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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 08/10/2017 à 16:34
» Dernière mise à jour le 25/12/2017 à 20:20

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 29 : Les ailes de la Gardienne.

— C’est ici que nos chemins se séparent.

Une fois passé les portes d’Aifos, Gyl prononça ces quelques mots. Il s’inclina poliment avant de diriger sa charrette vers le quartier des nobles. Eily respira un bon coup. Elle était satisfaite d’enfin se séparer de cette étouffante présence.

Chacun voulait rentrer au manoir, mais, avant toute chose, il fallait régler le problème des soldats de Sanidoma. On pouvait encore les voir, ci et là, harcelant inutilement les passants. Cette simple vu enrageait Tza. De façon générale, il n’était pas très bon de causer du tort à Aifos devant la fillette. Cependant, cette dernière réussie à contenir ses émotions, et, à l’aide du sceau de Sanidoma, s’acharna à régler par elle-même la situation.
Elle aurait très bien pu laisser Sanidoma ou Gyl s’en charger, mais Tza voulait que l’ordre se remette en place en plus vite.

Il se passa donc plusieurs longues et fatigantes heures où Tza traîna tout le groupe à travers tout Aifos, à la recherche du moindre soldat de Sanidoma, jusqu’à ce que ces derniers n’arrêtent leurs méfaits. Heureusement, les soldats en question étaient très simples à convaincre. Il suffisait de leur présenter les armoiries de Sanidoma pour qu’ils soient toute ouïe. En réalité, la plupart de ces hommes savaient que ce qu’ils faisaient était stupide ; ils le faisaient tout de même, de peur de s’attirer la fureur de Sanidoma, et donc, par un simple rapport cause-conséquence, de ne pas recevoir de solde. L’argent attirait souvent les comportements idiots.

Lorsque enfin Aifos fut purgé de ce mal, le groupe put se diriger au manoir. Ce qui n’était pas pour déplaire à Eily, Ifios, et Evenis. Voyager en roulotte était sympathique, mais à la longue, cela devenait usant. Retrouver la terre ferme et un foyer confortable – et une bonne bière pour une certaine – les obsédait.

Eily se surprenait à penser le manoir comme étant son foyer. Peu à peu, elle se faisait à sa nouvelle vie, loin de l’orphelinat. Elle commençait même à ne plus s’incommoder de l’effervescence citadine, comme si elle faisait désormais partie de ce tout grouillant. La pensée n’était pas si désagréable ; avoir un endroit où rentrer était apaisant.

— Ohé !

Soudain, une voix enjouée résonna, et, aussitôt, une boule poilue ailée fonça vers la roulotte. Rhinolove avait visiblement décidé d’être le comité d’accueil.

— Bon retour ! s’enthousiasma la chauve-souris.
— Yo, le salua Sidon.
— Alors, comment ça s’est passé, ce petit voyage ? C’était amusant ?
— Très, déclara Fario. Une expérience inoubliable.
— C’est sûr que c’est pas tous les jours qu’on affronte une armée à deux ! ricana Sidon.

Rhinolove virevolta, intéressé :

— Ça a l’air super ça ! Vous me raconterez, dis ?
— Assurément, mon vieux !

Eily leva les yeux au ciel ; elle se demandait vraiment quel intérêt pourrait avoir ces histoires, et comment l’on pouvait prendre plaisir à croiser le fer. C’était bien trop brutal pour elle, qui préférait les luttes subtiles et intellectuelles.

Rhinolove, brusquement, cessa de s’agiter. Il sembla regarder à droite et à gauche, sondant s’il était observé ou non. Et lorsqu’il reprit la parole, son ton se fit bas, craignant d’être écouté.

— … mmh, en vrai, je suis venu vous dire un truc. Où plutôt, vous prévenir…
— Quelque chose est arrivé pendant notre absence ? se recentra Sidon.
— Pas spécialement, du moins rien de grave. C’est juste qu’Asda est ici, à Aifos.
— … !

Tza toussota violemment, tant elle était surprise d’entendre ce nom. Instinctivement, son regard s’acéra dangereusement et ses mains se crispèrent immodérément. Eily observa, interloquée, cette étrange surréaction.

— Asda…, répéta lentement Sidon.
— La première Foréa, si je ne m’abuse ? lança Fario.
— Oui, compléta Rhinolove. C’est aussi la plus fidèle au Vasilias. Autrement dit, elle ne doit surtout pas apprendre ton secret, Eily.

La demoiselle cyan hocha pensivement la tête. Une petite boule commença à se former dans son ventre. La présence d’Asda ne devait pas être un hasard. Quelque chose devait forcément se tramer dans l’ombre ; et si le Vasilias lui-même avait décidé d’enfin avancer ses pions ? Elle ne pouvait empêcher un léger sourire de teinter son visage.

— Ah ? s’exclama Evenis. Quel secret ? Qu’Eily est une ForAÏEUH !!

Tza lança un regard noir à Evenis, lui sommant implicitement de se taire. Mais pour mieux se faire comprendre, la fillette avait décidé d’adopter une approche plus explicite, en écrasant le pied droit de la jeune noble. De son côté, Sidon avait globalement eu le même idée puisqu’il s’occupa d’écraser le pied gauche. C’était également sans compter Rhinolove qui fusa, tel un missile, dans le ventre de la pauvre demoiselle.
Quelques secondes plus tard, Evenis roulait dans la charrette, pleurant silencieusement sa douleur.

— Evenis, lança calmement Sidon. C’est un sujet grave, à ne pas dévoiler aussi impudemment.

Cette dernière lui répondit par un long gémissement larmoyant.

— Quoi qu’il en soit, reprit Rhinolove, soyez prudent. Si jamais elle perçoit le moindre élément allant à l’encontre du Vasilias…
— Elle est là pour nous ? demanda Sidon.

D’un coup, le sourire revient sur la boule de poils :

— Pas spécifiquement, je pense ! Allez, je vous laisse maintenant, rentrez bien au manoir ! Omilio viendra vous voir ce soir, sans doute avec Asda. Ne vous inquiétez pas trop, et reposez-vous plutôt. Vous avez fait du beau boulot chez Sanidoma !

Rhinolove voulut repartir, cependant, Tza éleva la voix :

— Et Asda ? demanda-t-elle. Où est-elle en ce moment ?
— Tu veux dire tout de suite là ? Hé bien… normalement, à l’heure qui l’est, elle doit tout juste être arrivée chez Omilio ! Histoire de formalité tout ça, tout ça quoi !
— …

Brusquement, Eily n’en était pas certaine, mais elle entendit comme une sorte de puissant craquement sec provenant de Tza…


 ***

 Lorsqu’un Foréa Impérial se rendait la ville d’un autre, il était de circonstance à ce que le visiteur rendant visite au résidant. Ce n’avait donc été que logique qu’Asda, à peine arrivée à Aifos, avait directement fusé chez Omilio. Naturellement, dès qu’elle fut aperçue, ce fut effervescence. Les soldats se mirent au garde à vous, et les domestiques s’empressèrent de préparer thé et apéritifs.

Asda était purement et simplement la personne la plus proche du Vasilias ; les plus courageux tombaient dans les pommes à la seule idée de l’offenser par inadvertance. Pourtant, Asda n’en avait cure de ce protocole. La Foréa n’accordait aucune attention au fébrile et impérieux cortège qui se déployait devant elle. Elle n’avait qu’un seul objectif en tête.

La démarche royale, sa longue chevelure indigo flottait au rythme de ses pas impériaux. Dans son dos, ses deux ailes d’une blanche pureté soulignait l’accent divin de sa démarche. Personne dans tout Prasin’da ne s’interrogeait sur l’origine de ses ailes ; certes, ce n’était pas ordinaire, cependant, Asda était une Foréa. Et pas n’importe laquelle : la première, et la plus puissante. Qui avait-il donc d’étrange à ce qu’un personnage hors du commun possède des attributs hors du commun ?

Au bout du cortège improvisé, Omilio l’attendait. Si le visage d’Asda restait très procédurier, ses ailes remuèrent brièvement, enjouées.

— Bienvenue à Aifos, Asda, s’inclina respectueusement Omilio. C’est un plaisir de te voir.
— Le plaisir est partagé, répliqua machinalement Asda.

Sans plus de formalité, Omilio guida Asda dans son bureau. Un servant vint à leur suite, apportant sur un plateau du thé et des friandises locales, avant de s’éclipser, tendu.

— Tza n’est pas là ? demanda soudain la Foréa ailée. Je ne l’ai pas vue en arrivant.
— Non, je lui ai confié une petite mission, pour lui faire gagner en indépendance.

Les ailes d’Asda s’abaissèrent, déçues.

— Je vois. J’avais espéré la saluer.
— Oh, mais tu le pourras. Elle est en ville. Je l’ai installée dans mon ancien manoir, au quartier résidentiel.

Asda s’autorisa un petit sourire :

— J’y ferai un tour.

Toutefois, son regard s’abaissa presque instantanément :

— … ou peut-être pas. Tza ne m’a jamais vraiment apprécié…
— Haha, s’amusa Omilio. Elle est juste timide, mais elle est beaucoup plus ouverte ses derniers temps, pour mon plus grand bonheur.
— Tu crois ? Pour être honnête, j’aimerais m’entendre avec elle. Dans mon cœur, elle est comme une petite sœur.

Et d’une voix inaudible, elle poursuivit, délicatement :

— … et j’adorerais qu’elle le devienne réellement…
— Tu as dit quelque chose ?
— Non, absolument pas.

Si la voix d’Asda ne trahissait rien, ses ailes, elles, s’agitèrent comme de beaux diables. Omilio choisit judicieusement de ne pas en faire la remarque. Le Foréa d’Aifos but une gorgée de son thé avant de reprendre :

— Bien, rentrons dans le vif de sujet. J’imagine que tu n’es pas venue jusqu’ici juste pour parler de Tza.

Asda hocha la tête :

— C’est exact. Je suis ici pour mener une enquête. Le Vasilias suspecte que des rebelles se cachent ici même. Des rebelles cherchant le renverser. N’as-tu rien remarqué d’étranges ces derniers temps ?
— J’ai bien peur que non. Nous avions eu quelques problèmes avec un noble, mais rien ayant un rapport avec d’éventuels rebelles.
— Je vois. Ma mission est de découvrir la cachette des rebelles, et de les ramener à la capitale, où ils seront châtiés.
— Cela coule de source, répliqua Omilio. As-tu des indices sur ces fauteurs de trouble ?
— Malheureusement, non. Je vais devoir compter sur mes propres compétences… et aussi des tiennes, je l’espère.
— Tu auras tout mon soutien.

Intérieurement, Omilio eut un petit rictus amusé. Asda n’était donc au courant que du plus superficiel. Le Vasilias avait un réseau d’informations très complexes et efficaces ; quelque part, il devait forcément suspecter le Foréa d’Aifos de rébellion. Toutefois, il avait choisi de laisser Asda dans le brouillard. Cela ne pouvait signifier qu’une chose :

« … la présence d’Asda est un avertissement. L’ultime mise en garde du Vasilias. Si jamais je décide d’y passer outre, il passera véritablement à l’action… »

Mais naturellement, il en fallait bien plus pour effrayer un homme qui n’avait plus rien à perdre.

— Tu m’en vois ravie, ponctua Asda. Je ne vais pas te faire l’affront de refuser ton offre. Si cela ne pose aucun problème, j’aimerais dès maintenant t’emprunter la moitié de tes soldats, et lancer immédiatement une opération. C’est hâtif, mais comprends que le cas est urgent.
— Je le comprends, ne t’en fait pas. Mes soldats sont à toi, fais-en ce que tu en veux. Toutefois, essaie de ne pas brusquer les citoyens. Comme tout le monde, ils n’aspirent qu’à une chose : la paix.
— Bien entendu. Le bien-être de Prasin’da est notre objectif primordial. Ne t’inquiète pas, je ferais attention.

Et Asda se leva. Elle n’était pas spécialement une femme de discours, mais plutôt d’action ; rester assise sur une chaise à boire du thé n’était pas son fort.

— Oh, réagit Omilio. Et as-tu un endroit où dormir ? Ta mission risque d’être longue.
— … non, lâcha Asda. Je dois t’avouer que je n’y avais pas songé.
— Haha, je m’en doutais. Tu as toujours tendance à négliger les petits détails. Pourquoi ne pas t’établir dans mon manoir ? En plus, cela te donnera l’occasion de vivre provisoirement avec Tza.

À cette perspective, les ailes d’Asda s’affolèrent.

— Très bien, répondit-elle néanmoins calmement.
— Je vais prévenir les autres, sourit Omilio. En vérité, le manoir est très vivant ces derniers temps. Tu y verras des personnalités très colorées, j’espère que tu t’entendras bien avec eux.
— Voilà qui est intriguant. Tu ne t’entiches pas souvent d’autres individus.
— J’essaie de bousculer mes habitudes, s’expliqua Omilio.

Asda pencha la tête, réalisant quelque chose :

— Mais juste pour être certaine. Ce manoir dont nous parlions depuis tout à l’heure… ce n’est pas…
— Rien ne t’échappe. Tu as raison, c’est bien celui que tu m’avais offert.
— Je m’en doutais. Je n’ai jamais compris pourquoi tu as décidé de le quitter pour venir ici. Le manoir est bien plus spacieux que cette résidence.
— Trop spacieux, même. Je m’y sentais un peu seul.

Asda ne semblait pas très satisfaite de la réponse, mais elle décida de ne pas poursuivre. Elle s’apprêta donc à prendre congé. Elle avait une importante mission sur les bras. Cependant, avant de franchir la porte, la première Foréa s’arrêta. Ses ailes s’agitèrent anxieusement.

— Au fait, j’ai une dernière question à te poser, à titre purement et simplement professionnel.
— Je t’en prie.
— Cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus.
— En effet, j’ai été assez occupé ses derniers temps.
— Et pendant ce temps, est-ce que par hasard, tu as eu l’occasion de trouver une compagne ?
— Absolument pas.
— Très bien.

Et Asda s’en alla, royale, alors que dans son dos, ses ailes dansaient fougueusement.


 ***

 Au manoir, le quotidien reprenait, bien loin des préoccupations politiques de la ville. Ifios s’était immédiatement lancé dans ses petites tâches domestiques, et il y avait à faire. Leur voyage au château de Sanidoma n’avait pas duré longtemps, mais bien suffisamment pour qu’une imperceptible couche de poussière recouvre le sol. Mais ce n’était pas tout. Il fallait également préparer le dîner ; les estomacs criaient famine – surtout celui d’Evenis.

Tza, elle, s’était empressée de s’enfermer dans sa chambre. La venue d’Asda ne lui disait rien qui vaille, et elle avait bien envie, là, tout de suite, d’écrire une jolie histoire où une certaine femme ailée connaîtrait un destin malheureux. Il y avait cependant une autre raison à cette hâte : peu avant le départ pour le château, une magnifique peluche représentant Omilio était apparue dans sa chambre. Tza n’avait aucune idée d’où cela pouvait bien venir, mais elle n’allait pas cracher sur une telle opportunité. Elle avait désormais son Omilio tout à elle, sans que rien ni personne ne puisse se mettre sur sa route…

Eily, de son côté, se prélassait dans le salon, en compagnie d’Evenis et Sidon.

— Alors ? De quoi j’ai l’air ?
— D’un idiot, cracha Eily.
— C-C’est vrai que u-un peu moche…, se retint difficilement Evenis.
— Vous êtes sévères ! Hahaha !

En dépit des insultes, Sidon rit au éclat.

— Je comprends la démarche, siffla la demoiselle cyan. Mais tu n’as pas trouvé une méthode un peu moins… ridicule ?

Amusé, Sidon se gratta l’extravagante perruque afro qui trônait sur son crâne.

— J’ai également une fausse barde ! Ça ira peut-être mieux ensemble !

Et l’imposant bandit sortit le fameux artifice, une longue et épaisse barbe qu’il accrocha à son menton. C’en fut trop pour Evenis, qui s’esclaffa comme la rustre qu’elle était. La jeune noble se mit à rouler par terre, frappant hystériquement du poing contre le sol.

— Bravo, plissa Eily des yeux. Tu nous as cassé Evenis.
— Haha ! Mais au moins l’objectif est accompli, non ? Qui devinerait que je suis Sidon, le second du terrible Danqa aux Griffes avec ça sur le crâne ?
— Personne, assurément…
— Hé bien voilà ! Avec Asda ici, je ne dois prendre aucun risque. Elle a travaillé sur les Agrios, elle sait à quoi je ressemble.
— Alors tu te ridiculises pour passer inaperçu, très malin…, ironisa Eily.

La demoiselle cyan soupira, blasée :

— Mais est-ce que ça a une chance de marcher au moins ? Ça se voit tout de suite que ce n’est pas naturel !
— Te bile pas pour ça, je n’ai jamais rencontré Asda de face, mais Omilio m’a pas mal renseigné sur elle auparavant. Ils sont très bons amis, tu sais ?
— Ah ? s’intéressa Eily.
— Lorsqu’Omilio est devenue Foréa, c’est Asda qui l’a initié. Ce manoir est d’ailleurs l’un de ses cadeaux. À la base, Omilio était censé s’établir ici, mais il a préféré partir pour le quartier des nobles.
— Je vois, je vois… ils se connaissent donc depuis bien longtemps…
— C’est exact. Toutefois, ils ne partagent pas du tout le même avis concernant le Vasilias, tu t’en doutes. Asda respecte le Vasilias plus que tout, fait attention à ce que tu dis en sa présence.

Eily hocha la tête. Elle n’en attendait pas moins de celle portant le titre de « première Foréa Impériale ».

— Mais revenons à nos moutons, railla Eily. Tu t’es renseigné sur Asda, bien. Mais donc, ces précieux renseignements précisent-ils qu’Asda est une idiote incapable de voir à travers un grotesque déguisement ?
— Étonnamment, oui ! rit Sidon.
— … vraiment ? se blasa Eily.
— Asda est du genre à ne pas se concentrer sur les détails, il suffit de lui donner une explication crédible et elle ne cherchera pas à aller plus loin.
— … sérieusement ?
— Sérieusement.

Eily soupira. L’image glorieuse qu’elle avait des Foréa n’arrêtait pas de se prendre coups. D’abord avec Inam qui s’était révélée être une gaffeuse socialement maladroite, maintenant, elle apprenait qu’Asda était une idiote crédule. Finalement, il n’y avait qu’Omilio qui respectait un minimum l’implacable aura qu’était censés incarner les Foréa…


 ***

 Ce fut dans la soirée que la rencontre se déroula enfin, dans le salon. Tout le monde était là ; Eily, Tza, Ifios, Fario, Evenis, Sidon – déguisé –, Omilio, Rhinolove, et bien sûr, Asda. L’ambiance était quelque peu tendue, même si Asda tentait d’arborer un visage amical. La faute à Tza, qui foudroyait la pauvre Foréa ailée du regard.

— Effectivement, il y a du monde, lâcha cette dernière.
— Je t’avais prévenue, sourit Omilio.

Curieuse, Asda se pencha vers Sidon :

— Vous… votre chevelure est…, plissa-t-elle des yeux.
— Je me nomme Sid, m’dame. Z’inquiètez pas, m’dame. J’ai pris la foudre et mes ch’veux ont frisé, m’dame.

Intérieurement, Eily était à la limite de la rupture mentale :

« C’est ça son excuse crédible ?! Et c’est quoi cet accent de pacotille ?! Et ‘‘Sid’’ ?! Sérieusement ?! Et en plus, sa perruche est mal mise ! On voit encore un bout de son crâne ! … et pourquoi Asda hoche seulement la tête ? Elle va passer la-dessus sans poser plus de questions ?! »

De son côté, Evenis devait bien réunir toute sa concentration pour ne pas éclater de rire.

— J’imagine que les présentations sont inutiles mais un peu de protocole ne fait jamais de mal, s’avança Omilio. Je vous présente Asda, la première Foréa Impérial de Prasin’da, bras droit du Vasilias. Elle est actuellement en mission à Aifos, et par conséquent, je lui ai proposé de loger ici.
— … !

L’ensemble de la maisonnée resta coite sous la nouvelle. Même Sidon, qui d’habitude avait connaissance des plans d’Omilio, faisait les gros yeux.

— Si je peux me permettre, lança Asda, il est vrai que je possède un titre assez pompeux et intimidant, mais vous n’avez pas à avoir peur de moi. Au fond, je reste un être humain, comme vous tous.
— Voilà qui est parlé, sourit Omilio. Je vous demanderai donc à tous de bien l’accueillir.

Evenis souffla du nez :

— Hm ! Je vois, je vois, je vais donc partager le toit de la première Foréa. Hé bien, sache que pour moi, Evenis Azne Genna, ton titre importe peu ! Pour avoir ma reconnaissance, il faudra passer le test de bienvenue !
— … l-le test de bienvenue ? hésita Asda.
— Parfaitement ! s’exclama Evenis. Sido … euh non… Sid ! La bière !
— À vos ordres chef ! s’enthousiasma le bandit.
— … la bière ? s’étonna Asda.
— Tout à fait ! lança Evenis. Pour rentrer dans notre groupe, il faut avoir une bonne descente ! C’est obligatoire !
— … et depuis quand ? plissa Ifios des yeux.

Omilio pouffa légèrement :

— Faites ce que vous voulez, mais permettez-moi de vous mettre en garde. Asda est connue pour avoir un métabolisme extrêmement résistant. Son corps élimine instantanément toute substance nocive, dont l’alcool.
— … hein ? lâcha Evenis.
— Je peux boire, bien sûr, continua Asda, mais je ne ressentirais jamais les effets de la boisson. C’est l’une de conséquence de mes pouvoirs de Foréa.
— Donc tu ne peux pas être saoul ?! s’écria Evenis. M-Mais… mais c’est trop triste !
— J-Je… suppose ?

Malheureuse pour le sobre destin de la Foréa, Evenis se plongea gracieusement dans la boisson. Asda la regarda un instant et, mal à l’aise, décida de changer de focalisation. Tza entra soudain dans son champ de vision. Les ailes remuantes, Asda s’approcha lentement de la fillette ; cependant, lorsqu’elle arriva à un mètre d’elle, Tza bondit de trois à l’arrière.

— … grrr…, grogna-t-elle.

Asda accusa noblement le coup ; ses ailes retombèrent. Non loin, Rhinolove enregistrait psychiquement la scène. Il allait la ranger dans sa catégorie ‘‘comédie’’, qui regroupait tous les enregistrements cocasses qu’il aimait se repassait avant de dormir.

Eily, qui s’interrogeait depuis le début sur le comportement de son amie, s’approcha de la fillette.

— Quelque chose ne va pas ?
— … cette femme…, siffla Tza, …c’est mon ennemie mortelle…
— … ?
— … si elle pense qu’elle va l’avoir… elle va d’abord devoir me passer sur le corps…

Et pendant que Tza baragouinait dans son coin, Fario prit la parole :

— Si la célèbre Asda nous rejoint, nous n’avions donc pas une, mais deux nouveaux colocataire, si je ne m’abuse.
— Vous êtes perspicaces, nota la Foréa ailée. J’imagine que vous voulez parler de mon Ensar ? En effet, lui aussi va vivre ici. Il peut être un peu impressionnant au premier abord, mais il est en réalité très doux. Voyez par vous-même.

Et avant qu’Omilio ne put ouvrir la bouche, Asda leva sa main droite – celle où elle portait son Ishys – et soudain, une incroyable masse d’énergie se mit à tourbillonner au centre du salon, jusqu’à prendre la forme d’un colosse de presque 2 mètre 50. Un colosse quadrupède de roche et d’acier, qui avait quelque peu du mal à bouger. Le titan fraîchement invoqué tourna difficilement son énorme tête, se demandant où diable il était.

— Je vous présente Bastiodon, mon Ensar et partenaire.
— Bonjour, déclara gravement ce dernier.
— …

Encore une fois, personne ne trouva rien à redire. Chacun – même Evenis – avait les yeux rivés sur ce géant d’acier. Seul Ifios avait la tête ailleurs ; il fixait, extrêmement inquiet, le sol qui se courbait dangereusement sous le poids du mastodonte.

— Asda, souffla Omilio.
— Oui ? Un problème ?
— C’est possible. Penses-tu vraiment qu’il soit convenable d’invoquer Bastiodon ici ?

Les ailes d’Asda s’affolèrent :

— Oh. J’avais en effet oublié ce détail.
— En effet, oui. Il serait peut-être bon de le rappeler, tu ne crois pas ? J’entends déjà des craquements de choses qui ne devraient pas craquer au niveau du sol.
— En effet.

Et Bastiodon disparut, aussi spontanément qu’il était apparu. La marque de son passage était encore clairement visible, au grand dam d’Ifios.

— Hé bien, je crois que les présentations sont faites, ponctua Omilio. À partir de ce moment, vous êtes tous colocataires. Tâchez de bien vous entendre les enfants.

Le Foréa d’Aifos fit un petit clin d’œil à Eily. Cette dernière se retint fortement de ne pas lâcher une réplique cinglante. La demoiselle cyan devait avouer ne pas comprendre la logique d’Omilio. Asda et lui étaient amis, certes, mais Asda était également une fervente partisane du Vasilias. Et si jamais elle découvrait l’existence de Caratroc ? Ce serait catastrophique.

« … pourquoi il nous complique la tâche comme ça cet imbécile heureux… », grommela Eily.


 ***

 En revenant chez lui, Omilio se demandait lui-même s’il avait pris la bonne décision. C’était un coup risqué ; un véritable quitte ou double. Mais ne jouait-il pas sa vie depuis des années ? Un pari mortel de plus ou de moins, qu’est-ce que cela changerait ?
Dans son bureau, seul avec son Ensar, Omilio soupirait en jouant avec une tasse de thé :

— Asda n’est pas méchante, mais elle a une confiance aveugle envers le Vasilias.
— Une confiance qui risque de nous causer quelques problèmes ! renchérit Rhinolove.

Cela ne faisait aucun doute. Si le Vasilias le lui demandait, Asda pourrait trancher la gorge de ses rares et précieux amis. Elle le ferait en pleurant, mais elle le ferait tout de même.

— Tu penses vraiment que la petite va réussir ? s’anima Rhinolove.
— J’ai confiance, sourit Omilio. Eily a beaucoup évolué depuis son arrivée. Elle n’en est certainement pas consciente, mais elle dégage une aura qui force la confiance chez autrui. Tza, Fario, Evenis, Sidon et même Ifios… elle a su capter leur attention et amitié.
— Et tu espères qu’Asda se rajoutera à cette liste, n’est-ce pas ?
— Et pourquoi pas ? Même moi je ne sais de quoi cette gamine est capable…

Soudain, un servant frappa à la porte. De l’extérieur, il annonça à Omilio que son rendez-vous était arrivé. Le Foréa d’Aifos se redressa sur sa chaise, et pria à son invité d’entrer.

— Hé bien, hé bien, fit une voix extrêmement polie. Ces derniers jours ont décidément été très mouvementés.
— Bienvenue, Gyl. Assieds-toi, je t’en prie.

Le majordome de Sanidoma s’installer juste en face du Foréa, sans cesser de le fixer avec un étrange air espiègle.

— Vous m’aviez fait une petite surprise, souffla Gyl. Je ne m’attendais pas à ce que vous me l’envoyez.
— Alors c’est vraiment elle ? voulut savoir Omilio.
— Je n’ai aucune preuve tangible, mais j’en suis certain. Dès que je l’ai vu, je l’ai ressenti au plus profond de moi ; comme si mon âme me hurlait cette vérité que j’aurais voulu oublier. C’est elle, sans aucune erreur possible.
— … je vois, je n’ai aucune raison de douter de ta bonne foi.

Omilio lui fit un petit clin d’œil :

— Et alors ? Que penses-tu d’elle ?
— Je la déteste, c’est évident.
— Je m’en doutais. Tu sais qu’elle n’y est pour rien, n’est-ce pas ?
— Certes, mais la vie est injuste.

Omilio rit doucement, amusé par la réplique de son interlocuteur.

— Et donc ? reprit le Foréa. Tu as vu à quel point je suis sérieux. Veux-tu te joindre à moi, désormais ?
— L’idée est tentante, en effet. Mon désir de vengeance est toujours aussi brûlant. Toutefois, je dois m’occuper de Sanidoma. J’ai trouvé un objectif de vie en lui, et j’y tiens.
— Je comprends. Mais comprends également que tu as une épée de Damoclès sur la tête. Tu auras beau faire profil bas, un jour, ils viendront t’arracher ce que tu as de plus précieux.
— … certes.

Omilio raffermit son regard :

— Cependant, je te donne la possibilité de briser cette épée. Je te donne la possibilité de briser tes chaînes.
— …
— Tu avais toujours refusé mon offre, car tu la jugeais impossible. Mais maintenant ? Tu sais pertinemment qui est Eily, et à quel point ses pouvoirs sont gigantesques.
— Elle n’a pas l’air de savoir les maîtriser, marqua Gyl. Je l’ai juste vu utiliser un artefact de l’Ancien Monde, rien de plus.
— Elle apprend extrêmement vite. Elle sera prête à temps.
— …

Gyl ferma les yeux, pensif. Il rassemblait toutes les pièces de puzzle dans sa tête, espérant y trouver la sortie du labyrinthe.

— Tu as encore du temps avant de répondre, Gyl. C’est une grave décision, je ne peux te forcer la main. Cependant, réfléchis bien. N’en as-tu pas assez de devoir vivre dans l’ombre ?

Gyl ne répondit pas. Il se leva simplement, et se dirigea vers la sortie, sans un mot. La liberté. Il n’avait plus entrepris cette perspective depuis bien longtemps. Il avait pu trouver un semblant de protection chez Sanidoma, mais ce n’était qu’une cachette provisoire. Omilio avait raison ; un jour, le Vasilias décidera de le détruire. C’était là son destin, à lui, le défectueux