait lâché devant elle, sur la table, ne semblait pas être un bout de veste. Surtout pas celle de Monsieur Paquelle, lui qui était toujours élégant et si finement habillé. Son vêtement apparaissait aujourd'hui sur la table comme un haillon de tissu, un chiffon troué de bas en haut comme s'il avait été dévoré. Elle avait sûrement compris ma mère que si Monsieur Paquelle était encore en vie, alors il devait gambadait sans vêtements dans les bois. Une chose était sûre, il mourrait pas de froid vu la chaleur accablante qu'il fait toujours chez nous. Peut-être que c'est à cause du volcan sur la montagne voisine qu'il fait si chaud. Un volcan éteint, de ce que ma mère m'a dit, qui accueillait autrefois un Gardien ou Totem ou je sais quoi, selon les légendes ou c'qu'avait consommé les vieux de la veille. Je connais pas grand chose de plus car ma mère me jette le genre de regard qui tétanise, chaque fois que j'en parle.
En tout cas, malgré cet événement de Madame Paquelle chez moi, j'avais pas de temps à perdre. J'ai couru aux champs, j'ai retourné la terre, planté les semences, arrosés les anciennes et nouvelles pousses, récolté les Oran à maturité, enlevé les mauvaises herbes qui poussaient sur les Repoi et, le bras avec un panier d'une palette de baies différentes, je rentrai chez moi. Une journée bien banale, pour sûr !
Sur la place, y avait un petit regroupement de villageois. Je voyais Madame Boutant et son chapeau volumineux qui tapait l'épaule de Monsieur Carly qui, lui, grattait nerveusement sa barbe. Je me suis approché de ces cinq gugusses pour comprendre leur sujet de conversation. Bah c'était plutôt simple. Un des Dodoala de Monsieur Clavier avait disparu dans la nuit et il pouvait donc pas en donner à Madame Rotin. Elle était devenue rouge Madame Rotin quand elle avait appris ça. Jamais elle n'avait été aussi rouge qu'une tomate ; jamais elle ne s'énervait, jamais elle ne criait, mais aussi, jamais on ne lui avait enlevé son Dodoala farci à Madame Rotin ! Alors c'est quand Monsieur Clavier lui annonça la disparition d'une de ces bêtes, qu'elle entra en ébullition et partit, énervée, en prononçant des mots que j'oserais même pas répéter chez moi. C'est bien fait pour elle, au final, cette mangeuse de viande. Jamais compris comment on pouvait manger d'ça ! Moi ce qui m'intriguait plus, c'était comment il avait disparu, dans la nuit, en plus. Je savais que cette affaire allait retomber sur maman qu'elle allait ensuite me dire de m'en occuper. Cette énigme ; elle était loin d'une simple évasion, loin d'être finie.
Le soleil tarda pas à se coucher et un nouveau jour se leva. Mon intuition était bonne puisque, dans l'après-midi, Madame Rotin avait accouru chez moi pour témoigner à ma mère "le blasphème dont son pauvre esprit a été victime, le jour dernier, au milieu de son estomac en détresse insatiable." Ça, pour sûr, elle parlait bizarrement Madame Rotin. Elle disait beaucoup de choses jolies pour en dire peu. Au final, ma mère m'a bien chargé de cette affaire. Bien sûr, chaque fois que des choses plus mystérieuses qui ne se résolvent pas avec une once de logique : bah c'est bibi et ses sens « aiguisés » qui s'y collent. Et oui ! Monsieur Beladonis de la télé n'a qu'à aller se coucher. Et c'est ce qui entraîna mon investigation du jour suivant.
Errant dans les champs voisins de Monsieur Paquelle, non sans jeter un regard noir au bétail qui croisaient mon regard, des tachetés, des poilus, des zébrés, des poisseux, des pattes plus grosses que ceux d'un petit animal figuraient au milieu des bêtes endormies. Comment on avait pu perdre de vue un Dodoala qui passe ses journées et nuits à dormir ? C'était n'importe quoi ; comment est-ce qu'ils avaient pas pu voir des empreintes qui faisaient plus de deux fois la taille de mon pouce ! Je les ai suivies ces empreintes et j'aurais peut-être pas dû, ce jour-là, m'y intéresser davantage. Je m'en souviendrai probablement toute ma vie. De cette fin de soirée qui a changé ma vie.
Les dernières lueurs du crépuscule brillaient. Un mélange de couleurs, qui se fait entre le ciel orangé et l'herbe rougeâtre sous ces derniers éclats, éclairait les baies déjà colorées de toute sortes ; cette fusion de couleurs provoquait une véritable beauté artistique, entre le crépuscule et la nature, une véritable palette d'artiste qui se dessinait. Au milieu du vert des baies, je distinguais deux points rouges. Deux points rouges qui n'étaient ni des Ceriz, ni des Mepo. Pas non plus des Fraive en période de pleine maturation ; non, ces deux points rouges étaient distincts au milieu des buissons à baies. Je n'y avais pas vraiment prêté attention, ébloui par le paysage, mais, ils étaient animés. Ils me fixaient quand j'étais immobile. Ils me suivaient du regard quand je marchais. Ils se plissaient quand je courais au loin. Ces deux points rouges étaient bel et bien vivants. Qu'étaient-ils donc ? A qui appartenait-il ? Il n'y avait qu'une façon de la savoir, il fallait le voir pour le croire.
Je marchai.
Mes pas avançaient en leur direction.
Ma vision s'affinait.
Mais les points reculaient.
Au fur et à mesure que je m'approchais, ils s'éloignaient.
Cette marche saccadée était inutile puisque sans fin. En quelques minutes à peine, je m'arrêtais, cherchant de la raison là où je ne trouvais rien pour me rassurer et ils disparurent. J'étais seul au milieu de vert, le noir était monté plutôt rapidement ce soir-là. La palette s'était ternie par l'apparition de deux protagonistes dans son paysage. Je ne tardai pas à ne pas être rassuré. Les feuilles.
Les feuilles s'écrasaient, les unes contre les autres, et les deux cercles rouges reparurent, plus gros encore, plus écarlates encore, plus sanguinaires qu'auparavant.
A cette distance, je devinai aisément qu'ils étaient bien des yeux.
Ils me pétrifiaient.
A cette vision de la fin, s'ajoutèrent des grognements graves. Le choc serait rude s'il me trouvait. Pourquoi j'm'étais pas enfui ? J'avais peur, certes, mais j'étais fasciné par cette figure qui avait rien d'un humain, pour sûr. Le corps de ce qui semblait être une bête énorme s'élança sur moi comme un chat sur sa proie. Il me domina brutalement, et, à peine quelques dents de moi, sa bave tombant sur mon visage, il m'avait transformé en simple morceau de viande. Ça faisait mal. Trop mal. Tout ce qui se passa ensuite fut le noir complet, dans mon esprit comme dans ce qui aller se passer.
Un goût amer dans ma bouche me réveilla. J'étais toujours dans le champ mais il n'était plus là. La lune était haut dans le ciel ; j'ai dû être inconscient deux ou trois heures, tout au plus, mais je préférais oublié la raison de cet évanouissement. La douleur en moi ne se ferait, elle, cependant, pas oublié de sitôt. En déambulant des les courtes allées du village, j'apercevais contre le mur des affiches de recherche de Monsieur Clavier placardées, comme dans ces bons vieux western. C'est vrai que, cette journée-ci, depuis hier où il avait perdu son Dodoala, personne ne l'avait vu. Il vivait seul Monsieur Clavier alors on savait pas s'il était sorti de chez lui ou pas et, en allant dans son champ cet après-midi, j'ai pas vu de lumière chez lui ou même de volets ouverts. Il avait dû avoir trop peur de Madame Rotin ; c'est qu'elle fait peur la Dame quand elle est en colère ; un vrai volcan sur pattes. En ce moment-même, elle aurait pas pu faire plus mal que ce que je ressentais.
En rentrant chez moi, ma mère m'avait laissé un mot. Elle était allée dormir chez les Boutant pour voir l'origine des cris qu'ils entendaient dans la nuit, s'ils étaient fous ou rêvaient juste. Arrivé dans ma chambre, je m'écroulai d'épuisement sur mon lit. Trop d'événements fatigants et douloureux avaient eu lieu, ce soir-là, au crépuscule qui à présent était révolu par l'astre nocturne. La Lune, le plus haut possible dans le ciel, éclairait en partie mon corps affalé sur le ventre sur le matelas de mon sommier. Alors que sa chaleureuse lumière m'illuminait, elle me réchauffait doucement et me recouvrait, peu à peu, de son faisceau lumineux. Cette lumière ambiante réveilla une douce peine en moi, une délicate torture survint de nouveau. Cette souffrance qui m'avait envahie dans la champ, montait en moi comme le feu dans la cheminée.
Mon cœur brûlait, mon esprit se troublait, mes muscles ne répondaient plus ; j'avais mal.
Une goutte de sueur coula le long de mon visage pour atterrir sur mes lèvres qui parvient à s'ouvrir pour prononcer un mot.
Ce mot n'était même pas un mot, c'était un grognement, un bruit de bête sauvage qu'on vient juste de nourrir avec un morceau de viande cru qu'on délaisse. M'asseyant avec difficulté sur mon lit, pour atténuer la douleur, le miroir croisa mon regard qui n'en était même plus un.
Je percevais l'homme qui n'en était plus un. Avec des cheveux qui n'en étaient plus. Un sourire empli de crocs.
J'étais devenue ce qu'elle était.