Le Renouveau de Valhanya

« - Vous avez tué un Pokémon !
- C’était un regrettable accident…
- Un accident?! Ne me faites pas rire, quel Pokémon survivrait à six attaques chargées d’Ultralaser, dont cinq simultanément?
- Maître Iris, calmez-vous…
- Non, je ne me calme pas! »
Le visage cramoisi par la fureur, les yeux rouges et bouffis par les larmes, Iris pointait d’un index menaçant l’un des hommes de l’escouade de sauvetage qui restait, malgré tout, impassible face à cette déferlante de colère.
« - Vous avez tué un Pokémon, répéta Iris en détachant bien chaque mot afin que son interlocuteur comprenne le fond de sa phrase. Et vous vous dites employé de la Fondation Æther? De qui tenez-vous vos ordres?
- Du Capitaine Vinoth, Maitre Iris
- Très bien, lors de ma visite à la Fondation, j’aurai deux mots à lui, à ce cher Capitaine Vinoth. »
Elle se retourna et se dirigea vers un petit canapé blanc sur lequel elle s’assit de manière brusque. Elle prit le verre d’eau qui se trouvait sur une petite table ronde juste en face d’elle et le bu rapidement, d’un trait.
Elle se trouvait dans ce que les employés de la Fondation appelaient « Foyer Æather », une sorte de grand mobile-home déployé dans les cas d’urgence afin d’abriter des rescapés ou des blessés après une opération de secours. Iris ne se sentait pas à l’aise dans cet endroit. Bien que magnifiquement éclairé et épuré par le blanc immaculé de la peinture murale et du petit mobilier moderne qui présentait de petites touches de couleurs discrètes, l’atmosphère l’étouffait. Cet intérieur était totalement aseptisé et ne dégageait ni aucune chaleur, ni aucune personnalité.
Après avoir reposé tout aussi brusquement son verre dont le cristal tinta sur la table, elle soupira et se prit le visage entre les mains. Son séjour n’avait même pas débuté que c’était déjà un vrai cauchemar. 
« - J’imagine, reprit le Maître d’Unys d’une voix rauque, que vous n’avez pas pu sauver les personnes qui étaient coincées dans le bateau ou qui s’enfuyaient par la mer.
- Non, Maître Iris. Ils étaient malheureusement tous… Décédés.
- A cause des rayons des Ultralaser, n’est-ce pas? »
L’employé Æther garda le silence. Il se tenait debout à quelques mètres d’elle, très droit et fier, les deux mains croisées derrière le dos.
« - Je ne comprends pas. Pourquoi m’avoir demandé de lancer cet Ultralaser? Je vous ai tous regardé et j’en ai pas vu un seul profiter de cette distraction pour aller vérifier et sauver des passagers. »
L’homme resta figé et muet , ce qui eut le don de mettre Iris hors d’elle.
« - Répondez, bon sang ! Pourquoi? Et la Cage-Eclair, c’était vous également, n’est-ce pas? Je n’ai pas vu de Pokémon électrique avec vous. Qu’est-ce que c’était? Répondez !
- Iris ! »
Celle-ci se tut et tourna la tête en direction de la voix qui l’avait apostrophée. Sur le seuil du Foyer se tenait une jeune fille blonde d’une quinzaine d’années, habillée d’un tailleur chic d’un blanc éclatant. Ses grands yeux de couleur herbe exprimaient une certaine sévérité et sa fine bouche peinte d’un discret rouge à lèvre de couleur rose pastel était pincée.
« - Lilie ? »
L’expression stricte du visage de son amie choqua Iris. Jamais elle ne l’avait senti dégager une telle autorité.
« - Laissez-nous, ordonna Lilie à son employé d’une voix impériale. Le capitaine Vinoth vous attend à la Fondation. 
- Bien, Mademoiselle la Directrice. »
L’employé s’inclina bien bas devant sa jeune supérieure qui lui lança un regard dédaigneux. Toujours aussi droit et fier, il se dirigea vers la sortie sans un dernier mot ni un dernier regard à Iris et sortit du Foyer. Lilie ferma et verrouilla la porte derrière lui en soupirant. Une fois seule avec le Maître d’Unys, son attitude implacable changea instantanément et son visage reprit une certaine douceur et bienveillance.
« - Iris ! Mon Dieu, comme je suis heureuse, tu n’es pas blessée ! »
Lilie se rua vers son amie, la prit dans ses bras et l’étreignit si fort qu’Iris sentit quelque chose craquer au niveau de sa clavicule.
« - Lilie… Tu me broies les os.
- Oh, pardon ! »
Iris se dégagea de l’étreinte de son amie, sourit, et lui prit les deux mains tout en l’observant attentivement. L’émotion des retrouvailles fit apparaitre des petites larmes dans les yeux verts de Lilie qui la regardait à présent avec inquiétude. Elle avait laissé pousser ses cheveux blonds platine qui, détachés, lui couvraient le postérieur. Les effets de la puberté furent bénéfiques pour la jeune Directrice dont la chic tenue mettait en valeur ses nouvelles formes. Lilie était très coquette, rayonnante, et belle. Cependant, Iris resta inquiète. Le naturel, qui était le trait de caractère principal de Lilie, semblait avoir disparu. Devant elle se tenait une jeune fille certes devenue beaucoup plus mature, mais également superficielle.
« - Iris, qu’est-ce qui ne va pas? Tu me fixes comme si l’on s’était jamais vues !
- Tu as… beaucoup changé, Lilie.
- J’ai juste grandi. J’imagine que ce n’est pas pareil lorsque l’on voit quelqu’un en conversation vidéo et en réalité. Toi, tu n’as pas changé, Iris ! »
Lilie lui adressa un grand sourire et l’embrassa sur les deux joues. Sa peau, qui restait laiteuse malgré le soleil et le climat tropical de la région, était douce et elle exaltait un doux parfum de vanille. Iris resta troublée. Son sourire n’avait rien de spontané. Quelque chose n’allait vraiment pas dans le comportement de son amie et il fallait qu’elle le découvre rapidement.
« - Allons à l’hôtel, proposa Lilie. Nous nous relaxerons là-bas. Je t’ai également amené un sac de vêtements et un peu d’argent. C’est une maigre compensation après ce qui est arrivé durant le voyage… 
- Merci Lilie. Je t’avoue que cela ne m’a même pas traversé l’esprit. J’ai quelques questions concernant cet… incident et cette fameuse escouade de sauvetage.
- Je comprends. Allons-y, mon chauffeur nous attend. »

***

En ce milieu d’après-midi, le soleil d’Alola était à son zénith et chauffait les peaux. Peu habituée à une telle ardeur venant de l’astre de jour, Iris s’était réfugiée avec son jus de papaya glacée sous un des parasols de la célèbre plage Hano-Hano de l’île Akala. Elle avait prit le temps de passer à l’hôtel des Embruns qui annexait la plage, afin de se doucher et de se vêtir d’une tenue plus appropriée au climat avant de rejoindre Lilie qui l’avait attendu patiemment sur une table en terrasse spécialement réservée pour toutes les deux. Malgré l’ombre du parasol, la boisson rafraichissante et les vêtements légers, Iris transpirait et supportait mal la chaleur.
« - Est-ce que la Fondation Æther pourra lancer une enquête plus approfondie concernant cet accident? Demanda Iris après lui avoir narré l’incident dans ses moindres détails.
- Bien sûr. D’après mes rapports, il y a eu beaucoup de pertes humaines, comme Pokémon. Les recherches près du bateau naufragé ne sont pas terminées, nous retrouverons peut-être d’autres disparus…
- Ce Tentacruel… Pourquoi tes employés ont-ils décidé de le tuer? Qui au sein de la Fondation aurait pu donner un tel ordre?
- Ce Tentacruel a tué des marins et des Pokémon, Iris. »
Iris resta bouche bée face à la réponse et au ton abrupt soudainement employé par son amie. Elle resta silencieuse pendant quelques instants, observant Lilie qui tournait machinalement la paille en forme de palmier dans son verre de diabolo nanana. Les glaçons tintaient contre les parois du verre et jouaient comme une petite mélodie en arrière-plan, se mêlant au bruit soyeux des vagues et aux cris des enfants et Pokémon qui couraient sur le sable.
« - Tu cautionnes ce meurtre? Risqua Iris.
- Je n’ai pas dit ça. Je dis juste que l’escouade a employé ce qu’on appelle la légitime défense.
- Ce Tentacruel n’était pas normal. Il n’était pas du tout lui-même !
- Qu’est-ce qu’on aurait dû faire, dans ce cas, Iris? »
La jeune fille blonde avait arrêté de triturer sa paille, la mélodie s’arrêta net. Ses grands yeux verts, à l’instant bienveillants face au récit d’Iris étaient redevenus sévère et cette fois-ci, c’est vers le Maitre d’Unys que ceux-ci étaient dirigés. Iris scruta ce nouveau regard et elle put y lire de la détermination. Une détermination malsaine, qui hérissa instantanément ses poils de nuque. Des frissons parcourent son corps. Elle se sentit soudainement glaciale, comme si ce simple regard avait refroidi la chaleur tapante de l’île. Iris se redressa sur sa chaise, essayant de cacher son trouble.
« - Faire ce qui était prévu au départ, le neutraliser. Et comprendre ce qui a pu provoquer ce comportement.
Au détriment des vies qu’il a fauché?
- Il n’était pas conscient de ce qu’il faisait. Et le tuer n’a pas ramené à la vie ceux qui ont péri, Lilie ! »
Sans le vouloir, Iris avait haussé la voix. Heureusement, le bruit incessant de la mer et des plagistes couvraient leur discussion et personne ne fit attention à elles.
« - Il était incontrôlable, Iris, reprit Lilie calmement tout en sirotant une gorgée de sa boisson. Nous n’aurions pas pu le sauver.
- Tu dis ça comme si tu savais des choses sur ce Tentacruel, soupçonna Iris, essayant de contrôler les tremblements dans sa voix.
- Tu deviens paranoïaque.
- J’essaie de comprendre ce qui a bien pu arriver. A lui, comme à toi. »
Le verre tinta sur la table lorsque Lilie le reposa un peu sèchement. Elle semblait quelque peu irritée mais elle sourit tout de même à son amie.
« - Est-ce que tu voudras venir visiter la Fondation? Demanda Lilie de but en blanc.
- Avec plaisir. Je crois que j’ai beaucoup de choses à apprendre là-bas, répondit gravement Iris.
- Très bien. Si demain te convient, tu pourras venir passer l’après-midi.
- Bien sûr.
- J’ai tellement hâte ! »
Le sérieux de la jeune fille avait disparu tout aussi brusquement qu’il était apparu, ce qui déconcerta une fois de plus Iris.
« - Depuis le temps que je voulais te montrer mes recherches ! Continua-t-elle en joignant les deux mains, excitée. Tu me diras ce que tu en penses.
- Euh… Bien sûr. Est-ce que je pourrais rencontrer le Capitaine Vinoth également?
- J’arrangerai ça, ne t’en fais pas. Il se fait tard, je dois y aller. »
Lilie se leva et lissa la jupe de son élégant tailleur avant de reprendre son petit sac à main accroché à l’accoudoir de la chaise. Elle se dirigea ensuite vers Iris qui s’était également levée et la serra dans ses bras.
« - Je suis tellement heureuse que tu sois là, lui murmura-t-elle à l’oreille.
- Malgré ce qui a pu se passer, moi aussi.
- Nous sortirons ensemble, je te ferai visiter les plus beaux coins de la région ! N’hésite pas à visiter la ville, il y a de beaux endroits à voir. Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi.
- Merci Lilie, c’est très gentil à toi. 
Elle l’embrassa sur les deux joues avant de tourner les talons. Avant qu’elle ne lui fasse un dernier signe d’adieu, Iris l’entendit murmurer pour elle-même:
« - Tu n’es pas encore prête pour le changement, Iris. Mais je suis sûre, tu l’accepteras. Tu dois l’accepter