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Sous les glouglous de la mer de Nicéphore



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Informations

» Auteur : Nicéphore - Voir le profil
» Créé le 20/10/2017 à 21:21
» Dernière mise à jour le 28/10/2017 à 12:52

» Mots-clés :   Absence de combats   Action   Alola   Présence de personnages du jeu vidéo

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Prologue- Flotter
Accoudé au bastingage, Ilario se demandait pourquoi les vagues de la mer ne savaient pas refléter un visage. Il aimait avoir au moins cela pour compagnie : même son reflet lui conviendrait, avec ces traits simples et lisses et la fameuse coupe afro brune si réputée dans les environs de Véterville. C’étaient des choses qu’il connaissait, comparées à ce bateau et à sa destination.

Il en avait, pourtant, de la compagnie ; mais en ce moment, elle se révélait assez pénible. Son Rozbouton trop curieux ne cessait d’escalader le petit rebord protecteur du pont pour observer cette eau mouvante. Il craignait que la bestiole ne passe par-dessus bord, et lui balançait régulièrement des coups de talon dissuasifs. Quelques voyageurs de passage sur le pont le regardaient d’un œil mi-étonné mi-réprobateur ; lorsqu’il s’en apercevait, Ilario les gratifiait d’un éclatant sourire et d’un geste jovial de la main. Ça l’amusait beaucoup.

La seule chose que reflétait l’eau salée, c’était la limite entre l’ombre du bateau et la lumière du ciel. Celui-ci, bleu uniforme et parfaitement dégagé, laissait un avant-goût du climat réputé des îles d’Alola. Ce qui était étrange.
Belle température, vent marin doux, petites vagues aimables. Il n’était pas là pour ça, lui, au contraire !


On l’entendait partout aux infos ces temps-ci : Alola, le paradis transformé en enfer. Un cyclone, un raz-de-marée par semaine, ce depuis près d’un mois ; les images relatées étaient terrifiantes, des cieux noir de suie, des vagues hautes comme un homme, et des pluies diluviennes à percer terre et mer. Coulées de boue, maisons détruites et inondations, pertes humaines et pokémones.

La violence de ces grondements de la nature s’était déclarée un peu plus d’une semaine plus tôt : après s’être contentée de lécher quelques côtes, la mer avait fini, au cours des huit derniers jours, par transformer Ekaeka en pataugeoire et le Village Flottant de Poni en débris noyés.

Et la situation ne semblait pas vouloir s’arranger. L’ire des flots se déchaînait sans raisons apparentes, sans prémices météorologiques ou prévisions d’experts.

Les écologistes criaient au dérèglement climatique ; les religions renchérissaient en dénonçant une colère divine, voire l’apocalypse pour les plus hardis. D’autres affirmaient que les récents évènements qui avaient déchiré l’archipel avaient faussé les repères magnétiques et l’équilibre des forces naturelles, ou vexé les Gardiens des Îles. D’ailleurs, de violents orages et nuages n’avaient-ils pas accompagné l’apparition des Ultra-Brèches à Alola ? se justifiait-on.
D’autres suppositions aussi invraisemblables que fantastiques couraient sur les réseaux sociaux : Elsa-Mina était le Diable et les tempêtes n’étaient que l’accomplissement de sa vengeance ; une émission de téléréalité déchaînait les éléments à l’aide de Pokémon afin de filmer les réactions de la population ; les Magicarpe prenaient leur revanche sur l’humanité. Amateur d’humour, Ilario avait apprécié ses recherches à leur juste valeur.

Il repoussa une fois de plus son Rozbouton téméraire.

« Je n’irai pas te chercher là-dedans, hein. Tu sais comme une tempête peut tomber du ciel comme ça ?

- Bouton.

- Non, ça ne passe pas ! »

Le bateau tangua, la petite créature concentra son attention à empêcher ses pattes lisses de déraper sur le pont. Ilario sourit.


Quelle que soit la cause de ces catastrophes, les dirigeants d’Alola se préoccupaient plutôt (et à raison) de leurs conséquences. Les forces de l’ordre n’étaient plus suffisantes pour procéder au nombre croissant d’évacuations d’urgence : la dernière inondation, irrigation intensive des racines de Ho’ohale, avait poussé l’archipel à bout de souffle.

Or, après s’être longuement battus pour leur indépendance, les Aloliens s’étaient d’abord montrés réticents à faire appel à l’aide d’une autre région. Ils l’étaient toujours, d’ailleurs ; mais avaient fini par outrepasser leur fierté pour demander assistance à une voisine proche, Almia. Almia qui n’avait jamais conquis, en paix et à l’écart du monde actif, et connue pour ses fameux Pokémon Ranger.

Une lointaine période avait vu naître là-bas des groupes de lutte contre la séquestration des Pokémon dans des Balls. Ces manifestants n’avaient pas eu grand-chose à faire pour abolir cette pratique jugée barbare : les dirigeants de l’époque s’étaient bien vite trouvés de leur avis. Un Pokémon n’avait pas à être privé de sa liberté contre son gré, et qui plus est pour combattre, dans la plupart des cas ; alors, les dresseurs de ce temps s’étaient peu à peu mués en ‘’Pokémon Rangers’’, des hommes et des femmes chargés de défendre la nature et la vie, au moyen d’un nouveau système de ‘’capture’’ : transmettre leur amitié à un Pokémon afin d’obtenir son aide.

D’après ce que l’on racontait, la population était rapidement tombée sous le charme de ces nouvelles idées, et la transition, pourtant lourde, s’était faite sans problèmes majeurs.


Protéger, c’était la raison de sa présence sur ce bateau. Les quatre Top Rangers d’Almia avaient été réquisitionnés pour intervenir ; lui, Ilario, n’en était pas un, mais en l’absence de Seth s’était porté volontaire en remplacement, volontaire et enthousiaste.

En trois heures de traversée, pourtant, il avait pris conscience du fait que les Aloliens n’avaient en somme réclamé que quatre personnes de renfort.

Certes, les Top Rangers étaient talentueux dans leur domaine, plus que n’importe qui ; mais de là à les juger capables de retourner la situation, il y avait un écart. À moins de prendre strictement au mot la réputation de ‘’légendes’’ qui leur était octroyée.

Cela l’inquiétait un peu, et Arceus savait à quel point il était difficile de l’inquiéter.
Si l’on surestimait les capacités déjà hors normes des renommés Top Rangers, qu’en serait-il de lui ? Lui qui n’était qu’un Ranger sans gloire autre que les dons de l’inconscience et de l’optimisme. Et d’ailleurs, cet optimisme lui semblait s’envoler peu à peu, au fil des rafales maritimes qui couraient sur le bateau. Il ne savait pas arrêter une tempête, lui, ni figer les vagues, ni sauver un monde. On ne faisait pas cela souvent aux alentours de Véterville.

Alors, l’idée de collaborer avec les prodiges d’Almia était rassurante autant qu’intimidante.

Ils étaient tous déjà là-bas, à l’attendre ; l’absence de Seth s’étant faite une annonce de dernière minute, il n’avait reçu la proposition de le remplacer qu’en fin de matinée. Il s’était levé, comme à son habitude, avec la seule ambition de distribuer la Gazette de Véterville aux voisins de sa base.

Ces derniers temps étaient paisibles à Almia ; lui qui se mettait à trépigner à plus de trois jours d’inaction, on comprenait qu’il ait pu sauter sur l’occasion sans même y réfléchir. Barak et Loann, ses coéquipiers, n’avaient même pas tenté de prétendre à la place, cédant avec amusement devant son enthousiasme.

Et à peine deux heures plus tard, il sautait dans ce bateau en direction d’Alola. Avec les récents cataclysmes, ceux-ci se faisaient espèces rares. Les événements n’aidaient pas au tourisme : de ce qu’il avait pu voir, les autres passagers avaient plutôt le portrait des amateurs de sensations et de situations extrêmes. Des fous !

Il commençait à s’agacer des tentatives de contemplation suicidaires de son partenaire, et se pencha pour prendre Rozbouton dans ses bras. Cette boule de feuilles était légère comme une plume. Elle poussa un petit cri d’excitation devant les vagues défilantes, et les traînées blanchâtres dans le sillage du navire, puis se calma pour profiter de la vue.
C’était nettement plus agréable que de répéter les coups de pied pour l’éloigner de la rambarde.

Les îles d’Alola se profilaient à l’horizon. Ilario perdit son sourire tout juste retrouvé : des nuages d’un noir d’encre s’amoncelaient au-dessus d’elles.
Comme un mauvais présage.