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Noirs d'Éclat de Clafoutis



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» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 18/10/2017 à 22:27
» Dernière mise à jour le 20/10/2017 à 07:04

» Mots-clés :   Alola   Amitié

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2 – Pénombre
 Un à un, machinalement, inexorablement, les jours s’écoulèrent. Siniz perdit la notion du temps. Tout lui paraissait tellement semblable. Elle revivait sans cesse la même journée, sans aucun changement notable. Comment avait-elle pu être aussi stupide ? Ce n’était pas un voyage dans une contrée exotique qui la renouvellerait.
Mais Siniz avait décidé de s’en faire une raison. C’était ainsi. Elle était née pour n’être qu’une coquille vide, hé bien, qu’elle le reste jusqu’à la fin. Le monde était ainsi fait ; il y avait les personnages principaux, et les bouche-trous.

Siniz se réjouissait au moins de s’être rendue compte de son statut. Beaucoup, encore, pensaient être importants. Les idiots. En réalité, seuls quelques élus avaient un véritable impact sur le monde. Le reste n’était que des marionnettes, condamné à répéter encore et encore les mêmes actions.

Toutefois, la demoiselle corbeau continuait d’entretenir ses fragments d’espoir. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. C’était là son vœu le plus cher : briser cet impitoyable cycle du destin…


 ***

 Ce matin-là, il pleuvait des cordes acérées. Une intempérie rare à Mele-Mele. Devant son désormais familier Centre Pokémon, Siniz était trempée. Elle restait figée, subissant les affres du temps, sans broncher. Son fatalisme était tel que plus rien ne la touchait.
Et une cause appelant une conséquence, Siniz n’eut que peu de clients aujourd’hui. Elle ne s’en offusqua pas ; cela lui ferait plus de lait pour confectionner ses flans.

Ironiquement – ou cruellement – la pluie cessa définitivement de tomber lorsque Siniz décida de rentrer. En chemin, elle entendit quelques inquiétudes des autochtones. Selon eux, une telle pluie n’était pas normale, cela ne pouvait être que présage d’une tempête ou autre catastrophe. Siniz ne s’en intéressa pas et poursuivit sa route.

La route 8 était boueuse, mais agréablement dépeuplée. La demoiselle corbeau se sentait bien ici, loin de tout, proche d’elle-même. Fatiguée, Siniz observa brièvement le paysage, à la recherche de Meuh. Elle était introuvable. Normalement, elle devrait brouter dans les environs. Mais avec la pluie, sans doute qu’elle était partie voir ailleurs.

Le visage de Siniz s’abaissa ; elle aurait aimé voir sa partenaire gambader à ses côtés, comme d’habitude. Tant pis. Siniz franchit la porte du motel, sans réel sentiment. Elle s’installa longtemps sur une chaise, sans réelle pensée. Et puis, elle se leva, prit quelques bouteilles de Lait Meumeu, et s’affaira en cuisine. Elle tenta de nouvelles recettes, sans se fier aux livres. Elle se laissa aller sans retenue – mélangeant des choses qui ne se mélangeaient pas ; rajoutant des choses qui ne rajoutaient pas : (une terrible folie créatrice, invoquée par le désespoir de l’inertie).
Bien plus tard, Siniz sortit, revigorée. Elle respira un grand coup. Demain, il faudrait qu’elle achète des produits d’entretiens.

Cependant, une épine s’immisçait dans son cœur. Un sentiment d’inconfort. Meuh n’était toujours pas rentrée, alors que la lune s’imposait déjà. Ce n’était définitivement pas normal. Siniz se mordit les lèvres, inquiète. Elle tentait de se rassurer comme elle le pouvait, mais rien ne pouvait véritablement effacer ne serait-ce que l’ombre de ses peines.


***

 Le lendemain, la route 8 était toujours aussi terriblement silencieuse. Aucune mélodie bovine ne vint réveiller Siniz. Alors, cette dernière resta endormie. Elle resta toute la journée dans son lit, en boule, sans même penser à se lever. L’humidité de son matelas irritait son visage cerné d’ombres. Le surlendemain, Siniz mangea les flans qu’elle gardait dans son frigo. Ils se ressemblaient tous, sans goût. La veille, Siniz s’était laissé tombée sur le mur. Le ménage n’avait toujours pas été fait ; les Cafards s’étaient goulûment installés. Aujourd’hui, Siniz s’assit sur le perron devant son motel. Elle rentra lorsque le voile nocturne s’effaça. L’avant-veille, Siniz avait brisé les néons de sa chambre. Tout objet ayant un rapport avec la lumière la retournait.

Un jour, Siniz s’en alla. Elle avait préparé une petite valise et avait quitté son motel. Elle erra à travers tout Mele-Mele, en évitant soigneusement Ekaeka et son cimetière. Elle passa un long moment dans la Grotte Verdoyante ; l’endroit sombre et poussiéreux lui plaisait. Malheureusement, elle fut forcée de partir, lorsqu’un jeune dresseur devait passer y son épreuve.
Plus au nord, la demoiselle corbeau se percha sur une falaise, observant le remous de l’océan. Elle se pinça les lèvres, interrompant ses macabres pensées. Elle se remit en route.
En chemin, elle croisa le Jardin de Mele-Mele. Dans le doute, elle y pénétra, mais en ressortit très rapidement. Beaucoup trop de couleurs et d’odeurs.

Sans qu’elle ne le sache vraiment comment, Siniz se retrouva sur une plage, à proximité du laboratoire du professeur Euphorbe. Ne voulant pas être vue, la jeune femme se cacha derrière les rochers. Et à force de s’introduire dans la roche, elle le remarqua. Une entrée dérobée dans la falaise, dissimulée par d’épais blocs fracturés. L’obscurité émanant de cette fissure attira Siniz. C’était un lieu perdu, oublié de tous, loin de la lumière. Un endroit destiné à accueillir et à achever les âmes ténébreuses.

Les Pokémon sauvages eux-mêmes ne faisaient cas de sa présence. Les Nosferapti volaient au-dessus de sa tête, les Taupiqueur ne se cachaient pas, les Nodulithe ne s’embêtaient pas à imiter les cailloux, et même les Ténéfix sortaient de l’ombre. C’était comme si, par instinct, les sombres habitants du sombre lieu reconnaissaient cette étrangère comme l’une des leurs.

Et Siniz continua son errance. Un à un, ses pas téléguidés lui ôtaient de sa substance. Petit à petit, ses genoux fléchissaient ; son corps, peu à peu, sombrait. Son mental, en revanche, résistait – il le fallait ; étant arrivé à ses dernières limites depuis bien longtemps.
Il ne lui restait qu’un faible espoir fourvoyé. Une ultime lumière la rattachant encore à la vie. Toutefois, le temps et la réalité martelaient impitoyablement son idéal. Elle devait se faire une raison : Meuh ne reviendrait plus. Toutefois, Siniz ne se fit pas cette raison. Elle voulait croire au miracle. Elle voulait encore croire que sa vie valait la peine.

Puis, la demoiselle corbeau cessa de marcher. Elle était arrivée dans un cul de sac. Étrangement, ici, la lumière du crépuscule lui parvenait. Elle se trouvait au sommet de la Colline Dicarat, une grande zone mêlant rocailles et verdures, le tout enclavé par de grands remparts montagneux. Un contraste entre liberté et prison qui trouva résonance dans son cœur.

Alors, à bout de force, Siniz se plaqua contre une petite cavité. Fébrile, elle se condamna. Elle était inutile. Meuh avait disparu il y avait quoi, presque une semaine ? Et c’était uniquement maintenant qu’elle réagissait ? Elle aurait dû prendre les choses en main le jour même. Partir immédiatement à sa recherche. Prévenir les autorités. Mettre toutes les chances de son côté. Mais non, elle avait choisi l’inaction. Elle était faible ; incapable de protéger ce à quoi elle tenait.
Et même maintenant, alors qu’elle s’était enfin décidé, ce n’était que pour fuir ; seule. Qu’espérait-elle accomplir ? Elle ne saurait le dire ; elle ne pouvait que le souhaiter silencieusement.

Et, dans un réflexe d’enfant, Siniz sortit la Pokéball de Meuh de sa valise. Se forçant à être dupe, elle actionna le mécanisme. La sphère rouge et blanche s’ouvrit ; vide. Une évidence qui frappa durement la demoiselle corbeau. Maintenant, il n’y avait plus de doute.

— … elle… elle n’est plus là…

Pour la première fois, elle l’avait dit. Ses mots avaient coulé de sa bouche, ainsi que ses dernières poussières d’espoirs. Il n’y avait plus de retour en arrière possible. La vérité s’imposait, cruelle et impérial.
Alors, tandis que sa tristesse défiait la raison même, son corps, subitement,
s’écroula.
Et, tandis que sa peau épousait pathétiquement la froideur du sol, la demoiselle corbeau laissa ses larmesuinter, sa voix se casse-et, ses pensées, s’étioler…


 ***

 Profondément enfouie dans le cœur montagneux, une rangée de triangles arc-en-ciel, semblable à des dents, s’illumina. Un puissant et distordu grincement l’accompagna. Aussitôt, une énorme masse ténébreuse et polygonal s’anima. Lui, l’ennemi de tous, le cruel paria, le symbole du néant ; il s’était réveillé. Quelque chose avait brisé son repos séculaire.

L’immense être polygonal laissa s’échapper un cri de colère. Ne pouvait-il pas être en paix ? Il s’était coupé du monde. Il avait volontairement décidé de s’exclure ! Qui osait troubler ainsi sa décision ?
Furieux, le Puissant fusa vers la surface, perçant la roche avec aisance. Il ne lui fallut que quelques secondes avant d’atteindre sa destination ; le sommet de la Colline Dicarat.

Son énorme tête angulaire scrutait à droite et à gauche, cherchant un coupable. Ses impitoyables mains griffues se préparaient au massacre. Toutefois, ce que ses prunelles angulaires perçurent l’étonna. Le monstre noir s’attendait à rencontrer un dresseur particulièrement puissant ou encore, un Pokémon débordant de pouvoirs ; en bref, un individu ayant une présence suffisamment colossale pour provoquer son réveil.

Or, nul être à la limite de l’omnipotence ne se dévoilait à ses yeux prismatiques, loin de là. Il n’y avait qu’une faible et troublante jeune femme larmoyante. L’être de ténèbres se figea dans l’incompréhension. Comment cette si frêle créature avait-elle pu émettre une aura suffisante pour perturber son sommeil, à lui, le si craint Nécrozma ?
Le monstre resta un long moment à observer l’insecte pleureur. De plus en plus, l’intrigue l’envahit.

Le Pokémon Prisme avait une maladie. Il ne supportait pas la lumière – toutes sortes de lumières –, c’était dans ses gènes. Chaque être vivant dégageait de la lumière ; une chaleur, une radiance. De ce fait, Nécrozma ne supportait pas la vie. Dès qu’il la voyait, il devait la dévorer, un détestable instinct de prédateur. Il avait longtemps été haï pour ça.

Il y a des siècles, il s’était confronté à Solgaleo, le Pokémon Halo Solaire. Un affrontement prédestiné, inévitable. Nécrozma, l’être dévorant la lumière, et Solgaleo, symbole étincelant de la lumière. Le combat avait été violent, absurde, et dévastateur. Et Solgaleo, bien trop occupé à rassembler la moindre parcelle de sa force contre son Némésis, ne put remplir son rôle d’astre ; pendant des jours, le monde avait été plongé dans les ténèbres.

Nécrozma était bien parti pour gagner, cependant, Solgaleo n’était pas seul. Sans sa lumière, c’était l’ensemble de la vie qui était menacé. Alors, peu à peu, ce fut une myriade d’êtres vivants de toute sorte, humains et Pokémon, qui vinrent soutenir le lion solaire. Bien que surpuissant, Nécrozma n’avait rien pu faire contre ce désespéré élan de survie. Fatalement, il avait été vaincu. Mais il n’en était pas spécialement fâché.
L’antagoniste prismatique avait ensuite choisi de s’enfouir dans une montagne, là où il pourrait dormir jusqu’à la fin, sans jamais apercevoir à nouveau la terrible lumière. Un lieu où il pourrait enfin être en paix.
Toutefois, son projet n’était plus désormais, par la faute d’une frêle et faible créature.

— …

Nécrozma réalisa soudain quelque chose. Cette demoiselle en larmes, elle ne dégageait aucune lumière. Dans son champ de vision, elle était la seule à paraître monochrome. Peu à peu, Nécrozma se mit à douter. Cette créature était-elle humaine ? Non, c’était bien plus obscur que cela. Était-elle seulement vivante ? Bien trop de contradictions perturbaient son jugement.

Toute sa furie s’était évanouie, aussi brusquement qu’elle avait émergé. Désormais, il cherchait simplement à comprendre : comment une créature ne pouvait-elle pas émettre de lumière ?

Durant sa longue vie, Nécrozma avait rencontré d’innombrables êtres ; tous plus flamboyants les uns que les autres. La plupart étaient des héros, voulant pourfendre le mal qu’il représentait. À dire vrai, c’était les seules personnes que le monstre prismatique avait approché. Il n’avait jamais vraiment ressenti le besoin d’en apprendre plus sur les autres êtres vivants, c’était même l’inverse. Il payait maintenant le prix de son ignorance. En dépit de son existence presque éternel, Nécrozma se retrouvait pour la première fois devant un être ayant perdu tout espoir. Un être qui refusait tant la vie qu’il n’émettait plus aucune lumière.

La première fois ? Ce n’était pas tout à fait exact. Il y avait bien une autre abomination qui correspondait à cette description. Une révélation qui provoqua de l’anxiété chez le colosse noir. Puisque cette fameuse abomination n’était autre que lui-même.


 ***

 Des heures plus tard, lorsque son chapelet blasphématoire se brisa, Siniz se releva, tel un cadavre remontant les fonds marins. Ses yeux vides peinèrent à réaliser où elle était. Son cerveau avait cessé d’analyser les vains éléments.

La demoiselle corbeau ne remarqua pas l’immense colosse angulaire qui pourtant, se trouvait à quelques mètres d’elle. Elle était comme une somnambule flageolant dans le brouillard de la réalité nue. Plus rien n’avait de sens, tout n’était que physique brute.

Elle marchait, nonobstant les obstacles. Elle chutait souvent, se prenant le pied dans une pierre insolente, mais toujours, elle se relevait, mécanique. Elle était telle une marionnette, dont le sadique marionnettiste ne cessait de tirer les fils, s’acharnant à lui refuser le repos.
Elle marchait, ignorant le monde. Ou allait-elle ? Nulle part. Sa jambe gauche se plaçait devant sa jambe droite, puis l’inverse, et son corps bougeait, tout simplement.

Après des kilomètres de marche, Siniz se retrouva à quelques centimètres de son point de départ, lorsque son corps lui rappela sa nature organique. La faim se faisait sentir. Ce n’était peut-être rien, mais cela fut suffisamment pour faire submerger un sursaut de conscience.

— … ?

Et elle le remarqua enfin. Juste devant elle. Le menaçant colosse prismatique. D’instinct, Siniz recula d’un pas. Elle écarquilla les yeux, baragouina quelques indiscernables bribes, et déglutit.
Comment devait-elle réagir ? S’évanouir ? Prendre la fuite ? Combattre ? Beaucoup de choix s’ouvraient ; mais fidèle à elle-même, Siniz n’était qu’inaction.

Nécrozma, lui, continua son observation. Pendant des heures, il avait été témoin de l’étrange comportement de cette étrange demoiselle. Décidément, elle n’était pas normale. Plus que jamais, il voulait perçait son mystère. Qu’était-elle exactement ?
Dans l’objectif d’obtenir une réaction, Nécrozma poussa un cri strident. Un son dissonant, morcelé, antithétique.

La demoiselle corbeau laissa le cri percer ses oreilles, immobile. L’onde agressive traversa son corps, ses nerfs, son sang, son esprit, son désespoir, son âme.
Et, d’instinct, Siniz avança d’un pas. Sa gorge lui brûlait. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle sentait qu’elle devait dire quelque chose, qu’elle devait répondre à cet appel.

Elle ouvrit la bouche, tentant de défaire mentalement le labyrinthe de la langue. Plus elle s’y afférait, et plus elle se perdait. Impossible d’y retrouver son chemin, impossible d’y retrouver ses mots. Puis, dans la fureur de l’incompétence, Siniz cessa brusquement de réfléchir. Elle avait marre que sa volonté ne s’arrête sur ses capacités. Tant pis. Elle n’avait pas à répondre une phrase complexe ou même un propos intelligent. Elle voulait simplement répondre, quelque chose, n’importe quoi.
Et ainsi, Siniz se calma. Elle leva timidement les yeux vers l’énorme face prismatique de l’abomination. Et, tel le flux d’une rivière, des mots glissèrent paisiblement :

— Alola. Le Lait Meumeu est à 500 Pokédollars la bouteille. En voulez-vous ?