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Apocalyptica de Drayker



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Informations

» Auteur : Drayker - Voir le profil
» Créé le 24/09/2017 à 17:13
» Dernière mise à jour le 14/12/2017 à 17:56

» Mots-clés :   Drame   Présence de poké-humains   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Chapitre -10 : Le lac, la lune et le linceul
La capsule pneumatique de Will se précipitait à toute vitesse vers la voûte céleste. Au-dessus de lui, le ciel pleurait.

A travers la baie vitrée, le détective contemplait la fin du monde.

Tout autour de lui, les immeubles d'Omnia s'effondraient vers le sol. L'acier et le verre se tordaient jusqu'à la rupture, et les passerelles se rompaient, projetant dans le vide des silhouettes humaines qui tombaient en hurlant.

Et pourtant, tout cela lui paraissait étrangement indifférent. Il observait la chute de la civilisation avec indifférence, et alors que le monde entier semblait tomber lentement vers le sol, Will avait l'impression que son cœur flottait en apesanteur, insensible.

Tout autour de lui, d'étranges lamentations lancinantes s'élevaient. Il sentait l'odeur du sang et de la poudre sur ses mains.

L'ascenseur atteignit les étoiles et s'arrêta brusquement. Et lorsque le couloir froid et sombre apparut, Will sut qu'il avait déjà fait ce rêve.

Lentement, il avança le long du corridor. Sur les murs, un liquide carmin, épais et poisseux, dégoulinait mollement, de plus en plus vite. Au fond du couloir se trouvaient deux portes barrées d'une grande croix familière.

Le temps qu'il les atteigne, le sang qui coulait des murs avait inondé le couloir et lui arrivait jusqu'aux hanches. De l'autre côté des portes, il entendait la voix d'une femme qui se lamentait.

« Diane ? Diane, c'est toi ? » murmura Will, pataugeant dans le sang.

Parvenu aux portes, il posa la paume droite sur la croix de X-Corp, déboussolé. Les battants se mirent alors à trembler avec violence, et de l'autre côté, Will entendit distinctement la femme hurler d'une voix déformée par la rage :

« Tu m'as trahie ! »


~*~
Will se réveilla en sursaut, manquant de se cogner contre la vitre de leur voiture d'emprunt. Assis sur le siège passager, il mit quelques secondes à se rappeler ce qu'il faisait là. Tia, qui l'avait remplacé au volant avant qu'il ne s'assoupisse, le regarda d'un œil torve.

« Ça va ?
- Mmh, grommela le détective, pâteux. Me suis endormi.
- On est presque arrivés. » lui assura la jeune femme.

De l'index, elle désigna le paysage à leur droite. Maudissant son début de torticolis, Will se contorsionna pour sortir de l’inconfortable position dans laquelle il s'était endormi et observer le paysage.

L'autoroute qu'ils empruntaient longeait à présent le lac Makna, cette immense étendue d'eau surplombée par les montagnes, trop large pour que Will puisse voir la rive opposée. Le soleil se couchait lentement, diaprant le ciel de couleurs automnales, conférant à la scène une étrange beauté. Les rayons du soleil mourant se reflétaient parfois sur la surface sans ride du lac, dans un dernier effort, avant d'être renvoyés vers le ciel et de mourir parmi les nuages colorés.

En contrebas de l'autoroute, Will apercevait les nombreux hôtels, complexes touristiques et parcs aquatiques qui bordaient le lac sur sa rive ouest. Il reconnut l'endroit pour y être venu quelques fois avec Diane. C'était une destination prisée des habitants d'Omnia, qui cherchaient à fuir le smog et la pollution permanente de la capitale. Comme le reste du bassin omnien n'était rien d'autre qu'une immense couronnes de champs de céréales et d'élevages destinés à approvisionner la capitale, la plupart des touristes se dirigeaient donc vers le lac Makna – du moins, ceux qui pouvaient se le permettre.

Le détective repensa douloureusement à ces vacances passées sur le bord du lac avec Diane, où tous deux s'esclaffaient de la méfiance de Fenrir envers l'eau. Ces soirées passées sur les pontons, à regarder le soleil se coucher, une bière à la main.

« Il y a un Centre Pokémon, par-là, lança alors Tia en désignant un panneau de directions qu'ils dépassèrent bientôt. C'est la prochaine sortie.
- Je connais, oui.
- On peut leur laisser Fenrir, suggéra la jeune femme. Ils s'occuperont de lui.
- Alors je resterai là-bas aussi. » coupa Will, impassible.

Tia resta silencieuse quelques instants, puis opina du chef.

« Je viens avec toi.
- Comme tu veux.
- A vrai dire, je pense même que ce serait plus prudent que je sois celle qui leur donne la Pokéball de Fenrir, embraya Tia. Tu as du sang sur les vêtements, et tu as le visage amoché. Si c’est toi qui te présente avec un Pokémon blessé, ils te poseront trop de questions.
- Parce que tu crois qu’ils ne t’en poseront pas ? rétorqua Will, maussade.
- Fais-moi confiance. »

Le détective grommela, mais ne répondit par rien d’autre qu’un hochement de tête. Une fois de plus, la jeune femme avait raison.

~*~
La nuit était presque intégralement tombée quand ils se garèrent sur le parking du Centre Pokémon. L’édifice se dressait dans le centre de l’une des nombreuses villes touristiques qui bordaient les rives du lac Makna. Dans les rues qu’ils avaient traversées en venant, le duo avait vu de nombreux touristes attablés dans les restaurants et les bars hors de prix de la ville. Quelques vacanciers éméchés déambulaient dans les allées pavées, riches et insouciants.

Will s’était demandé comment ces gens pouvaient mener un tel train de vie alors qu’à trois heures de route de là, les rues d’Omnia étaient à feu et à sang.

« Quelque part, le lac Makna est un peu le prolongement de la ville haute. » avait dit Tia quand il avait fait la remarque.

Tous deux contemplaient à présent le Centre Pokémon. Comme tous les établissements du genre, il était tenu d’être ouvert en permanence. L’intérieur semblait effectivement illuminé, et à travers la baie vitrée de l’entrée, Will distinguait quelques rares silhouettes qui s’affairaient à il ne savait quoi.

Malgré tout, il ne put s’empêcher de se demander s’ils n’étaient pas en train de commettre une énorme erreur. Ils étaient des fugitifs, après tout – un duo de fuyards, dont la fille de l’homme le plus puissant d’Algosya. Faciles à reconnaître, et poursuivis par les trois factions les plus imposantes de la scène politique omnienne. Le détective imaginait déjà une dizaine de façons dont la situation pourrait dégénérer.

« Bon. Donne-moi la Pokéball de Fenrir et attends-moi ici. Je te laisse les clés. » lança alors Tia, qui nourrissait probablement les mêmes réflexions que lui.

Elle semblait tout à fait consciente de la difficulté qu’avait Will à se séparer de son compagnon de toujours, mais tous deux savaient que c’était leur seule solution. L’ex-Elitien portait encore ses vêtements tâchés de sang, et serait encore plus suspicieux que Tia.

A contrecœur, le détective détacha la Pokéball de sa ceinture et la confia à la fille du Chancelier. Les doigts de la jeune femme lui effleurèrent le poignet, et elle lui lança un sourire rassurant.

« Je reviens vite, promis. »

Et elle sortit dans la nuit, sous le regard inquiet de Will.

~*~
Will resta longtemps seul dans la voiture, à moitié endormi. Le contrecoup des derniers événements se faisait cruellement sentir. Ses contusions et ses côtes douloureuses le tiraillaient, il avait faim, froid et il s’inquiétait.

Petit à petit, au fur et à mesure que les minutes s’égrenaient, Will s’était surpris à repenser aux cinq hommes qu’il avait tués aujourd’hui.

Cinq hommes. Cinq vies humaines prises.

Oh, il avait déjà tué – à l’époque où il était Élitien. A plusieurs reprises dans sa carrière, il s’était retrouvé confronté à des criminels acculés et désespérés qui ne lui avaient pas laissé le choix. Mais ces événements étaient isolés, et chaque Elitien contraint de tuer en exercice faisait généralement l’objet d’un accompagnement psychologique afin de s’assurer qu’il supportait le choc.

Aujourd’hui, Will avait pris cinq vies pour sauver la sienne. Aujourd’hui, il n’y avait pas eu de sommation. Il n’y avait pas eu d’ultime avertissement, et la loi n’était pas de son côté. Seule la survie avait compté. Et la rage – la rage qui l’avait saisi quand il avait roué Edge de coups jusqu’à ce que la vie s’échappe de son corps.

Aujourd’hui, Will était devenu un meurtrier, et il le savait.

Soudain, la portière du côté conducteur s’ouvrit. Le cœur de Will rata un battement et il porta instantanément la main à son holster.

« C’est moi, fit doucement Tia en le voyant sursauter à son approche.
- Comment il va ? demanda immédiatement Will.
- Ils l’ont pris en charge. La balle n’a pas été transférée dans la Pokéball quand on l’a remis dedans, donc ils n’ont pas besoin de l’extraire. D’après eux, aucun organe n’a été touché, mais il a perdu du sang, et ils l’ont sédaté. Ils lui ont affecté un Leveinard pour régénérer les tissus plus rapidement.
- Pas d’opération ?
- Non. Mais il reste sous surveillance toute la nuit. »

Will acquiesça. Tia lui tendit alors un verre où fumait un breuvage sombre.

« Café ? »

Le détective saisit la boisson noire et en prit une gorgée, qui lui procura une chaleur bienvenue. Tia s’installa au volant en silence, refermant derrière elle pour éviter que le froid de la nuit ne s’engouffre dans l’habitacle.

« Ils t’ont posé des questions ?
- Oui. J’ai donné un faux nom et je leur ai parlé d’une partie de chasse qui a mal tourné.
- Et ils t’ont crue ? s’étonna Will.
- S’ils avaient eu la balle sous les yeux, ils se seraient rendus compte que ce n’était pas le bon calibre, mais comme elle est restée dans les tunnels… »

Elle haussa les épaules et porta la coupe en carton à ses lèvres, silencieuse. Will la regarda quelques instants, pensif. Oui, l'excuse pouvait passer. Après tout, on n'était pas dans un hôpital. Dans une clinique vétérinaire ou un Centre Pokémon, il n'y avait pas besoin de numéro de sécurité sociale, ou même de pièce d'identité. On ne soignait pas des humains.

« Merci, Tia. Tu n’étais pas obligée de faire tout ça.
- Je me suis dit que ça te ferait du bien d’avoir quelqu’un sur qui compter, pour une fois. » sourit la jeune femme.

~*~
Après une heure passée à discuter avec Tia dans la voiture, Will avait fini par se laisser convaincre de quitter le parking du Centre Pokémon pour reprendre la route. Après tout, Fenrir était entre de bonnes mains, et ils ne pourraient pas lui rendre visite avant le lendemain après-midi. Il ne servait donc à rien de s’abîmer à rester dormir dans la voiture. Ils avaient tous deux besoin de repos.

Ils avaient donc repris la route, et roulaient à présent depuis plusieurs minutes sur l’autoroute, en direction de la fameuse planque de Tia.

Will parlait peu et réfléchissait beaucoup – et il en allait probablement de même pour la jeune femme. L’ambiance au sein du véhicule était particulière. Quelque chose s’était installé entre eux, un lien qui ne passait pas par les mots, mais dont tous deux étaient parfaitement conscients. Ils fendaient la nuit à bord de leur voiture, silencieux, leur périple simplement rythmé par le passage des lampadaires de l’autoroute, dont le halo orangé les berçait fugitivement à chaque fois qu’ils en dépassaient un.

« Ça te dérange si on fait un détour ? » demanda Will au bout d’une éternité.

Il s'étonna lui-même d'avoir osé parler ; mais il avait soudain reconnu l’endroit où ils étaient, et le devoir inaccompli depuis trop longtemps s’était soudain rappelé à lui.

« Où ça ?
- La prochaine sortie. Ça ne sera pas long. »

Tia hocha lentement la tête, silencieuse. Le détective se demanda par quel miracle elle ne posa pas de questions. Était-elle empathique à ce point ? Avait-elle deviné ce qui le travaillait ?

La prudence aurait voulu qu'ils se mettent à l'abri le plus rapidement possible. Il n'était pas exclu qu'ils soient toujours poursuivis. De plus, ils étaient tous deux fatigués, et la journée avait été longue.

Mais pour une fois, Will décida qu'il pouvait bien laisser la prudence de côté.

~*~
« C'est là. » prévint l'ex-Elitien.

Tia arrêta la voiture près d'un haut mur de pierre taillée qui bordait l'entrée d'un grand parc. Le vrombissement du moteur cessa alors que les pneus crissaient sur le gravier.

Puis, tout se tut, et le silence retomba dans la nuit, laissant Will contempler l’endroit.

Au milieu du mur de pierre, un portail de fer forgé s'ouvrait sur une allée faite de grands galets épars, bordés par d'immenses saules pleureurs. De part et d'autre de l'allée, des dizaines de variétés de fleurs exotiques et de buissons aux baies colorées poussaient librement, parfois de manière si erratique qu'on doutait que le parc fut entretenu. La lune éclairait tout ce beau monde d’une lueur immaculée, conférant à la scène un aspect presque surnaturel. Quelques projecteurs enterrés dans le sol éclairaient faiblement l’allée, juste assez pour que les usagers voient où se diriger.

Will ouvrit la porte passager et sortit sans un mot, immédiatement happé par l’ambiance éthérée de l’endroit. Bon sang, pourquoi avait-il tant tardé à revenir ici ? Frissonnant dans l'air frais de la nuit, il remit son imperméable, enfila son chapeau du siècle dernier et franchit le portail de fer forgé.

Les énormes galets plats dessinaient plus un chemin qu'une véritable allée. Dans les arbres, des Passerouges accompagnaient le crépuscule de leurs chants. Un peu plus loin, à l'écart de la route, des Papillusion et des Charmillon butinaient tranquillement les fleurs aux teintes chaleureuses. Will ne put s'empêcher de s'émerveiller du nombre de Pokémon présents dans ce parc – et encore, la nuit devait dissimuler la majorité d’entre eux. Les êtres humains n'avaient jamais été les maîtres, ici.

Le détective marcha quelques dizaines de secondes, s'enfonçant de plus en plus dans cette réserve naturelle dans laquelle il n'avait jamais remis les pieds depuis huit ans. Au loin, il entendait le murmure de l'une des rivières qui sinuait à travers le parc. Comme les autres, elle prenait sa source dans les montagnes, loin à l'est, et se jetait dans le lac Makna.

Will se mit alors à regretter que Fenrir ne puisse pas marcher à ses côtés. Silencieux, il dépassa les nombreuses et discrètes plaques de marbre qui bordaient le chemin. Disséminées aux quatre coins du parc, leur placement n'obéissait à aucune logique particulière, et le détective mit quelques temps à se remémorer où était celle qu'il cherchait.

Il la trouva finalement, au pied d'un saule pleureur dont les branches les plus basses frôlaient la surface de la rivière qui coulait à quelques mètres de son tronc. Dissimulée parmi les racines, la plaque que Will cherchait lui apparut soudain, aussi lisse et resplendissante qu'au premier jour.

Ci-gît Diane Sunderland.

La simplicité la plus totale. Elle avait toujours détesté les artifices.

Ôtant son chapeau, Will s'assit dans l'herbe devant la tombe, souriant.

« Tu avais raison, pour le manteau, lança-t-il comme si elle l'avait quitté hier. C'est vrai qu'il ne me va pas trop mal. »

Puis il se mit à lui parler, sereinement, comme lors de leurs nombreuses soirées passées ensemble, assis sur l’une des couchette de cuir du Daisy’s, à regarder le soleil se coucher sur la mer de nuages d’Omnia. Il lui parla des cinq hommes qu'il venait de tuer, de leur regard terrifié, de la rage qu'il avait ressentie. Il lui parla de Tia, de l'équilibre précaire entre elle et lui. Il lui parla de Fenrir, de sa blessure, mais aussi de son caractère de plus en plus bougon au fur et à mesure qu'il vieillissait.

Quelque part dans la nuit, il entendit Diane lui répondre en ricanant que lui aussi s'aigrissait avec l'âge. Ou peut-être était simplement le chant de la rivière qui ruisselait ?

~*~
Lorsque Will se releva et se dirigea vers la sortie du parc, il se sentit plus fatigué que jamais, mais en paix. Un calme presque inquiétait régnait, mais le détective remit son chapeau sans se soucier de l'éventuelle menace tapis dans l'ombre. Il se sentait bien. Serein.

Lorsqu'il arriva en vue du portail d'entrée, il aperçut Tia, adossée au muret, qui attendait, bras croisés. Elle le regarda revenir en silence, les traits masqués par la pénombre.

« J'ai eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose, lança-t-elle quand il fut assez près pour l'entendre.
- Désolé. J'en avais besoin. »

La jeune femme acquiesça calmement et lui emboîta le pas. Elle aurait pu lui reprocher son imprudence, ou le fait qu'il l'ait plantée là sans rien dire. Mais elle n'en fit rien. Tous deux rentrèrent à l'intérieur de la voiture, Tia s'installant au volant.

« Ça ne ressemble pas vraiment à un cimetière classique, remarqua alors la fille du Chancelier en bouclant sa ceinture.
- Diane n'aimait pas l'ambiance austère des cimetières du culte d'Arceus. A vrai dire, je ne crois pas qu'elle croyait en lui.
- En quoi, alors ?
- En l'être humain, j'imagine. »

Tia acquiesça, et Will apprécia son silence respectueux. Il savait qu'elle comprenait.

Ils reprirent la route en direction de la maison au bord du lac, et la conversation en resta là. Rajouter des mots sur la situation n'aurait fait que ternir la beauté froide et lancinante de la nuit.