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Apocalyptica de Drayker



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Informations

» Auteur : Drayker - Voir le profil
» Créé le 09/10/2017 à 23:17
» Dernière mise à jour le 14/12/2017 à 17:58

» Mots-clés :   Drame   Présence de poké-humains   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Chapitre -06 : Transhumance
La première chose que Will sentit en reprenant connaissance était le métal des menottes qui lui entaillait la chair des poignets.

La deuxième fut la dureté du sol sur lequel il était agenouillé, et qui lui meurtrissait les articulations.

Ce ne fut qu’après qu’il ressentit la douleur aigüe qui fusa dans sa mâchoire alors qu’un coup de poing magistral le cueillait au menton.

Il détourna la tête et cracha du sang, avant d’ouvrir péniblement les paupières. Une lampe braquée en plein sur son visage l’éblouissait, mais il parvint à distinguer la silhouette de son tortionnaire – ainsi que celle de plusieurs autres personnes, plus loin dans la pièce, qui regardaient le spectacle sans rien dire. Dans un coin, il crut reconnaître Loki, le Grahyena du Rex.

Soudain, aussi incongru que cela puisse paraître, une sonnerie de téléphone se mit à retentir.

« Il faut que je prenne cet appel, lança la voix du Rex. Gardez-le-moi au chaud. »

Et un nouvel éclair de douleur éclata dans le crâne de Will alors qu’on le frappait à la tempe. Le monde se renversa.

~*~
« Allô ? fit la voix du Rex à l’autre bout du fil.
- Ouais, grommela Lina. C’est moi. Apparemment, tu voulais que je t’appelle quand le train démarrerait, donc voilà.
- Vous êtes parties sans encombre ? Rien d’anormal ?
- Quoi, il faut qu’on s’attende à avoir des problèmes ?
- Tu as ton arme ? se contenta de demander le Rex en guise de réponse.
- Ouais.
- Bien. Bien. Je t’ai envoyé l’adresse de la propriété dans l’archipel Sogulen. Je vous ai acheté deux places de ferry au départ de Losignan. Appelle-moi s’il y a le moindre problème.
- Ça marche. »

Un léger silence retomba. Par la fenêtre du wagon, Lina voyait défiler les derniers bâtiments de la banlieue d’Omnia.

« Pourquoi est-ce que ta garde du corps nous a lâchées en pleine gare ? demanda soudain la jeune fille.
- Elle a repéré l’homme qui a tué Edge, répondit le Rex. On l’a récupéré.
- Vivant ?
- Pour l’instant, oui.
- Mets-lui un bon coup dans les couilles de ma part, grogna alors Lina.
- Je n’y manquerai pas. Bonne chance, Lina. »

Et il raccrocha.

~*~
« Bien, on peut reprendre, annonça la voix du Rex. Eloigne-toi de lui. Laisse-moi faire. »

L’homme qui frappait Will depuis toute à l’heure obéit et disparut bientôt de son champ de vision. Le détective, le visage plein de sang, regarda alors la silhouette familière du Rex se découper sur le faisceau de la lampe. Sonné et déboussolé, il peinait à garder connaissance. Ses oreilles sifflaient et le sang battait à ses tempes.

Le baron du crime tira une chaise et s’assit devant lui, et bien qu’il fût encore totalement ébloui, Will jurait qu’il souriait. Derrière son Dresseur, Loki grogna.

« Quel gâchis, Stelmar, se lamenta le Rex. Franchement. Tu m’as toujours été utile, et j’avoue que je t’aimais bien. Mais ce contrat… c’était le contrat de trop. »

Le détective ne répondit rien, attendant les coups. Il avait été formé aux techniques de torture, et déjà, son instinct d’Elitien reprenait le dessus.

Reprenant petit à petit ses esprits, il se mit à analyser son environnement. Il n’avait plus son arme, et on lui avait retiré la Pokéball de Fenrir. Ebloui comme il l’était par la lampe, il ne parvenait pas à distinguer son environnement, mais il savait qu’il y avait une demi-douzaine de personnes dans la pièce – et qu’ils étaient sous terre, à en juger par les clameurs étouffées de la manifestation qui faisait rage au-dessus d’eux.

Aucune échappatoire. Il ne pourrait pas s’en tirer. Personne ne viendrait le sauver.

Les trois règles d’or de la résistance psychologique lui revinrent en tête.

Un. Abandonner tout espoir de secours. La délivrance n’était qu’une illusion.
Deux. Accepter la douleur. S’en faire une alliée. S’y réfugier.
Trois. Tenir le plus longtemps possible.

« Je sais que tu as été entraîné à résister à ce genre d’interrogatoire, soupira le Rex. C’est pour ça que je déteste interroger les Elitiens. Vous mettez trop de temps à craquer. Alors je te laisse le choix. Soit tu me dis directement tout ce que je veux savoir, et je te tue sans douleur. Soit tu me fais perdre mon temps, et là… »

Il n’acheva pas sa phrase, l’air las. Will entendit le cliquetis d’un briquet, et vit le Rex s’allumer un cigare.

« Sortez, ordonna le baron du crime à l’attention de ses sbires. Et éteignez-moi cette foutue lampe. »

De multiples bruits de pas suivirent son commandement, et soudain, la lumière éblouissante s’éteignit. Will cligna des yeux alors que ses pupilles s’évertuaient à s’accommoder à la lueur orangée que diffusait l’unique néon de la pièce. La porte claqua, et il se retrouva seul avec le Rex – et son Grahyena, qui dardait sur lui un regard mauvais.

« Qui t’emploie ?
- Tia Taylor, grogna Will, la voix rauque.
- Ne me mens pas, avertit le Rex.
- Je ne mens pas. »

Le quarantenaire lui souffla une bouffée de fumée au visage, pensif.

« Qu’est-ce que tu sais sur le projet Apocalyptica ?
- Je ne sais pas ce qu’est le projet Apocalyptica. »

Ne pas reformuler. Répéter. Minimiser les pensées. Se vider la tête.

Un formidable coup de poing le cueillit au creux du ventre, lui coupant le souffle. Will toussa et baissa la tête. Il ne servait à rien de cacher le fait qu’on avait mal. Cela ne faisait que pousser le Rex à frapper plus fort.

« Ne te fais pas plus con que tu ne l’es, Stelmar.
- Je ne sais pas ce qu’est le projet Apocalyptica. » répéta Will avec détermination.

Il s’était attendu à devoir mentir, à devoir s’appliquer à répéter sans cesse la même phrase, comme on le lui avait appris à l’Académie. Si l’on voulait tenir plus longtemps sous la torture, il était impératif de choisir ce qu’on allait dire – en se concentrant sur une seule et unique information, à répéter en boucle, on occupait son esprit et on s’empêchait de divulguer autre chose. Mais là, il n’avait même pas besoin de mentir. Il était innocent.

« Ecoute, Stelmar, je n’ai plus beaucoup de temps. Et toi non plus. Et tu sais ce qui se passe lorsqu’un tortionnaire estime ne pas avoir le temps. Ils ont dû te l’enseigner, à l’Académie, n’est-ce pas ? »

Oui. Les règles ne s’appliquaient plus. Lorsqu’un geôlier était pressé, ou en colère, il était prêt à tuer. Will le savait. Mais cela ne changeait rien. Il ne se faisait pas d’illusions. Il avait fait échouer la tentative du Rex de faire assassiner Tia. Il avait tué son meilleur agent, et quatre autres de ses hommes. On ne survivait pas à pareil affront.

« Vous vous trompez d’homme. Je ne sais rien sur ce projet Apocalyptica.
- Tu ne vas pas me faire croire que la fille Taylor ne t’a jamais rien dit dessus ? questionna le Rex, une pointe de doute dans la voix.
- On n’a jamais parlé de quoi que ce soit de similaire.
- Alors pourquoi est-ce qu’elle a enquêté sur les filles ?
- Parce que ce sont ses sœurs. » répliqua Will.

Le Rex en resta stupéfait, et le détective entraperçut soudain une pointe d’espoir, qu’il chassa aussitôt. Pas d’échappatoire.

« Pardon ?
- Ses sœurs. Ce sont ses sœurs.
- Qu’est-ce qui lui fait croire ça ?
- Elle a fait un test ADN. »

Le baron du crime resta silencieux.

« Duncan… Oh, Duncan… Espèce de con… » murmura-t-il.

Il se releva et jeta son cigare, soudainement, comme s’il venait de se rappeler d’une urgence. Will releva la tête et le vit s’éloigner d’un pas furieux.

Sans un mot de plus, le baron du crime quitta la pièce en claquant la porte, laissant le détective seul avec Loki.

~*~
Le temps passa sans que Will ne parvienne à garder le fil. Le Grahyena du Rex n’avait pas bougé d’un poil. Il se contenait d’observer le prisonnier, silencieux, sans un grognement, sans montrer les crocs. Aussi le détective s’habitua-t-il rapidement à sa présence.

Salement amoché, l’ex-Elitien dodelinait de la tête en permanence, et le sang qui maculait son visage avait séché depuis longtemps quand des pas se firent entendre à l’extérieur de la pièce nue dans laquelle il était agenouillé.

Quelqu’un ordonna quelque chose, et la porte s’ouvrit.

Dans l’embrasure de la porte apparut Tia. La jeune femme, le nez en sang et la lèvre supérieure éclatée, fut violemment projetée à l’intérieur et s’écrasa au sol, bougeant à peine. Une vague de terreur submergea Will.

Dès l’instant où il s’était réveillé, il avait accepté d’être soumis à la torture. Il s’était résigné avec facilité, car il savait qu’abandonner l’espoir était le meilleur moyen de résister à l’interrogatoire. Mais il ne supportait pas l’idée de savoir que Tia était soumise aux mêmes supplices que lui.

La porte se referma, et Will gémit. Ses poignets et ses chevilles liés l’empêchaient de se redresser, aussi rampa-t-il jusqu’à la jeune femme en l’appelant de sa voix brisée :

« Tia… Tia, tu m’entends ? »

La fille du Chancelier était consciente, mais elle ne parlait pas, se contentant de darder sur Loki un regard effrayé. Son visage était tuméfié, et son œil gauche s’ouvrait à peine. Il était évident qu’elle avait été la première à être passée à tabac.

Avec délicatesse, Will attrapa la main droite de la jeune femme et la plaça entre sa joue et le sol. En se contorsionnant du mieux qu’il le pouvait, il l’aida à s’allonger dans une position plus confortable, puis s’assit à côté d’elle. Le Grahyena du Rex les regarda faire sans broncher. A bien des égards, sa discipline rappelait celle de Fenrir.

« Il ne m’a même pas parlé de la Résistance… souffla la jeune femme. Il… Il s’intéressait juste… à mes sœurs. »

Il n’y avait même pas de peur dans sa voix. Pas la moindre émotion. Que de l’acceptation.

Quelque chose s’agita dans les entrailles de Will. Il s’était résigné à mourir, mais il refusait l’idée que la jeune femme subisse le même sort. Il eut soudain envie de résister, d’essayer de s’échapper. Instinctivement, son esprit se mit à imaginer un moyen de s’enfuir. Il pourrait se tenir près de la porte et sauter sur le premier geôlier qui rentrerait dans la pièce. L’assommer. Voler ses clés, peut-être.

Non. C’était inutile. Irrationnel. Il n’aurait pas fait deux pas dehors qu’on l’abattrait.

Soudain, la porte s’ouvrit, et le Rex entra à nouveau. Son visage était strié de profondes rides d’inquiétude. Il se tint debout dans l’encadrure de la porte, regardant Will et Tia. Et cette fois, le détective put clairement lire de la tristesse dans son regard.

Maussade, le quarantenaire attrapa sa chaise et s’assit en face d’eux.

« Entrez. » ordonna-t-il.

L’ex-Elitien réalisa que la porte n’avait pas été refermée. Il aperçut une femme rentrer, une trousse de premiers secours à la main.

« Ecarte-toi, Stelmar, et laisse-la s’occuper de la fille Taylor. » lança le Rex.

Sans chercher à discuter, le détective obtempéra et s’éloigna de Tia, qui se redressa en gémissant. L’infirmière -si c’en était vraiment une- s’accroupit près d’elle et entreprit de nettoyer le sang qui maculait son visage. Elle pansa ses plaies et appliqua une pommade sur les contusions, avant de se tourner vers Will et de lui faire subir le même traitement.

Pendant toute la durée de l’opération, le Rex se contenta de les regarder, impassible, grattant distraitement Loki entre les deux oreilles. Le Grahyena restait vigilant, et Will se dit que ce ne devait certainement pas être la première fois que le Rex l’impliquait dans ses interrogatoires.

Une fois que l’infirmière eut terminé, le baron du crime lui ordonna sèchement de quitter la pièce, et elle obtempéra sans rien dire, refermant derrière elle.

S’ensuivit un lourd silence, pendant lequel Will ne quitta pas le Rex des yeux, cherchant à deviner ce qui pouvait bien lui passer par la tête, et ce qui avait motivé ce changement de traitement. Depuis quand soignait-on ses prisonniers ?

« Vous savez à qui vous me faites penser ? A deux mômes qui se retrouvent dans la cour des grands et n’ont aucune putain d’idée de ce qu’ils font là. » lança soudain le Rex.

Le ton était méprisant, mais on y décelait une légère pointe de compassion.

« Vous n’avez vraiment aucune idée du bordel dans lequel vous avez mis les pieds, n’est-ce pas ? » demanda-t-il.

Ni Will, ni Tia ne répondirent. De toute façon, le quarantenaire n’attendait probablement pas de réponse.

« De toute façon, c’est trop tard, fit le Rex en secouant la tête, l’air dépité. La Résistance a forcé le barrage des Elitiens. Les habitants de la surface sont en train de déferler sur la ville supérieure. C’est la guerre, là-haut. Taylor a ordonné aux Elitiens de faire feu sur la foule, et ils ont déployé les drones militaires. La plupart des pontes ont fui la ville en hélico. Les pompiers se sont ralliés à la rébellion. Vous imaginez ça ? Les pompiers qui protègent les civils des forces de l’ordre. C’est vraiment la fin.
- On… peut l’arrêter, croassa Tia d’une voix faible. Je peux le convaincre de… d’arrêter tout ça.
- Oh, non, je ne pense pas. Ton père ne cherche qu’à gagner du temps, tu sais. Peu lui importe le nombre de victimes.
- Qu’est-ce que vous attendez de nous ? » questionna Will.

Le Rex posa son regard perçant sur lui, puis soupira.

« Je pensais que vous saviez. Que vous aviez compris, pour Lina et Anastasia. Que c’était pour ça que vous les faisiez suivre. Mais non…
- Compris quoi ? Qu’elles étaient mes sœurs ? lança Tia, recouvrant un semblant de force.
- Tes sœurs ? »

L’homme eut un sourire sans joie.

« Ce ne sont pas tes sœurs, miss. Elles partagent peut-être une partie de ton ADN, mais ça s'arrête là, crois-moi. »

Will cligna des yeux, abasourdi. Il avait l’impression que son cerveau venait d’arrêter de fonctionner.

« Je vais vous raconter une petite histoire. »

Il s’installa plus confortablement sur sa chaise, et Loki posa sa tête sur ses genoux. Muets, Will et Tia restèrent suspendus à ses lèvres.

« Vous vous y connaissez, en génie génétique ? Non, j’imagine que non. »

Il inspira d’un air las, puis commença à raconter :

« Il y a vingt-deux ans, le gouvernement d’Algosya a acheté une part non-négligeable des actions de la société Xenogen Corporation, ce qui leur a octroyé une place au conseil d’administration. Les guerres de Sinnoh menaçaient de s’étendre à une échelle globale, et il leur fallait un atout, une arme biochimique qui aurait pu nous garantir la supériorité militaire en cas de conflit ouvert. Et les meilleures armes que l’on puisse avoir, dans ce monde, s’appellent les Pokémon.
- C’est illégal, protesta Tia. L’utilisation des Pokémon en cas de guerre est interdite par la convention d’Unionpolis depuis soixante-seize ans.
- Rien de ce que peut faire une entreprise n’est illégal quand la majorité de son conseil d’administration siège au gouvernement, rétorqua le Rex. Et il fallait bien de quoi se défendre, non ? Il fallait des Pokémon plus puissants que ceux de Sinnoh. Des Pokémon modifiés, préparés, façonnés pour le combat. Projet Stallion, projet Eden… Les organismes de Pokémon sont malléables, habitués à évoluer rapidement. La modification génétique n’en a été que plus facile, et les premiers embryons artificiels se sont rapidement développés. Des Rhinocorne plus grands que des chars d’assaut, des Airmure plus blindés que des bombardiers… c’était un champ d’études prometteur. Mais au fur et à mesure, le conflit avec Sinnoh est devenu de moins en moins probable, et les protestations ont commencé à monter. Le budget alloué a diminué. Les effectifs ont été redirigés vers des projets plus sains, plus nobles, plus acceptables pour les investisseurs. Et on n’en a pas entendu parler de ces expériences pendant un long moment. »

Il s’arrêta, sortit un cigare de sa poche et l’alluma. Will, silencieux, essayait désespérément de lier ces histoires à leur situation actuelle, sans y parvenir.

« Et puis, un nouveau Chancelier a été élu, et le gouvernement a changé de majorité. Les actions ont été rachetées, l’argent a changé de mains, et d’autres politiciens ont investi dans X-Corp – à moins que ce soient les investisseurs qui ne se soient mis à la politique ? La différence a toujours été maigre. Bref. Des rumeurs ont commencé à courir sur le fait qu’Unys et Sinnoh se livraient aussi à des expériences génétiques sur les Pokémon. Ça n’a pas plus aux dirigeants de l’époque. S’il y avait une course à l’armement biologique, alors ils devaient absolument la gagner. Ils ont rouvert les archives, exigé que l’on ressorte les dossiers classés, les expériences inachevées, et le travail a repris. Dans l’ombre, comme toujours. Mais cette fois, il n’était pas uniquement question de modifier le code génétique de certains Pokémon. Je ne me rappelle pas du nom du fou qui a émis l’idée le premier… Toujours est-il que l’idée de transférer du patrimoine génétique de Pokémon à des embryons humains a commencé à germer dans l’esprit de certains, et que ça a grandement plu à certains membres du gouvernement.
- Des… hybrides entre humains et Pokémon ? C’est du délire, s’offusqua Will.
- C’est en effet resté un mythe pendant longtemps. Les équipes affectées à ce projet travaillaient dans l’ombre, même au sein de X-Corp, et avec peu de moyens. Et puis un jour, ils ont réussi à mettre au point un embryon d’humain qui contenait des gènes de Xatu. Un spécimen stable, vivant, et qui grandissait rapidement.
- C’est n’importe quoi…
- C’était un début, reprit le Rex. Le spécimen… Jakar, comme ils l’appelaient… a commencé à manifester des dons psychiques certains, très similaires à ceux d’un véritable Xatu. Et notamment la prescience. Un investisseur en particulier s’intéressait beaucoup à ce projet. Un jeune politicien plein aux as du nom de Jack Taylor.
- Mon père avait investi dans X-Corp ? s’étonna Tia.
- D’aussi loin que je me rappelle, il avait toujours eu de nombreuses réserves quant à ce projet. Il acceptait que l’on modifie les Pokémon, mais les humains… c’était autre chose. Malgré tout, il a rendu visite à Jakar. Une fois. Deux fois. Il était dubitatif, au départ. Mais quelque chose l'a fait changer d'avis. Et du jour au lendemain, il a soudain considérablement investi et racheté une bonne part des actions. Le succès du projet Jakar a fait changer d'avis beaucoup de monde. Il y a eu… un grand engouement pour la modification d’embryons humains. Beaucoup d’investisseurs, y compris le gouvernement, ont engagé des équipes pour bosser sur des nouveaux projets d’hybridation. Les applications étaient sans limite. Des soldats surhumains, à la peau capable de résister aux balles. Des espions possédant la capacité de changer d’apparence à volonté, comme un Métamorph. Des individus capables de communiquer par télépathie. La plupart des investisseurs s’éparpillaient en voyant l’étendue des possibilités. Des milices privées ont commandé la mise au point de tous types de super-soldats. Mais ton père… ton père, lui, n’a toujours financé qu’un seul projet, qu’il a baptisé Apocalyptica.
- En quoi est-ce qu’il consistait ?
- J’y viens plus tard. A l’époque, les embryons hybrides étaient récupérés sur des mères volontaires, qui ignoraient ce qui adviendrait de leurs ovules. On les fécondait in vitro, et on modifiait les gènes visés, avant d’accélérer leur croissance. Ce qu’ils créaient à l’époque n’avait rien d’humain. C'était... monstrueux. Les spécimens atteignaient l’âge adulte en quelques mois, et présentaient de nombreuses tares congénitales. Ils étaient souvent fous, ou aveugles, atteints de malformations variées. Incapable de comprendre les ordres les plus basiques. La plupart mourraient d’un cancer, et il y avait d’énormes progrès à faire avant de pouvoir obtenir des individus capables d’agir sur le terrain. La plupart des investisseurs ne demandaient qu’une chose : des spécimens aux pouvoirs avérés, spécialisés, qui excellaient dans leur domaine. Mais leur espérance de vie était ridicule, et ils ont rapidement compris que la création in vitro ne mènerait nulle part. Plutôt que de créer des hybrides de zéro, il leur fallait des organismes humains fonctionnels et adultes, qu’ils combineraient à de l’ADN de Pokémon après coup. Il leur fallait des cobayes. »

Il souffla une nouvelle bouffée de fumée, et reprit :

« Ton père, lui, ne voulait pas ça. Il ne voulait pas d’une créature difforme et idiote, et il refusait aussi d’utiliser des cobayes humains, même volontaires. Il ordonna à son équipe de persévérer dans la voie de la création in vitro. Il voulait des spécimens qui partagent des gènes avec les Pokémon, mais qui conservent une apparence et une intelligence humaine. Il voulait qu’elles soient capables de se défendre, mieux que n’importe lequel des hybrides de combat. Et par-dessus tout, il voulait que leur espérance de vie soit supérieure à celle des humains. Il voulait des survivants. C’était ambitieux. Ça a pris du temps, plusieurs années, et de l’argent – probablement des milliards. Mais la carrière politique de Taylor prenait son essor, et il acceptait chaque demande d’augmentation de budget sans sourciller. Il s’est lourdement endetté à plusieurs reprises, et il a couru d’énormes risques en détournant des fonds gouvernementaux. Le projet lui tenait à cœur – c’était une obsession. Malgré tout, on a rapidement heurté un obstacle de taille. Il était impossible de combiner autant de facteurs de manière viable. Il fallait incorporer aux embryons des gènes de Pokémon très différents. Il fallait que le résultat final soit un individu qui excelle sur tous les plans, présentant des capacités de chaque Type de Pokémon, tout en conservant une apparence et un esprit humain. C’était mission impossible. Chaque tentative était un échec. »

Il s’arrêta et resta silencieux quelques secondes. Will jeta un regard en coin à Tia. Elle était suspendue aux lèvres du Rex. Ce dernier termina son cigare, puis reprit :

« Et un jour, l'équipe a fait une découverte étonnante. Taylor est venu un beau matin et a exigé que l’on prenne son sang et qu’on analyse son génome. Personne n’a compris pourquoi sur le moment, mais tous se sont émerveillés des résultats des tests. Taylor lui-même portait un gène unique – une mutation qui rendait son ADN infiniment plus adapté à la combinaison inter-espèce que n’importe quel ovule utilisé jusque-là, tout en garantissant que le côté humain aurait l’ascendant sur le reste, et donc que le spécimen aurait une apparence et une intelligence humaines. En d'autres termes, l'ADN de Taylor était malléable, adaptable, combinable et recombinable. Une prédisposition génétique rare, et un coup du sort qui relevait du divin. La probabilité que l'investisseur du projet porte dans son génome la clé de sa réussite était quasi-infime. Mais ce qui a surpris tout le monde, c'est que Taylor lui-même ait insisté pour donner son ADN, comme s'il savait déjà à l'avance qu'il portait en lui la clé de la réussite de son projet de fou. »

Les yeux de Will s’écarquillèrent soudain. Il venait de comprendre où le Rex allait en venir. Mais… Non… Ce n’était pas…

« Avec l’ADN de Taylor en guise de base de travail, toutes les barrières sont tombées. Deux ans plus tard, les deux premiers spécimens viables venaient au monde. Deux filles. Les sujets zéro et un du projet Apocalyptica. »

Il regarda Tia, et lâcha d’une voix morne :

« Anastasia et Lina. »