Dans les hauteurs
A l’aube de mon cinquième jour à Alola, Sammy n’eut pas besoin de me sauter dessus pour me réveiller avec les premiers rayons du soleil, car j’avais déjà les yeux grand ouverts, impatiente de quitter Mele Mele. Le professeur Euphorbe avait été fantastique ces derniers jours : il était parvenu, malgré la communication peu évidente entre les îles, à contacter les plus anciens Doyens et Capitaines d’Alola, pour leur poser des questions visant à déterminer s’ils étaient susceptibles d’avoir croisé, et surtout de se souvenir, de quelqu’un qui eusse collé à ma description. En effet, je n’avais aucune idée de la date précise à laquelle ils auraient pu le rencontrer, plusieurs années auparavant aussi bien que quelques mois avant seulement. Il fallait donc un Doyen ou un Capitaine en fonction depuis plus ou moins une dizaine d’années, et surtout avec une mémoire exceptionnelle. Malheureusement, en dépit de tous les efforts fournis par le professeur, aucun ne correspondait à cette description : la plupart des Capitaines étaient très jeunes, et les plus âgés trop fréquemment défiés pour se rappeler un individu particulier. Quant aux Doyens, les deux plus âgés n’étaient pas les plus fiables, celui qui avait à peu près mon âge était trop blasé pour se rappeler quelque détail que ce fut, et la plus jeune, qui devait avoir l’âge de mon fils, était Doyenne depuis seulement deux ans.
Evidemment, je n’avais pas très bien réagi à ces mauvaises nouvelles, et je bénissais Samuel de m’avoir confié Sammy. M’occuper du petit Caninos, jouer avec lui, veiller à ce qu’il mange bien, le regarder s’entraîner contre le Rocabot du professeur, tout ceci donnait un autre but à ma vie que de naviguer dans le brouillard à la recherche d’un passé perdu, que je pensais parfois ne jamais parvenir à retrouver. Et pour être complètement honnête, même lorsque j’y réfléchissais objectivement, je songeais ma famille ne retrouverait jamais le bonheur qu’elle avait connu lorsque mon mari et mon fils vivaient avec moi…
Quoi qu’il en soit, en ce jour précis, j’étais optimiste : car si la plupart des Capitaines et Doyens avaient répondu à l’appel du professeur, il restait une Capitaine, en fonction depuis huit ans, que nul ne parvenait jamais à contacter, et son nom était Oléa. D’après le professeur, c’était une artiste peintre qui passait son temps dans les montagnes, à se laisser porter par ses envies, et toujours d’après lui, comme elle était difficile à contacter ou même ne serait-ce qu’à trouver, elle était rarement défiée, et était donc plus susceptible de se rappeler des personnes qu’elle avait combattues.
Avec un nouvel objectif en tête, c’est à dire trouver et interroger cette fameuse Oléa, je me levai assez guillerette, avant Sammy, que je pris un malin plaisir à secouer alors que le pauvre dormait tranquillement.
– Eh oui, chacun son tour, tu vois ce que ça fait maintenant ! répondis-je joyeusement à son gémissement ensommeillé.
– Déjà debout ? s'étonna le professeur en me voyant débarquer dans ce qui lui servait de salle à manger et de cuisine.
– Oui ! J'ai hâte de partir ! Quand prenons-nous la mer ? Et quand arriverons-nous ? Pensez-vous que nous trouverons Oléa rapidement ?
– Eh bien eh bien, fit le professeur, hilare, je suis content de vous voir aussi énergique, je crois bien que c'est la première fois depuis que vous êtes arrivée que vous êtes aussi exaltée !
– Je pense qu'à ma place, vous le seriez aussi, non ? rétorquai-je, un peu vexée.
– Evidemment ! Mais moi, je suis comme ça tout le temps, ajouta-t-il avec un clin d'oeil.
Je me détendis un peu : il était naturellement taquin, et de plus, il n'avait pas tout à fait tort. A la lumière de mes espoirs renouvelés, je réalisais désormais que j'avais eu un comportement à la limite de la dépression, et surtout, que mes angoisses que je croyais purement intérieures étaient en fait très apparentes pour les personnes à qui j'avais pu parler. Je comprenais mieux, maintenant, que Samuel ait voulu me dissuader : j'étais déjà dans un tel état, qu'un désenchantement de plus aurait peut être pu me tuer.
– Oui, c'est sûr que j'ai été assez pénible... je m'en excuse, professeur.
– Euh, c'est pas ce que je voulais dire ! se récria-t-il.
– Je sais bien, me hâtai-je de le rassurer, mais le fait est que ma compagnie n'a pas été des plus agréables, et je tenais à m'en excuser auprès de vous !
– Bah, ce n'est pas nécessaire, moi je l'apprécie, votre compagnie ! Et puis, vous avez des circonstances atténuantes. Bref, et si nous faisions le point sur notre projet ?
Nous passâmes donc quelque temps à préparer notre départ de Mele Mele, notre arrivée à Poni, et notre recherche de cette Capitaine. J'étais excessivement soulagée qu'il m'accompagnât, car même si ma petite excursion dans la jungle n'avait pas eu de conséquences négatives, à part quelques courbatures, je n'en restais pas moins méfiante : Sammy n’était pas très puissant, je ne m’y connaissais pas en combats pokémon, je ne connaissais pas la région, je ne connaissais pas cette Capitaine… rien que de songer à tous ces problèmes me donnait des vertiges, alors si j’avais dû les affronter seule, quel drame cela aurait été !
Nous quittâmes donc Mele Mele en début d’après-midi, après avoir rejoint Ekaeka et pris le bateau, et arrivâmes à Poni, plus précisément au Village Flottant. C’était un endroit très pittoresque, et je fus plus qu’étonnée de voir que la grande majorité des habitations étaient flottantes ! De plus, elles empruntaient leur forme à des pokémon qui m’étaient relativement familiers, tels que Wailord ou Steelix ! Après que nous eussions débarqué, je ne pus m’empêcher de traîner derrière le professeur, pour dévorer du regard toutes ces maisonnettes, et mon compagnon de route dut me héler plusieurs fois avant que je ne revienne à une allure normale, me jurant toutefois de revenir au Village Flottant.
Nous quittâmes la seule zone réellement peuplée de l’île de Poni, pour nous engager sur un sentier qui cheminait entre les hautes herbes. Cette île était complètement différente de la première que j’avais visitée : là où Mele Mele regorgeait de grands arbres, d’une végétation luxuriante et d’un soleil dont la chaleur était tempérée par une brise légère, Poni était quasiment dépourvue de toute plante autre que de hautes herbes sèches dévorant partiellement un terrain irrégulier et sablonneux, le tout dominé par un soleil de plomb et des bourrasques qui, certes rares et brèves, n’en étaient pas moins très violentes.
Marcher dans ces conditions, surtout pour moi qui n’avait jamais été une grande sportive, m’épuisa très vite, et le soleil ne touchait même pas la mer lorsque le professeur, respectant ma ténacité, mais suffisamment avisé pour savoir que j’allais atteindre mes limites sous peu, imposa l’arrêt.
- Nous ne trouverons pas Oléa aujourd’hui, même si nous continuons jusqu’à la tombée de la nuit. Il vaut donc mieux commencer à monter le campement, pour passer une bonne nuit, et partir d’un bon pied demain matin !
Je ne songeai même pas à le contredire, car la fatigue avait balayé toute impatience de ma part, et la seule envie que j’avais à ce moment était de me coucher et de dormir pendant plusieurs jours. Cependant, comme il l’avait très justement souligné, il nous fallait encore nous installer, et malgré mon inexpérience en la matière, nous y parvînmes assez rapidement, et mangeâmes en contemplant le soleil qui sombrait dans l’océan.
- Pas trop fatigué, Sammy ?
Le Caninos, qui avait commencé à s’endormir, émit un petit bruit à mi-chemin entre le grognement et le gémissement. J’eus un sourire attendri, et lui caressai doucement la tête, comme je l’eus fait pour un enfant en bas âge.
- Vous avez des enfants, n’est-ce pas ?
Je sentis mon sang se glacer, et figer mon corps tout entier. Le professeur dut le remarquer, car il se hâta de poursuivre :
- Enfin, je veux dire, je sais que ma mère faisait ça quand j’étais petit et que je dormais près d’elle, et hum, enfin je suis désolé, c’est un peu indiscret… mais vous m’en avez dit si peu sur vous, que je dois vous avouer que la curiosité me ronge !
- Je… oui, c’est… c’est normal…
- Je vous en prie, excusez-moi, c’était déplacé de ma part, si vous vouliez en parler vous l’auriez fait. Cela ne se reproduira plus !
- Non, professeur, ce n’est pas grave. Effectivement, j’ai… j’ai un fils, mais…
A son expression horrifiée, je me sentis obligée de poursuivre pour le rassurer.
- Il n’est pas mort, ne vous en faites pas ! Enfin, à vrai dire, c’est… c’est lui que je suis venue chercher à Alola…
Je vis l’expression du professeur passer de l’affliction à l’effarement, et si une part de moi en fut amusée, j’étais surtout soulagée du silence que provoqua chez lui l’étonnement. Mais au bout de quelques instants, je sentis mes émotions remonter dans ma gorge, et je sentis qu’il était temps pour moi de me confier à cet homme qui avait tant fait pour moi, qui étais pourtant, au début du moins, une parfaite inconnue, qui l’avait de plus laissé dans le flou total !
- Cela fait maintenant dix-neuf ans que mon fils est parti de la maison… au début, il me donnait des nouvelles très régulièrement, mais il a progressé si vite en combats pokémon, que trois ans plus tard, il avait déjà réuni tous les badges de Kanto ! Enfin, au départ, il était parti chercher son père, qui voulait devenir membre de la Ligue, et il espérait qu’en suivant le même chemin que lui, il parviendrait à la retrouver. Vous savez, mon mari et moi, on était très jeunes lorsque notre fils est né, ce n’était pas… ce n’était pas prévu, mais nous avons fait avec : il a mis ses rêves de côté pour m’aider à l’élever, mais au bout d’un moment, j’ai bien vu que cela lui manquait. Je voyais comment il se comportait avec le petit, ce qu’il lui apprenait sur les pokémon, et même si, comme beaucoup de petits garçons, notre fils adorait ça, et mon mari aussi, nous en avons parlé, et… et il est parti réaliser son rêve. En plus, s’il y était parvenu, cela nous aurait beaucoup aidés d’un point de vue financier… c’était la solution idéale : il vivait la vie qu’il avait toujours voulue, et en plus, il subvenait à nos besoins. Mais, du jour au lendemain, il n’a plus donné de nouvelles… à l’époque, nous n’avions pas grand-chose, et de toute façon, nous ne pouvions même pas nous permettre le peu de technologie disponible à Kanto. Au début, j’ai cru qu’il avait du mal à nous contacter, que le courrier s’était perdu, qu’il était en difficulté, et qu’il nous donnerai des nouvelles dès que possible… mais… nous n’en avons plus jamais eu.
Je me tus, sentant les échos de ma souffrance passée résonner en moi, et le professeur n’insista pas. Il me laissa un petit moment pour me ressaisir, et je poursuivis, finalement déterminée à ce qu’il en sache le plus possible, dans les limites de ce que je pouvais avouer malheureusement.
- Enfin, deux ans ont passé, notre fils a eu dix ans, et ayant décroché son diplôme de l’école pokémon très facilement, il m’a tannée pour demander un pokémon au professeur Chen, et partir retrouver son père tout en défiant les Arènes de la région. J’ai essayé de l’en empêcher mais, que voulez-vous…
- Je crois que le petit tient de ses deux parents, marmonna le professeur avec un sourire taquin.
- Oui, c’est sûr ! Sauf qu’après sa victoire sur la Ligue, eh bien… il avait déjà commencé à devenir plus distant, mais bon il avait quoi, quatorze ou quinze ans, je m’étais dit que, peut être, le stress de se retrouver face à la Ligue, ou même simplement une jolie fille… je ne sais pas, sur le coup ça ne m’a pas inquiétée plus que ça, mais j’aurais dû, j’aurais dû m’inquiéter, lui demander ce qui n’allait pas… j’ai appris dans le journal qu’il avait battu le Maître, et ça m’a bouleversée qu’il ne me l’ait pas dit. Je l’ai appelé, parce que j’avais investi dans un Pokématos quand il était parti de la maison, et il a répondu, mais il était si froid, si distant ! Je ne sais pas ce qui s’est passé, ce qui a pu lui arriver, pour qu’il devienne si laconique… alors, pendant un temps, je me suis dit, « ce n’est qu’une phase, ça lui passera, il est jeune »… mais le temps a passé, un an, deux ans, je l’appelais, mais il ne répondait plus… quand il a eu dix-huit ans, j’ai commencé à me dire, « peut-être qu’il lui est arrivé malheur », alors j’ai commencé à me renseigner autour de moi, j’ai demandé à Samuel s’il avait des nouvelles, et heureusement, il en avait grâce à ses relations, donc je savais que mon fils allait bien, du moins qu’il était en vie et en bonne santé. Et ensuite… je ne suis pas très fière de moi, mais… j’ai commencé à me morfondre… à me dire que c’était ma faute, que j’avais été une mauvaise mère, qu’il m’en voulait… alors j’ai renoncé. Je me suis dit, « c’est son choix, je ne vais pas intervenir, c’est un grand garçon, il n’a plus besoin de sa maman »…
J’avais baissé les yeux en parlant, et sursautai lorsque je sentis le professeur m’étreindre, doucement mais fermement. Je réalisai alors que je m’étais mise à pleurer à chaudes larmes, et que j’avais commencé à me recroqueviller sur moi-même dans mon affliction.
- On a toujours besoin de sa maman, m’asséna le professeur. Vous avez bien fait de partir chercher votre fils. Ce n’est pas normal, ce genre de comportement, même pour un adolescent rebelle, il se passe quelque chose, et nous allons découvrir quoi exactement, et nous allons le retrouver, et vous verrez, tout ira bien !
Ce furent les mots qui m’achevèrent, et je m’effondrai totalement, m’agrippant à lui comme un Miaouss qui se noie, et pleurant de façon presque convulsive. Près de moi, Sammy s’était réveillé depuis un moment, et m’avait écoutée, et je le sentis se rapprocher de moi, comme pour me transmettre du réconfort par simple contact, et avec ces deux amis près de moi, après m’être longuement épanchée, je basculai dans un sommeil noir, sans rêves, mais profondément réparateur.
*
Madame, Monsieur,
Nous sommes au regret de vous annoncer le décès de votre conjoint(e) dans l’exercice de ses fonctions. Vous trouverez ci-joint un rapport détaillé du médecin légiste afin que vous preniez connaissance des causes du décès.
Votre conjoint(e) étant membre de l’ORDPK, un dédommagement financier vous sera reversé, ainsi qu’une pension à vie pour vous et les enfants potentiels que vous avez pu avoir avec votre conjoint(e).
Au nom de l’Organisation Régionale des Dresseurs de Pokémon de Kanto, nous vous prions de recevoir nos plus sincères condoléances.
*
Le lendemain me trouva fatiguée mais apaisée. Sammy, le professeur et son Rocabot étaient déjà levés, et m’attendaient pour tout ranger. Nous nous exécutâmes rapidement, et repartîmes dans la bonne humeur, et je me surpris même à raconter quelques histoires drôles sur mon mari, mon fils et leur passion commune pour les combats pokémon.
Cependant, à mesure que le soleil grimpait dans le ciel et que ses rayons devenaient de plus en plus chauds, nos discussions se tarirent, car nous nous fatiguions plus facilement, et nous nous concentrâmes sur l’ascension, car d’après le professeur, Oléa était une adepte des hauteurs, et c’était en accédant aux plus hauts étages du Canyon de Poni que nous étions les plus susceptibles de la retrouver. Nous traversâmes plusieurs grottes, dans lesquelles nous pûmes nous abriter du soleil, et au final, nous étions installés dans l’une d’entre elle quand le crépuscule commença à embraser la mer, ce qui nous décida à y passer la nuit.
Le lendemain s’avéra être quasiment identique, et je sentais mon corps et mon esprit s’affaiblir malgré le soutien de mes amis : physiquement, j’étais une cinquantenaire plutôt sédentaire, et moralement, cela faisait déjà trois jours que nous étions partis, et même si le professeur m’avait prévenue que cela risquait de prendre du temps, trois jours de randonnée et de confort plus que sommaire avaient vite fait d’éroder mon optimisme. De plus, nous avions atteint un des plus hauts points du canyon, et, même s’il était improbable que nous aperçussions Oléa étant donné l’étendue et l’aspect labyrinthique de ces constructions rocheuses, ne pas l’avoir immédiatement repérée me remplissait d’un sentiment proche du désespoir.
- Nous la trouverons sûrement dans les jours à venir, m’assura le professeur. Ne vous en faites pas, vous avez attendu quatorze ans, que représentent quelques jours, même quelques semaines de plus ? Soyez patiente, nous n’avons qu’à arpenter ces terres, et nous lui tomberons forcément dessus : il y a des gens qui ont reçu sa Nymphazélite, il a bien fallu qu’ils la trouvent pour qu’elle la leur donne !
Ces encouragements me redonnèrent courage quelques instants, mais ce fut de courte durée, car au loin, de lourds nuages d’une couleur peu engageante semblaient s’amonceler, et surtout, se diriger vers nous, poussés par un vent rageur.
- Ça ne me dit rien qui vaille, me dit le professeur avec une expression étonnamment plus sombre que celles qu’il affichait à l’accoutumée. On devrait trouver une grotte et s’installer pour la nuit : ce genre d’orage est dangereux sur Poni !
De nouveau, l’accablement me submergea : nous avions gaspillé la première journée en bateau, et la troisième se voyait raccourcie à cause d’un orage ! A ce rythme-là, ce n’était pas demain la veille que j’allais retrouver mon garçon ! Cependant, ayant toujours été d’une nature affreusement docile, je suivis les conseils de mon guide, et il avait raison : moins d’une heure après que nous nous soyions installés, un déluge tel que je n’en avais jamais vu se mit à se déverser sur nos têtes, où du moins là où elles se seraient trouvées si le professeur n’avait pas fait preuve d’autant de clairvoyance.
Cette nuit-là, j’eus un sommeil très agité, et me réveillai à de nombreuses reprises, surtout lorsque j’entendais le tonnerre gronder, bien trop proche à mon goût. J’étais donc parfaitement alerte lorsque j’entendis des pas lourds d’autres bruits peu rassurants à l’entrée de la grotte. Alarmée, mon premier réflexe fut de secouer doucement Sammy, qui partagea immédiatement mon appréhension, et se dressa sur ses pattes, un léger grognement dans la gorge.
- Oooooh y a des gens !
- Qui est là ? demandai-je, essayant de contenir les tremblements de ma voix.
- Euuh désolée de vous déranger, j’m’appelle Oléa, j’me suis planquée dans une caverne pas loin mais elle était en pente, et pas dans le bon sens, contrairement à celle là ! Donc bref, je viens squatter avec mon matos !
Mon cœur s’était arrêté un instant lorsque l’inconnue avait annoncé son nom, et je mis encore quelque temps à me ressaisir lorsqu’elle eut fini de parler.
- V-vous êtes l-la Capitaine ? Oléa ?
- Euh bah oui, c’est moi…
- Je vous cherche depuis trois jours !!
- Ah bon !
Près de moi, je sentis le professeur s’agiter dans son sommeil, que je savais de plomb, et la femme s’approcha pour s’installer plus confortablement près de moi.
- Mais euh vous êtes dresseuse ?
- Non… mais mon fils l’est, et je me demandais si vous pouviez me dire si vous vous rappelez de lui…
Je le lui décrivis rapidement, et malgré l’obscurité de la nuit et de la grotte, je crus discerner un éclat dans ses yeux.
- Oui, oui, je crois que je vois… je n’ai pas retenu son nom, ou alors il ne me l’a pas dit… assez laconique, ce garçon ! Et plutôt pas mal… et du coup vous voulez savoir quoi sur lui ?
- Eh bien… déjà, comment va-t-il ?
- Euuuh… bah chais pas, il parle pas beaucoup, mais euh bah physiquement il est assez normal en fait… après niveau pokémon, waouh, c’est… waouh ! J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi doué !
- Alors, il ne parle pas beaucoup… je veux dire, à vous non plus ? A personne ? m’enquéris-je avec espoir.
- Ah bah il a l’air vraiment introverti, et puis le regard sombre ! J’pense qu’il a dû lui arriver un truc récemment ou quoi, enfin je sais pas, mais il a des p’tits soucis j’pense…
L’angoisse m’étreignit brusquement le cœur : qu’était-il arrivé à mon fils ? Je me levai d’un coup, et la pauvre Oléa eut un mouvement de recul.
- Est-ce que vous savez où il se trouve en ce moment ?
- Euh… euh bah, chais pas, c’était y a quelques semaines déjà ! Mais euh, il avait déjà pas mal de cristaux Z quand je l’ai vu, donc je sais pas, il a dû finir son tour des îles, alors j’en sais rien !
Je sentis alors un sentiment tout nouveau m’envahir peu à peu, étouffer mon angoisse, mon désespoir, ma fatigue, tout ça : je sentis une fureur indicible naître dans mon cœur, se diffuser dans ma poitrine, mon ventre, tous mes muscles, et ma tête se remplit d’un brouillard rouge. Et étrangement, j’eus l’impression d’y voir clair à travers cette rage, bien plus clair qu’à travers n’importe quel sentiment. Près de moi, le professeur s’était réveillé, et quelque peu hébété, me fixait dans l’attente d’une réponse à une question que je n’avais pas entendue, mais qui était probablement « que se passe-t-il ? ».
- Je pars chercher mon fils.
- Mais… mais on est déjà en train de le chercher ! Et Oléa… c’est vous, là, Oléa ?
- Euh, oui, enchan-…
- Je pars sur le champ, l’interrompis-je. Je pars pour Malié, je vais voir le cousin de Samuel, qui a dit avoir des informations. J’aurais dû me fier à mon instinct dès le début… je vais retrouver mon fils. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais ça ne peut plus attendre ! C’est mon garçon, quelqu’un lui a fait du mal, et je n’étais pas là pour lui ! Alors, je pars !
Me saisissant de mes affaires en coup de vent, je me ruai presque vers la sortie, mais me retournai avant de m’engager sous la pluie battante.
- Sammy !
En une seconde, le Caninos était près de moi, et j’eus un grand sourire malgré mon humeur : il était déjà parti pour me rejoindre avant même que je ne l’appelle.
- M’enfin, vous allez pas partir de nuit sous la pluie quand même ! Attendez ! Alors, ce jeune homme, c’est votre fils ?
- Oui… pour résumer, je n’ai plus de nouvelles depuis quatorze ans, et ce que vous me dites ne me rassure pas du tout ! J’ai assez perdu de temps comme ça !
- Attendez, attendez, deux secondes…
Impatiente mais intriguée, je lui laissai un petit moment, le temps qu’elle fouille dans son sac.
- Déjà, rentrez votre Caninos dans sa pokéball, avec cette pluie, un pokémon feu, c’est pas folichon. Bref, dès demain, quand le temps se sera calmé, je vais vous prêter un pokémon à moi, mais franchement, ce serait pas judicieux de partir maintenant, avec le terrain sec et sablonneux, ça fait de la bouillasse très pénible, vous risquez de glisser dans le noir et de vous tuer en tombant dans un ravin. Vous voulez retrouver votre fils, bah restez en vie !
Que répondre à ça ? La vague de feu en moi fut balayée par la peur de mourir avant d’avoir revu mon fils, mais malgré le fait que la raison eut repris le dessus, il restait en moi une vigueur renouvelée, une détermination qui ne faillirait plus : mon fils avait BESOIN de moi, et rien ne saurait m’empêcher de le retrouver.