Ch 27 : Souvenir
Glacée jusqu'à la moelle, Lymnesine s'enfonçait dans les contrées enneigées avec une infaillible détermination. Pendant un temps, elle avait discuté avec elle-même afin de célébrer la fin de son mutisme, jusqu'à ce qu'elle découvre avec stupeur qu'elle était une piètre interlocutrice.
Elle préféra alors garder le silence, économisant ses forces pour l'affrontement qui l'attendait face à l'ultimage de l'hiver.
Je me souviens parfaitement du jour où j'ai rencontré Gott pour la première fois. Comment oublier ?
Toutes les Magical Girls peuvent vous raconter avec précision la rencontre avec leur Pokémon Mascotte. Pour les Wizards, je ne sais pas. Je n'ai jamais trop compris leur façon de penser à ces tocards.
Cette histoire pourrait débuter comme un conte de fées. Il était une fois, quand j'avais huit ans... sauf que la veille j'avais reçu une punition par ce bouffon de Cassoulaid parce que je portais un short au lieu d'une jupe. Vu les rafales qui soufflent parfois sur Chorus, il pouvait excuser ma pudeur de ne pas vouloir exposer mes sous-vêtements à la vue de tous, non ?
Gnagnagna, c'est la tradition mademoiselle Hesperides, gnagnagna vous n'êtes pas très féminine et après il vient ramper pour que j'aille porter sa lettre au Roy, quel connard !
Oups, je m'égare.
La tradition, tant qu'on parle d'elle, voulait que les apprentis mages se rendent dans la Forêt Enchantée pour se lier avec un Pokémon Mascotte. Étant donné que la forêt en question se trouve dans la région printanière, il a fallu se bouger à l'autre bout du pays. Heureusement, Rayquaza pieutait à Rivustel cette année-là, et il a été assez sympa pour nous porter sur son dos.
J'ai trouvé le voyage trop cool, jusqu'à ce que ma binôme me dégueule dans le dos. Merci copine, je n'ai pas demandé à être baptisée !
On a dû attendre que les élèves de première année de toutes les écoles de magie du pays soient rassemblés avant de pénétrer dans la fameuse Forêt Enchantée. Avec un nom pareil, je croyais que c'était un truc de malade, avec des arbres géants, des fleurs ornées de pierres précieuses et de la musique.
Ben non, c'était juste une forêt normale.
Mais comme tout le monde savait que c'était une étape obligée dans le cursus d'un mage, de nombreux Pokémons fréquentaient ce bois dans l'espoir de devenir le premier compagnon d'un futur magicien d'exception. Ils devaient être trop dég' en voyant tous ces gosses qui chahutaient !
Environ un quart des Pokémons de la forêt étaient de jeunes orphelins qui cherchaient une âme charitable pour veiller sur eux. Ils nous faisaient les yeux doux en s'approchant timidement et parvenaient toujours à attirer l'attention d'un gamin un peu trop empathique. J'ai hérité du cœur de pierre de mon père, donc ils pouvaient toujours essayer avec moi, ça ne marchait pas !
Les profs ont donné une Magicball à chacun avant de nous laisser nous balader dans les bois.
Tandis que les Pokémons fabuleux m'évitaient pour sympathiser avec les gosses de bourges, j'ai vu un éclair argenté zigzaguer entre mes camarades, leur piquer leur goûter, puis repartir en ricanant. C'était Gottfried.
Le lascar flemmardait pénard dans la Forêt Enchantée depuis vingt ans, prenant plaisir chaque année à victimiser les apprentis mages en vadrouille. Au premier regard, j'ai su que je le voulais comme mascotte. D'une part parce qu'il avait fait pleurer cette peste de Magnolia Magus, d'autre part parce qu'il était unique en son genre. Pas rare, comme les Pokémons chromatiques ou certains fabuleux, mais bien unique. Et comme j'aime me faire mousser, il me le fallait absolument.
Je l'ai pris en chasse durant cinq heures. Au début, ça l'amusait, mais j'ai senti sur la dernière demi-heure qu'il trouvait ça flippant. C'est d'ailleurs ce qui m'a permis de le chopper. Pris de panique, il s'est mis à accumuler les erreurs tactiques, jusqu'à finir dans une fosse de ma conception avec mes vingt-cinq kilos sur le dos. Mon papy m'avait appris comment neutraliser un adversaire plus fort que moi de façon non létale, hé hé !
J'ai dû le gaver encore pendant une heure avec des comptines et des histoires à dormir debout avant qu'il n'accepte de devenir mon Pokémon Mascotte. Ensuite, nous avons conclu un contrat magique, comme le font tous les mages.
Là-dessus, Gott m'a bien blousée. Ex-avocat, pro des magouilles, il a profité à fond de ma naïveté enfantine pour s'octroyer plein d'avantages. Bah, j'aurais fait pareil à sa place ! Par contre, j'ai eu trop les boules quand il m'a expliqué ne pas pouvoir se battre, à cause du contre-coup sur son organisme.
Bien sûr, quand je suis sortie de la forêt, Cassoulaid était là pour se plaindre que j'étais la dernière et gnagnagna, que vous êtes lente mademoiselle Hesperides et puis votre Pokémon n'a rien d'extraordinaire gnagnagna !
Et là, devinez quoi ? Gottfried m'a défendu.
Sofia ne regrettait pas d'avoir emporté sa valise avec elle. La jeune femme enfila un second tee-shirt, ainsi qu'un pull, une écharpe et un manteau pour résister au climat rude de la région hivernale. Par contre, elle aurait aimé posséder une paire de gants.
Pour sa part, Mark portait trois couches de vêtements bariolés qui témoignaient de son importante collection de déguisement (il était à l'apogée de sa carrière de cosplayeur). Quant à Scott, il se satisfaisait pleinement de sa panoplie de super-héros. Oui, on parle bien du slibard et de la cape.
Ils se dirigeaient tous les trois vers le nord-est où se situait la capitale. Pas une seule seconde il leur vint à l'esprit que la super-vitesse du Miaouss aurait pu les y conduire en quelques secondes. À croire qu'une force omnisciente et omnipotente tenait absolument à les mettre sur la route de Lymnesine.
Facilité scénaristique ? Pas du tout...
Je me suis liée d'amitié avec Chrys peu de temps avant mes dix ans. Je m'en souviens comme si c'était hier. La veille, j'avais vu mes parents se disputer pour la première fois. Même mes frangins avaient fait profil bas ce soir-là, c'est dire à quel point leur engueulade avait surpris tout le monde.
Comme par hasard, le motif de leur querelle, c'était moi. Après le repas, Irmès m'avait gentiment glissé à l'oreille que si les parents divorçaient, il me tuerait. Il venait d'entrer à l'école de la Milice, je ne doutais pas qu'il ait appris plein de façon de buter quelqu'un, puis d'effacer toutes les preuves.
Bref, mon père voulait que je me rende toute seule à l'école parce que, selon ses dires, j'étais une grande à présent. Une semaine plus tard, il s'est permis de me dire que j'étais trop petite en me voyant me servir un petit verre de rhum. Pff, je ne comprendrai jamais les contradictions de ce mec !
À l'inverse, maman disait que c'était trop dangereux de me laisser quitter la maison toute seule. Elle s'imaginait sans doute toute une foule de gens louches essayant de kidnapper sa fille chérie, mais sur le moment, j'ai cru qu'elle parlait des risques pour que je sèche les cours. Ben oui, je ne suis pas vraiment une élève modèle !
Je n'ai presque pas dormi cette nuit-là à cause de leur dispute. J'ai quand même rêvé d'un petit rouquin qui se faisait piquer son flan au caramel par des gars de mon âge armés de cuillères. En temps normal, j'aurais trouvé ça drôle, mais là, non.
Le lendemain, je n'avais tellement pas le moral que je n'ai pas fait une seule bêtise de la journée. Pas une seule, c'est chaud ! Et à la fin de la journée, Cassoulaid m'a convoquée dans son bureau pour m'engueuler, soi-disant que gnagnagna tout ceci est fort étrange venant de votre part, gnagnagna ça cache quelque chose ! Et comme je ne répondais rien, il m'a filé une punition. Logique.
Puisque les profs me punissaient presque tous les jours, maman ne venait jamais me chercher à la fin des cours, mais une heure plus tard, à la fin de ma sanction. En plus ça l'arrangeait avec son boulot, donc il m'arrivait de faire des conneries pour ne pas trop perturber son planning. Je suis une fille sympa.
Il faisait beau ce jour-là, alors ma punition a été d'arracher les mauvaises herbes dans la cour de récré. On avait interdit à Gottfried de m'aider et ce fainéant respectait les instructions à la lettre.
Alors que je m'évertuais à... Oh, j'en reviens pas d'avoir réussi à caser ce mot, trop fort ! Ouais, donc tandis que je m'évertuais à déraciner d'innocentes plantes, j'ai entendu le chant d'une superbe voix grave non loin de là. En tant que fillette cultivée et sensible, je me devais d'abandonner mon travail de bagnard pour localiser la source de cette musique. Je suis moi-même chanteuse à mes heures perdues.
J'ai quitté la cour et me suis dirigée vers le verger le plus proche, Gottfried sur mes talons.
Nous sommes tombés nez à nez avec ce Galeking couvert de blessures qui cueillait des pommes en chantonnant des airs d'opéra célèbres. Il s'est tourné vers nous et a souri. Je lui ai rendu son sourire. Je ne peux pas en dire autant de Gott, puisqu'il tire souvent la gueule, sauf quand il palpe des lingots d'or.
Il s'est présenté sous le nom de Chrystosmus et nous avons taillé le bout de gras ensemble. On ne le changera pas, ce cher Chrys bombardait son vocabulaire d'académicien, dont je ne pigeais qu'un mot sur trois, en papotant avec la petite fille que j'étais. J'ai bien grandi, aujourd'hui je comprends quatre-vingt-pourcents de ce qu'il raconte, j'ai fait de beaux progrès, non ?
En dix minutes, j'avais cerné le bonhomme : un monstre de tendresse et de moralité. Et une idée géniale a germé dans mon cerveau puéril. Pourquoi ne pas faire de Chrys mon compagnon magique. Non seulement il serait assez fort pour me protéger, mais il serait également suffisamment intègre pour me forcer à rester dans le droit chemin. Comme ça je pourrais aller à l'école toute seule et mes parents ne se disputeraient plus. Et Irmès n'irait pas en prison pour mon meurtre...
Nan, je déconne, rien à foutre d'Irmès !
Chrys n'a pas été spécialement difficile à convaincre. Par contre, Gottfried ne semblait pas trop chaud à le voir s'incruster dans sa petite routine, argument supplémentaire en faveur de mon idée géniale.
Nous avons conclu un contrat magique en à peine cinq minutes, Chrys ne m'a demandé qu'une chose : que je lui foute la paix durant ses périodes créatrices. Ouais, parce que je ne sais pas si je l'ai précisé, mais mon Chrys, c'est un artiste, un vrai de vrai ! Pour le reste, il a accepté toutes mes conditions.
Une fois notre pacte scellé, j'ai créé une Magicball pour mon nouveau poto et l'ai laissé l'aménager à sa guise. Puis je suis retournée à ma punition.
J'ai attendu le dîner pour parler de Chrys à ma famille. Je voulais leur faire la surprise. J'étais sûre qu'ils allaient adorer mon idée de génie. Ben non.
À ça pour une surprise, ils ont été surpris, mais pas comme je le voulais !
Fort heureusement, ce brave Chrystosmus a charmé toute ma famille en très peu de temps. Sa politesse enchantait maman, sa culture impressionnait mon père. Merde, il impressionnait mon daron, c'est quelque chose !
Ma vie a changée du jour au lendemain grâce à lui. Mes frères n'osaient plus trop m'embêter et je me suis mise à gagner tous mes combats Pokémon à l'école. Avant, je devais déclarer forfait à chaque fois à cause des problèmes de santé de Gott. Trop nul !
Ah, tu es mon roc, Chrystosmus !
Ce fut Sofia qui l'aperçut la première. Une silhouette malmenée par le vent avançait vers eux. Mark et Scott, qui mesuraient tous deux moins d'un mètre, ne risquaient pas d'apercevoir quoi que soit à cette distance, en raison du relief.
La jeune femme crut d'abord qu'il s'agissait d'un ennemi, le vent et la neige réduisant sa visibilité. Alors que la distance entre eux et la silhouette diminuait, Sofia se rendit compte que ce n'était qu'une adolescente tremblante de froid et inoffensive. Elle n'avait pas encore remarqué le sabre rangé dans le dos de l'inconnue, sinon elle aurait révisé son jugement.
Sofia obliqua et se pressa. Elle espérait que cette jeune personne puisse lui en apprendre plus sur la situation à Rivustel. Le fait d'apparaître au cercle de téléportation de l'hiver au lieu de celui du printemps l'avait grandement perturbée.
L'inconnue s'arrêta à cinq mètres d'elle et la dévisagea. Son regard d'émeraude se posa sur Sofia, puis sur les deux Pokémons qui l'accompagnaient. Elle avait l'air d'halluciner et la morve qui lui coulait du nez n'arrangeait pas sa tête d'abrutie. La magicienne essaya de rompre la glace. Sans mauvais jeu de mots.
« Salut, je m'appelle Sofia Querilane. Mes compagnons et moi venons d'arriver du Pokémonde. Est-ce que vous pour....
- Vous êtes une Magical Girl ? questionna l'ado qui grelottait.
- Bien sûr ! Je suis originaire d'Allegro, dans la région printanière. J'ai étudié au collège...
- Je suis Lymnie, soignez mes amis s'il vous plaît ! la coupa son interlocutrice.
- Pardon ?
- Je vous en supplie, soignez mes amis ! »
Puis l'inconnue éternua bruyamment, répandant un demi-litre de morve sur Sofia, Scott et Mark. Beurk !
J'aime bien dire qu'Ewart est mon petit préféré. Le hasard me l'a offert pour mes quinze ans. Avec trois jours de retard, mais je ne vais pas me plaindre. La vérité, c'est que je l'attendais depuis très longtemps.
Depuis mon entrée au collège Magus, j'ai toujours voulu un Pokémon de type Combat dans mon groupe. Ben ouais, un pro des arts martiaux, c'est classe ! Je l'imaginais déjà pulvériser mes ennemis avec des techniques secrètes imparables en poussant des cris déstabilisants. Yaaaaaawaaaaah !!!!!
Alors je demandais à tous les Pokémons de ce type que je croisais de se lier avec moi. Mais ils refusaient tous, pour la simple et mauvaise raison que je suis une fille et donc censée m'entourer de familiers super mignons. J'ai déjà Gott qui remplit cette fonction : une bonne bouille adorable, le poil soyeux, une silhouette gracieuse. Il m'en faut combien des chieurs dans son genre pour satisfaire les critères d'une société bien-pensante ?
Au début, je boudais à chaque refus. Ensuite, je me suis mise à combattre personnellement ces Pokémons qui dédaignaient mon offre, histoire de leur montrer que j'en valais la peine. Ouais, à dix ans j'ai défié une Mackogneur ! Ben, j'ai perdu.
C'est comme ça que j'ai véritablement appris à me battre. Au fil des années, ces bourre-pifs m'ont rendu plus forte et plus tenace que n'importe quel garçon de mon âge, mais les Pokémons Combat s'obstinaient à me snober.
Au fond, je dois être une cérébrale qui s'ignore car deux idées d'une profondeur insondable (l'expression est de Chrys) ont vu le jour dans mon esprit pour parvenir à mes fins.
La première consistait à faire un pacte avec un Pokémon Fée/Combat. En raison de son type Fée, girly, rose, douceur, rondeur, kawaii, gnagnagna, cul-cul la praline, il serait obligé de s'allier avec une Magical Girl. Comme je ne connaissais aucun Pokémon possédant ce double type, j'ai effectué des recherches... dans le Pokédex. C'est tellement la misère ce bouquin que j'ai abandonné au bout de vingt minutes !
Ma deuxième idée frôlait le machiavélisme tant elle était tordue. Je devais sympathiser avec un Evoli, soit une créature mignonne et gentille qui allait à merveille avec tous les clichés sur les Magical Girls, et ensuite le faire évoluer en un Pokémon de type Combat !
Sur le papier, c'était l'idée du siècle, mais dans la pratique beaucoup moins. En fait, je n'ai pas trouvé comment faire pour passer d'un Evoli à un maître du kung-fu. Je crois qu'il n'existe pas, dans la nature, de caillasse évolutive de ce type comme la pierre Foudre ou la pierre Mousse. J'ai bien découvert quelques formules alchimiques pour en fabriquer une, mais le processus dure trente ans.
Je ne suis pas la meuf la plus patiente de l'univers, c'est ça le problème.
Donc en ce 26 Novembre de l'an dernier, j'avais décidé de sécher les cours, parce qu'en arrivant devant le bahut, j'avais entendu la voix de Cassoulaid qui se plaignait déjà de moi pour une histoire de fric. Sérieux, Cassoulaid est encore plus radin que Gott, c'est dire à quel point il en tient une couche.
En fait, je suis la seule fille à choisir option sport depuis trois ans et ça gave grave le sous-directeur de devoir payer une prof pour une seule élève et gnagnagna elle ne peut pas faire comme les autres gnagnagna vous avez de grosses cuisses mademoiselle Hesperides... pff c'est que du muscle !
Donc j'ai séché. Une petite journée en vadrouille dans la campagne insipide locale, c'est toujours mieux que de voir la tronche de cake de Cassoulaid. Gott râlait, comme d'hab j'ai envie de dire, puisqu'il déteste les balades en milieu rural. Et Chrys, en plein boom d'inspiration, restait enfermé dans sa Magicball à peindre des aquarelles.
Vers midi, tandis qu'on cherchait un coin où se poser pour un pique-nique, une averse torrentielle s'est mise à tomber alors qu'il avait fait beau toute la matinée. À mon avis, deux bandes rivales de Tarpaud devaient se foutre sur la gueule un peu plus loin.
Donc j'ai couru me mettre à l'abri. Seule, car Gott venait de disparaître dans sa Ball. Je me suis abritée sous un arbre pendant quoi, dix minutes ? Mais ça tombait toujours. Alors je me suis dit, quitte à rien faire, autant manger. J'ai sorti mon sandwich et au moment de mordre dedans, j'ai entendu un ventre gargouiller.
C'était pas le mien, je n'ai pas senti la petite vibration au niveau du nombril, et ça ne pouvait pas être mes Pokémons, sinon je l'aurais entendu dans ma tête. Quand ils sont dans leurs Magicballs, on peut se causer par télépathie.
En me retournant, je l'ai vu.
Ewart.
Il se tenait accroupi, de l'autre côté du tronc, à moitié trempé. Dire que je ne l'avais pas calculé jusque-là ! Il me fixait avec une lueur sauvage au fond des yeux. Je le sentais prêt à détaller au moindre geste brusque de ma part. Manque de bol, je ne suis pas réputée pour ma délicatesse...
Ben j'ai essayé de parler avec lui, mais il est d'abord resté silencieux. Puis quand il s'est décidé à me répondre, j'ai rien pigé. Ouais, j'ai quand même compris qu'il baragouinait en Geaponeidezanyme, je ne suis pas conne non plus !
Il y en a qui disent que parler le Geaponeidezanyme, c'est une sorte de maladie ou de malédiction. Mon père affirme que c'est surtout un handicap social, parce que ces Pokémons ne peuvent pas s'intégrer normalement à la société. Ou plutôt parce que la société refuse de les intégrer, ce serait plus juste.
Ça signifie qu'Ewart a passé tout sa vie en marge des autres. Moi, je ne sais pas ce que ça veut dire « être seul ». Quand j'étais petite, j'avais mes grands frères, ou au moins Etherion, pour jouer avec moi. À l'école, il y avait toujours mon binôme qui me collait. Ensuite, j'ai rencontré Gott et Chrys qui ne me quittent plus. Ben Ewart, c'est l'inverse. Et comme je ne pouvais pas comprendre ce que ça voulait dire « être seul », je ne pouvais pas le tolérer non plus.
J'ai fait un pacte avec Ewart quasiment sans lui demander la permission. C'est moi qui ai fixé les termes de notre contrat en me fiant à peine à ses grimaces quand je lui proposais les clauses. Au final, il a accepté et pour moi, ça a été l'explosion de joie euphorique du bonheur intense !
Sérieux, j'avais enfin un Pokémon Combat dans ma bande. Je devrais même dire dans mon gang. Ouais, c'est classe ça, Lymnie et son gang ! On est les gangsters de Chorus ! Je ne doute pas que Gott ait pu être gangster un jour, ce serait bien son genre.
De retour à la maison, Lymnie et son gang se sont pris une engueulade du feu d'Arceus par papa et maman pour avoir encore séché les cours. Et Cassoulaid en a remis une couche le lendemain en y ajoutant moult heures de sanction. Et gnagnagna, non seulement elle nous coûte de l'argent, mais en plus elle ne vient pas gnagnagna, elle fricote avec des Pokémon Combat, elle est la honte de cet établissement, gnagnagna !
Je n'aime pas le sous-directeur. Mais j'adore Ewart, il est trop cool !
Il faudrait quand même que je lui trouve un diminutif un de ses quatre.
Scott avait sorti un gadget rectangulaire de sa ceinture et l'avait posé au sol. Deux secondes plus tard, le machin s'était changé en un abri imperméable de huit mètres sur quatre en faisant un splendide bras d'honneur aux lois de conservation de la masse. Il ne faut pas chercher à comprendre, les technologies futuristes sont parfois plus absconses que la magie.
Magiciennes et Pokémons s'étaient installés à l'intérieur. Sofia occupait le fond de la tente, où elle soignait les compagnons de Lymnesine inconscients. À l'autre bout de l'abri, l'adolescente essayait d'engager la discussion avec le Farfaduvet et le Miaouss :
« Vous m'en voulez encore de vous avoir atchoumé dessus ?
- On dit éternuer, grogna Mark.
- Et c'était dégoûtant, ajouta Scott.
- Ça veut dire oui ? »
Les deux Pokémons hochèrent vivement la tête tout en fusillant du regard leur interlocutrice tout sourire.
« Au fait, tu ne t'es pas vraiment présentée Lymnie, intervint Sofia qui guérissait les blessures internes de Gottfried. Tu es une Magical Girl, toi aussi ? D'où viens-tu ?
- Ouaip ! Je suis élève au collège Magus, j'habite juste à côté.
- Lymnie, c'est ton vrai nom ? lui demanda Scott qui n'avait jamais entendu un nom pareil.
- Non, c'est mon diminutif. Je m'appelle Lymnesine, comme le personnage de tragédie antique. Lymnesine Hesperides. »
Le Miaouss se fit ainsi sa première opinion sur la culture de Rivustel : bof.
Puisqu'elle lui tournait le dos, Lymnie ne vit pas le visage de Sofia se tordre en une grimace lorsqu'elle prononça son nom. La jeune femme avait entendu bien des histoires loufoques de la bouche de certaines de ses consœurs au sujet d'une mage nommée Lymnesine Hesperides et qui était, sans l'ombre d'un doute, la pire Magical Girl de tous les temps.
Elle ne s'était jamais imaginée la rencontrer un jour, et surtout pas dans ces conditions.
« Ravi de te rencontrer, Lymnesine ! se dérida Scott. Sofia s'est déjà présentée, donc voici Mark.
- B'jour.
- Et moi, je suis...
- Manthian Meowhunter ! s'exclama l'ado en se redressant d'un bond, comme elle faisait en classe quand elle connaissait la réponse à une question particulièrement difficile, ce qui ne se produisait pas souvent. »
Scott et Sofia s'échangèrent un regard surpris.
« Alors pour commencer, c'est Meowthian Manhunter. Et comment se fait-il que tu saches mon nom ?
- Je t'ai vu dans un de mes rêves, répondit simplement Lymnesine. Tu fais partie de la LJU, ou un truc dans le genre.
- JLU, corrigea-t-il. Sofia, tu m'expliques cette histoire de rêve ?
- Tous les magiciens ont la faculté de voir le passé ou l'avenir durant leur sommeil. Cela m'arrive de temps à autre.
- Plusieurs par nuit, pour ma part ! se vanta Lymnesine. Ouais, j'ai rêvé de toi la semaine dernière. Sincères condoléances, d'ailleurs, tu vas bientôt crever.
- Ah bon ? »
Le Miaouss parlant commençait à détester cette ado mal dégrossie au visage à moitié couvert de grains de beauté. On n'annonce pas la mort prochaine d'une personne que l'on vient de rencontrer en souriant ! Pour Scott, cela relevait de la politesse la plus élémentaire.
Ayant sorti son carnet de rêve, Lymnesine le feuilleta quelques secondes pour retrouver le passage concernant le héros de la JLU.
« Oui, c'est bien ça. Un tir en pleine tête, le crâne qui explose. C'était vraiment gore, je m'en souviens.
- Vraiment ? fit Mark, les pupilles dilatées, ravi d'apprendre le futur décès brutal de ce rival.
- Oui, tous les membres de la Justeace Ligue vont se faire buter par un traître ! dévoila joyeusement Lymnesine. Je ne sais pas si ça t'intéresse, mais le traître en question se nomme Oliver Queer. »
Ni une, ni deux, Scott détala hors de l'abri, usant de sa super-vitesse pour retourner à la tour de téléportation en deux secondes. Sur place, il redistribua des claques aux sbires qui venaient de se réveiller, puis bondit au centre de téléport.
Avant de disparaître, on l'entendit hurler, tel un volcan entrant en éruption, le nom de celui qui allait bientôt – très bientôt – subir son courroux vengeur :
« OOOOLLLIIIIIIIVVEEEEEEERRR QQUUUEEEEEEEEEEEERRRR !!!!! »