Chapitre 13 : Le bal de tous les déguisements
Stuon
Nous étions le soir du bal organisé par la maison Irlesquo, et je m’étais mis sur mon trente-et-un, vêtu de mes plus beaux atours, la plupart confectionnés par moi-même. Six avait fini de s’habiller, revêtant la tenue G-Man que je lui avais crée. La Lamétrice que j’avais commandée était arrivée ce matin même, et la jeune fille l’avait passé à sa ceinture avec un mélange d’appréhension et de fierté. Ses cheveux étaient un peu plus longs, et parfaitement coiffés. J’avais même apposé une touche de maquillage sur son visage. Elle ne ressemblait plus du tout au petit rat effrayé que j’avais rencontré dans la ville basse, dont j’avais cru que c’était un garçon. J’avais devant moi une réelle fille de la noblesse.
- Merveilleux, lui fis-je. Les autres n’y verront que du feu. Une parfaite G-Man !
- Merci, répondit Six, gênée. Euh… vous comptez venir avec ce béret ?
Je tapotai du doigt mon éternel béret blanc de peintre avec fierté, symbole du Pokemon qui partageait mon ADN.
- Naturellement. Je ne fait qu’un avec mon béret.
- Il ne l’a jamais enlevé depuis toutes ces années que je le connais, grogna Kashmel. Il pense que son stupide béret lui porte bonheur.
- Bien sûr qu’il me porte bonheur ! Renchéris-je. La preuve : je ne suis jamais mort en le portant.
Kashmel secoua la tête, comme toujours quand il ne savait pas quoi répondre à mon génie, et se tourna vers Six en lui mettant une de ses grosses mains calleuses sur l’épaule.
- Ne te prends pas la tête pour ce soir. Reste proche de Stuon, et observe sans chercher la conversation. De toute façon, personne de chez Lance n’ira t’aborder dès le premier soir. L’infiltration chez eux sera un boulot de longue haleine.
Sur ces bonnes paroles, nous sortîmes tous deux dans la nuit fraîche de la capitale, et nous attendîmes à la sortie de mon manoir. Perplexe, Six me demanda :
- Nous n’y allons pas ?
- Si bien sûr. Nous attendons que le pousse-pousse vienne nous chercher.
- Un pousse-pousse ? Nous ne pouvons pas y aller à pied plutôt ? Le Quartier G-Man n’est pas très grand.
J’éclatai de rire à sa remarque naïve.
- Aucun G-Man ne se déplace chez un autre à pied. Tu imagines, quelle fatigue ce serait pour ces braves nobliaux ?! Non, c’est au G-Man qui assure la réception d’aller chercher ses invités. Comme là, c’est ce cher vieux Bradavan, il ne lésine pas sur les moyens. Un pousse-pousse pouvant contenir deux personnes, tous tirés par deux esclaves humains. Il faut donc compter une trentaine de pousse-pousse et le double d’humains, mais au moins comme ça, le Grand Maître n’essuie aucun refus. Tout le monde est forcé de venir.
- C’est si important, qu’il y ait du monde lors de ces bals ? Me demanda la jeune fille.
- Le succès d’un bal est déduit de son nombre de participants, et par voie de conséquence, on déduit la popularité d’un G-Man au succès de ses bals. Le Grand Maître Irlesquo tient toujours à montrer sa puissance par le biais de ses fastes réceptions, et malheur à celui qui s’aviserait d’être absent.
Le pousse-pousse de la maison Irlesquo arriva devant chez moi cinq minutes plus tard, et en bon G-Man galant que j’étais, j’aidais ma jeune amie à monter en lui tenant la main. Les deux esclaves torses nus qui poussaient s’inclinèrent devant nous avant de se mettre en route. Ils avaient eu de la chance de tomber sur nous : Six ne devait pas peser beaucoup. Je vis à son regard que ça la dérangeait que des humains fassent des efforts pour elle.
- La maison Irlesquo possède donc tant d’esclaves ? Demanda-t-elle.
- Bah, c’est celle qui en possède le plus, ça c’est sûr. De mémoire, ils ont quatre domestiques de maison, deux jardiniers, dix gardes, et une petite cinquantaine d’esclaves à tout faire. Tout cela aux frais de l’Empire bien sûr.
- Et… les esclaves des G-Man sont-ils mieux traités que ceux des Pokemon ?
- Tout dépend de chez qui tu tombes. Y’a de bons maîtres Pokemon comme y’en a des mauvais, et c’est pareil chez les G-Man. Globalement, les esclaves considèrent quand même comme un grand honneur de servir les seigneurs G-Man, et les préfèrent aux Pokemon, ne serait-ce que parce qu’ils sont de la même race. Enfin, je dis ça pour les hommes bien sûr. Pour les femmes, travailler chez les G-Man est… assez risqué, comme tu le sais.
Le visage de Six s’assombrit. Elle devait penser à sa propre mère, une domestique des G-Man parmi tant d’autres, qui avait dû subir le viol de l’un d’entre eux et fuir pour échapper à l’exécution qui ne manquait jamais de suivre.
- Mais vous Lord Stuon, vous…
Je l’arrêtais d’un doigt avec un sourire indulgent. Six se reprit, se souvenant de son rôle de petite cousine campagnarde
- Mon cousin... Vous n’avez aucun esclave chez vous.
- Non effectivement. Pour les simples et bonnes raisons que d’une, ma maison est fauchée comme les blés, deux, je n’en aurait pas la moindre utilité, et trois, en tant que sympathisant de la cause Paxen, avoir un esclave humain, ça le ferait très moyennement. Bon, revoyons un peu tout une dernière fois si tu le veux bien, ma jeune amie.
Je refis un rapide résumé des règles les plus importantes de la société G-Man, de leurs mœurs et de leur façon de se comporter entre eux. Je ne traitai pas longtemps de la hiérarchie entre familles G-Man ; comme Six était une étrangère, une toute jeune G-Man et membre d’une maison très secondaire, elle devrait s’incliner devant tout le monde. Mais il y avait des G-Man devant lesquels on devait s’incliner plus bas que d’autres.
- J’ignore si le Grand Maître fera une apparition. Il ne vient pas à chaque fois. Mais même s’il vient, tu ne lui seras pas présentée. En revanche, et ce rapidement dès notre arrivée, nous devront présenter nos hommages à la maîtresse de cérémonie, à savoir la fille de Bradavan, Meika. Tu sais tout ce que tu dois savoir sur elle, non ?
Six hocha la tête. Elle devait être au point oui, parce que j’avais beaucoup insisté là-dessus.
- Meika Irlesquo est probablement la G-Man la plus importante de l’Ordre à l’heure actuelle, poursuivis-je. Elle tient sa maison pendant que son père est occupé à enchaîner les courbettes devant la Cour Impériale. Tous les G-Man la craignent, même ses alliés, car elle est impitoyable et flirte souvent avec la cruauté.
- Elle a donc hérité de son père… fit Six en se souvenant sans doute de ce que je lui avait raconté sur Bradavan et Kashmel.
- J’en doute un peu. Bradavan est roublard, mais c’est aussi un faible et un lâche, et il est sans charisme. Tout le contraire de Meika, qui est belle, puissante et qui en impose. Elle a hérité de la beauté et de la force de sa mère Sareim, mais rien de sa gentillesse, je le crains. En tout cas, c’est elle la patronne. De plus, elle est déterminée à dénicher elle-même les G-Man qui composent le groupe Lance, donc quand tu enquêteras sur eux, tâche vraiment de le faire très loin de Meika.
- Compris, acquiesça Six.
À peine dix minutes plus tard, notre pousse-pousse s’arrêta. Après être sorti le premier, je prêtai ma main à Six pour qu’elle fasse de même, et déclarant :
- Bienvenue, chère cousine Sixtine, au Manoir Irlesquo. Bienvenue dans la haute société des G-Man.
***
Kahsmel
Désormais seul humain dans le manoir Jarminal, je commençai à faire les cent pas dans le jardin. Malgré mon ton rassurant pour la gamine, j’étais moi-même un peu anxieux. J’avais placé beaucoup d’espoir dans cette fille. Si elle réussissait, mon plan, qui devait à l’origine prendre des mois voir des années, serait peut-être achevé en quelque semaines. C’était un pari risqué que de faire confiance à cette bâtarde G-Man tout juste sortie de la rue et de la misère, mais ça pourrait rapporter gros. Et puis… cette fille avait vraiment quelque chose qui m’avait tapé dans l’œil. Elle apprenait très vite, et son Aura était remarquable. Si je la modelais correctement, elle pourrait devenir la G-Man la plus puissante actuelle ; une arme de choix pour les Paxen… et surtout pour moi.
- Si tu commences à tourner ainsi en rond alors qu’ils sont à peine partis, il y aura une belle tranchée à leur retour, me fit une voix moqueuse.
Une fois encore, je n’avais pas remarqué l’arrivée de Furaïjin. Mon complice était passé maître dans l’art d’être discret. Faisant mine d’être parfaitement calme, j’haussai les épaules.
- Si la gamine échoue, on s’en tiendra à notre plan de base. Ça sera plus long, mais ça reviendra au même.
- Tu es donc toujours aussi déterminé ?
Je fronçai les sourcils. Pourquoi me demandait-il ça maintenant ?
- Cela fait des décennies que j’attend ça. Pourquoi ne le serai-je pas ? N’est-ce pas ce à quoi nous avons toujours rêvé ? Remettre cet Ordre G-Man pourri à zéro, et par la même anéantir Daecheron et tous les pontes de l’Empire. Tant d’années d’études, de recherches, et la clé est enfin à notre portée. Non, ma détermination est toujours aussi intacte. Qu’en est-il de la tienne ?
Furaïjin me grimpa sur les épaules.
- Ton but est ce pourquoi j’existe encore, dit-il. Je n’ai aucune hésitation si tu n’en as aucune. Mais je me disais… La situation a changé ces derniers temps. La défaite de Xanthos, et le plan mis en place par le Conseil Paxen…
Je grognai de façon méprisante.
- Un plan de merde. J’arrive toujours pas à croire qu’Astrun ait pu donner son accord à un truc pareil, et encore moins que Ludmila marche dedans…
- Leur opération a débuté, visiblement. Je me suis faufilé dans les milieux secrets de la capitale ces derniers jours, à la recherche d’infos parmi les Pokemon. Ludmila a été repérée dans la cité de Ferduval, et un avis de recherche a été lancé. Pour elle, un esclave, deux Pokemon de la cité, et… une vieille humaine du nom de Sol.
Je fis la moue. Donc, Ludmila avait fini par trouver Solaris, la Troisième Fondatrice des Paxen, et l’avait sans doute convaincue de prendre part à cette folie. Je ne pouvais pas vraiment leur en vouloir de tenter le tout pour le tout, vu la situation catastrophique dans laquelle se trouvaient les Paxen actuellement, mais ce qu’ils avaient fait avec Tannis était une hérésie sans nom !
- Selon les rumeurs, poursuivit Furaïjin, ce serait le colonel Tranchodon qui aurait pris l’affaire en main, et qui s’occupe de les traquer.
Tranchodon… Un dur, ce Pokemon. Je me rappelais que Ludmila avait failli y passer la dernière fois que ces deux là s’étaient rencontrés. Si mon plan fonctionnait, les Paxen ne serviraient plus à rien, mais j’espérais que ma jeune protégée s’en sorte. J’aurai peut-être dû insister pour qu’elle m’accompagne ici, et qu’elle m’aide dans mon propre projet plutôt que dans celui délirant d’Astrun. Mais amener l’humaine qui a tué le Seigneur Xanthos dans la capitale impériale n’était pas spécialement la meilleure solution pour rester discret. De plus, je n’aurai pas pu être certain de son adhésion à mon plan.
- Laissons-les attirer l’attention de l’Empire loin d’ici, dis-je. Quand Daecheron se rendra compte qu’en réalité, le véritable danger se trouvait juste devant son nez, il sera trop tard.
- Et Six ?
- Eh bien quoi, Six ?
- Pourquoi ne pas l’avoir mise au courant ? Tu comptes te servir d’elle et la jeter une fois tout ceci terminé, comme Stuon ?
Je soupirai.
- Je ne compte « jeter » ni l’un ni l’autre. Il se trouve juste que la gamine est déjà bien assez chamboulée sans que j’ai en plus à la troubler encore davantage avec mon histoire. Quant à Stuon, il ne comprendrait pas. Mais devant le fait accompli, il finira bien par l’accepter. C’est un Paxen, ou du moins un sympathisant. Il verra le point positif au milieu de tout ça.
Je tendis la main, et fit apparaître un orbe d’Aura concentrée, me perdant dans la contemplation de cette sphère bleue transparente et brillante.
- L’Aura est une chose merveilleuse, mais c’est aussi un poison. Elle s’est répandue sans discernement ces derniers siècles, et l’Ordre G-Man actuel en est la conséquence. Il est temps de purifier tout cela, Furaïjin. Ton dresseur t’a créé en ce sens. Il a bien vu ce que les G-Man allaient devenir, et a pris les mesures qui faut pour que quelqu’un comme moi remettent de l’ordre dans ce merdier.
Le petit Pokemon jaune et poilu acquiesça.
- C’est sa volonté, et je m’y plierai. Je lui fais encore confiance, même après toutes ces années.
- Par nos actions, nous réhabiliterons son nom auprès des Paxen et des humains en général, lui promis-je. La vérité sera faite, en même temps que la justice ; deux choses qui ont été tristement absentes chez les G-Man depuis quelque temps…
***
Mizulia
- Vous êtes sublime, Lady Firenne. Notre belle cité se réjouit de vous retrouver en son sein, tout comme moi.
Je fis un sourire radieux à mon interlocuteur, Lord Vilban Fushard, un vieux G-Man avec une moustache en pointe parfaitement ridicule.
- Vous êtes trop aimable, Lord Vilban, répondis-je en m’inclinant gracieusement. Quelle joie est la mienne de revenir dans ce joyau de l’Empire qu’est Axendria, et de pouvoir refouler le sol de notre cher Quartier G-Man ! Assurément, rien n’a changé ici depuis dix ans. C’est exactement comme dans mes souvenirs !
Je jouais mon personnage comme si j’avais toujours été lui. La comédie et la dissimulation étaient deux de mes principaux dons, avec l’art de tuer. Pour infiltrer l’Ordre G-Man et démasquer le groupe Lance, comme Maître Scalpuraï me l’avait demandé, je m’étais donc fait passer pour une G-Man. Lady Firenne Jastemire était une membre de l’Ordre qui avait quitté la capitale il y a dix ans pour aller vivre dans la place-forte impériale de Vrucas-Bord, que son oncle dirigeait au nom de l’Empereur.
Je l’avais choisi elle car nous avions plus ou moins le même âge. Sur la base d’une photo, j’avais fait en sorte de lui ressembler le plus possible, par une teinture des cheveux et des implants pour les yeux. Comme aucun G-Man de la capitale n’avait plus vu Lady Firenne depuis dix ans et qu’elle n’avait plus de famille ici, personne n’irait s’imaginer que j’étais une imposteur. Je ne craignais pas non plus qu’un G-Man se rende compte que je n’avais pas l’Aura et que je n’étais donc qu’une humaine. Ils l’auraient immédiatement vu, s’ils m’avaient sondé avec l’Aura, mais je savais que pour eux, c’était un grand tabou, le comble de l’impolitesse.
Mon seul problème aurait été que la véritable Lady Firenne apprenne que quelqu’un se faisait passer pour elle à la capitale et ne débarque ici. Mais j’avais le soutient de mon maître et des Nettoyeurs. Scalpuraï allait arranger un… regrettable accident à Vrucas-Bord pour que la vraie Lady Firenne ne soit plus un problème. Mon maître était toujours ravi d’organiser l’assassinat d’un G-Man. Bien sûr, il fallait faire cela dans la plus grande discrétion. L’Empereur serait mécontent d’apprendre que l’un des membres de sa Trigarde s’adonnait à éliminer des G-Man en secret, donc Scalpuraï agirait dans son dos.
- Alors, que nous vaut votre retour à la capitale ? Me demanda Lord Vilban.
J’avais mis le grappin sur lui dès que j’étais arrivée à la réception organisée par la maison Irlesquo. Je connaissais sa réputation ; c’était un vieux dégueulasse qui adorait les femmes bien plus jeunes que lui, mais aussi un homme de confiance du Grand Maître. Il devait être dans ses secrets, et le faire parler serait facile.
- Le mariage, mon cher ami, répondis-je en attrapant au passage une coupe de champagne sur le plateau que portait l’un des esclaves humains. J’ai jugé qu’il était temps de fonder moi-même ma propre famille, et ce n’était pas à Vrucas-Bord que j’allais trouver quelqu’un.
- Naturellement. Je ne doute pas que vous trouviez ici nombre de nobles G-Man qui vont se bousculer pour s’emparer d’une aussi belle fleur que vous !
Vilban leva son verre comme pour porter un toast à ma beauté. D’après ce que j’avais lu sur lui, le bougre, qui était pourtant déjà marié et avait deux enfants, est souvent allé vagabonder ci et là dans le Quartier G-Man, pour courtiser d’autres femmes, la plupart étant aussi mariées. Mais il s’en tenait qu’aux femmes G-Man. À l’inverse d’autres grands nobles dégoûtants qui usaient d’esclaves humaines pour leur plaisir sexuel, Vilban Fushard n’aurait jamais pris une humaine dans son lit. Il se serait senti sali, lui qui était probablement le G-Man qui méprisait le plus les humains.
Si je n’avais que très peu d’indices pour deviner qui de la grosse cinquantaine de G-Man de la capitale faisaient partie de Lance, je n’aurais certainement pas parié sur Fushard. Mais avant de partir à la traque aux terroristes, je voulais avoir des infos de première main sur la situation actuelle de l’Ordre. Les rapports que le Grand Maître Irlesquo faisait à l’Empereur différaient assez souvent de la réalité. Le plus efficace aurait été d’interroger Bradavan en personne, ou bien sa fille Meika, qui se trouvait actuellement non loin en compagnie de ses suivantes, mais Lady Firenne Jastemire n’avait pas une importance suffisante dans la hiérarchie G-Man pour converser avec ces deux là.
- J’étais assez anxieuse de revenir à la capitale, je dois l’avouer, poursuivis-je. J’ai eu vent de terrible histoires durant le trajet, à propos de ces terroristes, Lance, qui tueraient d’honorables Pokemon Impériaux en pleine ville…
Le visage du Lord G-Man s’assombrit.
- Oui, c’est chose terrible. J’espère que notre Grand Maître dénichera vite ces fous furieux, et qu’ils subissent la justice de Sa Majesté. Penser qu’ils puissent être avec nous dans cette salle en ce moment est aberrant. La suspicion a gagné tout le monde. Les amis soupçonnent les amis, les frères soupçonnent les frères. Enfin, vous très chère, nul ne saura vous soupçonner, vu que vous venez juste d’arriver. Mais prenez garde ; ces terroristes seraient peut-être tentés de vous recruter…
Je fis mine d’être effrayée, bien qu’en réalité, je ne demandais rien d’autre pour pouvoir les identifier.
- Jamais je ne rejoindrai ces barbares rebelles ! Nous autres G-Man serions égaux avec ces misérables humains crasseux et idiots, qu’ils disent ?! Je n’ai jamais entendu pareille sottise !
- C’est ô combien vrai, Lady Firenne. Ces G-Man de Lance ne valent pas mieux que ces fous de Paxen qui défient l’Empire, et qui se croient les égaux des Pokemon. Des illuminés, assurément. Que de nobles G-Man puissent tenir ce genre de discours est pour moi un sacrilège. Je ne peux qu’espérer que personne que je respecte ou qui m’est proche ne fasse partie de ce groupe terroriste. Rien qu’en s’appelant Lance, qui fut le Maître G-Man hostile au Seigneur Xanthos durant la Guerre de Renaissance, ils salissent la mémoire du vénéré Sacha Ketchum, fondateur de notre Ordre nouveau et noble ancêtre du Grand Maître Irlesquo.
Toujours avec un sourire factice, je soupirai intérieurement de mépris. C’était à ça qu’on reconnaissait généralement les G-Man purs et durs, les intégristes hautains qui soutenaient à fond le Grand Maître Irlesquo : leur vénération pour Sacha Ketchum, le fameux G-Man légendaire de Ho-oh qui a rejoint Xanthos lors de sa révolution, six cent ans plus tôt. Ils pouvaient jouer la comédie bien sûr, mais je ne voyais vraiment pas un membre de Lance simuler une telle adoration dans les yeux. Je cherchai une réponse adéquate, emprunte du même fanatisme dépassé, quand l’esclave humain qui annonçait les invités à l’entrée de la salle clama d’une voix forte :
- Lord Stuon de la maison Jarminal, et Lady Sixtine de la maison Jarminal !
J’étais en train de boire une gorgée de mon verre de champagne quand le nom de Sixtine vint à mes oreilles, et je manquais de m’étouffer. Lord Vilban me massa le dos, de façon aimable, mais qui ne pouvait masquer son propre contentement à effectuer ce geste.
- Vous allez bien, ma dame ?
- Euh… oui… oui… J’ai simplement avalé de travers.
Un coup d’œil à l’entrée des invités m’apprit que je n’avais pas rêvé. En compagnie d’un G-Man portant un béret blanc des plus ridicules se trouvait ma propre fille, Sixtine. Je ne l’avais plus vue depuis quatre ans, et je ne la reconnus qu’à ses cheveux blancs et ses yeux rouges. Elle avait grandi, et surtout, elle était habillée comme une G-Man, fort élégante dans sa tunique blanche à écharpe rouge. Ses cheveux étaient plus longs que dans mon souvenir, et surtout, ils étaient fort bien coupés. J’avais toujours conseillé à Six de se faire passer pour un garçon, mais là, personne ne pouvait plus s’y méprendre. C’était bien en fille qu’elle apparaissait. Une adolescente, une noble fille G-Man, alors que quand je l’avais quitté, elle n’était qu’un garçon dissimulé malingre et toujours sale.
Prise au dépourvu par son arrivée, je mis un certain moment à me remettre de ma stupeur et de ma tendresse maternelle. Je tournais vivement la tête, de crainte d’être reconnue. Mais non, c’était absurde. Six, qui ne m’avait pas vu depuis quatre ans, ne pouvait évidement pas me reconnaître sous mon déguisement de G-Man, alors que je n’étais passée à ses yeux que comme une pauvre humaine vêtue de guenilles. Mais que faisait-elle ici, par Xanthos ?! Et en compagnie de Lord Stuon, ce G-Man un peu taré d’une maison insignifiante dont tout le monde se moquait ? Maître Scalpuraï m’avait dit qu’elle se cachait sûrement dans le Quartier G-Man, mais je ne m’était pas attendu à la voir débarquer ainsi devant moi.
Avait-elle l’intention de rejoindre les G-Man ? Elle, une bâtarde, connue et recherchée qui plus est ? Ça semblait peu probable. Ma fille n’était pas idiote à ce point. Je lui avais appris à survivre coûte que coûte. De toute évidence, elle avait un protecteur G-Man qui connaissait son secret, et à qui elle devait d’être ici. Stuon Jarminal ? C’était un original inoffensif, aux dires de tout le monde. Non, Stuon devait être un complice, mais il devait y avoir quelqu’un d’autre derrière. Maître Scalpuraï lui avait bien parlé de ces tremblements de terre qui avaient fait s’écrouler des demeures de la ville haute au moment où Six était recherchée. Ces attaques séisme n’étaient pas arrivées toutes seules…
- Veuillez m’excuser, Lord Vilban, fis-je à mon interlocuteur en m’inclinant. Je ne suis plus habituée aux réceptions d’un tel faste. Je vais prendre l’air quelque instants sur le balcon.
Toujours troublée par ma rencontre inopinée avec Six, je n’attendis même pas sa réponse. Voilà qui allait compliquer les choses. J’avais toujours mon enquête à propos des membres de Lance à mener, mas je ne pouvais pas ignorer cette situation. Peut-être même la présence de Six était liée à tout ceci. J’allais devoir raccourcir ma soirée, et faire un rapport immédiat à mon maître, pour qu’il décide de la suite. Je ne craignais pas de lui dire que Six était bel et bien là ; il s’en doutait, et de toute façon, il m’avait promis de lui laisser sa chance le moment venu. La sincérité était la règle entre nous, et ce depuis le début. Moi aussi, je me devais d’être sincère. Il n’y avait que sur le sexe de Six que je ne l’avais pas été. Scalpuraï pensait toujours qu’elle était un garçon. Mais là aussi, il allait falloir que je rectifie. Je ne pouvais pas lui parler de la soi-disant « Sixtine Jarminal » en continuant d’affirmer que c’était un garçon.