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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 13/08/2017 à 20:44
» Dernière mise à jour le 12/09/2017 à 14:06

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 19 : Une autre manière de voir les choses.
 Eily s’était affairée comme un beau diable cette journée. Pour capturer le Magus nocturne, la demoiselle cyan voulait mettre au point un plan magistral, infaillible. L’adversaire n’était pas un individu lambda, c’était quelqu’un possédant le pouvoir d’un Ensar. L’erreur n’était pas permise. Eily avait passé des heures à faire du repérage dans le quartier résidentiel. Elle analysait chacune des ruelles et calculait chaque trajet, elle ne laissait absolument rien au hasard.

Toutefois, même si un plan se dessinait peu à peu dans son esprit, il lui manquait encore quelque chose : un coup de grâce pour achever sa victime. C’était essentiel de toujours avoir un joker en main avant de partir en guerre. La demoiselle cyan avait cependant une idée pour trouver le précieux sésame. Il ne restait plus qu’à convaincre une certaine personne…

— Moi ? Mais je ne sais rien ! J’aime pas ces choses-là moi, je préfère m’amuseeer !

Eily regarda, blasée, une certaine chauve-souris faire des acrobaties aériennes devant elle.

« Il est bien décidé à rester dans son rôle d’insouciant jusqu’au bout… », réalisa-t-elle.

— Écoute Rhinolove, tu as beau jouer l’innocent, c’est évident que tu n’es pas aussi idiot que tu veux le faire croire. Tu es l’Ensar d’Omilio, tout comme lui, tu caches certainement un sacré couche de pourriture derrière tout grand sourire.

— Tu ne mâches pas tes mots…, se plaignit tristement la chauve-souris.
— Arrête avec tes fausses jérémiades, siffla Eily. Je te rappelle que tu parles à une experte…

Rhinolove sourit discrètement, et voleta à reculons.

— … haha, d’accord, d’accord. Donc, tu veux la liste des Magus d’Aifos.
— Enfin tu deviens raisonnable, soupira Eily.
— Il est vrai que la petite Tza est obnubilée par cette affaire de ‘‘fantôme’’, j’aimerais bien l’aider moi aussi. Mais il y a une chose que tu dois comprendre, toute aide n’est jamais gratuite.
— Nous y voilà, sourit sournoisement la demoiselle cyan.
— Oh, mais je ne demande rien de spécial ! s’amusa Rhinolove. Moi, je veux simplement m’amuser, je te l’ai dit !

Encore une fois, la chauve-souris enchaîna moult inutiles acrobaties aériennes, Eily commençait légèrement à perdre patience.

— Et donc ? grinça-t-elle.
— Voilà ce que l’on va faire ! s’enthousiasma Rhinolove avant de prononcer très distinctement : Inam et Ifios !

Eily attendait la suite, mais cette dernière se faisait attendre.

— Inam et Ifios ? demanda-t-elle finalement.
— Oui, Inam et Ifios. Je vais t’expliquer. Ce matin, alors que vous étiez à la Tour d’Ivoire, Ifios a avoué à Inam qu’il savait tout. Autant dire que la discussion a été houleuse. Ifios ne peut considérer Inam comme sa mère, c’est bien trop brusque pour lui. Mais au fond, il ne la déteste pas ; c’est un chic gars ce petit ! Alors voici ta mission : à partir de demain, tu auras 24 heures pour les réconcilier et sans qu’aucun d’eux ne sache que tu te mêles de leur affaire.
— … nyah ?
— Yep ! Tu devrais être tel un ange de l’ombre, rabibochant discrètement une famille brisée, sans en réclamer aucune gloire ! C’est si beau !

Comme à son habitude, Rhinolove exprima sa joie avec des acrobaties.

— Et si tu réussis cette mission, je serais prêt à t’aider pour ton Magus !
— … mais… pourquoi ? s’étonna Eily. Pourquoi je dois les réconcilier ?
— Hihi !

Subitement, Rhinolove ricana doucement, ce qui n’était pas pour plaire à une certaine demoiselle cyan.

— Tu te fiches de moi ? siffla-t-elle.
— Non, non, ne te fâche pas ! Je vais te l’expliquer. Je t’ai observé durant ses derniers jours et… tu es assez horrible comme personne, tu sais ?
— …
— Tu as des dons d’observation et d’analyse indéniable, mais tu ne t’en sers que pour ton propre intérêt, et souvent pour blesser les autres. J’imagine que c’est un mécanisme d’auto-défense. C’est une bonne chose en territoire hostile, mais dans la vie de tous les jours, c’est pas génial. Alors, je veux voir si tu es capable d’utiliser tes pouvoirs pour les autres.
— … pour les autres ? plissa Eily des yeux.
— Oui, oui ! Vois les choses ainsi, au lieu de te placer égoïstement au centre de tout, place Inam et Ifios au centre de tes préoccupations. C’est une façon intéressante de voir les choses tu n’es pas d’accord ?

Eily réfléchit un moment. S’occuper des autres avant elle-même ? Ce serait inédit.

— Tu dois comprendre que la manipulation est un art qui n’est pas que néfaste, compléta Rhinolove. C’est un pouvoir qui peut également rapprocher les cœurs, il suffit d’être habile. En revanche, c’est bien plus compliqué de construire que de détruire ; ce que je veux dire par là, c’est qu’aider les autres demande un niveau plus avancé que de les nuire. Mais ce petit défi ne te fait pas peur, n’est-ce pas ?
— … donc si je comprends bien, tu veux que demain, Inam et Ifios forment une petite famille heureuse, sans qu’aucun d’eux ne sache que je me suis occupée de leur cas.
— Exactement. Tu t’en sens capable ?
— … je ne vois aucune difficulté dans cette mascarade, ricana Eily.
— Très bien, très bien ! s’amusa Rhinolove. Alors je n’ai pas à m’inquiéter, n’est-ce pas ?


 ***

 Tard dans la soirée, Eily ruminait encore. Aider Inam et Ifios ? Pourquoi pas. Toutefois, elle n’avait aucune idée de comment faire. Elle avait beau réfléchir, c’était difficile de placer les autres au centre de ses préoccupations. Elle avait fait la fière devant Rhinolove, mais ce n’était qu’une façade.

— … les réconcilier… les réconcilier…, répéta-t-elle en boucle.

Caratroc soupira. Il aimerait bien dormir, lui, mais c’était difficile avec les grognements perpétuels d’Eily.

— Tu trouveras bien une solution, tenta la tortue.
— Là n’est pas la question, souffla Eily. Évidemment que je trouverais une solution, mais reste à savoir quand. Cette satanée chauve-souris ne m’a laissé que 24 heures…
— Premièrement calme-toi, sourit Caratroc. Tu sais très bien que plus tu stresses, et moins tu es performante.
— … oui, tu as raison.

Écoutant les conseils de son Ensar, Eily se posa deux bonnes minutes en respirant profondément.

— Ça va mieux ? s’enquit Caratroc.

Eily acquiesça lentement.

— Parfait ! se réjouit la tortue rondelette. Donc, commençons par le commencement. Rhinolove veut que tu lui prouves que tu n’es pas si méchante que ça en faisant une bonne action. Une bonne action qui consisterait à réconcilier Inam et Ifios en un temps record.
— C’est bien résumé, oui.
— C’est un objectif ma foi assez original ! Mais tu devrais le réussir sans peine, non ?
— … tu le crois réellement ? souffla Eily.
— Bien sûr, j’ai confiance en toi. Déjà, arrête de penser à l’échec, ensuite, rassemble les principaux éléments que tu as récoltés sur tes cibles.

Eily ferma les yeux, réfléchissant.

— Ifios est quelqu’un de franc, qui aime que les choses soient dites. De ce fait, il ne sait pas mentir et fait parler son cœur avant tout. Il peut être assez borné aussi. Ses principales passions sont… faire le ménage et la cuisine. Toutefois, son rêve est de devenir un ‘‘homme viril’’ et donc, il a tendance à en avoir honte. Quant à Inam, elle ressemble assez à Ifios. Il n’avait qu’à la regarder ces derniers jours, lorsqu’elle cachait la vérité à Ifios, sa souffrance était bien visible sur son visage. Il est évident qu’elle veut ardemment pour se rapprocher de son fils, mais elle est bien trop maladroite et peureuse pour oser faire quelque chose. Si je veux qu’elle bouge, il va falloir lui forcer la main.

Caratroc hocha la tête :

— Oui, ce sont tous les deux des individus très faciles à lire, et donc, à manipuler. Aussi, ils veulent tous les deux faire la paix. Tout ce qui tu as à faire, c’est de leur donner cette petite impulsion pour les forcer à faire le pas. Ce n’est pas quelque chose d’extrêmement compliqué.
— … Troctroc… tu parles comme moi, c’est dingue. J’ai vraiment une mauvaise influence sur toi…
— Haha, il faut croire. Quoi qu’il en soit, le plus difficile restera les restrictions qu’à imposer Rhinolove. Il faut que demain, tout soit emballé et pesé. Aussi, il t’interdit de t’impliquer directement, il faut que tu restes dans l’ombres, indirecte.
— Effectivement…
— Mais ce ne sont que des broutilles, tu ne crois pas ? éluda Caratroc. Tu connais assez leur habitude et leur caractère pour les manier dans l’ombre. De plus, tu n’es pas forcément seule, Rhinolove t’as interdit toi de te faire voir, mais il n’a parlé ni de moi… ni de Tza. Elle te fait confiance, si tu lui expliques sincèrement les choses, elle t’aidera à coup sûr.

Eily leva la tête, stupéfaite. Elle se sentait idiote de ne pas y avoir pensé plus tôt.

— Tu es un génie Troctroc !
— Voyons, voyons, ce n’est rien…, rougit-il.

Galvanisée par les encouragements de son Ensar, Eily sentait son cerveau fulminer. Peu à peu, tout devenait clair dans son esprit. Les étapes de son plan se combinaient une à une, avant de former un ensemble infaillible…
Mais alors qu’elle était encore en pleine réflexion, Caratroc prit la parole.

— … au fait Eily, je pense que c’est une bonne opportunité.
— … nyah ?

Caratroc inspira et expira un grand coup.

— Rhinolove me l’a fait écouter, tu sais. Ta dispute avec Ifios.
— … ma dispute avec… ! Tu veux dire que cette nuit-là… oh le sale… !
— Oui, il a tout enregistré avec ses mystérieuses capacités psychiques. Je ne sais pas à quoi pense cette chauve-souris, mais là n’est pas le sujet. Je parle de toi, Eily : tu laisses bien trop ta souffrance te dominer. Je sais pertinemment que tu fais ton possible pour survivre, mais à force de te mettre tout le monde à dos, tu souffriras encore plus. Regarde, ta bonne relation avec Tza n’est-elle pas agréable ? Ne penses-tu pas que ce serait bien mieux si tu t’entendais de la même façon avec tout le monde ?
— … je…
— Après, il est vrai que tu as un don d’observation très aiguisé, il serait bête de ne pas t’en servir. Mais comme tout outil, il n’est ni bon, ni mauvais. Pour l’instant, tu l’utilises égoïstement et souvent au détriment des autres… et même au détriment de toi-même dans un certain sens. Mais comme te l’as suggéré Rhinolove, tu peux également inverser ta vision des choses, et l’utiliser pour faire le bien. Tu devrais y penser, Eily. Tu sais que je ne pense qu’à ton bonheur, et je crains que si tu ne changes pas, tu ne ferras que t’en éloigner…
— …

Refroidie, Eily se laissa tomber sur son lit, pensive. Si quelqu’un d’autre que Caratroc lui avait dit les mêmes mots, elle lui aurait ri au nez. Mais la fameuse tortue rondelette avait toujours l’art et la manière de percer la carapace de la demoiselle cyan.

— … changer ma vision des choses, hein…, souffla une songeuse Eily.


 ***

 Le lendemain, Eily s’était levée bien avant l’aurore. Elle n’avait qu’une journée pour réussir sa mission, chaque seconde comptait. Ifios et Inam n’étaient pas encore réveillés, mais cela ne signifiait pas que la demoiselle cyan devait se tourner les pouces : elle avait un terrain à préparer. Et dans sa longue liste de choses prévues, la plus cruciale était sans doute…

— Tza, réveille-toi !
— … ?

Eily s’était discrètement introduite dans la chambre de la fillette, bien décidée à écourter son repos. Alors que la demoiselle cyan la secouait encore doucement par les épaules, une Tza encore somnolente fixait faiblement celle osant la troubler.

— … Eily ? parvient-elle néanmoins par souffler.
— Désolée de te déranger, mais c’est urgent. Tu te souviens de notre Magus nocturne ? Je crois que j’ai trouvé un moyen de le contrer.

L’information prit au moins une bonne minute avant de parvenir au cerveau engourdi de Tza. Mais lorsque ses neurones décidèrent enfin de faire leur travail, la fillette écarquilla les yeux, surprise.

— Vraiment ?
— Oui, vraiment. Cependant, j’ai besoin de l’aide de Rhinolove pour ça. Il m’a dit qu’il accepterait de m’aider, mais à condition que je réussisse une certaine mission.
— … ?

Eily attendit que Tza se lève véritablement de son lit et s’assoit sur le rebord avant de s’expliquer. Comme la demoiselle cyan l’avait imaginé, Tza n’était pas au courant de la relation entre Inam et Ifios, mais elle ne fut pas immensément surprise de l’apprendre. Elle était suffisamment maligne pour se douter que quelque chose se tramait en arrière-plan.
Eily avait hésité un moment, mais elle finit par avouer à Tza qu’elle avait tenté de faire chanter Inam pour en apprendre plus sur les pouvoirs des Foréa.

— … t-tu sais, bafouilla Eily. J-Je ne suis pas aussi gentille que tu ne le crois. En fait, quasiment tout le monde me déteste ici, tu n’as qu’as demandé à Ifios, Inam, Tranchodon… Troctroc pourra aussi te le confirmer. J’observe les gens, j’analyse leur réaction, j’en tire des conclusions… dans le seul but de m’en servir contre eux. Pour les manipuler, en gros.

Eily inspira un grand coup, le cœur battant. Quand elle le formulait à voix haute, elle se rendait compte qu’elle était vraiment horrible. Elle avait cependant décidé d’être sincère, alors elle avoua :

— Même avec toi, en fait. Lorsque l’on s’est rencontrées, j’ai feint d’être la bonne copine pour ne pas avoir d’ennuis. J’avais tout de suite vu que tu étais quelqu’un d’influence, alors j’ai décidé d’en jouer. Ah ! Mais maintenant, ce n’est plus le cas, hein ! J’ai… j’ai appris à te connaître, peu à peu, et je te considère vraiment comme mon amie maintenant ! T-Tu me crois, hein ?!
— … mmmh…

Tza réfléchit fortement, cherchant à démêler le vrai du faux dans toute cette histoire. Puis, après une intense réflexion, la fillette rouvrit ses yeux et les plongea ardemment dans ceux de la demoiselle cyan. Surprise, Eily recula d’un coup, mais dans la foulée, Tza se rapprocha, ne laissant à peine que quelques millimètres entre leurs prunelles respectives.

Tza resta une bonne minute ainsi ; la minute la plus longue qu’avait jamais connue Eily. La demoiselle cyan se posait moult et moult questions sans réponses, cherchant désespérément à comprendre le geste agressif de la fillette. Finalement, une fois cette minute de torture mentale passée, Tza recula, hochant vigoureusement la tête deux fois de suite.

— … nyah ? lança bêtement Eily.
— Je ne suis pas sûre de tout comprendre, répliqua Tza. Quand les choses deviennent trop compliquées, j’ai tendance à perdre le fil. Mon frère dit que dans ces cas-là, il faut scruter les yeux de son interlocuteur le plus fort possible, car ‘‘le plus douée des menteurs ne peut camoufler son âme’’.

Eily se mordit les lèvres :

« C’est bien une phrase que pourrait sortir Omilio ça… »

— Quand j’ai regardé dans tes yeux, j’ai vu de la sincérité, assura Tza. Je ne sais pas si tu es une ‘‘horrible’’ personne ou autre, et je ne pourrais jamais le savoir avec exactitude. Mais ce dont je suis certaine, c’est qu’en ce moment, tu es sincère. Alors, je décide de te faire confiance.
— … Tza…

Le regard de la demoiselle cyan se dirigea immédiatement au sol. Honte et reconnaissance l’envahissaient, embaumant son visage dans une légère touche rosâtre. Eily n’aurait jamais imaginé que Tza balayerait toutes ces révélations pour simplement lui ‘‘faire confiance’’. Elle l’aurait plus vu en colère, ou extrêmement déçue… après tout, Eily venait de lui avouer qu’elle s’était jouée d’elle ! N’importe qui de sensé serait noirci de ressentiment après avoir appris une chose pareille. Mais pas Tza, visiblement.

Ignorance et naïveté de la jeunesse ? Ou sagesse et clairvoyance juvénile dont seuls les enfants avaient le secret ? Eily ne saurait le dire, preuve s’il en était qu’elle avait encore beaucoup à apprendre. Dans son monde, la gentillesse aveugle n’existait pas ; c’était à celui qui frapperait le premier. Or, par sa réaction, Tza venait d’apprendre à Eily que la loi de la jungle n’était pas l’unique existante.

Peu à peu, Eily sentit des perles naître dans ses yeux ; elle n’était pas habituée à une telle tendresse. Surtout qu’en ce moment précis, elle ne jouait aucun rôle. Elle ne tentait pas d’attiser la sympathie par telle ou telle autre fourberie. C’était l’un des rares moments où elle était elle-même, sans aucun masque. Voir quelqu’un accepter aussi facilement sa réelle facette la perturbait plus que de raison.

Sans réfléchir, Eily saisit subitement Tza par la taille, la souleva, et l’enlaça fortement, le visage dégoulinant de larmes.

— Tza…, souffla-t-elle entre deux sanglots. T-Tu es vraiment mignonne, tu le sais, ça ?
— … ?


 ***

 Après s’être calmée, Eily s’efforça de se remettre au travail : elle n’allait pas passer la journée submerger par ses émotions. Tza ayant accepté de l’aider, la demoiselle cyan lui détailla son plan pour réconcilier Inam et Ifios.
Grâce à Caratroc, Eily était arrivée à la conclusion que ni la mère, ni le fils ne tenaient à ce que leur dispute ne dure ad vitam æternam. Toutefois, l’une était trop maladroite et l’autre trop fier pour faire avancer les choses ; si par hasard ils se croisaient au détour d’un chemin, ils se fuiraient comme la peste.

— Mais s’ils tentent de fuir, nous leur barrerons la route, assura Eily. Allez, en avant ! Que l’opération ‘‘réconciliation’’, commence !


 ***
***
***
***


 Le matin, comme chaque matin, Ifios saluait la journée avec ferveur, bien déterminé à la vivre virilement. C’était qu’il avait ses petits rituels matinaux le garçon. Premièrement, il faisait une généreuse série de pompes pour se désengourdir la tête, sur un seul doigt et un seul orteil s’il vous plaît. Depuis qu’il avait quitté les montagnes, Ifios avait la désagréable impression de négliger son entraînement physique, alors, il donnait les bouchées double. Il avait le malheur d’être petit, donc, pour compenser, il mettait un point d’honneur à se forger une silhouette finement musclée.

Deuxièmement, après ce léger échauffement viril, Ifios faisait virilement son lit et passait virilement le balai dans sa chambre. Elle devait briller comme un sou neuf. Comme il aimait se le répéter ‘‘le respect de soi passe par la propreté de son chez-soi’’. Bien évidemment, il passait également beaucoup de temps à polir ses meubles en bois – même si ces derniers étaient vides, étant donné que le jeune homme n’avait quasiment aucune affaire personnelle.

Troisièmement, Ifios se posait au milieu de sa chambre, assis en tailleur, méditant sur ce qu’il ferait à manger aujourd’hui. C’était sans doute l’exercice le plus difficile de son rituel matinal. En effet, la nourriture était loin d’être abondante au manoir et leur budget était limité. Mais ce n’était pas une raison pour ingurgiter de la bouillie infâme ! Ifios, en tant qu’aspirant homme viril, tenait absolument à ce que la maisonnée déguste des plats pouvant ravir les papilles les plus exigeantes.

Toutefois, aujourd’hui, des pensées parasites l’empêchèrent de se concentrer au maximum. Des pensées qui concernaient principalement Inam, sa ‘‘mère’’.

— J’ai vraiment du mal…, soupira-t-il.

Il était difficile de considérer une personne comme sa mère, du jour au lendemain. Surtout lorsque l’on avait vécu dans l’idée que cette dernière était morte.

Irritée, Ifios grinça des dents. La situation devenait beaucoup trop compliquée pour lui ; son cerveau avait beau tourner, ses idées restaient toutes aussi floues. Dans l’espoir de débloquer un peu ses neurones, Ifios se frappa plusieurs fois la tête contre le mur. C’était peut-être stupide vu de loin – et de près aussi – mais l’adolescent n’avait rien de mieux pour se calmer.

Et ce fut encore tout chamboulé qu’il quitta enfin sa chambre, une légère bosse sur le front. La pauvre se trouvait déjà dans un état lamentable et extrêmement sensible de si bon matin. Alors, dans ces conditions, il ne put résister longtemps devant l’horreur qui se présentait à ses yeux.

— … !

Là, juste devant lui, sur le mur, une abomination dont la seule vue lui donnait une intense et insupportable nausée. Une tache. Une ignoble et dégoûtante tache, sur le joli mur un bois du manoir. Un mur qu’Ifios polissait chaque jour avec amour et virilité. Il n’en fallut pas plus pour que quelque chose se brise chez le jeune homme.

— … n-nettoyer… il faut… nettoyer…

L’immondice le narguait. C’était tout bonnement inadmissible. Ses mains tremblaient, désireuses d’anéantir cette infamie jusqu’à la dernière trace. Poussé par l’instinct vengeur, Ifios retourna dans sa chambre, et en retira immédiatement sa plus belle brosse. Un inhabituel sourire carnassier orna subitement ses lèvres, tandis qu’il fixait la tache, son ennemi de toujours.

— … je vais… t’exterminer !

Et Ifios s’attela à sa tâche, avec une vigueur et ferveur si virile qu’elle en verrait pâlir quiconque de jalousie. Il ne fallut pas plus de trois secondes pour que l’horreur disparaisse. Ifios poussa un souffle narquois tout en passant une main moqueuse dans ses cheveux :

— Tu n’étais pas de taille contre moi, misérable !

S’il s’écoutait, l’adolescent se laisserait presque aller à une petite danse de la victoire, mais le peu de conscience qui lui restait l’en dissuada.

— … !

Surtout que son devoir était loin d’être terminé. Lorsqu’il tourna la tête de quelques degrés, le cauchemar recommença. Un tache. Non, pas une, des dizaines, étrangement placées en ligne droite sur le mur, comme si elles menaient à un lieu précis.
Mais Ifios n’était pas en état de réfléchir à ce genre de traquenard. Les pensées bien trop embrouillées par Inam, n’importe qu’elle excuse était bonne pour s’occuper l’esprit. Alors, Ifios s’acharna à nettoyer chaque tache, une par une.

— … tiens ?

La dernière tache s’arrêtait au rez-de-chaussée, juste devant le passage secret souterrain. Soudain, un doute envahit Ifios. Et si la réponse à ces taches se trouvait en sous-sol ? N’écoutant que son courage, Ifios fit coulisser le porte dérobée camouflée en mur et s’engouffra dans les profondeurs du manoir.

Non loin, Caratroc soupira, soulagé. C’était quelque peu dégradant d’utiliser ses précieuses toiles juste pour salir les murs, mais au moins, tout avait fonctionné comme sur des roulettes. C’était même un peu trop facile ; d’un autre côté, Ifios n’était pas spécialement une lumière. Caratroc avait également prit soin de bien salir le sous-sol, normalement, Ifios devrait y rester encore quelques minutes avant de remonter, pile le temps nécessaire pour que Tza fasse sa part du boulot…


 ***

 Pendant ce temps, Inam sortait elle aussi de sa chambre, le moral au plus bas. Il ne lui restait que très peu de temps à Aifos. Eily avait raison, Inam avait ses propres responsabilités à D’meis, la ville qu’elle était censée gouverner. Elle pourrait très bien continuer à déléguer l’administration et rester ici plus longtemps, mais ça commencerait à devenir trop louche.

— … de toute façon, il me déteste…

Si Inam se permettait d’abandonner sa propre ville, c’était uniquement pour être avec Ifios. Selon le plan, elle devait profiter de ces quelques jours de cohabitations pour se rapprocher de lui et lui avouer la vérité. Malheureusement, elle n’en avait jamais eu le courage, surtout qu’une certaine demoiselle cyan avait tout fait capoter.

— … fichue Eily…

Simplement penser à cette fille l’emplissait de sentiments négatifs, pourtant, Inam était quelqu’un d’assez calme d’habitude. Mais d’un autre côté, sans Eily, la Foréa Impériale aurait sans doute continué à cacher la vérité à Ifios. On pouvait presque dire que c’était un mal pour un bien. Mais ce n’était pas pour autant qu’elle irait remercier la demoiselle cyan.

— Bonjour Inam !

La Foréa réagit à son nom, et, se retourna vers une certaine fillette.

— Tza ? s’étonna Inam. Euh bonjour. Tu veux quelque chose ?
— … oui, en fait, je me disais que ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas entraînées…

Inam plissa des yeux. Maintenant qu’elle y pensait, Tza était bien censée être son apprentie. C’était son rôle, en tant que maître d’armes, de lui enseigner ses techniques d’escrime. Même si actuellement, la Foréa Impériale n’avait pas spécialement la tête à ça.

« … quoique, ça pourrait justement me changer les idées… », réfléchit-elle.

— C’est vrai, acquiesça Inam. J’admets avoir négligé ton apprentissage ces derniers temps. Que dirais-tu d’un petit échauffement matinal avant le petit déjeuner ?
— Avec plaisir, répondit poliment Tza. Mais je voudrais tester quelque chose cette fois. J’aimerais apprendre à me défendre en zone sombre.
— … en zone sombre ? s’interrogea Inam.
— Oui, je veux vraiment attraper ce ‘‘fantôme’’ qui inquiète la ville. Mais il agit uniquement la nuit, et je ne suis pas habituée à ce type de terrain.

Eily savait très bien que Tza aurait du mal à mentir pour tromper Inam. Alors, la demoiselle cyan lui avait conseillé de détourner la vérité. Dans les faits, absolument rien dans ce que venait de dire Tza était faux. C’était là le secret du mensonge indétectable : ne pas mentir en premier lieu.

— Je vois, répondit Inam. Il est vrai que les conditions sont rarement optimales lorsque l’on combat.
— Alors je me disais que l’on pourrait s’entraîner au sous-sol ! s’anima un peu trop Tza.
— … au sous-sol ? plissa Inam des yeux.
— Oui, puisque c’est un lieu sombre !
— Mmh, si tu veux aiguiser tes sens, je pense qu’il y a d’autres méthodes ; par exemple…
— Non ! J-Je veux aller au sous-sol !

Inam haussa un sourcil, surprise. Jamais elle n’avait entendu Tza crier, ni même faire un tel caprice.

« … peut-être qu’elle agit ainsi parce que je ne m’occupe plus d’elle ? C’est vrai que parfois, j’oublie qu’elle est encore une enfant. Mais après tout, pourquoi pas ? Je ne sais pas ce qu’elle a en tête, mais ce serait grossier la contrarier… », réfléchit longuement Inam.

— Bon, c’est d’accord, acquiesça la Foréa. On va s’entraîner au sous-sol. Cela nous donnera en plus l’occasion de nous battre dans un environnement clos.

Tza acquiesça vivement, trop vivement. Elle arrivait de moins en moins à rester naturelle ; décidément, le mensonge et elle, ça ne faisait pas bon ménage. Toutefois, la fillette savait que c’était pour la bonne cause. Pour Tza, la famille était une chose extrêmement importante, l’idée même qu’une mère et un fils puissent être en froid la peinait énormément.

Inam lança un coup d’œil perplexe à son apprentie, avant de hausser les épaules. Décidant que de toute façon, il ne pouvait rien arriver de grave, la Foréa se dirigea vers le rez-de-chaussée du manoir, là où se trouvait la porte coulissante menant au sous-sol.

— Ah ! s’écria subitement Tza d’une façon bien trop artificielle.
— … oui ? s’étonna Inam.
— J-J’ai un truc à faire, j’avais complètement oublié ! P-Partez sans moi, je vous rejoins dans la minute !
— … euh… très bien ?

À peine la Foréa avait-elle répondu que Tza disparut dans les escaliers ; elle allait si vite qu’elle pourrait presque soulever des nuages de poussières si seulement Ifios ne passait pas le manoir au peigne fin chaque jour.

« Elle est vraiment étrange aujourd’hui… », souffla pensivement Inam.

Mais la Foréa obéit néanmoins. Elle était à mille lieues de penser qu’elle tombait droit dans un piège. Après qu’elle eut passé la porte, Tza attendit quelques secondes et revint la fermer ; aussitôt, Caratroc sortit de sa cachette et scella vigoureusement la porte à coup de visqueuses sécrétions. L’Ensar et la fillette se lancèrent ensuite un regard, satisfaits.


 ***

« J’entends des bruits de pas… Bien, Tza a rempli son rôle. »

Cachée derrière une sombre caisse qu’elle avait elle-même rapportée, Eily récapitulait les étapes de son plan. Pas qu’il soit excessivement compliqué en soi, c’était même tout l’inverse. Mais parfois, c’était ces petites choses simples qui pouvaient complètement changer le cours d’une vie. Beaucoup pensent qu’il faut développer des trésors d’ingéniosité pour manipuler quelqu’un mais non, au contraire ; plus un plan jouait sur les sentiments primaires, et plus il avait de chance de réussir.

« … ah, la voilà. »

Inam arriva enfin au sous-sol. Rien ne pouvait décrire son étonnement lorsqu’elle aperçut Ifios, déjà présent, qui s’acharnait encore à nettoyer les murs. Tout naturellement, la Foréa, réalisant que l’adolescent ne l’avait pas remarqué, tenta une fuite discrète.

« … dommage ma vieille, c’est fermé ! » ricana mentalement Eily.

La demoiselle cyan avait tout de même légèrement peur que, dans un accès de désespoir, Inam force le passage et détruise la porte scellée. Après tout, elle était une Foréa, elle avait le pouvoir de détruire le manoir en entier si elle le voulait.
Mais visiblement, Inam n’eut pas recours à de telles extrémités puisque cinq minutes plus tard, elle revint, toute penaude.

La Foréa Impériale était complètement perdue. Qu’est-ce qu’Ifios faisait là ? Tza était-elle au courant ? Et d’ailleurs, pourquoi la sortie était mystérieusement verrouillée, subitement ? Et où était Tza ? Elle devait être de retour maintenant !
La pauvre Inam n’arrivait plus à connecter ses neurones pour résoudre cette – pourtant simple – situation. Elle s’était faite avoir, rien de plus.

« … je ne peux pas fuir… », maugréa-t-elle mentalement.

Son fils, Ifios, était devant elle. Bien qu’elle ait déjà combattu sur des dizaines de champs de batailles, tout son courage s’évanouissait à la simple vue de cet adolescent.

« … mais peut-être que… c’est l’occasion ? »

Si elle ne pouvait pas fuir, Ifios non plus. Si elle voulait s’expliquer et se réconcilier avec lui c’était le moment. Et ce fut ainsi qu’Inam s’avança, la peur au ventre, sans savoir qu’une certaine demoiselle cyan l’observait, non loin, bien décidée à tout faire pour que l’opération soit un succès…