Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Sous les glouglous de la mer de Nicéphore



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Nicéphore - Voir le profil
» Créé le 28/10/2017 à 12:37
» Dernière mise à jour le 29/10/2017 à 14:56

» Mots-clés :   Absence de combats   Action   Alola   Présence de personnages du jeu vidéo

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 3- Plonger
La bête était solide, mais pas assez pour être chevauchée : Ilario voguait au-dessus des flots agités, retenu par deux serres puissantes agrippées à ses épaules.

L’Achéduc (Archéduchesse pensait-il, puisque c’était une femelle) ressemblait aux Noarfang qu’il connaissait, mais avec des couleurs plus claires, et présentant son plumage comme une cape feuillue munie d’un capuchon. Ses battements d’ailes puissants fouettaient l’air agité, son ventre blanc au-dessus de la tête du Ranger était la tache claire du paysage.

La météo semblait n’être qu’un résidu de l’averse de tout à l’heure, il espérait ne pas s’y tromper. Une nouvelle tempête, à ce moment précis, le mettrait dans une posture plus que délicate. Selon Gladio, certaines personnes avaient trouvé la mort à se faire prendre dans les rafales contraires, en essayant de quitter le Paradis Æther. L’adrénaline l’envahissait d’arriver au plus vite, de réduire ce trajet où il pouvait mourir. Rien qu’une minute gagnée pouvait se montrer salvatrice. Mais le fait que l’Archéduchesse seule contrôle leur vitesse de croisière le frustrait ; il ne pouvait qu’attendre et espérer. Avec la peur véritable qui lui serrait le ventre.

Il parvenait toutefois à apprécier l’expérience de ce trajet, sous les pieds le vide et sous le vide la mer. Le décor était digne d’un film d’aventure, avec cette hauteur et ces vagues sombres à perte de vue. Au-dessus de lui, le soleil brillait toujours derrière des nuages noirs qui s’éclairaient de l’intérieur. Ce paradoxe saisissant rendait le paysage plus grandiose encore. La mer était sombre, le ciel était sombre, mais le temps semblait lumineux.

Accroché sommairement dans son dos avec sa veste d’uniforme, Rozbouton aussi y était sensible : ses cris d’excitations aigus lui parvenaient au gré des vents. Cela ne lui ressemblait pourtant pas, mais il fallait dire qu’une telle traversée avait de quoi faire perdre la tête à n’importe qui.

« Fais gaffe, mon pote, hurla-t-il plus pour se rassurer lui-même, si tu perds la tête il ne reste plus grand-chose ! »

Habitué aux sautes d’humour douteux de son compagnon de route, la bestiole végétale continua ses piaillements avec un bel entrain.

Le Pokémon ailé semblait savoir où il allait, il devait bien connaître l’archipel. Il suivait depuis le départ, en ligne droite, la direction donnée par Alyxia sans même qu’il n’ait eu besoin à la lui pointer du doigt. La doyenne n’avait pas précisé la distance séparant Akala de sa destination, mais il avait vu sur la carte du professeur Euphorbe que les deux îles étaient assez proches l’une de l’autre. Tant mieux. Moins de temps à risquer d’être happé par les vents, moins de temps à se prendre les embruns en pleine tête. C’était assez désagréable à la longue, et la fraîcheur de l’air n’y arrangeait rien.

Le voyage devait durer depuis une heure, environ, lorsque la blancheur du Paradis Æther s’extirpa de l’horizon. Outre sa couleur qui faisait comme une oasis de lumière, les bâtiments en eux-mêmes, vus de plus en plus près, paraissaient assez laids. Comme de gros blocs de plastique agencés sur l’eau par un architecte dérangé. Ça puait l’artificiel à cent mètres.

En s’approchant davantage, il distinguait un grand dôme de verre soutenu par des structures métalliques, recouvrant des zones de verdures traversées de passerelles trop blanches. On aurait dit une serre. Plus bas, une plateforme tout aussi blanche affleurait juste à la surface. Autour, d’autres zones planes n’avaient pas eu cette chance : les « glouglous de la mer » de Vicky y couraient sur un ou deux mètres de profondeur.

Sans qu'Ilario n’ait rien à dire, l’Archéduc le posa sur la plateforme émergente, seule surface praticable de l’ensemble. Ilario libéra Rozbouton et observa les environs. La blancheur omniprésente était plus frappante encore une fois immergé à l’intérieur plutôt que vue du ciel, surtout sous ces nuages noirs qui contrastaient à outrance.

Le sol dallé était mouillé par endroits, recouvert de flaques salées que ses chaussures brouillaient mollement. Des débris marins s’étaient échoués çà et là : des bouts de bois, d’algues et de cordages, des blocs d’écume épaisse frémissant sous la brise, des éclats de verre et de plastique venant sans doute d’ici. Plus loin, Ilario distingua la silhouette inerte d’un petit Pokémon poisson, bleu et blanc, aux grands yeux exorbités. Mort. Et un, deux autres, plus loin…

Outre ce sinistre comité d’accueil, il n’y avait personne sur les lieux. Le plateau était bien trop exposé aux intempéries, comparé au bâtiment qui se dressait en son centre. Suivi par ses deux acolytes Pokémon (la Pokéball lui étant encore un concept étranger, il n’avait pas pensé à y rappeler l’Archéduchesse), il contourna cette bâtisse qu’était la serre qu’il avait vue de haut. Prudemment et sans faire de bruit, par un instinct inexplicable.

Une porte de service, censée être automatique, était bloquée dans une position à moitié entrouverte. Il se glissa sans trop de mal dans l’ouverture, et se retrouva dans cette serre de la Fondation, cette nature sous cloche en pleine mer. Sous le temps orageux, la végétation qui parsemait les lieux semblait bien plus menaçante qu’elle ne devait l’être en pleine lumière. Par l’absence de vent sous ce dôme transparent, les feuilles restaient immobiles, figées, comme arrêtées dans le temps. Pas un bruit.

Si, en tendant l’oreille. C’était comme une faible rumeur de discussions basses et lointaines. Il se trouvait sur une passerelle métallique de service, rejoignant l’une des voies de dalles blanches qui fendaient le paysage. Il avança en direction du son, une certaine appréhension montante au cœur.

Le contraste était notable avec l’extérieur : ici, pas de matériaux échoués, pas de poissons aux yeux vitreux. Pas même de flaques d’eau, ou la moindre trace de désordre. Cette nature ordonnée aurait pu tout droit sortir d’un catalogue. Et ces murmures qui perduraient…

Finalement, le Ranger découvrit la source du bruit au détour d’un bosquet. Au bout d’une nouvelle allée blanche, se croisaient deux autres voies sur une sorte de petite place principale et là, des groupes de trois ou quatre personnes vêtues de blouses se retournèrent immédiatement sur son arrivée, ouvrant des yeux grands comme la Pokéball de l’oiseau d’Alyxia.

Des hommes et des femmes à la peau mate, aux uniformes sales, aux traits pesants de fatigue et d’espérance soudaine. Ils étaient une dizaine, certains se levèrent avec difficulté, d’autres restèrent sur place par manque de force. Ces gens-là n’avaient pas mangé depuis cinq jours, se rappela-t-il.

« Bonjour. Bonsoir. Alola » lança-t-il en retrouvant la formulation locale dans le fond de sa mémoire.

Trois personnes s’approchaient de lui d’un pas incertain. Un jeunot, un cinquantenaire et une femme d’une trentaine d’années. Leurs visages arborèrent un étonnement extrême.

« Qui êtes-vous ? demanda le plus vieux d’une voix autoritaire, comme s’il tâchait de cacher sa faiblesse.

- Ilario, répondit-il simplement. Je suis un Pokémon Ranger, originaire de la région d’Almia.

- Almia ? » s’étonna son interlocuteur.

Il s’approcha davantage, d’un pas se voulant ferme. Il portait courts ses cheveux gris, délimités sur son front par une ligne aux courbes étudiées qui devait dissimuler une calvitie précoce. Son nez était comme un angle droit jailli de son visage, et supportant d’énormes lunettes teintées de vert, d’une forme exagérée. Elles faisaient comme deux gros globes, qui rappelaient les yeux d’un Libégon. Il portait une grande blouse blanche parvenue à être plutôt élégante.

« La dernière fois qu’on a eu des nouvelles du monde, on refusait toujours de demander de l’aide à une autre région, vous voyez.

- La mienne a été sollicitée, ce matin même. On a demandé quatre Rangers, un par île, exposa-t-il sans laisser paraître son avis par rapport à cette décision minimaliste.

- Seulement quatre, ricana l’homme. C’est pas avec ça qu’on va s’en sortir. Vous venez nous aider, nous ? Vous n’êtes pas « affecté » à une autre île ?

- Si, mais il ne s’y passe rien pour le moment. Alors, votre… (il ne se souvenait déjà plus du nom du grade exact du dirigeant d’Æther, directeur, président, chef… ?) … Gladio m’a expliqué la situation ici, et j’ai décidé de venir. »

Il réalisait en même temps l’impulsivité de son entreprise. L’autre devait s’en rendre compte aussi car il le regardait avec circonspection.

« - Seul ? Je salue votre courage, jeune homme, mais s’il avait été possible pour nous de faire simplement la navette avec un Pokémon volant (il jeta un regard à l’Archéduc), vous comprenez bien que ce serait chose faite depuis longtemps. Mais c’est bien trop dangereux – étonnant que vous ayez réussi à traverser, d’ailleurs - d’une part, et nous avons ici des Pokémon impossibles à transporter par ce biais-là. »

Il montra du menton un coin de la serre, où le cou d’un Tropius s’étirait vers un arbre pour en saisir les feuilles.

« - Celui-là a les ailes déchirées par la première tempête qui a agité Alola, vous voyez, expliqua l’homme en blouse. Nous avons aussi un Sharpedo blessé, dans un bassin par-là » ajouta-t-il en désignant le fond du jardin.

Une zone aquatique s’y étendait en avoisinant la mer. Ilario acquiesça, pourtant sûr de lui, ou presque. Les paroles de Gladio avaient fait chemin dans sa tête au cours du trajet ; l’idée n’avait pas toutes ses chances d’aboutir, mais se révèlerait certainement plus efficace qu’une navette volante transportant les enfermés.

« - J’avoue avoir été de ceux qui rechignent à appeler d’autres régions, intervint la trentenaire restée un peu en retrait. Mais de se retrouver comme ça, abandonné du monde, ça fait changer d’avis. Maintenant, on prie chaque instant pour que ça arrive, qu’on laisse tomber cette saloperie de fierté qui sert à rien pour appeler des secours. (Elle pencha légèrement la tête sur le côté.) Vous vous rendez compte de ce à quoi vous vous êtes engagé en venant ici, hein ? J’espère que ces fameux Pokémon Rangers sont à la hauteur de leur réputation.

- Je l’espère aussi ! répondit-il en masquant son incertitude sous le ton de la plaisanterie. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous sortir de là. »

Les trois membres de la Fondation hochèrent la tête, plus ou moins avec un air qui voulait dire « y a intérêt ». L’espérance du début sur leurs visages s’était muée en doute quand ils avaient appris qu’il était venu seul. Il y avait de quoi, d’ailleurs, il y avait de quoi douter, mais il espérait pouvoir leur montrer qu’il pouvait les secourir.

« Au fait, je suis Saubohne, se présenta l’homme en blouse. Directeur de la Fondation (il remonta ses lunettes sur son nez). Je m’estime être responsable de nos employés en l’absence de notre Président, Gladio.

- Oui, très bien, acquiesça Ilario à qui ce titre sonnait un petit peu fataliste). Hmm. Eh bien, votre Président (il nota intérieurement le terme pour ne plus l’oublier) m’a prévenu qu’il y avait, dans ce jardin…

- Cette réserve, s’il vous plaît. La Réserve à Pokémon du Paradis Æther.

- Ah, la RAPPA, alors, sourit Ilario. R-A-P-P-A. » épela-t-il pour faciliter la compréhension de Saubohne qui paraissait perplexe.
Le Directeur força ses lèvres à se tordre en un sourire un peu condescendant ; le Ranger n’insista pas et continua.

« Oui donc, il parait qu’il y a un Abra dans votre réserve, un Abra connaissant l’attaque Téléport.

- Bien sûr, bien sûr, acquiesça Saubohne. Mais ce n’est pas envisageable. Ce Pokémon est un nouveau-né, vous comprenez ; on a recueilli son œuf ici parce qu’un dresseur ne pouvait pas s’en occuper. Il a éclos en ce même lieu et n’est jamais sorti de la Réserve. Il ne connaît pas le monde, et donc est incapable de s’y téléporter, vous comprenez. Pour lui permettre de nous transporter à Alola même, il faudrait l’y emmener, et sans le capturer, ça va être compliqué de le forcer à vous suivre. Il pourrait se téléporter à nouveau ici si l’envie lui prend.

- Et on ne peut pas capturer de Pokémon, au Paradis Æther, ajouta le plus jeune employé, un garçon menu à la peau très foncée. Un dispositif englobe toute l’île et empêche les captures, les Balls vides sont bloquées automatiquement. Et ce dispositif ne se désactive pas. »

Ilario avait acquiescé à tous ces contre-arguments avec un léger sourire ; étonnés par cette attitude, ses trois interlocuteurs attendirent, avec de l’espoir mêlé d’agacement, qu’il expose la solution dont il semblait si sûr.

« Les Rangers ne capturent pas les Pokémon avec des Pokéballs, annonça-t-il avec satisfaction, mais avec ceci. »

Il détacha dans le même temps son Capstick de sa ceinture, et le présenta aux trois Aloliens curieux.

Exposer la chose à des non-initiés des méthodes de capture d’Almia le rendait d’autant plus fier que cet appareil n’était pas celui qu’il utilisait habituellement : pour compenser plus facilement l’absence du Top Ranger Seth, la Fédération lui avait confié le modèle le plus performant de ces appareils : le Top Capstick (qui avait pour différence majeure avec le Capstick simple de pouvoir s’attacher au poignet, mais cela lui paraissait étrange et il préférait le garder à sa ceinture).

Au bout d’une poignée oblongue de métal rouge, brille le disque de capture, dit « toupie de capture », reflétant la faible lumière du ciel noir.

« - Chaque Ranger possède une version de ce Capstick, expliqua-t-il. La partie rouge nous permet de guider le disque (il montrait au fur et à mesure les différentes parties) pour qu’il entoure le Pokémon ciblé. On transmet ainsi des sentiments d’amitié à cette cible, qui finit par se lier à nous aussi sûrement qu’avec vos Pokéballs, mais pour une durée limitée. Une fois qu’il a accompli la tâche qui lui a été confiée, il retourne à l’état sauvage. »

Les trois membres de la Fondation hochèrent la tête, plutôt impressionnés.

« Une fois que ça sera fait, il n’y aura plus qu’à revenir sur l’une des îles avec Abra, et il pourra utiliser Téléport pour faire les allers-retours ici et vous ramener avec lui dans les terres.

- Mais c’est fabuleux, cela, jeune homme, sourit Saubohne sans se forcer cette fois. Dans ce cas, ne perdons pas plus de temps ! Nos employés meurent de faim et de soif, vous voyez. »

Ilario acquiesça avec un certain entrain. La confiance soudaine du Directeur, d’abord si sceptique, lui rendait sa bonne humeur.

« Le petit Abra aime se cacher dans ce coin-ci » indiqua l’homme en blouse en claudiquant vers Ilario pour le dépasser.

Il tourna ensuite vers la gauche, et le Ranger lui emboîta le pas, suivi par les deux employés sans doute curieux de le voir à l’œuvre. Ils progressèrent ainsi sur une dizaine de mètres de pavés blancs. Ilario releva que si ses hôtes n’étaient pas faméliques en apparence, leur démarche trahissait leur manque de forces. Il espéra d’autant plus accomplir sa mission au plus vite.

Ils parvinrent, au tournant de la passerelle, à un petit espace de pelouse abritée par les arbres en bosquets. Parmi les quelques créatures qui paressaient çà et là, le petit Abra se tenait assis, fixant avec curiosité un Parecool accroché à une branche. Ilario s’approcha du bord de la passerelle, ordonnant aux autres de rester en retrait.

« Capture ! » cria-t-il en dégainant son instrument. Le disque de capture fusa vers le Pokémon qu’il visait ; alerté par l’éclat de voix, celui-ci tourna ses grands yeux bridés vers lui. Concentré, Ilario enchaîna deux mouvements de bras précis qui envoyèrent la toupie valser autour du petit Pokémon, laissant dans son sillage une traînée de lumière.

Sa cible parut prendre la chose comme un jeu. D’un bond elle évita une boucle lumineuse se refermant sur elle, d’un clin d’œil se déplaça plus loin par un Téléport naturel. Ilario sourit de cette résistance et redoubla de vitesse ; les esquives taquines de l’Abra ne suffirent plus. Assez faible, il fut capturé en seulement quatre boucles. Son corps s’alluma brièvement, puis il bondit sur ses petites pattes en direction du Ranger.

Il se posa à ses pieds et sembla ne plus jamais vouloir partir. Lorsqu’Ilario fit un pas en arrière, la bestiole psychique disparut et réapparut près de lui en un quart de seconde, dans la même position.

Le plus jeune employé ouvrait des yeux ronds, la femme cachait mal son propre étonnement, et le monsieur Saubohne hochait la tête avec intérêt.

« Très intrigant, fit-il, très très intrigant. Vous comprenez, on ne voit pas cela chez nous. On n’en entend même pas vraiment parler, vous voyez.

- Je vois, sourit Ilario non sans une certaine suffisance, involontaire.

- C’est vraiment important de dire « capture » avant ? demanda le jeune employé curieux. Ou c’est une astuce qui fait réussir à tous les coups ? Parce qu’on peut rater une capture comme ça comme celles avec des Balls, hein ?

- Oui, oui. Ça serait trop facile, sinon, haha ! Je pense qu’une capture n’est pas plus facile qu’une autre. Et le « capture » au début, ça ne sert à rien, mais pas mal de Rangers le font comme si ça pouvait les aider, et ça nous fait rire. Avec ma collègue, expliqua-t-il, en pensant à Loann. On travaille souvent en équipes, dans ce métier. Bah, du coup, on peut dire que c’est une sorte de caricature !

- Ah, acquiesça le jeune homme.

Intéressé par le sujet, il semblait visiblement prêt à continuer, mais Ilario ne comptait pas s’éterniser ici. Alyxia l’avait dit, la nuit allait tomber. Il se retourna vers Saubohne.

« Il faudrait que je reparte au plus vite, dit-il en retrouvant spontanément un ton bien plus sérieux.

- Maintenant ? Mais vous comprenez, il fera bientôt nuit. Et le temps n’est pas très bon, ajouta-t-il en levant ses lunettes vers le plafond de verre.

- Je suis venu ce soir parce que vous en aviez besoin. Si je pars demain, ça n’aura servi à rien, vous comprenez ? »

Saubohne saisit l’ironie avec une ou deux secondes de recul.

« Vous ne servirez plus à grand-chose si vous êtes pris dans le cyclone, jeune homme, grommela-t-il.

- Le ciel est comme ça à cause de la dernière averse, je ne pense pas qu’autre chose se prépare.

- Bouton, acquiesça son partenaire avec importance.

- Parfaitement » l’appuya Ilario gentiment.

Saubohne plissa les yeux derrière ses verres épais.

« Vous discutez avec vos Pokémon, à Almia ?

- Non, mais il pense que je le comprends. Vous voyez. Eh bien, il faut bien que je lui réponde !

- Ah bien. Très bien.

- Il vaudrait mieux que je parte maintenant, fit-il en se dirigeant à nouveau vers l’endroit où il était entré. Si ça se trouve, en plus, la Doyenne d’Akala m’attend pour dîner.

- Ah bien, répéta Saubohne en le suivant du regard sans un mouvement de plus. Très bien.

- Merci ! » lança le jeune employé alors que le Ranger s’éloignait vers la sortie.

Ilario se retourna en marche pour le saluer de la main, manquant de trébucher dans la cohorte de Pokémon qui l’accompagnait. Ce gamin le faisait rire.

« Ne le remercie pas tout de suite, le réprimanda la trentenaire dans le même temps. On verra s’il y arrive. »

Ilario sentit son regard sur sa nuque alors qu’il se faufilait à nouveau par l’ouverture laissée par la porte figée.

« Moi, je pense qu’il va y arriver » observa la voix du garçon portée jusqu’à l’extérieur.

Il sourit, même sur cette plateforme envahie par la crasse et la mort. Toujours suivi par les bestioles jaune, herbue et ailée, il enjamba les algues par paquets pour rejoindre le bord de l’eau. Là, un bout de la planche trempée attira son regard ; il la jeta dans l’eau. Il faisait ça quand il était enfant et se figurait des navires, intrépides, ballotés par les courants pour s’en aller saluer des plages de lointaines contrées. Parfois avait-il même fixé des messages sur ces bouts de bois flottants ; mais depuis, il avait compris que l’eau diluait l’encre, et transformait les mots en dessins illisibles qui sentaient fort le sel.

Pas plus de reflets d’eau ici que dans le bateau qui l’avait mené à Alola. Le même d’ailleurs, de reflet simplifié, avec le ciel et la plateforme. Le ciel était moins bleu toutefois, et le contraste moins marquant. Si l’ombre de sa tête s’y détachait quand même, les traits de son visage, eux, demeuraient flous. Un bel imaginaire aurait pu les voir dans les crêtes des vagues, mais Ilario ne savait pas faire ça. On n’apprenait pas ça, à Véterville.

« Bon, on y va ? » demanda-t-il à son équipage.

Rozbouton secoua la tête, le corps, de gauche à droite. Il avait encore mal compris la question, cette espèce de chenapan. Abra batifolait en disparaissant-réapparaissant à quelques bouts d’algues d’intervalle à chaque fois ; l’Archéduchesse était impassible.

« C’est un peu décourageant. Je vous dis qu’on y va. Allez ! »

Il avait ôté sa veste pour réinstaller le système de transport de sa boule de feuilles, en y aménageant une place pour le nouveau venu psychique. Le froid lui piquait les bras ; comme à l’aller, il y avait ce gel dévorant, exhalé par les rafales, que même son entraînement de Ranger habitué aux extrêmes de température n’endiguait pas assez. Après tout, on retrouvait rarement de telles conditions dans son trou de verdure ensoleillé d’Almia, où la température descendait rarement en dessous de quinze degrés, en cette saison. Car c’était l’automne, quoi qu’Alola puisse en dire avec ses crises d’hiver et ses soleils d’été. Complètement déréglée, comme région.

Il s’envola après une dizaine de minutes de problèmes techniques, les inévitables. Il ne s’agissait pas qu’un Rozbouton joue les parachutistes au-dessus des flots noirs, si léger qu’il puisse être.

Abra, assez curieux, expérimenta la chute répétée en essayant de se déplacer comme sur la terre ferme de Téléport en Téléport. Cela fonctionnait assez bien dans les airs, mais il retourna vite se reposer derrière le dos de son Ranger : maintenir même un si petit corps dans les airs mouvementés devait être assez gourmand en énergie.

Pour ne pas envisager les risques d’être pris par un caprice du temps, Ilario pensait à Véterville. Qui s’était chargé de distribuer la Gazette après son départ précipité ? Loann ou Barak, le Ranger en chef de la base ? Avaient-ils déniché des missions de leur côté ? De quand datait la dernière opération sérieuse ?

Ça devait être cette histoire d’Anoir Rayor, en fait. Si vieux que ça. Un entrepreneur très influent qui avait essayé de semer le chaos à Almia en libérant l’énergie d’un Pokémon surpuissant, Darkrai. Depuis le haut d’une tour que chaque habitant voyait grandir avec enthousiasme alors que personne ne se doutait de ce qu’il préparait. Période faste, celle-là. Les missions pleuvaient comme des Tarpaud en combat -l’expression était de lui - et pas des moindres.

Il y avait eu ces types, les… Sombres Héros ? Qui jouaient les méchants sans l’être vraiment, pour la plupart, qui avaient tout de même menacé tout Almia avec les projets de leur dirigeant. Les sbires, eux, de pauvres âmes désorganisées et tout de même laissées assez libres, avaient semé un certain désordre par la région. Bien sûr qu’il n’approuvait pas ces actes, mais ces soi-disant malfaisants l’amusaient et lui avaient fourni du travail, et de l’action, pendant quelques semaines.

C’était depuis leur disparition que les temps à Almia lui semblaient si fades. Déjà, leur nouvelle recrue, qu’il voyait comme une personne susceptible de supporter (apprécier, même, les espoirs étaient permis !) ses tendances humoristiques, les avait quittés prématurément pour rejoindre les Top Rangers de la Fédération d’Almia.
Primo avait passé seulement, quoi, deux, trois mois à Véterville. Une espèce de génie, à peine sorti de l’École des Rangers et envoyé dans l’élite presque sans transition. C’était mérité, le gamin avait sauvé Almia en capturant le Darkrai qui la menaçait.

C’était à lui que faisait penser le jeune employé de tout à l’heure, d’ailleurs, gentil, naïf et intelligent.

Le vent se faisait de plus en plus fort et les nuages s’assombrissaient toujours. La lumière du soleil perceptible dans l’air s’envolait peu à peu, l’ensemble du décor prenait l’air menaçant.

Son cœur accéléra son allure ; il eut l’impression que les ailes d’Archéduc faisaient de même. Rozbouton poussa un cri d’inquiétude étouffé par le tissu ; Abra se téléporta dans le vide pour jeter un coup d’œil à l’extérieur, et retourna vite dans son harnachement avec la boule de feuilles.

L’air se brouillait presque à vue d’œil, le temps clair du trajet aller paraissait comme un rêve ou un vieux souvenir.

T’es pris là-dedans, tu meurs, mon pote.

Les battements d’ailes affolés de l’oiseau transporteur hésitaient à la direction à prendre pour éviter la tourmente, mais la tourmente était déjà partout. Exactement comme on le disait. Ça tombe comme ça, et si t’es dedans, tant pis pour toi.

Être Ranger quelconque ne changeait rien à ça.

Les vents violents portaient à présent des gouttes d’eau et d’écume pointues comme des graviers, qui lui giflaient les bras et les joues par volées. Ilario sentait les rafales le gagner et déchirer jusqu’à l’intérieur de sa tête en faisant tourner ses yeux dans leurs orbites. Les oreilles bourdonnantes et sourdes.

Et même son cœur tournait aussi. Il saisit des deux mains les pattes déterminées qui lui serraient les épaules, dans un geste de réflexe d’un espoir qui n’existe pas. Seules ses pensées, en lui, ne tournaient pas, comme de gros cailloux noirs déposés au fond d’une âme en crue comme au fond d’une rivière, avec les petits bouts de roches et de vase qui tournoyaient autour et empêchaient de voir.

Sur ces gros cailloux, il y avait écrit que des passerelles blanches traversaient la jungle artificielle, qu’un Tropius s’était cassé les ailes, que le café était noir comme des yeux tristes, que la mer ne reflétait que le ciel et que toute la vie était submergée par les glouglous de la mer.

C’était parfaitement stupide. Il pensa au col roulé de Vicky, cligna des yeux, entendit Rozbouton couiner, vit les cercles concentriques dans les vagues en bas, avala des graviers d’écume, toussa et cracha. La foudre déchira le ciel et explosa dans le monde, brisa les flots et les alluma par-dessous. Toute cette eau qui envahissait partout, l’infirmière-épongeuse du Centre Pokémon n’allait pas aimer du tout. Alyxia non plus, parce qu’elle allait encore devoir reconstruire la forêt. Il pensa à cet instant qu’il n’avait pas emmené de vêtements de rechange, reçut une gifle des éléments et chuta vers des vagues gigantesques.

Et salées.