Chapitre 10 : Migration
Le maire avait rassemblé les habitants sur la place pour leur expliquer où ils migreraient. Leur île était située au confluent de deux régions : Alola et Sinnoh, Sinnoh étant plus proche et plus intéressant que l'île paradisiaque. Molemot était située juste en dessous de Charbourg. Le maire ouvrit un livre pour obtenir des informations sur cette ville.
- Charbourg, la plus grande métropole de Sinnoh qui abrite une mine.
Elle réfléchit à toute vitesse et se dit que c'était l'endroit idéal pour son peuple, étant habitué à vivre sous terre. Elle ordonna donc qu'on rassemble des vivres et de l'eau potable, ainsi que des effets personnels afin de pouvoir monter dans le bateau devant les conduire à bon port. La prêtresse confirma ses dires ; c'était bien la ville qu'elle avait aperçue dans ses visions.
Les villageois préparèrent leurs bagages, c'est-à-dire pas grand-chose vu qu'ils n'étaient pas matérialistes. Ceci fait, ils se dirigèrent sans un mot vers le hangar abritant leur salut. Par chance, le navire n'avait aucun dégât dû au fait qu'il était bien protégé dans sa cavité, inaccessible par la tempête qui avait régné quelques heures auparavant. C'était un immense paquebot blanc avec des huttes sur le pont ainsi qu'une piscine qui permettra à leurs peaux de ne pas se déshydrater. Son sommet ressemblait à une montagne qui déversait de l'eau en cascade comme le ferait une fontaine et servait de cheminée. Il y avait aussi quelques palmiers pour donner encore plus de vie. Le tout était agréable à regarder et on se serait cru plutôt sur une île miniature que sur un bateau. Ils montèrent par l'immense passerelle qui descendait doucement jusqu'à eux.
Une fois tout le monde embarqués et installés dans des chambres, le bateau actionna ses propulseurs et ses hélices et se mit à avancer. Le capitaine actionna le mécanisme permettant à la grande porte du hangar de s'ouvrir, puis s'engagea dans le passage qui le reliait à la mer. Il arriva enfin à la jetée. La mer était calme, de quoi naviguer en toute sécurité. Le soleil se couchait derrière les arbres. Certains passagers profitaient de ce moment pour s'accouder au bastingage et respirer le bon air frais du soir. D'autres étaient nostalgiques et pensaient à leur terre qu'ils venaient de quitter. Le bateau glissait silencieusement sur l'eau. Personne n'était triste ou fatigué malgré l'heure tardive. Ils étaient contents d'être parti pour pouvoir accomplir la prophétie. Le bateau avançait vite, ce qui donnait l'impression que le bateau marchait sur l'eau et par extension ses passagers ressentaient ce même ressenti. Ils migraient après une tragique tempête, mais ils étaient contents. Tout ce qui leur importait était d'arriver sur un autre continent et de réveiller leur Dieu. Ils étaient prêts à tous les sacrifices possibles et inimaginables.
We are rising as the sun retreats into the trees
We're thinking of our destination as we start to leave
We're marching to the sea, marching to the sea
Smiling from the gentle touches of the evening breeze
No one is unhappy now and no one is fatigued
We're marching to the sea, marching to the sea
Il était l'heure de manger et la plupart des personnes étaient attablées aux tables du restaurant majestueux du bateau. Dans le self-bar, on trouvait de tout : fruits exotiques, légumes, viandes tous plus délicieux les uns que les autres. Tout le monde était heureux. Tous ? Non. La prêtresse n'avait pas l'air dans son assiette. A l'aide de sa fourchette, elle picorait machinalement sa pitance sans s'en rendre compte. Elle regarda par le hublot et fronça les sourcils, avant d'avaler une bouchée sans même goûter ce qu'elle avalait. Elle venait d'avoir une vision pas des plus réjouissante et elle savait que ses visions étaient toujours véridiques.
Elle ferma les yeux et revu les images, images rapides qui ne montraient que quelques brides d'un futur proche et éloigné. Elle voyait son peuple réduit en esclavage par des espèces de baudruche bleue, une ombre menaçante d'un noir aussi profond que la nuit, une silhouette dont émane des pouvoirs psychiques, beaucoup de Pokémon impressionnants qu'elle soupçonnait d'être des Légendaires, des humains spéciaux utilisant des pouvoirs qui dépassaient l'entendement et un trou noir. Elle ouvrit brutalement les yeux. Elle ne savait ce que signifiait les visions, d'autant plus qu'elles étaient floues, trop floues pour y comprendre quelque chose.
Sam s'approcha d'elle pour voir ce qui se passait.
- Alors grande prêtresse, quelque chose ne va pas ?
Elle sursauta, surprise d'être interrompue dans le fil de ses pensées. Puis elle invita Sam à s'asseoir près d'elle. Elle rassembla ses pensées avant de lâcher :
- J'ai vu des choses horribles dans mes visions.
- Sans vouloir vous offusquer, peut-être que les visions ne se réaliseront pas toutes, évasa le jeune homme aux cheveux gris et à la peau claire.
- Mes visions ont toujours été justes, elles sont directement envoyées de Giratina en personne, répliqua la sage-femme.
- Oui, mais il y a une plus grande marge d'erreur vu que certaines visions ne vont se réaliser que dans très longtemps.
- Que veux-tu dire ? demanda-t-elle tout en fronçant les sourcils.
- Je veux dire par là que pour accéder au futur, il y a de nombreux chemins et en fonction de celui qu'on prenne, cela risque de changer le futur.
- Hum, je vois ce que tu veux dire, réfléchit la femme. Tu veux dire qu'en fonction des choix, on peut changer le futur. En partant de ce principe, il se pourrait
donc que certaines visions ne se réalisent pas ou tout du moins d'une autre façon.
- Voilà, c'est là où je voulais en venir. On peut changer le futur car il n'est pas prédéterminé.
- Maintenant, ce n'est que ton opinion, même si je la respecte. Votre génération n'a pas été éduquée de la même façon que la précédente d'où je viens. Les
anciens sont plus ancrés dans une vue avec une vie déterminée du début à la fin. Alors que pour votre génération, il en est tout autre, vous n'avez pas la même conception et vous voulez croire que vous pouvez déterminer votre chemin. Qui a tort ou raison ? On ne peut pas le dire, souffla la femme.
- Ne vous en faites pas, je pense que ça va aller pour nous. Et qui sait, si on doit traverser toutes ces épreuves, c'est parce que notre Dieu en veut ainsi.
- Oui, tu as raison, finit-elle par avouer avec un petit sourire.
Sam se leva, lui souhaita de passer une bonne soirée et s'éloigna pour rejoindre ses amis. Jane, quant à elle, médita sur les paroles du jeune homme tout en gardant une certaine appréhension. Elle avait entendu parler de Pokémon psy aux pouvoirs incroyables, certains d'entre eux pouvaient voir l'avenir. Elle se promit d'essayer d'en trouver un quand ils seront à Sinnoh, avec l'espoir qu'il vienne infirmer ses horribles prémonitions. Elle se leva à son tour, débarrassa sa table et partit se coucher.
Plusieurs jours étaient passés et ils n'avaient toujours pas atteint la ville minière. Il restait plus ou moins deux jours de voyage. Certains avions les avaient survolé depuis le ciel, mais sans jamais tenter une approche. De ce fait, ils ne surent demander de l'aide. De toute façon, il en aurait été hors de question, vu qu'ils n'aimaient pas compter sur l'aide des autres.
Pour l'instant, les Moles avaient fait escale sur une petite île dans l'espoir de réapprovisionner les stocks qui avaient drastiquement diminué, faute de s'être mal organisé lors des repas. Mais ce n'est pas faute d'avoir mal prévu le voyage, dans leurs calculs ils avaient oublié les divers retards qu'ils pourraient rencontrer. Le temps n'avait pas été pris en compte. La veille, une tempête les avait surpris, de ce fait il avait perdu plusieurs heures en luttant contre les éléments déchaînés. Ils avaient prévu pour cinq jours. Or, cinq jours s'étaient écoulés et ils n'étaient pas arrivés à destination.
L'île était petite et assez déserte : aucun Pokémon, aucun humain. Il leur serait difficile de trouver quoi que ce soit ici. Le maire leur avait donné une demi-heure pour essayer de trouver quelque chose, ils ne pouvaient se permettre de perdre trop de temps. De plus, le temps n'était pas au beau fixe, signe d'une nouvelle tempête qui allait arriver.
Les migrants n'avaient rien trouvé de bien intéressant à se mettre sous la dent. Ils durent renoncer et remonter sur le bateau. Le bateau reparti sans demander son reste. Certains commençaient à désespérer et d'autres étaient affamés et devenaient agressifs. Le maire était sur le pont en train de ruminer et espérer qu'ils arriveraient vite à destination, sans quoi elle ne donnait pas chère de leurs peaux.
Finalement, la chance leur sourit enfin le lendemain matin. Ils venaient de faire escale sur une île peuplée par des Pokémon. Cette île comportait des traces d'une ancienne civilisation. Ils en profitèrent pour faire le plein. Sam s'était éloigné seul. Il avait besoin de réfléchir sur la conversation qu'il avait eue avec Jane quelques jours plus tôt. Malgré ce qu'il avait dit à la sage-femme, il était inquiet des présages qu'elle avait vus en rêve même s'il lui avait dit le contraire. Il avait voulu être rassurant, mais au final il ne savait que penser de cette histoire. Avait-elle tord ou en partie raison ? Il était perdu dans ses pensées et ne remarqua pas le caillou dans lequel il buta avant de s'étaler par terre.
- Aie, quel con, j'aurais dû faire plus attention... maugréa-t-il en se relevant, tout en tenant son nez.
Il s'épousseta et se remit à marcher en quête de nourriture. Il soupira. Il se sentait vieux comme s'il avait pris vingt ans en quelques jours. C'était un voyage éprouvant qui mettait les nerfs de tout le monde à rude épreuve. Il s'arrêta sur la plage pour contempler les ténèbres qui ondulaient sur le sable fin. Le bateau allait voyager de nuit alors qu'il le faisait que très rarement, préférant voyager de jour pour éviter de se prendre des récifs ou des hauts fonds. Mais ils en avaient tous marre de ce voyage qui durait depuis trop longtemps. Plus vite ils seraient arrivé, mieux ce sera.
I'm a tired old man in a tired old land
Watching shadows moving across the sand
Now they move at night and I understand
That they cannot see more than they can stand
Il reprit sa marche silencieuse avant de tomber sur une plaine où trônaient quelques Wattouat. Ils avaient l'air mal à l'aise dans un pays qui n'étaient pas le leur. Un peu comme eux en définitive.
Il s'approcha furtivement de l'un d'eux. Les moutons redressèrent leurs têtes et sentant le danger, s'enfuirent en galopant du mieux qu'ils purent. Il ne restait plus qu'un Wattouat, couché sur le flanc et épuisé. Sam le regarda attentivement et vit que c'était une femelle prête à mettre bas. Il s'excusa auprès de la créature et la tua. Ils avaient besoin de sa chair. Et de toute façon, cela faisait partie du cycle de la vie. Le non né avait rendu l'âme lui aussi. Il se sentait sale de son geste toutefois nécessaire pour leur survie. On lui avait toujours dit que tuer un Pokémon qui devait mettre bas porter malheur à la personne qui le faisait. Qu'il en soit ainsi se disait-il. Il découpa les morceaux des deux Pokémon, puis les déposa dans sa glacière qu'il avait emportée. Il fit demi-tour et rejoignit ses camarades au bateau. Ils avaient rapporté de la nourriture pour deux jours. Ils espéraient que cela suffirait.
I have been deceived, I have murdered and
I have seen the soul of an unborn lamb
It can burn a hole in a guilty man
But it cannot stand in a distant land
Pour passer le temps à bord, ils inventèrent un nouvel hymne :
We have left our lives,
We have left our land
We have left behind all we understand
Now we must cry out, yes we must demand
Let my children live in a land that's low
Where the holes are deeper than light can go
Let them have not pride but instead a soul
That can see the shame of the hands that glow
Par cet hymne, ils espéraient qu'ils vivent en de meilleures conditions qu'en ces derniers jours où ils passaient leur temps à se morfondre, à s'ennuyer et à tourner en rond. Ils souhaitèrent que le pays où ils arriveraient serait accueillant et que leurs enfants puissent s'y développer correctement.
Les deux jours passèrent lentement, très lentement, quand soudain, un message du capitaine se fit entendre à travers le navire via le parlophone : "ici votre capitaine de bord, le maire et moi espérons que ces deux derniers jours n'ont pas été trop dur. Nous tenons à vous signaler que les côtes de Charbourg sont en vue, nous devrions y arriver dans une bonne demi-heure ! Yeeeeeesssssss, enfin !".
La voix du capitaine s'éteignit alors que les occupants restèrent bouche bée un instant avant de se rendre compte des dires du capitaine. Comme d'un seul homme, ils laissèrent tomber leurs diverses activités et se levèrent pour hurler leur joie.