Lettre 7 : Une méthode qui traverse le temps
Mon fils,
Plus je t’écris et plus j’ai grande hâte d’être arrivé au bout de mon histoire. Non pas que je sois fatigué de te raconter ça, au contraire, mais parce que j’ai de plus en plus envie de te partager la finalité de ces lettres et de mon parcours à Alola. Cette fois ci, je vais te partager une expérience particulière, car tu vas me voir dresser un Pokémon, et me voir donc tel un dresseur sur les routes, une facette de mon visage que plus personne n’a vu depuis des décennies maintenant. Mais quelque chose que j’aurai pourtant dû partager avec toi il y a bien longtemps.
Alors même si maintenant tu es déjà un dresseur confirmé, laisses-moi te montrer ma vision du dressage, ma conception de l’entraînement et toute mon expérience avec les Pokémon. Tout ceci dans l’espoir que cela puisse t’aider, ou, au moins, te donner envie de venir voir de tes propres yeux le résultat de ce dressage.
J’observai le Pandespiègle qui me faisait face, lui-même me jaugeant du regard tout en mâchonnant sa brindille. Il ne payait pas de mine et je me demandais s’il était vraiment capable de faire quoi que ce soit. Pourtant je perçu quelque chose dans son regard, comme si à l’instant précis il pensait exactement la même chose de moi. Après tout, il avait été arraché à son environnement d’un coup, sans prévenir, sans même un combat au préalable. Et il me fixait, non pas paniqué, cherchant juste à savoir ce que je valais, ou tout du moins ce que j’attendais de lui.
C’est pourquoi, à ma propre surprise, je me décidai à lui laisser sa chance. Et pour ce faire, j’allai lui expliquer ce que j’attendais de lui, et comment nous allions nous y prendre. Car même s’il y avait des années et des années que je n’avais plus entraîné de Pokémon, il y a une chose dont j’étais certain. Il était primordial d’établir un lien et surtout un respect entre nous dès le départ. Il devait m’accepter comme Maître et dresseur, en échange de quoi j’accepterais sa force et son caractère. En somme, nous devions apprendre à nous connaître.
- Très bien. Je commence, dis-je pour entamer la discussion sur un air cordial. Je me nomme R., et je suis ton nouveau dresseur à compter d’aujourd’hui.
En guise de réponse, il croisa ses bras, comme à l’écoute de ce que j’avais à dire, mais toujours sur ses aguets. Car il comprenait ce que je tentais de lui transmettre. Je ne sais pas pourquoi, mais les Pokémon ont toujours cette capacité de ressentir ce que nous voulions leur dire, bien que ne parlant pourtant pas notre langue.
Avant toute chose, il fallait que je me documente sur son espèce. Je n’avais pas de Pokédex, ou plutôt je n’en avais plus depuis longtemps. Mais j’avais mon fidèle Pokématos, qui pourrait toujours me servir de moteur de recherche improvisé. Pour ce faire, j’envoyai un message à mon contact. J’espérai qu’il serait bien plus rapide pour celui-ci. Je lui avais demandé de m’envoyer les informations qu’il avait à disposition sur les Pandespiègle.
Pendant que j’écrivais ce message, il vint tenter de me dérober mon instrument, je le repoussai d’un simple revers de la main, sans forcer, ce à quoi il répondit en venant me frapper la tête avec son poing. Je grommelais en rangeant mon Pokématos, tout en observant ce petit teigneux. En temps normal je l’aurais engueulé ou rejeté, mais là que je le veuille ou non, j’avais besoin de lui. En observant son air qui se voulait intimidant, les yeux plissés et le mâchonnement stoppé, je compris que j’avais dû le vexer en le repoussant comme un petit Pokemon insignifiant.
- Tu n’aimes pas qu’on te traite comme un faible on dirait ? Et bien ça tombe bien, moi aussi j’ai horreur de la faiblesse, lui assénais-je, tentant de voir comment il allait réagir.
En guise de réponse, il ne m’offrit qu’un regard de défi. Cette petite boule de poil avait du caractère, ça me plaisait bien. Il se dirigea vers le nid où se trouvait l’Airmure chassé par Danh et que j’avais envisagé de capturer. Il me le montra ensuite avec sa patte, avec détermination, fronçant ses yeux ronds, poussant de petits cris qui se voulaient impressionnants, mais qui sonnaient faux à cause de la voix trop fluette sortant de sa bouche de petit Pokémon mignon
.
- Tu veux être capable de vaincre cet Airmure ? Crois-moi, si tu suis mes conseils, tu vaincras des Pokémon bien plus forts que lui. Je ferai de toi l’un des meilleurs Pokémon au monde, déclamai-je avec assurance.
Il ne sembla pas plus convaincu que ça. Qu’à cela ne tienne. Je le convaincrais sur la route de Kokohio tout en l’entraînant. Il verrait bien ce dont j’étais capable. Je serrais les poings de détermination à cette idée. Pour sauver mes Pokémon, j’allais devoir rendre ce Pandespiègle aussi fort qu’eux en un temps très court. Mais ça n’avait aucune importance, j’étais un dresseur doué, je devais juste me rappeler à quel point. A quel point, à l’époque plus que la force brute, c’était mon talent stratégique et ma capacité d’adaptation qui rendaient mes équipes si fortes. Toutes mes équipes.
Je rappelai Pandespiègle dans son Hyper Ball tandis que je sentais dans le même temps mon Pokématos vibrer de nombreuses fois, me signalant que non seulement on me répondait, mais qu’on m’envahissait de messages. Bon sang, j’avais compris qu’il était heureux que nous reprenions contact, quel besoin d’être aussi envahissant ?
Consultant les données reçues sur son espèce, j’appris que Pandespiègle était un Pokémon de type Combat, pouvant évoluer. Je vis aussi ses statistiques moyennes recensées par les diverses écoles de dressages, ainsi que la liste des capacités qu’il pouvait apprendre. Il n’y en avait pas des tonnes, mais elles seraient suffisantes. Lorsque j’avais commencé avec Miaouss à l’époque, je n’avais pas autant d’informations, et pourtant, je m’étais bien débrouillé.
D’après la carte, à mon allure, il me faudrait pas moins de deux jours de marche pour atteindre Kokohio. J’avais compté large car je ne pouvais pas tenir la distance sans me reposer régulièrement à cause de mes blessures non guéries. Ces journées allaient donc être entièrement consacrées à l’entraînement du Pandespiègle. Pour ça, il allait me falloir me replonger dans mes souvenirs. Et alors que j’arpentais le sentier, tout me revint en mémoire au fur et à mesure.
J’avais imposé un entraînement rigoureux à Miaouss. Je lui faisais faire des exercices de façon très régulière, lui faisant affronter de nombreux dresseurs et Pokémon sauvages, et ne lui passant aucune défaite. Et surtout, je me montrai assez froid avec lui, au début. Afin de l’amener à se dépasser. Il savait que je pouvais faire preuve d’affection, il l’avait souvent vu par le passé, et je lui avais fait comprendre que pour obtenir cette affection, il allait devoir donner le meilleur de lui-même.
Gagner n’était pas tout. Il s’agissait de gagner avec la manière. En s’imposant peu importe les conditions. Dans mes souvenirs, il m’était même arrivé de demander à certains dresseurs de m’affronter à plusieurs Pokémon contre un. Bien sûr, nous n’avions pas toujours gagné. Nombre de fois j’avais du ramener mon Miaouss à l’infirmerie car il n’avait pas fait le poids. Mais je ne cessais pas pour autant de l’encourager à ma manière. En lui témoignant tout le potentiel que je ressentais en lui, mais pas seulement. En lui faisant comprendre, surtout, à quel point j’avais besoin de lui pour m’élever. Je lui faisais comprendre à quel point il était important pour moi, à quel point sa progression était ma préoccupation première.
Et il avait fini par le comprendre. Il ne rechigna pas à la tâche, et fit toujours son maximum pour me rendre fier de lui. Ce que je ne manquais pas de lui rendre à travers affections mais aussi diverses responsabilités. Quelles responsabilités vas-tu me demander, et bien je vais te le montrer.
Le premier jour, nous nous engageâmes sur une route rocailleuse, aux allures rougeoyantes et au sol très cahoteux. Notre progression était très difficile, surtout pour moi qui avais des difficultés à marcher. Je voyais bien Pandespiègle s’impatienter lorsque j’étais à la traîne. Mais pour l’occuper, et surtout l’entraîner, je l’invitai à combattre plusieurs Pokémon sauvages. Dans un premier temps, je le laissais se débrouiller seul, tant pour voir ses capacités acquises que sa force ou sa détermination.
Je dois dire qu’il m’impressionna, il n’eut aucun mal à défaire les Racaillou, Tiboudet ou Chartor qui se dressèrent sur notre chemin. Son style était assez basique, mais efficace. Il agressait, et n’hésitait pas à user de fourberies contre ses adversaires, comme par exemple se servir d’un Racaillou comme projectile contre un Chartor.
Toutefois, il n’arrivait pas à tenir sa défense. Il encaissait de nombreux coups et ses blessures étaient de plus en plus évidentes. Je le voyais bien, et en mauvais dresseur pressé et mal préparé, je n’avais aucune potion sur moi. Ce que je vins à regretter. Oui, je me surpris moi-même à m’inquiéter pour mon compagnon de route. Mais je ne lui montrais pas, car lui-même faisait le fier et ne montrait rien. Pourtant il faudrait bien qu’il rencontre ses faiblesses pour accepter mon aide. J’eus alors une idée pour le confronter à la réalité d’un combat Pokémon.
Je vis deux jeunes dresseurs en train de s’affronter. Chacun typique des gamins en short qu’on trouvait partout sur terre, leur casquette vissée sur le crâne et un air déterminé comme s’ils avaient les capacités de devenir Maitre Pokémon. Un combat incroyablement ennuyant avait lieu entre deux Pokémon se ressemblant presque autant que leurs dresseurs. Deux Pokémon canins dotés d’une fourrure rigide voir solide. L’une brune l’autre rouge. L’un sur quatre pattes l’autre sur deux. Mais la même morphologie, le même visage anguleux. Et les mêmes cris.
Je me tins à distance, apprenant qu’il s’agissait tout deux de Lougaroc. Le même Pokémon mais pas la même forme donc, un peu comme pour les Tritosor à Sinnoh. Je me demandais bien ce qui influait sur leurs différences dans le cas présent. Le combat était de piètre qualité, les deux n’utilisaient que des attaques basiques et se contentaient de foncer l’un sur l’autre, à tour de rôle, sans plus de débrouillardise avec des attaques simples comme Jet-pierre, Morsure voir même charge. J’eus tout de même un élan d’espoir en voyant le rouge sortir une attaque Riposte. On aurait presque cru un genre de combat au tour par tout où chaque Pokémon restait figé en attente d’un ordre. Le bas niveau était vraiment navrant.
N’en tenant plus, je me décidais à intervenir, m’immisçant au milieu de leur combat, et les toisant depuis mes quarantes bon centimètres supérieurs à eux.
- Dégage de la le vieux, tu vois pas qu’on se bat ? me cracha presque dessus le propriétaire du bipède.
- Je le vois et c’est pour ça que je suis là sale, mioche. Je recherche de puissants adversaires. Mais malheureusement je n’ai trouvé que vous. Alors, affrontons-nous, affirmai-je sans leur laisser d’autres choix.
- Tu te crois où ? C’est chacun son tour, pour les combats, déclama l’autre.
- Faisons plus court, affrontez-moi tout les deux en même temps. Vous me servirez ainsi de mise en bouche avant mes vrais adversaires, et vous aurez le loisir de voir ce qu’est un vrai dresseur.
Ils furent piqués au vif et se mirent d’un commun accord pour me combattre. J’étais ravi d’affronter ces gosses. Pour une fois, je ne voyais pas ça comme une perte de temps inutile, au contraire. Ce combat allait me proposer de la difficulté, en plus de bien tester la capacité de Pandespiègle. Et en plus, il allait me permettre de vaincre d’innocents petits dresseurs, mes victimes préférées. Effectivement, Althéo avait raison. Dès qu’on se fixait des objectifs, on pouvait facilement tirer plaisir d’un combat. D’une multitude de façons différentes.
J’appelais donc Pandespiègle hors de son Hyper Ball, sous l’amusement des deux gamins qui trouvèrent mon Pokémon ridicule. Il n’en fallut pas plus pour le foutre en rogne et le motiver à se battre. Ce petit me plaisait de plus en plus. Il allait être grand temps de tirer le meilleur de lui et de combiner sa force à mes talents.
- Vous êtes prêt, m’sieur ? me demanda le gosse au quadrupède.
- Pandespiègle, utilises Cogne. Fais-toi plaisir.
Mes deux adversaires furent surpris de voir que je n’attendais pas de signal de départ, tandis que Pandespiègle fonçait à l’assaut, utilisant sa capacité à multiple frappes pour dérouiller les deux loups simultanément, les faisant reculer. Cette petite attaque de semonces me confirma ce que je cherchais à savoir, leur type. Roche, de toute évidence, car cette capacité de type combat leur faisant vraiment peu plaisir.
- Tricheur ! Lougaroc, utilises Machouille ! hurla un des deux
.
- Ouais toi aussi, Machouille, repris son compère en chœur.
- Pandespiègle, évite-les en sautant sur le quadrupède !
Mais mon Pokémon refusa de m’écouter et n’en fit qu’à sa tête, préférant continuer son offensive en utilisant son Poing Comète. Évidemment, cette tentative était vouée à l’échec et les canidés le mordirent de part en part, laissant Pandespiègle pousser des cris de douleur, avant de reculer prestement.
- Si tu suis mes conseils, nous vaincrons ces deux là facilement, Pandespiègle, lui dis-je sur un ton calme et presque doux qui me surprit moi-même.
- Même avec trois milles conseils excellents, ton Pokémon resterait trop faible, le vieux ! Il est tout minus ! ricana le dresseur du quadrupède. Lougaroc, Vif Roc !
A ma propre surprise, le quadrupède se déplaça extrêmement vite et percuta de tout son poids rocheux mon compagnon qui fut propulsé en arrière. Dans un réflexe sorti de je ne sais où, je tendis ma main droite pour le rattraper au vol, l’empêchant de percuter un rocher mais lâchant un râle sous le coup, mes fêlures se rappelant à moi. Pandespiègle fut surpris par mon intervention, et encore plus en voyant ma souffrance après l’avoir effectuée.
- Comme je te le disais, fie-toi à moi, et on les remettra à leur place.
Je l’observai intensément. Mes yeux se plongeant dans les siens qui fuyaient mon regard. Puis, au bout de quelque secondes, il hocha la tête et fit de nouveau face à nos adversaires.
Si mes échecs successifs m’avaient appris une chose, c’était de ne pas se fier aux apparences. Et j’allais maintenant leur enseigner ça via une leçon qui les marquerait. Une leçon douloureuse.
- Z’êtes trop mignon le vieux…mais trop nul aussi. J’vais en finir en un seul coup, assura le dresseur du quadrupède à nouveau.
- Hey, tu pourrais m’en laisser un peu, lui dit son compagnon.
- Sûrement pas, laisse faire le pro, lui rétorqua-t-il. Vif Roc, encore !
- Pandespiègle, Projection, dis-je dans le plus grand des calmes.
Son Lougaroc se jeta à nouveau sur Pandespiègle, mais cette fois-ci, je l’attendais. Il prit une position bien ancrée au sol, et réceptionna le canidé avec ses deux mains, se servant de son élan pour le faire tourner autour de lui puis le lancer droit sur son confrère bipède. Pandespiègle était peut-être petit, mais avec un minimum de jugeote, il était plus que facile de retourner la force des adversaires contre eux.
- Mais fais attention, bordel ! jura le propriétaire du bipède.
- T’avais qu’à esquiver, bouffon !
Nous y étions. Semer la zizanie dans le camp adverse, laissez mijoter deux trois minutes, puis retirer du feu quand vous sentez la mésentente à point. Il était temps de clore ce combat en un seul mouvement. Ils n’avaient pas soigné leurs Pokémon avant de m’affronter, et ils n’avaient pas l’air plus défensif que ça. Tant pis pour eux.
- Pandespiègle, montre leur ton Poing-Karaté. Sur le bipède.
Bien décidé à m’écouter maintenant, il se lança à la charge avec le tranchant de sa main vers sa cible désignée. Ce dernier dégagea son « allié » du chemin, visiblement décidé à en découdre avec mon Pokémon, mais au grand dam du Pokémon écarté dans l’action.
- Lougaroc, scotches-le avec Riposte, paf dans sa face ! hurla victorieux le dresseur du bipède.
- Non, il est à moi, détruis-le avec Vif-Roc ! cria de colère le deuxième gosse.
- Pandespiègle, saute au plus haut que tu peux, lui ordonnai-je.
Écoutant fidèlement mon ordre, il sauta aussi haut que le lui permettaient ses petites pattes. Un bon tout de même prodigieux, presque à hauteur de la figure du bipède, ce qui fut suffisant pour laisser passer sous lui le quadrupède qui alla percuter de plein fouet l’autre Lougaroc, qui déployait sa Riposte au même moment.
Le résultat fut celui escompté. Les deux se mirent K-O de façon totalement ridicule. Et je vis de façon provocatrice mon Pandespiègle retomber et leur asséner à chacun son Poing-Karaté pour le plaisir, tout en prenant une position victorieuse.
- Vous voyez, vous n’êtes pas capables de vaincre un si petit Pokémon. Vous devriez abandonner de suite le dressage avant de croiser un Chenipan au prochain buisson, ricanai-je.
Je parti devant leur air ahuri et surpris. Par ma provocation ou alors car ils ignoraient ce qu’était un Chenipan. Sur Alola c’était sans doute probable. Quoi qu’il en soit, je les quittai sans plus de procès. Je demandais à Pandespiègle de rentrer dans son Hyper Ball, mais il refusa. Je ne comprenais pas pourquoi il se remettait d’un coup à me désobéir après cette victoire écrasante.
Je ne le compris que peu après, lorsqu’il insista pour m’aider malgré sa petite taille. Plein de débrouillardise, il sauta sur un rocher pour être à la bonne taille, marchant plus haute que le sentier, et me soutenant à l’épaule droite. Il avait compris ma blessure et mes douleurs. Et c’est pour ça qu’il me désobéissait ? Surprenant, très surprenant. Décidément, il me plaisait bien. Il suivait ses propres règles, comme moi.
En fin de soirée, après quelques autres combats contre des Pokémon sauvages couronnés de succès, nous arrivâmes à un Centre Pokémon situé dans des ruines, après un dépotoir rempli de déchets. Vraiment un curieux emplacement. Ce fut avec empressement toutefois que j’entrais à l’intérieur pour que l’on soigne mon petit compagnon. J’étais harassé et fourbu, comme lui. Nous avions exploité toutes les minutes à disposition pour l’entraîner. J’avais notamment insisté pour lui apprendre une attaque en particulier qu’il ignorait, et dont je savais qu’il pouvait apprendre. Et voilà que maintenant on venait chercher notre repos du soir dans un Centre comme dans mes débuts. Comme un vrai dresseur de Pokémon. Je ne pus m’empêcher de rire à cette idée. J’aperçus aussi que dans cette région, les boutiques étaient dans le même bâtiment que les Centres. J’aurai bien acheté quelques Potions mais je n’avais pas assez sur moi. Il nous faudrait donc économiser nos forces jusque Kokohio ou espérer qu’un Centre Pokémon se trouve là bas.
Après une nuit passée au Centre Pokémon, nous reprîmes la route assez tôt, à l’aube. Il y avait du chemin encore jusque Kokohio, dont un bras de mer à traverser. Je n’avais pas pensé à ce détail mais il était hors de question que je traverse à la nage, et contrairement à ce que j’avais espéré, il n’y avait aucun embarcadère. Donc pas de bateau pour nous emmener. Voilà qui était embêtant en plus d’être idiot. Cette île était mal fichue. Je piétinais sur la plage en attente de trouver une solution, patientant presque une demi-heure, jusqu’à ce qu’elle vint à moi d’elle-même.
Ce petit gros de Chrys passa non loin et il utilisa un drôle d’appareil, comme un genre d’appeau. Peu après débarqua un Démanta, harnaché pour le transport de personnes. Et bien la voilà ma solution. Il ne me restait plus qu’à exploiter cette monture providentielle et ce dresseur naïf pour me rendre de l’autre côté du rivage.
Je m’approchais de lui, tentant d’être aussi avenant que possible, mais sans pouvoir m’empêcher de lorgner sur son poignet. Il avait là un drôle de bracelet qu’il n’avait pas lors de notre rencontre à Ekaeka. Et je n’y avais pas prêté attention à Malié, préférant me cacher du pseudo professeur Chen.
- Salut Chrys, tu te souviens de moi ? dis-je avec une toute relative gentillesse.
- Hey mais c’est…R. ! s’exclama-t-il, surpris et peu sûr de me reconnaître avec ces vêtements.
- Oui comme tu le vois, je m’acclimate à vos coutumes, ajoutais-je pour balayer ce sujet vexant. Mais trêve de bavardages, c’est un joli Démanta que tu as là. Prêtes le moi.
- Heu, c’est que je comptais m’en servir pour aller sur la Route 17 capturer des Pokémon, voyez-vous…
Mon air gentil n’avait pas tenu bien longtemps, il était déjà intimidé. Ça devait être mon aura naturelle. Ou le souvenir de m’avoir vu écraser des membres de la Team Skull. Va savoir.
- Il pourra nous transporter tout les deux, ordonnais-je presque. J’ai un besoin urgent de me rendre à Kokohio.
- Kokohio ? Mais..Mais c’est là que..., bégaya-t-il.
- Urgent, te dis-je. Alors ne perdons pas de temps à bavarder. N’oublie pas que tu as une dette envers moi.
Si le souvenir n’était pas encore réveillé avant ça, c’était maintenant une certitude. Il n’insista pas et me laissa monter sur son Démanta, prenant les rênes et nous emmenant au gré des flots, sur l’autre rive. C’était un moyen de transport des plus originaux, il faut bien l’admettre. Je ne l’avais jamais fait, préférant le confort d’un navire de plaisance. Mais bon, ça faisait l’affaire. En poussant Chrys sur le bord, j’avais assez de place pour m’installer et ne pas être mouillé par les gerbes d’eau propulsées par le Démanta.
Une fois arrivé, je le remerciais de son aide en partant sans plus l’embêter que ça. J’aurais pu tenter de m’acharner comme sur les deux idiots de la veille mais ce Chrys, bien que ridicule, m’était assez sympathique. Pratique surtout en fait, pour tout avouer.
Je n’appela pas Pandespiègle, il serait parti combattre les Pokémon, et décida de me hâter vers Kokohio. Pour cela, il me fallait d’abord traverser les Jardins de Ula-Ula. Les Jardins étaient des endroits remplis de fleurs propres à chaque île, où tout sentaient bon et étaient charmant. Bref, un lieu sans intérêt que j’entrepris de traverser prestement, sans m’arrêter.
Ce que j’aurais probablement fait si je ne m’étais pas égaré dedans. Le sentier était très mal indiqué et c’était un vrai labyrinthe. Les fleurs étaient très hautes, et il fallait s’orienter sur des planches en bois étroites, et pas très stables. Le tout avec une horrible odeur de pollens, bon pour les Dardargnan, dans les narines.
Alors que je croyais enfin voir la sortie, après près d’une heure d’errance, quelque chose me fit frissonner. Un bruit, un grand fracas. Un coup de tonnerre comme rarement on en entendait. Pourtant, quand je regardais le ciel bleu, le temps n’était clairement pas à l’orage. Que s’était-il passé ? Le bruit était bien plus gros que celui d’une attaque Fatal-Foudre pour être ordinaire. Il en était émané une sacrée sensation de puissance.
Cherchant tout autour de moi, j’aperçus un cercle noir fumant, avec un Pokémon Oiseau Rouge, dedans. Derrière lui, une danseuse le rappelait, triste d’avoir perdu ce combat. Et en face, ce petit gros de Chrys qui félicitait son Gravalanch pour sa victoire. Quelque chose clochait. Comment un faiblard comme lui avait pu produire un tel chaos ? Certes, j’avais vu depuis hier que la version Alola des Racaillou pouvait produire de la foudre. Donc il était logique que leurs évolutions le puissent aussi. Mais il était inconcevable que ça explique une telle puissance. Intrigué par un tel événement, je me dirigeai d’un pas décidé vers Chrys.
- Toi, le gros. Ton Gravalanch est beaucoup trop puissant. Expliques-toi, maintenant, ordonnai-je de façon très autoritaire, voulant le secret de son pouvoir.
- C’était pas lui, expliqua-t-il, c’était sa Fulguro-Lance Gigavolt. Son attaque Z quoi.
Je clignais des yeux face à cette explication. Attaque Z ? J’avais déjà entendu parler de ça. Me creusant les méninges, je vis la lumière lorsqu’il prit une pierre que tenait son Gravalanch.
C’était un cristal Z comme la Normazélite que m’avait donné Althéo, sauf que la sienne était jaune. C’était donc ça, une attaque Z ? Quelque chose d’aussi fort ? Moi qui avais cru que c’était un jouet pour les gamins ou simplement une danse ridicule. Je revoyais totalement mon jugement. Et si ma mémoire ne me faisait pas défaut, Althéo avait parlé d’un bracelet.
- Une attaque Z, tu dis ? C’est bien grâce à ce que tu as au poignet que tu la lances ? demandai-je, cherchant confirmation.
- Oui, c’est ça, le Bracelet Z. C’est Pectorius qui m’a donné le mien, dit-il avec fierté.
- Mais c’est parfait, j’ai justement un besoin immédiat de puissance. Donne le moi.
Je n’avais pas le temps d’aller voir un Doyen qui ne voudrait de toute façon pas m’en donner. Il était plus que grand temps de revenir aux fondamentaux et de considérer les dresseurs débutants pour ce qu’ils étaient. A savoir, des Ecremeuh qui attendaient qu’on vienne les traire. Ma proposition sembla ne pas le convaincre tout à fait. Et pour une fois, il n’eut pas peur et se renfrogna.
- Sûrement pas, j’en ai assez de vos manières, dit-il avec assurance. Je vais vous remettre à votre place.
- Tu as de l’audace pour quelqu’un qui n’a aucune chance face à moi, mais tu as raison, acquiesçais-je. Faisons ça à l’ancienne, avec un combat Pokémon. Une fois que je t’aurai envoyé pleurer dans les jupes de ta mère, tu te feras une joie de me donner ce bracelet.
Je n’étais pas en colère. Ni même agacé de sa résistance. Au contraire. J’étais excité, et ravi de ce combat. Je retrouvais mes sensations de jadis. Un dresseur en culotte courte sur la défensive, dos au mur, et moi prêt à asseoir ma domination. Je commençais à croire qu’Alola était un vrai retour aux sources. Ce Tour des Îles, à ma façon, commençait à me remonter totalement.
J’appelais Pandespiègle devant moi tandis qu’il fit appel à un ridicule Magnéti. Il avait un faible pour l’électricité ce rouquin. Peu importe, en tant qu’ancien champion du type sol, c’était un type dont je me riais totalement. Il n’allait pas tarder à l’apprendre.
- Utilise toute ton équipe contre moi, surtout, lui dis-je. Mon Pandespiègle, seul, suffira à t’écraser.
Je vis Chrys serrer les dents, et montrer sa détermination. Je n’aurais pas cru son visage capable d’afficher une telle chose. Mais au-delà de ça, je vis surtout Pandespiègle me regarder et être heureux de la confiance que je lui accordais.
- Je vais vous battre, soyez-en sur, aussi vrai que… commença-t-il.
Mais il se stoppa en voyant Pandespiègle courir vers Magnéti et l’écraser au sol d’un coup de Poing Karaté vertical, l’enfonçant dans la planche en bois qui se brisa sous l’impact. C’est avec une fierté non dissimulée que j’accueillais cette fourberie de mon Pokémon, lui-même satisfait et sautant sur le Pokémon magnétique pour bien lui montrer qui était le patron.
- Mais…mais c’est de la triche, se plaignit Chrys.
- Quand on se bat, on ne raconte pas sa vie, assénais-je avec dureté.
Il rappela son insignifiant Pokémon, frustré, et en envoya un second que j’espérais plus consistant cette fois-ci. A mon grand désespoir, ça n’était qu’une brique verte sacrément moche. Un genre de Pokémon insecte cocon rectangulaire. Comment la nature pouvait produire un truc pareil ? On aurait dit un Chrysacier qu’on aurait enfermé de force dans une boite. J’hésitais entre pitié et dégoût pour une telle horreur.
- Chrysapile, utilises Acrobatie, montre lui !
Et c’est à ma propre surprise que l’insecte bondit avec agilité pour venir frapper Pandespiègle dans une vrille parfaitement exécutée. Je n’aurais jamais cru qu’un cocon serait capable de se déplacer ainsi. D’ailleurs comment aurais-je pu le deviner, ça défiait les lois de la logique. Il me fallait me remobiliser et cesser d’avoir trop confiance. Le premier round contre le Magnéti ne voulait rien dire. Et d’ailleurs, je savais comment battre ce genre de Pokémon.
- Pandespiègle, relèves-toi et fait Rengorgement, lui dis-je avec calme. Et surtout, ne cherche pas à esquiver sa prochaine attaque.
- Fait encore Acrobatie, son type combat n’y résistera pas, s’il n’évite pas !
Mais qui parlait d’éviter ? Son Pokémon parti encore dans une vrille parfaite. Au fond, ça avait vraiment quelque chose d’admirable de voir ça. Et de pathétique aussi vu la forme du machin qui tentait de faire ce mouvement gracieux et agile. Je m’en voulais presque de devoir y mettre un terme rapidement. Presque.
- Projection, Pandespiègle, sommais-je avec détermination.
D’une phrase, courte, rapide et intense j’avais donné mon ordre, attendant le dernier instant pour faire réagir mon Pokémon. Une excitation m’avait parcourue en attendant ce timing précis. Il s’agissait d’attendre qu’il ne puisse plus réagir et surtout s’électriser pour m’empêcher de le saisir au vol. Car voyant les goûts de Chrys et le nom de son Pokémon, il était certain qu’il cachait un type électrique, qu’il tentait de dissimuler tant bien que mal.
Mon Pandespiègle parvint donc à se saisir à la volée du boudin vert et le projeta avec violence en direction de Chrys. Ce dernier prit peur, croyant recevoir son Pokémon en plein figure, à la vue de mes antécédents. Mais il oubliait la faculté secondaire de Projection. Son Pokémon fut renvoyé directement dans sa Poké Ball, en réalité.
- Encore un combat rapide. Tu as mieux, cessons de perdre du temps. Sors ton Gravalanch.
Il avait compris que ses petits Pokémon ne feraient pas le poids face à moi. Il savait ce dont j’étais capable, et devait de toute façon croire que j’avais toujours ma grosse équipe en réserve. Il sortit donc son Pokémon Roche face à mon petit Pandespiègle. J’avais l’avantage du type, mais il était presque certain qu’il pourrait me vaincre en un seul coup, avec son attaque Z.
- Tant que j’ais Gravalanch, je n’aurais rien à craindre. C’est mon meilleur compagnon, affirma-t-il comme pour s’auto-persuader.
Discours typique de dresseur débutant. Toutefois, depuis hier, je devais bien lui avouer une part de vérité. Maintenant que je redécouvrais le dressage via Pandespiègle, je voyais comme il était bon d’avoir un compagnon sur qui s’appuyer. Comme je regrettais de ne plus avoir été aussi bon et démonstratif avec Persian. Sans doute une telle déclaration de ma part lui aurait mis du baume au cœur.
- Peu importe la force de tes convictions, petit. J’ai absolument besoin de ton bracelet pour récupérer mes compagnons. Mon lien avec eux surpasse tout, et pour ça je vais t’écraser, criais-je avec détermination. Lance ton attaque Z, je l’attends de pied ferme. Elle ne nous fait pas peur, ni à moi, ni à Pandespiègle.
Je ne pouvais pas perdre trop de temps non plus ni de force dans ce combat en réalité. Je cherchais donc à le provoquer pour qu’il se lance rapidement, et que moi-même je l’achève rapidement. En dépit de cette excuse que j’affiche, j’avais bien pensé tout ce que j’avais dis. Et je l’avais pensé avec une vraie détermination, une vraie sincérité. Tout ce qui m’avait peut être manqué jusqu’à présent.
- Très bien, subissez alors ma Fulguro-Lance Gigavolt !
Son bracelet se mis à produire une lueur, tandis que Chrys fit une danse parfaitement ridicule. Sérieusement, je te laisse imaginer un petit gros, roux de surcroît, en train de faire une chorégraphie soit-disant rythmée, ses bras venant à la fin mimer la forme d’un éclair. S’il y avait bien une chose qui me rebutait dans ces attaques Z, c’était ces danses.
Mais pour la puissance que j’attendais, elle fut au rendez-vous. Son Gravalanch brilla d’une aura intense, des arcs d’électricités parcourant son corps. Puis, d’un seul coup dans un grand fracas semblable à tout à l’heure, un puissant rayon de foudre jaillit de son Pokémon pour se diriger vers le mien tandis que j’écarquillais les yeux. Je profitais du bruit de son attaque pour donner un ordre à Pandespiègle qui s’exécuta aussitôt.
J’en frémissais, j’avais presque l’impression que si je l’encaissais, je décéderais d’un coup sur place. J’en serais presque resté coi d’admiration si je n’avais pas un match à gagner.
- Impressionnant. Impressionnant oui, mais…prévisible.
Alors que son attaque s’achevait dans un vacarme assourdissant, je vis le sourire confiant de Chrys s’estomper. Le sol était bien carbonisé, tout comme pour son combat précédent. Mais aucune trace de Pandespiègle si ce n’était un petit trou à son emplacement de départ.
- Mais…comment ?
- Tunnel, tout simplement. Aussi puissante soit ton attaque, il lui faut bien une cible.
Voilà l’attaque que j’avais apprise à Pandespiègle pendant nos entraînements. Pour être mon digne Pokémon, il lui fallait bien une attaque Sol. Et pour combler ses lacunes défensives, j’avais pensé que cette attaque permettant de se cacher, lui siérait à merveille. Surtout combinée à son côté fourbe, qui aimait attaquer par surprise.
Le sol trembla sous Gravalanch qui fut projeté dans les airs, tandis que Pandespiègle sortait de sous lui. Grâce à Rengorgement et au type Sol de l’attaque, il n’eut aucune difficulté à balancer l’imposant mais pataud Pokémon, tout aussi abasourdi que son dresseur. Maintenant, il s’agissait de ne pas lui laisser le temps de réagir, des fois qu’il pourrait utiliser de nouveau cette capacité. La même ruse pourrait ne pas marcher deux fois.
- Finissons-en, veux-tu gamin ? Pandespiègle, achève-le avec ton puissant Corps Perdu !, m’exclamai-je avec une grande satisfaction.
Il attendit que le Gravalanch finisse de retomber, puis sauta vers lui, saisissant un de ses bras au vol. Puis, dans un mouvement impressionnant, il fit une rotation sur lui-même, entraînant son adversaire et vint le claquer avec violence contre le sol, l’écrasant de tout son poids. Il n’en fallut pas plus au Gravalanch, qui après ces deux coups, ne se releva pas, tandis que Chrys n’osait plus rien dire ni faire, regardant son Pokémon, puis me regardant, presque tétanisé.
- Je te l’avais dis, aucune chance. Un dresseur débutant comme toi n’avait aucune chance face à une personne de mon acabit. Veux-tu continuer le massacre... ?
Il ne réagissait plus, presque apeuré par ma performance et mon assurance. Prenant ça pour un abandon, je vins vers lui, puis lui arracha son bracelet Z du poignet, tandis qu’il n’osait plus rien faire. Ce fut avec une grande satisfaction que je regardais mon trophée. Avec lui, la Team Skull ne serait pas au bout de ses surprises.
Puis, j’accordai de nouveau mon attention à Chrys qui rappela son Gravalanch, puis sembla quelque peu se recroqueviller sur lui-même, sous le poids de mon regard, voyant que j’affichais un grand sourire désormais. Je repris ma route vers Kokohio sans l’enfoncer d’avantage mais en confortant une pensée dans mon esprit. J’aimai casser tout ces ratés, c’était une évidence. Plus que ça, j’adorai briser leurs rêves.
Je m’étais persuadé qu’affronter ces gamins était une plaie alors qu’en finalité, j’en tirai beaucoup de plaisir et d’amusement. Au final, c’était aussi simple que ça, d’accepter d’être ce qu’on est.
C’est sur cette conclusion que se finit cette lettre.
A très bientôt,
Ton père.