Une leçon de vie de MissDibule

Ludvina entra dans la pièce au moment même où la sonnerie de début des cours retentit. En pénétrant dans sa salle de classe, elle eut à peine le temps de comprendre ce qui se passait : avant qu’elle puisse dire ou faire quoi que ce soit, elle sentit quelque chose heurter son visage. Elle porta immédiatement sa main à son front, où était fiché un petit bout de papier roulé en boule. La jeune professeure releva la tête pour découvrir le coupable. Dans la grande salle de classe éclairée par la lumière du Soleil d’Alola, tous les regards étaient rivés sur un garçon brun avec un pansement blanc sur le nez, une sarbacane de fortune à la main. Ludvina reconnut l’espiègle Nele, qui commençait l’année en beauté. « C’est un test. Il veut voir ce que je vais faire. Ou bien il veut m’énerver d’entrée de jeu. », pensa l’enseignante.

Elle se souvenait que Nele aimait attirer l’attention sur lui en faisant toutes sortes de bêtises. Il devait probablement s’attendre à ce qu’elle se fâche. Ludvina décida donc de réagir à contrepied. Une main sur la hanche, la boulette de papier dans l’autre, elle déclara avec un air amusé :
- Une boulette de papier ? Je dois dire que m’attendais à mieux de la part du fameux Nele…
Le concerné écarquilla les yeux, si surpris qu’il en perdit ses mots. « Gagné. », songea l’apprentie professeure. Puis cette dernière jeta nonchalamment le papier dans la corbeille située juste à côté de son bureau. Ensuite, elle posa sa besace sur le meuble et reprit :
- Bien, passons aux présentations…

Elle posa les mains à plat sur son bureau et fit face pour la première fois à sa classe. Ses huit élèves étaient là, assis à leur bureau, tous réunis face à elle dans cette salle de classe ensoleillée. Une salle sobre aux murs blancs et aux larges fenêtres, avec pour seules « décorations » une plante verte, quelques armoires et un immense tableau noir. Ludvina se jura de trouver une manière ou une autre d’habiller ces murs dépouillés, car désormais, cette salle de classe était la sienne. Et les huit paires d’yeux qui la fixaient étaient ceux de ses élèves.

Joignant le geste à la parole, la jeune femme saisit l’une des craies blanches à sa disposition et écrit son nom au tableau.
- Enchantée, je m’appelle Ludvina White, je suis…
- U’i, compléta Nele en Lawaïen, le sourire aux lèvres.
Cette fois-ci, Ludvina ne sut quoi répliquer, pour la simple et bonne raison qu’elle ignorait totalement ce que le garçon venait de dire. Une autre de ses élèves, une jolie fillette blonde aux yeux bleus, intervint à son tour :
- On s’en fiche de ton avis, Nele, cracha-t-elle avec dédain.
Ludvina reconnut immédiatement -peut-être même plus grâce à son attitude que son physique- Nani Kaena, la fameuse belle-fille de la directrice. Elle était tout aussi cassante qu’elle, mais pas dans le même registre.

L’enseignante voulut calmer le jeu, mais elle fut devancée :
- Vous êtes ridicules. D’un, Nele, c’est vrai que tu n’es pas obligé de nous faire partager tes remarques sur le physique de notre professeure. De deux, Nani, tu n’es pas obligé de le lui dire aussi violemment, fit remarquer un jeune garçon à lunettes, l’air infiniment sérieux.
« Oh là là… Je n’ose même pas imaginer ce que “u’i“ signifie… », songea l'institutrice, gênée en écoutant cet échange. Mais elle ne pouvait pas se laisser déstabiliser si facilement :
- Merci à toi, Akamai. Quant à vous deux, vous feriez bien d’écouter votre camarade.
En guise de réponse, Nele se contenta d’un rire, et Nani d’un « humpf » hautain.

L’élève qui venait de parler était en effet Akamai Okaikai. Comment ne pas reconnaître cet élève si particulier, dont le génie avait agacé plus d’un professeur ? Ludvina décida cependant de reprendre les choses en main :
- Je disais donc… Je suis votre nouvelle professeure et je suis ravie de vous connaître. J’espère que nous passerons une agréable année ensemble. Vous pouvez m’appeler « maîtresse ».
Un ricanement s’éleva parmi l’assistance. Il provenait d’une fillette rondouillarde au regard provocateur.

Ludvina ne se laissa pas démonter et demanda simplement :
- Qu’y a-t-il, Nuha ?
- Pff… « Ravie » ? À qui vous allez faire croire ça ? On vous a filé la classe des déchets…
La jeune femme fit son plus grand sourire et répondit :
- Eh bien, crois ce que tu veux, mais je suis réellement contente de tous vous rencontrer. Et je ne vous considère pas du tout comme des « déchets ».
Nuha leva les yeux au ciel mais ne répliqua pas.

Ludvina jeta ensuite un œil à la deuxième moitié de la classe qui n’avait pas encore parlé : Laka et Iki fixaient leur bureau d'un air confus, tandis que les jumeaux Akua avaient les yeux perdus dans le vague. « Bon, il faut bien commencer le cours à un moment ou à un autre… Ça les fera peut-être parler… ». En fouillant dans son sac, les doigts de la jeune femme aux cheveux bruns rencontrèrent les feuilles d’examen photocopiées la veille. La directrice avait expressément demandé aux professeurs de soumettre ce test à leurs élèves dès le premier cours mais… Ludvina se dit que ce n’était absolument le genre de chose à faire si elle souhaitait s’attirer la sympathie de ses nouveaux élèves.

Elle hésita un moment, puis elle eut une idée. Les feuilles à la main, elle s’adressa à ses élèves :
- Les enfants, la directrice m’a demandé de vous faire passer ce test pour évaluer vos connaissances.
Les réactions furent mitigées suite à cette annonce. La moitié silencieuse de la classe ne broncha pas, quant à Akamai, il semblait ravi. En revanche, Nani, Nele et Nuha -que Ludvina ne tarderait pas à surnommer « le gang des trois N », à la fois en référence à leurs prénoms, mais également en l’honneur de l’un de ses plus vieux amis- émirent évidemment de vives protestations.
- Je vois pas pourquoi on devrait faire tout comme l’ordonne ma vieille peau de belle-mère ! Déjà qu’elle commande tout à la maison ! s’exclama Nani avec animosité.

Ludvina ne put s’empêcher de sourire à cette remarque. Elle était vraiment amusée de voir que Nani portait la même affection à la directrice qu’elle-même. Elle l’avait même affublée d’un sobriquet identique ! La maîtresse savait qu’elle aurait dû reprocher son insolence à son élève, mais elle ne put s’y résoudre :
- Tu sais quoi, Nani ? Je suis d’accord avec toi.
Un étonnement général s’empara de la classe, qui fit les yeux ronds.
- Je n’ai pas envie de vous infliger un test dès la rentrée, alors je me suis dit qu’à la place, on pourrait le faire ensemble, ce sera bien plus agréable. Qu’en dites-vous ? proposa la professeure, nerveuse.

Hormis Akamai, tout le monde sembla approuver la proposition. « Le gang des trois N » semblait le plus enthousiaste.
- Bien ! Le test porte sur l’ensemble du programme. Je vais vous poser les questions une à une, et ceux qui connaissent la réponse pourront lever la main pour répondre. Alors, première question… commença Ludvina.
L’enseignante posa alors successivement les questions à ses élèves. Constatant que seul Akamai semblait enclin à répondre, elle décida au bout d’un moment de changer de stratégie et d’interroger elle-même les élèves qui ne participaient pas.

Ainsi, alors qu’elle posait une question concernant les baies, elle interpella Nani, qui préférait visiblement discuter avec Laka :
- Nani, tu as une idée ?
- De quoi ? Sur cette histoire de baies ? Nan.
- Allons, tu ne vas pas me faire croire que tu ne connais pas les deux baies qui permettent aux Pokémon de récupérer des PV les plus utilisées.
- Humpf, bien sûr que si… Il y a la baie Oran et la baie… euh… Oh j’sais pas moi ! s’écria-t-elle rageusement.
- …Sitrus, fit une toute petite voix, sortie de nulle part.

Soudain, le silence se fit, et tout le monde se retourna vers l’origine de la voix. Celle qui avait parlé n’était nulle autre que Mahina Akua, l’intrigante fillette aux cheveux violets. Son visage inexpressif devint soudain gêné, à la vue de tous ces regards rivés sur elle.
- Pff, t’es fière de toi ? Je le savais en plus, affirma la jolie blonde avec vantardise, à l’adresse de sa camarade.
Ignorant la remarque de Nani, Ludvina concentra son attention sur Mahina :
- Bravo Mahina, c’est ça ! La baie Sitrus est d’ailleurs plus usitée que la baie Oran, car contrairement à cette dernière qui ne rend que dix points de vie, la baie Sitrus rend un quart de son énergie au Pokémon, expliqua l’enseignante.

Après une remarque d’Akamai sur le fait qu’il existait d’autres baies permettant de régénérer les points de vie d’un Pokémon, Ludvina poursuivit ses questions, interrogeant même les plus timides :
- Iki, connais-tu les trois faiblesses du type Acier ?
Le garçon aux boucles châtaines et aux yeux émeraude s’empourpra soudainement, surpris qu’on lui accorde de l’attention, avant de secouer la tête en guise de négation.
- Ha, le nul, commenta méchamment Nuha.
La professeure se souvint soudainement que la fillette adorait martyriser Iki, et décida d’intervenir :
- Je t’interdis de dire ça, Nuha. Mais j’en déduis donc que tu connais la réponse, n’est-ce-pas ?

Nuha haussa les épaules, ce qui signifiait probablement qu’elle ne connaissait pas la réponse, mais qu’elle se moquait éperdument de la connaître. Ludvina soupira. Elle s’apprêtait à interroger une énième fois Akamai, qui risquait à tout moment de se rompre le bras, quand soudain, Ao leva la main. Agréablement surprise de voir le garçon aux yeux clairs participer, l’enseignante lui donna la parole :
- Sol, Combat et Feu, dit-il simplement.
« Tout comme sa sœur, il est peu loquace. Il me donne simplement la réponse, ni plus, ni moins. Enfin, ce n’est pas plus mal, comparé à Akamai et ses exposés d’une demi-heure… », pensa Ludvina en son for intérieur, un brin amusée par la situation.

Elle félicita donc Ao pour sa bonne réponse. Exactement comme Mahina, le jeune garçon lui répondit par un sourire gêné, qu’elle lui rendit. Puis la jeune institutrice posa l’ultime question de l’interminable test tout droit sorti de l’esprit retors de Severa Kaena, qui n’était d’ailleurs pas exactement une question :
- « Citer deux des trois talents Pokémon existants accordant une priorité au Pokémon qui le possède ». L’un de vous en connaît-il ? Laka, peut-être ?
La fillette aux courts cheveux blond platine sursauta en entendant son nom. Cependant, à la surprise générale, Laka réussit à répondre à la question, pourtant très ardue :
- Euh… Prioguérison ? proposa-t-elle, peu sûre d’elle.

Ludvina la fixa quelques secondes sans rien dire. Elle avait honte d’avouer qu’elle ne connaissait même pas le talent Pokémon évoqué par son élève. Elle fouilla rapidement dans sa besace contenant la feuille de réponses confiée par la directrice Kaena, car ses professeurs étaient visiblement trop stupides pour trouver les réponses eux-mêmes. La professeure put alors constater que Laka avait raison.
- Bravo, Laka ! Mais… comment connaissais-tu ce talent ? Moi-même, j’ignorais son existence.
Et, étant donné l’air outré d’Akamai, il y avait fort à parier que lui aussi.
- Oh, je… C’était facile, c’est le talent de Guérila.
- Guérila ? demanda Ludvina, intriguée.
- C’est ma Guérilande, je l’ai appelée comme ça, expliqua Laka, mal à l’aise.

La professeure se souvint alors qu’en effet, Laka possédait un Pokémon qui lui était inconnu.
- Oh, c’est très intéressant ! J’apprécierais beaucoup que tu me parles plus en détail d’elle, un jour ! affirma l’enseignante avec sincérité.
- Bien sûr, répondit Laka avec un léger sourire, un peu plus détendue.
La fillette appréciait beaucoup son Pokémon, à n’en point douter.
- Bien, le test est terminé, bravo à vous tous ! Nous pouvons maintenant passer à…
- Mais, maîtresse… Le test n’est pas terminé, nous n’avons cité qu’un seul talent à priorité, objecta Akamai.

La maîtresse en question leva les yeux au ciel :
- Et bien je t’en prie, Akamai, cites-en un autre !
- Très bien, dans ce cas… Ailes Bourrasque, Far…
- Ça ira comme ça, merci, Akamai. Parfait, maintenant, nous pouvons commencer notre toute première leçon !
- Qui concerne ? demanda l’élève modèle mais un tantinet agaçant.
- J’allais y venir, Akamai. La partie une du programme concerne le soin. Aujourd’hui, nous allons simplement aborder ce que l’on entend par « soigner un Pokémon ».

La professeure expliqua alors à ses élèves la différence entre soigner les PV d’un Pokémon, soigner une altération de statut et ranimer un Pokémon K-O. Elle était heureuse de voir que l’ambiance de la classe était un peu apaisée, et surtout, le plus important… elle était ravie de voir qu’elle avait réussi à intéresser cette classe dite « difficile ». En réalité, elle appréciait déjà ces enfants, tous si particuliers, et pourtant si attachants… En cet instant, Ludvina ne regrettait plus du tout d’avoir accepté la lourde tâche de devenir professeure de la classe D. Elle enseignait à de jeunes esprits l’art des dresseurs Pokémon, comme elle l’avait toujours rêvé.
- Quels sont les différents moyens de réveiller un Pokémon endormi ? demanda-t-elle à sa classe.

Akamai fut bien évidemment le premier, et également le seul, à lever la main. Ludvina soupira mais lui donna néanmoins la parole :
- Oui, Akamai ?
- Utiliser l’objet Réveil, ou bien à l’aide d’une baie Maron.
Ludvina fut étonnée par cette réponse. Elle était certes rigoureusement exacte, mais… Akamai semblait doué pour ne trouver que les réponses les plus compliquées, tout en oubliant les plus élémentaires :
- Hum… Oui, en effet, mais tu as oublié un moyen, qui est pourtant le plus simple… lui fit-elle remarquer.

À ces mots, Nele, qui semblait -justement- dormir depuis le début du cours, sursauta soudainement, comme s’il venait d’avoir une illumination. Il leva la main, l’air confiant.
- Nele ? Une idée ?
- Ouais. Suffit d’attendre un peu, comme avec moi. J’ai bien fini par me réveiller ! fit-il avec légèreté.
L’institutrice sourit. Elle hésitait entre réprimander son élève ou le féliciter. Elle fit finalement les deux :
- Très drôle, Nele. J’apprécierais que tu évites de finir ta nuit pendant mes cours. Cependant, tu as tout à fait raison. Même sans utiliser l’un des objets évoqués par Akamai, un Pokémon finit par se réveiller de lui-même lorsqu’il est endormi. Du moins, lors des combats.

Nele jeta alors un regard triomphant à son camarade à lunettes, qui lui répondit par un regard indifférent. Ludvina regarda cette scène avec un certain amusement. Elle préférait nettement avoir des élèves hauts en couleurs plutôt que des élèves transparents. C’est à ce moment précis que la jeune apprentie professeure réalisa qu’elle aimait la difficulté. C’était la raison pour laquelle la classe D était faite pour elle. Elle sourit à cette pensée, et eut un léger pincement au cœur en réalisant qu’il était déjà l’heure de clore la matinée de cours.
- Bien, les enfants, c’est déjà la fin de notre premier cours… Nous nous retrouverons après le déjeuner, annonça-t-elle en rassemblant ses affaires.

Peu après, la sonnerie marquant la fin de la classe retentit, et Ludvina regarda ses élèves quitter la salle de classe les uns après les autres, marmonnant un simple « bon appétit ». Le premier cours de Ludvina White en tant que professeure de la classe D venait de s’achever, et elle savait que le plus dur ne faisait que commencer. Mais cela ne lui faisait pas peur. Plus exactement, cela ne lui faisait plus peur. Elle se sentait prête à tout affronter. Même la directrice Kaena. Même une armée de Severa Kaena. Elle ne savait pas en pensant cela à quel point elle était proche de la vérité…