Ch. 27 : Grandeur et petitesse.
Les soldats de Sanidoma fondaient, comme un seul homme, sur les deux malotrus ayant osé manquer de respect à leur maître. Leur rugissement unique tonnait tel l’éclair divin, du moins, dans la tête de Sanidoma. En réalité, ce corps armé ressemblait bien plus à un troupeau beuglant aléatoirement à travers la plaine.
Sidon et Fario se défendaient ardemment, dos à dos. L’un bloquait les innombrables lames avec son cimeterre, tandis que l’autre esquivait de justesse la multitude de coups grâce à ses sens hors-norme. Toutefois, à deux contre des centaines, le bandit et le Magus ne pouvaient que se faire submerger. Bientôt, l’armée de Sanidoma, à force de pousser leur rang, réduisait dangereusement la marge de manœuvre des deux intrépides.
Fario fit un petit clin d’œil à Sidon, ce dernier hocha la tête. Il était temps d’actionner leur botte secrète. Le Magus glissa alors subtilement sa main à travers sa tunique, et manipula rapidement une certaine Boule Fumée ; brusquement, un nuage nébuleux explosa au milieu des soldats. Surpris, les gardes furent bien forcés de reculer. Et ce fut à ce moment précis que Fario choisit pour activer discrètement ses pouvoirs. Il saisit Sidon par le bras et, ensemble, ils firent un bond stupéfiant, un bond suffisamment énorme pour passer par-dessus les rangs ennemis.
Lorsque le nuage de fumée se dissipa, les soldats furent bien étonnés de constater l’absence de leurs cibles.
— Hé bien ! s’écria Sidon. Qu’est-ce que vous fichez ? On est là les mecs !
Moqueur, le bandit n’hésitait pas à faire de grands et exagérés signe de bras. Il faisait tout pour se faire remarquer, quitte à tirer quelques fois la langue.
— Tu es assez puéril, lui fit remarquer Fario.
— Pourquoi ne le serais-je pas ? Nous sommes là pour nous amuser avant tout ! Et puis, toi aussi tu peux être assez gamin quand tu veux, sous tes airs d’érudit.
— Haha. Tu dis peut-être vrai.
— Allez, on continuera notre discussion plus tard. Le troupeau arrive…
Ce fut sur ce même stratagème que le combat continua. Fario et Sidon tenaient le plus possible leur position, et, dès que la situation devenait critique, ils utilisaient la Boule Fumée pour s’enfuir vers une zone plus dégagée, et rebelote. C’était l’unique plan qu’ils avaient, mais c’était un plan efficace. Les soldats de Sanidoma, bien trop désorganisés, n’arrivaient ni à comprendre l’origine de la fumée, ni comment leurs proies faisaient pour disparaître d’un coup.
Seule ombre au tableau, Fario et Sidon n’avaient droit à aucun répit. Ils devaient sans cesse être à l’affût, sinon quoi le pire serait à prévoir. Sanidoma avait certes demandé à ses soldats de les capturer vivants, mais dans ce capharnaüm infernal, un accident malheureux serait bien vite arrivé.
— Ils sont tenaces, lança Fario.
— Et nombreux ! ricana Sidon. Ça me coûte de le dire, mais je risque de m’épuiser avant eux !
— De même, mon ami.
— Haha ! Mais il faut tenir ! Nos camarades à l’intérieur sont sûrement en train de tout faire pour régler ce merdier !
***
Et pendant que Sidon et Fario jouaient leur vie à l’extérieur, risquant à chaque instant de se prendre un coup fatal, à l’intérieur…
— La boisson est-elle à votre goût ? s’enquit Gyl.
— Je dois avouer que ce n’est pas mauvais, admit Ifios.
— La qualité est indéniable, hocha Tza de la tête.
— Rien à voir avec ce qu’on a chez nous, sourit Eily.
… Eily, Ifios, Evenis et Tza étaient réunis dans un énorme salon, autour d’un magnifique table d’ébène. Chacun dégustait avec délice une tasse de thé. Du moins, presque tout le monde, puisque parmi l’assemblée, une certaine personne avait un palais bien trop raffiné pour apprécier ce type de breuvage.
— C’est bien trop fade, maugréa Evenis. Une vraie boisson elle doit être forte, corsée, brûlante ! Comme de l’alcool quoi !
— Je vois. Dans ce cas, peut-être que ceci correspondra mieux à vos exigences ?
Et puis, Gyl sortit de son dos une sublime bouteille de vin, le fait qu’elle soit incrustée d’or et de diamants en disait long sur sa rareté. Toutefois, ce fut pas ces moult richesses qui attirèrent le regard d’Evenis, mais la vieille étiquette de la bouteille. En la voyant, la jeune noble faillit s’évanouir.
— U-Un C-Chaydeuvre ! bondit-elle. J-Je pensais que ce n’était qu’une légende !
— Un quoi ? s’étonna Eily.
— Un Chaydeuvre ! C’était l’un des plus grands et prestigieux domaines durant l’Ancien Monde ! Même à l’époque, leur vin était célèbre dans tous les pays ! Cette boisson date de L’ANCIEN MONDE ! Tu t’en rends compte ?! Ces machins-là doivent avoir plus d’un millénaire, en plus d’avoir été confectionnés avec les plus grandes technologies des Anciens ! L’alcool ultime en somme !
— … plaît-il ? plissa Eily des yeux.
— C’est impossible, nota Tza. Les Chaydeuvre sont extrêmement rares, seul l’élite des plus grands de ce monde en possède. Sanidoma a beau être riche, je doute qu’il le soit assez pour en posséder une… et surtout, personne n’irait proposer nonchalamment une boisson aussi légendaire à des inconnus !
Gyl hocha doucement sa tête :
— Oh ? Vous pensez donc que je fabule ?
— C’est évident, trancha Tza. Il faudrait être idiot pour vous croire.
— … mais moi j’y crois…, geignit Evenis.
— Alors tires-en des conclusions, lui souffla Eily.
— Je vois, marqua Gyl. Comme on pouvait s’attendre de la sœur d’un Foréa.
Sans se départir de son petit sourire, Gyl rangea sa bouteille. La déception était clairement présente sur le visage de la pauvre Evenis, elle voulut protester, mais une autre voix la coupa dans son élan :
— Sinon, vous n’avez pas l’impression d’être hors-sujet ? souleva soudain Ifios. Quelqu’un peut m’expliquer pourquoi on est en train de boire du thé ?
— … parce qu’il nous l’a proposé ? lança Eily.
— Il serait impoli de refuser une invitation, ponctua Tza.
— Ouais Ifios, c’est mal élevé ! lança Evenis.
Si l’adolescent s’approchait dangereusement de la lassitude la plus totale, cette dernière remarque l’acheva :
— … je rêve où Evenis me fait la leçon sur les bonnes manières… ? Bref, essayez de vous rappeler ! Nous avions une mission ! Non, ça ne vous dit rien ?
— Si je ne m’abuse, vous étiez venus pour raisonner Sanidoma, s’avança Gyl.
— Voilà ! s’emporta Ifios. C’est quand même dingue que ce soit notre ennemi qui nous le dise !
Eily pencha la tête, imitant celle ne comprenant pas :
— Et ? lança-t-elle.
— … quoi, ‘‘et ?’’ plissa Ifios des yeux.
— Quel est le problème ? précisa Eily. Ce n’est pas très exactement ce que l’on est en train de faire ?
— … pardon ?
Eily secoua sa tête, comme si elle se moquait de la naïveté de l’adolescent.
— Ah, mon cher Ifios. Tu n’as toujours pas compris ? Ce Gyl, ce n’est pas n’importe qui. Le fait qu’il soit venu nous ‘‘accueillir’’ aussi calmement le prouve de façon plus qu’évidente. D’ailleurs, tu ne te rappelles pas des Agrios que nous avions rencontrés auparavant ? Ils nous avaient mis en garde sur un dénommé ‘‘Gyl’’.
— Il doit effectivement s’agir de moi, s’immisça ce dernier. Gyl est un nom très peu courant par ici.
— Tu vois ? sourit Eily à Ifios. Si nous voulions atteindre Sanidoma, il faudra d’abord s’occuper de lui.
— Je passerai sur le fait qu’on discute stratégie devant l’ennemi en question…, grinça l’adolescent. Mais tout de même, je ne vois pas en quoi prendre le thé nous aide…
— Imagine cela comme une phase avant de débuter les hostilités, rajouta la demoiselle cyan. Une occasion d’observer l’adversaire.
— Cela fait sens, acquiesça Gyl.
Evenis cligna des yeux, perdue :
— Ah bon ? On faisait tout ça là ? Je pensais qu’on se remplissait juste la panse…
— L’un empêche pas l’autre, sourit Gyl. Si vous voulez, je peux vous servir quelques apéritifs, avant d’entamer le plat principal.
— C’est gentil, souffla Eily, mais je crois que nous avions assez perdu de temps.
— Je vois. La modération est un choix bien sage. Dans ce cas, il est l’heure de tomber les masques.
Calmement, Gyl recula de quelques pas. L’atmosphère se refroidit. Son visage restait bienveillant, mais une écrasante pression s’en dégageait.
— Permettez-moi de me présenter à nouveau, déclara-t-il. Je me nomme Gyl, un simple serviteur. Et en tant que tel, je me dois de protéger mon seigneur. N’y voyez rien de personnel.
***
Sanidoma observait, furieux, son armée peiner devant deux misérables prolétaires. C’était un affront ignoble. Ses soldats étaient sa lame, et sa lame devait être capable de trancher n’importe quoi.
— ...gnn...gnnn...gnnnn…
La rage l’envahissant de plus en plus, Sanidoma se retrouva bientôt incapable de prononcer le moindre mot intelligibles. C’en était trop. Il ne pouvait plus rester en ce lieu, à être témoin de l’inefficacité du symbole de sa puissance.
Il s’éloigna donc, partant instinctivement à la recherche de son seul véritable allié. Il avait absolument besoin de son soutien, plus que jamais.
***
Chacun se tenait prêt. L’aura combative de Gyl emplissait la salle à un tel point que l’atmosphère en était intenable. Tza avait déjà affronté des adversaires très coriaces par le passé, elle croisait même souvent le fer avec Inam. Mais en dépit de son expérience, elle ne put s’empêcher de déglutir. Elle avait beau analyser la majordome, elle ne voyait aucune faille dans sa garde, et pourtant, rien n’avait encore véritablement commencé.
Et alors que la tension était à son comble, Eily fit un pas en avant :
— Allons, a-t-on vraiment besoin de nous battre ? Nous ne sommes pas comme les sauvages à l’extérieur, nous pouvons bien régler nos différends par la discussion.
— Oh ? La discussion ? s’étonna Gyl. J’ai bien peur que cette entreprise ne soit compromise.
— Et pourquoi donc ?
— Je pense que vous le saviez tout autant que moi. Vous désirez que Sanidoma retire ses troupes d’Aifos, or, il ne le fera jamais. Il est bien trop fier pour cela. Le seul moyen pour le convaincre est la force. L’affrontement est inévitable.
— Oui ! s’avança Evenis. L’affrontement est inévitable ! Ce type à l’air vraiment fort, ce serait dommage de ne pas le combattre !
« … merci Evenis, tu m’aides beaucoup… », grinça mentalement la demoiselle cyan.
— Parlons franchement, tenta à nouveau Eily. Vous êtes intelligent. Vous savez très bien qu’il faut à tout prix raisonner Sanidoma : ses soldats provoquent le chaos à Aifos. Bientôt, les répercussions risquent d’être terribles.
— Je vous accorde ce point, laideronne.
— … ? … comment m’avez-vous appelez ?
— Laideronne. N’aviez-vous vous-même pas demandée à ce que l’on se parle franchement ? Eh bien je vous parle franchement ; je trouve votre apparence à vomir. Sans vouloir vous offenser.
— …
« … il… essaie de me déstabiliser ? Non, je ne dois pas me laisser avoir. Après tout, c’est un type qui sert ce gros lard de Sanidoma, il doit avoir une conception de la beauté assez tordue ! Oui voilà, c’est ça, je ne suis absolument pas une laideronne… », monologua amèrement la demoiselle cyan.
— Ahem ! toussota-t-elle. Ceci mis de côté, vous êtes donc d’accord avec moi. Il faut mettre un terme la folie de Sanidoma. Laissez-moi lui parler. Vous semblez penser que cela ne servirait à rien, mais à quoi bon partir défaitiste ? Les jeux ne sont jamais faits.
— …
Réfléchissant, Gyl posa sa main droite sous son menton. Il analysa, un à un, les membres de l’étrange groupe se tenant devant lui. Chacun semblait prêt à lancer l’assaut dans la seconde, chacun, à l’exception de la demoiselle cyan.
Soudain, coupé dans la réflexion, Gyl leva un sourcil :
— Les cieux semblent être avec vous, lâcha-t-il. Je sens Sanidoma qui se rapproche.
— … tiens ? s’immisça Ifios. Dites, vous ne sentez pas une odeur étrange tout d’un coup ?
— On dirait du poisson pas frais ! renifla Evenis.
— Ou un vieux fromage ? s’essaya Tza.
Lentement mais sûrement, la surprenante flagrance se fit de plus en plus forte, et dévoila son origine. Et ce n’était ni un poisson, ni un fromage, juste un individu grassouillet et transpirant. Eily plissa les yeux. Effectivement, Gyl avait raison. Ce type, on le sentait venir à des kilomètres. Jamais la demoiselle cyan n’avait rencontré quelqu’un correspondant autant à l’expression ‘‘gros plein de soupe’’. Le véritable Sanidoma était encore pire que ses grossières représentations dans la forêt…
Sanidoma s’approcha de Gyl en courant ; voir cette boule sur pattes bondir au rythme de ses pas avait à la fois un certain aspect comique et désespérant. Et en plus de l’odeur, ce qui choqua le plus Eily fut la chevelure de l’individu. Il était globalement chauve, toutefois, trois ‘‘boules’’ très touffues l’ornait, une au sommet de son crâne, et deux autres sur les côtés. Pendant une seconde, Eily se demanda comment la nature pouvait approuver l’existence d’une telle créature.
— Gyl ! hurla Sanidoma. C’est une catastrophe ! Ma magnifique personne a été bafouée ! Il faut… il faut… hein ?
Soudain, le noble remarqua la présence d’Eily et de son groupe. Ses yeux s’injectèrent de sang :
— Q-Qui sont ses malheureux ?! Je ne les connais pas ! Personne n’a le droit de pénétrer mon merveilleux château sans mon autorisation ! Ce château est mon temple ! Le souiller est un blasphème !
— Ce sont les envoyés d’Aifos, répondit calmement Gyl. Votre seigneurie en a déjà entendu parler, ce sont les mêmes qui sont venus un peu plus tôt. J’ai également cru comprendre qu’il était allié avec les deux individus combattants votre armée à l’extérieur.
— C-Comment ?!
Le corps tout entier de Sanidoma se crispa. La haine était visible dans les moindres fibres de sa peau, tandis qu’une cascade de sueur dégoulinait de son front. Ifios grimaça. Dans ces yeux de maniaque de la propreté, le gros noble n’était qu’une boule de graisse ne demandant qu’à être désinfectée.
— GYL ! s’égosilla Sanidoma. CAPTURE-LES ! Ils vont faire un petit tour en cellule… oui… ils… ils vont apprendre qu’on n’insulte pas ainsi le GRAND SANIDOMA !
« On ne l’insulte pas ‘‘ainsi’’ ? Parce qu’il y a une manière appropriée de l’insulter ? » tiqua mentalement Eily.
— Vos désirs sont des ordres, votre seigneurie.
Et avec un petit sourire, Gyl se tourna vers le groupe d’Aifos :
— Vous voyez ? C’était prévisible. Maintenant, j’ai bien peur de devoir écourter notre rencontre. Rassurez-vous, cela sera rapide et sans douleur.
Sur ce, Gyl sortit son arme, un exotique et mortel boomerang. Il se mit en position de combat. En réponse à cela, Ifios brandit son cimeterre – sans le sortir de son fourreau cependant –, et Tza, qui avait laissé sa lame à l’extérieur, serra ses poings. Eily fronça les sourcils, cherchant le moyen de se sortir le plus facilement de ce mauvais pas. Seule Evenis semblait ignorante de la tension et souriait, enthousiasmée à l’idée d’affronter un type ayant réussi à attraper l’un de ses projectiles en plein vol.
Ce fut d’ailleurs cette dernière qui débuta les hostilités, en mitraillant Gyl avec son lance-pierre. On pouvait se moquer du caractère artisanal de son arme, mais sa précision, elle, était bien réelle. Voulant profiter de l’occasion, Tza bondit, les poings en avant ; elle était certes petite, mais elle disposaitd’une force absurde.
Gyl ne prit qu’un instant pour analyser la situation. D’un geste précis, son boomerang alla repousser chacun des cailloux lancés par Evenis, et, pendant ce temps, Gyl s’élança dans un rapide échange de coups avec Tza. Cinq secondes plus tard, le majordome réussit à repousser violemment la fillette d’un précis coup de pied, juste à temps pour rattraper son boomerang qui lui revenait.
— FWAHAHAHA ! postillonna Sanidoma. C’est ça Gyl ! Fais-leur comprendre ma suprématie !
« … il parle beaucoup pour quelqu’un qui n’en fiche pas une… », plissa Eily des yeux.
La demoiselle cyan recula d’un pas.
« … mais il a raison sur un point. Gyl est un gros morceau. Pour être capable de rivaliser avec Tza, il faut se lever tôt ! Et il a toujours cet air sûr de lui, comme si rien ne pouvait le perturber. Non, si on veut le passer, il faudra ruser… »
Pendant qu’Eily réfléchissait dans son coin, Gyl décida de quitter sa position défensive pour passer lui aussi à l’attaque. C’était un massacre. Son boomerang, puissant et imprévisible, décrivait des courbes improbables et frappait toujours à l’endroit où l’on s’y attendait le moins. Et ce n’était pas tout, car pendant que son boomerang était dans les airs, le majordome se lançait au corps à corps, avec une efficacité d’un véritable artiste martial. Ifios, Evenis, et Tza ne pouvaient que se défendre, sans jamais avoir l’occasion de contre-attaquer, quand bien même ils étaient à trois contre un.
— Vous êtes tenaces, souffla Gyl. Je suis étonné que vous me résistiez encore.
— … gnn…, grogna Evenis. Je n’aime pas son ton suffisant à celui-là !
Furieuse, Evenis décida d’oublier son lance-pierre et se mit carrément à jeter ses cailloux à pleine main, et en boucle. Des gestes brusque et rustres, mais étonnamment précis. Les galets qu’elle envoyait balayaient stratégiquement la zone, rendant l’esquive impossible ; restait à savoir si ce n’était qu’un hasard ou si Evenis était réellement une déesse de la précision. Une chose était certaine cependant ; sans l’appui du lance-pierre, les projectiles avaient bien moins de force et de vitesse, de ce fait, Gyl n’avait qu’à protéger sa tête et à attendre le calme après la tempête. Du moins, c’était ce qu’il avait prévu de faire, cependant…
— HIIII !! grinça insupportablement Sanidoma. Mes porcelaines !!
En effet, sur un joli buffet d’ébène poli accoudé au mur, trônait de magnifiques vases ornés de somptueux et classieux motifs. Des vases certes sublimes, mais également fragiles. Et il allait sans dire qu’Evenis, dans sa furie rocailleuse, n’avait pas pris le soin d’épargner mobilier et décorations d’intérieur.
Sanidoma observa, impuissant, la mâchoire tombante, la sueur abondante, toutes une foulée de petits cailloux impétueux fuser vers ses si précieuses porcelaines. En tant que bon serviteur, Gyl ne pouvait laisser cela se faire. Il abandonna immédiatement ses propres défenses pour aller couvrir les jolies vases. L’occasion était beaucoup trop belle pour Tza, qui courut lui flanquer un puissant coup de poing vengeur. L’impact eut lieu ; Gyl resta inflexible, mais une indiscernable grimace trahissait sa douleur. Il réussit toutefois à déstabiliser Tza de justesse d’une fulgurante balayette et de la renvoyer d’où elle venait dans la foulée.
De son côté, Eily sourit. Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? C’était tellement évident.
— Ifios, Tza, déclara-t-elle. Ignorez Gyl, il est bien trop fort. En revanche… concentrez-vous sur le mobilier.
— Keurfke… ?! faillit s’étouffer Sanidoma.
— Compris, hocha Tza de la tête.
— … je n’aime pas trop l’idée, maugréa Ifios, mais s’il n’y a pas d’autres moyens…
— Et moi je fais quoi ? poussa Evenis.
— Toi, reste à l’arrière et mitraille la majordome. Nous sommes en avantage de nombre, autant en profiter pour attaquer sur plusieurs fronts.
— Je ne suis pas certaine de comprendre mais d’accord ! s’enthousiasma Evenis.
Gyl sourit narquoisement :
— Voilà un plan digne d’une laideronne.
— Je vais le prendre comme un compliment.
Gyl n’eut pas le temps de répondre. Déjà, Ifios et Tza se lancèrent dans une cruelle entreprise de démolition. Le majordome, vif comme l’éclair, réussissait par miracle à prévenir toutes destructions. Avec la grâce, l’agilité et la précision qui le caractérisait, il repoussait chacun de ses adversaires, jouant à la fois de son boomerang et d’acrobaties martiales. Toutefois, cela lui demandait toutes ces facultés, surtout qu’il devait également prendre garde au lance-pierre d’Evenis.
Tout ceci donna allégrement le temps à Eily de se diriger vers sa seule et unique cible : Sanidoma. Ce dernier, en la voyant marcher nonchalamment vers lui, s’égosilla comme un oisillon sortant de l’œuf :
— Gyyyyyl ! hurla-t-il d’une voix à en faire pâlir une soprano.
Répondant à son appel, Gyl fonça vers Eily, prêt à l’assommer d’un terrible coup de pied… cependant, à l’impact, au moment même où la jambe de Gyl rentra en contact avec sa cible, le majordome fut impitoyablement repoussé l’arrière.
— … !
Gyl se releva. Pour la première fois, une franche surprise teintait son visage. Eily lui répondit avec un petit sourire. Sous son manteau, elle avait dissimulé sa petite botte secrète : le Carton Rouge. Un sympathique artefact de l’Ancien Monde capable d’envoyer valdinguer tous ceux osant toucher son porteur.
— M-Mon lustre de cristal ! brailla à nouveau Sanidoma.
Profitant du chaos, Ifios avait effectué un puissant bond afin d’atteindre le fameux lustre du plafond. Un énorme bijou massif qui devait certainement valoir une trentaine de vies roturières. Gyl réagit au quart de tour et intercepta l’adolescent… tout en délaissant Eily, qui arriva enfin à destination.
— Hiii ! s’alarma Sanidoma. R-Reculez mécréante ! J-Je suis le grand Sanidoma ! L-Les badauds n’ont pas le droit de m’approcher !
« Croyez-moi, j’aurais préféré rester loin… », geignit Eily en sentant l’odeur du grassouillet l’agresser.
— Je ne vous veux aucun mal, lâcha-t-elle. Regardez, je ne suis pas armée. Je veux simplement discuter.
— Humpf ! Ignorante ! Mes sages paroles ne peuvent être entendu que par mes pairs ! Discuter avec une roturière comme vous ne ferait que salir mon prestige !
— Pourtant, en ce moment même, vous discutez avec moi, non ?
— … c-ce… euh… n-non ! Ce n’est pas pareil ! N-N’essayez pas de me piéger, fourbe ! Je vois clair dans votre jeu !
« Tiens donc, ça, ça serait étonnant », se moqua la demoiselle cyan.
Eily s’installa calmement aux côtés de Sanidoma, dos au mur. De là où elle était, elle avait une vu imprenable sur le combat, ce qui lui permettait également de pouvoir voir venir Gyl, au cas où celui-ci déciderait de venir l’importuner.
De son côté, le majordome gardait un œil vissé sur la demoiselle cyan, mais pour l’instant, il choisit de la laisser tranquille. Elle n’avait pas l’air de menacer son maître, et Gyl avait des choses bien plus urgentes à traiter.
— Alors comme ça, vous habitez dans ce château ? lança subitement Eily.
— J’ai dit que je ne vous parlerai pas ! s’écria Sanidoma.
— C’est un beau château, je n’en ai jamais vu d’aussi gigantesque.
« … en fait je n’en avais jamais vu tout court, mais passons ce détail… »
— Bien sûr qu’il l’est ! s’emporta Sanidoma. Pour qui me prenez-vous ?!
— Un château gigantesque… et vide. Dites-moi, mis à part Gyl, vos soldats, et vous-même, qui habite ce domaine ?
— … !
Touché, Sanidoma se crispa davantage.
— Personne d’autre, n’est-ce pas ? souffla Eily. C’est bien ce que je pensais. Vous attachez beaucoup d’importance à vos symboles ; votre apparence, votre prestige, votre argent, vos objets précieux. Généralement, lorsque l’on s’attache autant à de telles choses superflues, c’est que l’on cherche à se légitimer en tant que personne.
— C-Comment osez-vous me parler sur ce ton ! Et je suis le merveilleux Sanidoma ! Je n’ai nullement besoin de quêter une légitimité, mon nom parle de lui-même !
— Donc vous êtes important uniquement grâce à votre nom, et rien d’autre. Sans lui, vous ne valez pas plus que moi. Je n’invente rien, je reprends juste vos propres paroles.
Sanidoma était à deux doigts d’exploser tant son sang lui montait à la tête. Normalement, il aurait demandé à ses soldats d’exterminer l’encombrante sur le champ, histoire de lui apprendre les bonnes manières. Or, tous ses soldats étaient en ce moment même légèrement occupé à l’extérieur. Gyl avait lui aussi les mains pleines, à protéger les ô combien précieuses possessions de son maître, tout en évitant les tirs fous d’Evenis.
— Vous savez, reprit Eily, je crois que je peux comprendre. Moi aussi, je me suis longtemps attachée à de stupides valeurs ; j’ai longtemps joué un stupide rôle. Tout ça parce que j’avais peur. Je pense que vous aussi, vous partagez cette peur. La perceptive de vous faire écraser par les autres vous terrifie, alors, vous jouez d’artifice pour vous imaginer au-dessus du monde. Votre argent, vos babioles, votre nom, votre château ; ce ne sont que des décorations. Des boucliers que vous ériger pour ne pas vous faire écraser. Au fond, vous le savez vous-même, n’est-ce pas ? Sans tout cela, vous n’êtes rien.
— V-Vous… !! rougeoya Sanidoma. J-Je.. je vais…
— Vous persistez encore ? se moqua légèrement Eily. Très bien, à vous de me montrer que j’ai tort. Constatez la situation actuelle. Personne ne peut vous aider. Ni vos soldats, ni votre majordome, ni votre argent, ni votre influence. Vous êtes seul. Si vous êtes aussi parfait Ô sublime Sanidoma, allez-y, c’est le moment de le prouver. Faites-moi taire en usant de votre seule force.
— … !
Ce fut l’insulte de trop. Sanidoma ne put en supporter davantage. Son honneur n’avait pas été que bafoué, mais également roulé dans la poussière. Il devait riposter. D’ordinaire, il laissait le sale boulot à ses subordonnés, mais là, exceptionnellement, il allait devoir rendre lui-même sa divine justice.
Rassemblant sa dantesque force, Sanidoma fonça vers Eily, dans toute son opulente masse. Un sourire sadique surmontait son double menton ; seule la vengeance hantait son esprit. Absolument rien ne pouvait l’empêcher de faire résonner sa magnificence. Rien, sauf peut-être un petit caillou qui dormait au sol. La grosse botte de Sanidoma y glissa malencontreusement. Surpris, le noble grassouillet ne put que voir son corps tomber et rebondir plusieurs fois sur son ventre rondouillard, avant d’atterrir au pied d’Eily.
— Votre seigneurie ! se retourna son majordome.
— Non Gyl ! s’écria Sanidoma. Cette impertinente… elle est à moi !
— … très bien, votre seigneurie.
— Hé ! s’offusqua brusquement Evenis. Tu crois que t’as le temps de regarder ailleurs toi ?!
Et aussitôt, la jeune noble mitrailla Gyl de moult projectiles en tout genre. Comme elle commençait à manquer de cailloux, Evenis improvisait avec ce qu’elle trouvait un peu partout – cuillères, fourchettes, tasses, bougies, etc. –, au grand dam de Gyl qui devait non seulement esquiver ses projectiles insolites, mais également les rattraper et les remettre à leur place dans la foulée ; ce qu’il faisait étonnamment avec brio.
De son côté, Sanidoma réussit enfin à se relever après une dizaine d’essais infructueux. Il toisa Eily du regard le plus impérial qu’il pouvait lancer, mais cela n’avait que peu d’effet.
— J’attends, le provoqua la demoiselle cyan.
— … ! Espèce de petite… !
Et Sanidoma se lança dans un semblant d’art martiaux, tentant désespérément de frapper Eily. Ceci dit, ces mouvements avaient beau être gauches, ils restaient relativement dangereux, puisqu’ils tractaient chacun un individu de plus de cent cinquante kilos. Cependant, Eily en avait vu d’autres. Ses multiples entraînements avec Inam avaient énormément développé ses facultés basiques, et ce n’était pas un néophyte imbu de lui-même qui allait la faire chuter.
— … gnnn… grogna Sanidoma. R-Reste en place !
— Oh ? remarqua Eily. Vous me tutoyez maintenant ? Très bien, je vais en faire de même. Je te conseille d’abandonner, Sanidoma. Tu vois bien que tes efforts sont inutiles.
— Jamais ! Ma justice divine va éclater !
Sanidoma repartit à la charge, plus furieux que jamais. Cependant, mis à part sa teinte de plus en plus volcanique, aucun changement notable n’était à signaler. Eily continuer de se jouer de lui, sans être inquiétée une seule fois par la montagne de graisse. Et finalement, au bout de cinq longues et éreintante minutes, Sanidoma chuta, épuisé, réduit à l’état d’océan de sueur. Il n’avait plus bougé autant depuis des années, bien trop habitué au confort de son trône sur mesure.
— … j-je suis… le grand Sanidoma… ! continua-t-il de proclamer.
— … je pense que cela suffit, non ? trancha Eily. Tu ne peux pas même pas m’atteindre. Cela confirme mes propos : seul, tu n’es rien. Incapable de ne serait-ce que de laver ton honneur.
— … !
Eily soupira :
— Alors, qu’est-ce que cela fait de t’en rendre compte ? Ou plutôt, qu’est-ce que cela fait d’avoir la vérité en face ?
— … gnnn… j-je vais… t’exterminer…
— Encore et toujours ce même refrain. Je te comprends ; tu as encore peur. Tu ne peux pas voir la vérité, tu ne peux pas le dire. Car au moment où ces mots sortiront de ta bouche, tu ne pourras plus détourner les yeux. Mais tu sais, parfois, il faut savoir sortir de sa zone de confort.
Eily lança un regard vers Gyl, qui étaient encore littéralement occupé à sauver les meubles.
— Ifios, Tza, Evenis ! déclara-t-elle. Arrêtez-vous un instant.
— … d’où tu nous commandes au juste ? plissa Ifios des yeux.
L’adolescent protesta, mais obéit tout de même.
— Gyl, lança ensuite la demoiselle cyan. J’ai une question pour toi.
— Oh ? Je vous en prie, allez-y.
— Elle sera simple. Gyl, penses-tu que Sanidoma est heureux ?
— … ! réagit vivement le noble.
Gyl cligna des yeux, étonné. Un petit sourire discret décora ses lèvres.
— Question intéressante. La réponse est cependant évidente : bien sûr que non.
— … G-Gyl ! faillit s’étouffer Sanidoma.
— … votre seigneurie, continua le majordome. Peut-être qu’il est temps de vous avouer la vérité. Ne vous-êtes vous jamais demandé pourquoi est-ce que je suis sans cesse à vos côtés ?
— J’avoue que je me demande la même chose, se hasarda Tza. Tu n’es pas n’importe qui. Ton style de combat, ton aisance, ta réactivité… ce ne sont pas des choses innées. Avec autant de compétences, tu pourrais être bien plus qu’un simple serviteur…
— C’est juste, répondit Gyl.
La majordome ferma un instant les yeux, se remémorant son passé, avant de secouer doucement la tête.
— Sanidoma, rappelez-vous du jour de notre rencontre. À l’époque, je n’étais qu’un humble colporteur. Je voyageais de routes en routes, de villes en villes, avec mes marchandises ; et ce fut alors que j’ai découvert votre château. D’un point de vue marchand, je ne pouvais l’ignorer.
Gyl hocha la tête :
— Les portes étaient extrêmement bien gardées, toutefois, quelques compliments en ont été la clef. L’un de vos soldats m’a guidé jusqu’à vous à travers cette gargantuesque demeure. La traversée a été longue, très longue, et également révélatrice. C’était frappant. Je n’avais jamais vu un lieu de vie aussi mort. Tout flamboyait de richesses diverses, mais l’humain était absent. Puis, je vous ai rencontré, Sanidoma.
Gyl adoucit son visage :
— Vous étiez là, dans cette immense salle de trône spectrale. Vous faisiez bonne figure, vous proclamiez et acclamiez vos titres et trésors, mais ils étaient bien vides de sens. La laideronne a raison, vous étiez bien seul. Même vos soldats ; ils vous graissent sans cesse la patte, or, dans votre dos, ils ne se gênent pas pour vous insulter. Vous le savez, c’est certain. Toutefois, comme tout le reste vous ne voulez pas le voir.
Un franc sourire naquit alors sur ses lèvres :
— Voilà pourquoi je suis ici. J’ai été touché par votre solitude, ainsi que par vos efforts désespérés pour ne pas perdre la face. J’ai entendu votre inaudible appel de détresse. Vous cherchiez quelqu’un, n’importe qui, une simple présence, simplement pour être à vos côtés. J’ai choisi d’être cette présence. Je ne pouvais pas vous abandonner à votre sort. Alors, j’ai tout abandonné. J’ai quitté ma tunique de colporteur pour un habit de majordome ; j’ai décidé de mettre ma vie entre parenthèses, uniquement pour vous aider à supporter la vôtre. Et avant qu’on ne me pose la question, non, je ne le regrette pas. Encore aujourd’hui, je pense avoir pris la bonne décision. Personne ne mérite de souffrir, et j’aurais été bien lâche de fuir devant un individu aussi malheureux.
Le discours de Gyl se conclut par un silence. Un imposant, et lourd, silence. Qu’y avait-il à ajouter ? Sanidoma lui-même n’avait plus de mots. Il prenait lentement conscience de sa propre vie, peu à peu, ce qu’il n’avait jamais voulu voir émergeait devant lui.
Eily avait baissé les yeux, pensive. Elle ne s’était pas attendu à une histoire pareille de la part du majordome. Il avait tout abandonné pour Sanidoma. À travers cet être hautain et imbu de lui-même, il avait su y voir un cœur torturé, et mieux encore, il y avait été sensible. Cela donnait à réfléchir. Il était facile de voir le malheur des autres, mais de là à y être sensible au point de tout abandonner ? Il fallait avoir une pureté d’âme au-delà du raisonnable pour être prêt à un tel sacrifice.
— Finalement, souffla enfin Eily, je m’étais peut-être trompée. Vous n’êtes pas tout à fait seul, Sanidoma. Vous avez quelqu’un qui se préoccupe véritablement de vous.
— …
— … Sanidoma, vous savez pourquoi nous sommes ici, n’est-ce pas ?
— …
— Vos soldats à Aifos, nous voulons que vous les retiriez. Nous sommes au courant de votre mésaventure dans notre ville ; une horrible personne vous a dérobé votre bourse, c’est cela ?
Evenis, après s’être entendue qualifiée ‘‘d’horrible personne’’, voulut protester, mais un puissant coup de coude de Tza la fit taire avant même qu’elle ne puisse ouvrir la bouche.
— Il y avait quoi dans cette bourse, juste quelques deniers, je me trompe ? Rien de comparable à votre fortune totale. Alors, pourquoi déployer autant de soldat à Aifos ? Ce n’était qu’une question de fierté, n’est-ce pas ? Mais est-ce toujours nécessaire maintenant ? Vous n’avez plus besoin de vous rattacher à votre stupide fierté. Vous avez Gyl.
Subtilement, les yeux d’Eily se mirent à briller :
— Ceci dit, si vous tenez tant à faire gronder votre courroux… nous vous avons amené le coupable. Celui – ou plutôt celle – qui vous a bafoué. N’est-ce pas… Evenis ?
— … !
Soudain, tous les regards se tournèrent vers la jeune noble au lance-pierre. Toute rouge, cette dernière cachait son embarra avec ce qui était censé être un sourire.
— … on me demande ? lâcha-t-elle d’une toute petite voix.
— Allons, ne fais pas la modeste, répliqua Eily. Après tout, c’est toi, la grande voleuse d’Aifos !
— Hé ! Tu le dis comme si c’était mon métier ! Je n’ai volé qu’une seule fois ! Enfin deux si on compte toi… mais on compte pas parce que je me suis loupée !
— Serait-ce un aveu ? pointa Gyl.
— … zut ! lâcha simplement Evenis en se grattant maladroitement le crâne.
Eily secoua sa tête :
— Evenis, il faut payer les conséquences de ses actes, en tant que noble, tu dois le savoir, n’est-ce pas ? Alors, Sanidoma ? Que comptez-vous faire ? Le criminel que vous recherchiez tant est ici.
— …
— Votre seigneurie, s’avança Gyl. Un mot, et je l’envoie au cachot.
— Hé ! protesta Evenis.
— Ils n’ont pas tort, cracha Tza. Au final, tout ce qui est arrivé à Aifos – MA ville –, est entièrement de ta faute !
Devant tant d’accusations, Evenis ne put que détourner la tête et siffloter bêtement, ce qui n’arrangeait pas tellement son cas.
— … cela n’a plus d’importance.
Sanidoma avait lâché ses quelques mots. Si Ifios, Evenis et Tza avaient été surpris, Gyl et Eily, eux, hochèrent simplement la tête.
— Vous semblez abattu, Sanidoma, lui lança la demoiselle cyan. Pourquoi l’être ? Vous avez appris qu’une personne ici vous aime véritablement. Qu’elle n’est pas ici pour votre argent ou pour votre prestige, mais bien pour vous en tant que personne. Pourquoi ne pas voir ce jour comme un nouveau départ ? Vous pourriez enfin cessez de vous accrocher à de fausses richesses, pour en chercher les vraies. Et puis, peut-être qu’un jour vous deviendriez assez fort pour me faire ravaler mon impertinence.
— …
Sanidoma soupira longuement, incertain. Il lança un regard à Gyl, qui lui sourit chaleureusement. Le noble se mordit les joues :
— Gyl, dites aux soldats à l’extérieur d’arrêter de se battre.
— Vos désirs sont des ordres, votre seigneurie.
Ensuite, Sanidoma chercha un petit objet dans sa robe, qu’il lança négligemment à Eily :
— … voici mon sceau, montrez-le à mes soldats à Aifos, ils vous obéiront.
— Merci, répondit simplement la demoiselle cyan.
— Et maintenant, laissez-moi seul.
Chacun hocha la tête et évacua le salon, laissant Sanidoma à ses réflexions. Il n’arrivait pas encore à y croire. Jamais il ne se serait attendu à être en proie à de tel doute un jour. Sa carapace de fausse certitudes se fissuraient. Il comprenait, peu à peu, toute l’étendue de ses erreurs. Depuis tout ce temps, il vivait sans vivre. Il s’inventait un quotidien de noble, mais ce n’était qu’un jeu, une façade. Il n’avait jamais été vrai. Ou plutôt, si, il y avait quelques moments dans sa vie où il avait pu montrer son vrai visage. Les moments où il était avec Gyl.
Au fond, c’était sans doute pour cela que Sanidoma appréciait autant son majordome, et qu’il lui pardonnait ses quelques écarts. Il ne voyait pas en lui un serviteur, mais un ami, même s’il s’était toujours refusé de l’admettre.
Mais maintenant, à quoi bon maintenir les trompeuses apparences ? Tout était fini. Mais tout restait à construire…