Papillon
Par un jour de brouillard, Tristan déambulait calmement dans la forêt.
« Nuages qui êtes ici, dites-moi, avez-vous déjà rencontré mes parents ? Ils se trouvent là-haut, parmi vos camarades.
« Vous savez, ils ont toujours été gentils avec moi. Ils m'aimaient, et je les aimais en retour. Pourtant, il a fallu qu'ils s'en aillent trop tôt. J'aimerais tant les rejoindre... mais je ne peux pas. J'ai beau tout essayer, je ne parviens pas à m'envoler. Le ciel reste hors de ma portée, je ne pourrai jamais les rejoindre.
« Toi, nuage. Dis-moi, vois-tu souvent tes parents ? Quand ils s'en iront, que deviendront-ils ? Disparaitront-ils sans laisser de traces, sans te laisser aucune chance de les revoir un jour ?
« Mais toi, nuage, tu as de la chance. Tu vas bientôt remonter au ciel, tu pourras revoir les tiens. Moi je ne peux pas ; malgré tous les efforts que je fais, je ne parviens pas à m'envoler. Je resterai probablement seul ici à tout jamais... »
Les parents de Tristan étaient morts tragiquement dans un accident un an auparavant. Il était avec eux quand une horde de Démolosse les avait tous attaqués. Ses parents avaient fini par se sacrifier pour lui permettre de prendre la fuite. Tristan avait longuement pleuré, se remémorant le moment où il était parti sans se retourner, les larmes aux yeux, après que ses parents lui avaient hurlé de le faire. Ces images ne l'avaient jamais quitté.
Désormais, son père et sa mère étaient au ciel. Ils avaient rejoint les nuages. Tristan, lui, était resté seul sur terre. Il se sentait minuscule face au monde qui l'entourait ; effrayé. Il ne parvenait plus à se faire des amis. Le temps arrêta de s'écouler pour lui au moment où ceux qui lui avaient donné la vie le laissèrent. Plus rien n'eut d'importance.
Mais un jour, Tristan arrêta de s'apitoyer sur son sort. Il décida de se reprendre en main. Après tout, peut-être était-il possible qu'il trouve un moyen de s'envoler jusqu'aux nuages pour les rejoindre. Il entrevit la possibilité de revoir ses parents, de ne plus être seul, et pour la première fois depuis longtemps il ressentit de la joie et de l'espoir.
Dans cette optique, Tristan commença de nombreux projets. Un jour, il eut l'idée de se fabriquer des ailes à partir de plumes d'oiseaux, pour s'envoler tel Icare. Il commença donc naïvement à ramasser les rares plumes de Roucool et d'Etourmi tombées au sol. Toutefois, il s'aperçut bien vite qu'ainsi il n'en récupérerait jamais assez. Il dut donc se résoudre à aller les chercher là où elles étaient en plus grande quantité : dans les nids. Cependant, avec son frêle corps, ce n'était pas une mince affaire pour Tristan de monter au sommet d'un arbre. Il n'abandonna pas pour autant. Malgré les nombreuses chutes, il se releva à chaque fois pour repartir de plus belle à l'ascension de ces troncs. Celle-ci était rude ; Tristan ne parvenait que difficilement à s'agripper aux arbres. L'effort était intense, mais sa détermination plus forte encore. Il parvint ainsi à atteindre de nombreux nids et à récupérer un grand nombre de plumes.
Finalement, après plusieurs jours de collecte, Tristan jugea qu'il avait récupéré ce dont il avait besoin. Il se procura de la sève dont il s'enduisit intégralement le corps, puis recouvrit ses membres de plumes. Il s'en servit également pour se confectionner ses propres ailes qu'il se colla sur le dos, se préoccupant peu de l'allure grotesque que cela lui donnait.
Afin de prendre son envol, Tristan grimpa une fois encore au sommet d'un arbre. Il battit longuement de ce qu'il appelait ses ailes, mais rien n'y fit : il restait coincé sur sa branche alors que celle-ci menaçait déjà de se rompre. Il leva les yeux vers le ciel pour apercevoir les nuages, et leur vue suffit à faire monter en lui une détermination aveugle de s'envoler pour les rejoindre. Alors il se mit à battre frénétiquement des ailes provoquant finalement la rupture de la branche sur laquelle il se tenait. Tristan parvint de justesse à se rattraper sur une autre située plus bas. Sans prendre le temps de se remettre de ses émotions, il sauta, pensant qu'il lui manquait seulement un peu d'élan pour prendre son envol, et chuta lourdement jusqu'au sol. Il se releva et battit rageusement de tous ses membres, la frustration le comblant d'énergie. Ses ailes finirent par se briser et il s'écroula par terre.
Il s'énerva contre les feuilles que l'automne avait fait tomber au sol, les jugeant seules responsables de son échec. Il donna des coups à tout ce qu'il vit, jusqu'à s'en épuiser.
Les larmes aux yeux, il arrêta finalement de s'acharner. Ses efforts finiraient bien par payer ! Un jour, il les atteindrait ! Rien ne pouvait l'en empêcher.
Après un échec si cuisant, Tristan mit un certain temps à se remettre d'aplomb. Il avait été blessé moralement autant que physiquement. Mais dès qu'il put à nouveau tenir sur ses pattes, il repartit à l'assaut, d'une détermination encore plus sourde qu'elle ne l'était déjà. Pourquoi le monde s'acharnait-il ainsi sur lui ?! Qu'importe, il reverrait ses parents. Il les reverrait parce qu'il le voulait, et qu'il était désormais convaincu qu'il le pouvait.
Tristan entreprit alors un nouveau projet, convaincu que celui-ci serait le bon. Il conçut à partir de différentes feuilles un ballon, espérant ainsi obtenir une sorte de pseudo-montgolfière. Il se mit en quête d'un Volcaropod, qu'il trouva finalement dans un territoire rocailleux. Il parvint à le faire souffler entre les feuilles sans que celles-ci ne brûlent. Il s'attacha ensuite à ce ballon empli d'air chaud, convaincu de pouvoir toucher le ciel à son aide. En effet, Tristan monta plus haut que jamais auparavant. Il s'envola loin au-dessus de la cime des arbres. Les autres Pokémon au sol n'étaient plus que des points. Il fut pris du fol espoir de parvenir à son but. Des larmes lui montèrent aux yeux à cette pensée ; comment aurait-ce pu ne pas être le cas ? Il allait peut-être enfin retrouver ses parents, qui l'avaient laissé seul tout ce temps durant.
Mais soudain, alors qu'il se laissait aller à ses rêves de réussite, l'une des feuilles commença à s'agiter, semblant vouloir se désolidariser des autres. Tristan tendit la patte pour la remettre en place. Il tenta de retenir la feuille comme il put, mais bientôt une autre commença également à vouloir quitter le ballon de fortune. Celui-ci finit par se désolidariser complètement, et se rompit. Tristan chuta alors, une poignée de feuilles entre les pattes. Il vit le sol se rapprocher drastiquement de lui et prit peur craignant de ne pas survivre à la chute.
Heureusement, quand Tristan toucha le sol, il s'aperçut qu'il était tombé sur de la mousse ; il était blessé, mais cela finirait par guérir.
Après cela, Tristan tenta à d'autres reprise de gagner le ciel, il persista dans son idée de construire un ballon, persuadé que la solution était là, mais rien n'y fit. Il parvint à monter très haut, mais les nuages restaient encore bien trop loin, toujours hors de portée, inaccessibles.
Après de nombreuses autres tentatives, Tristan finit par perdre l'espoir de revoir un jour ses parents. Cela le fit sombrer dans une profonde dépression, pire encore que le simple vide qu'il avait ressenti lorsque son père et sa mère l'avaient quitté. Il accepta de se résoudre à l'idée que seule la mort lui permettrait de les rejoindre, comme sa raison le lui avait longtemps soufflé. Il n'était pas fait pour voler. Il ne pouvait que contempler de loin tous ceux qui contrairement à lui avaient cette chance.
Son malheur le fit s'isoler du reste du monde à nouveau. Il se renferma sur lui-même, désormais aveugle à ce qui l'entourait. Plus rien n'avait d'importance. Il resta longtemps sans parler à personne. Qu'aurait-il eut à dire de toute façon ? Il ne tenait pas à savoir que les autres se portaient pour le mieux car ce n'était pas son cas. Il était seul. Il se contentait de manger ce qui lui était nécessaire pour survivre. Il ne voulait plus tenter de se relever, cela ne servait à rien : il avait essayé et cela n'avait pas fonctionné.
Il aurait pu tenter de tout reprendre à zéro, essayer d'oublier tous ses tracas pour commencer une nouvelle vie, mais ne voulait pas le faire. Il n'en avait pas l'envie. Pas le courage. Tristan resta donc ainsi à se languir durant de longs mois, se contentant de survivre désormais qu'il n'était plus capable de vivre.
Il tomba dans une sorte de léthargie qui l'empêchait de rien faire. Rien ni personne ne pouvait plus briser la bulle dans laquelle il s'était enfermé. Inconsciemment, il finit par attendre la mort. Il n'aurait pas osé se la donner lui-même, mais ne pouvait s'empêcher pour autant de la voir comme une libération.
De longs mois passèrent ainsi. L'automne laissa place à l'hiver en écho aux sentiments de Tristan. Les arbres se recouvrirent d'un épaisse couche de neige et les Pokémon désertèrent les forêts. Mais Tristan ne s'aperçut de rien de tout cela, aveugle qu'il était désormais au monde alentour.
Pourtant, durant sa longue hibernation, il fut amené à se poser des questions. Ce qu'il faisait avait-il réellement un sens ? Il avait non seulement abandonné l'idée de revoir un jour ses parents, mais également celle de se battre pour continuer à vivre. Il se demanda si cela était vraiment fondé.
Tristan se posa tant ces questions, que lorsque une soudaine hausse de chaleur vint le déranger, signe que le printemps venait d'arriver, il se demanda comment il avait fait pour en arriver là. Il avait l'impression de se réveiller après une longue nuit, et son malheur semblait oublié. Il se demanda si durant tout ce temps, le monde alentour avait changé, lui qui n'avait pas remarqué que des saisons s'étaient écoulées. Depuis la mort de ses parents, son repli sur lui-même l'avait rendu aveugle : il n'avait rien vu de la manière dont les choses avaient évolué autour de lui. Il entreprit alors de sortir dehors pour voir ce que les choses étaient devenues.
Ses yeux mirent du temps à s'habituer à nouveau au soleil, ce soleil dont il avait si longtemps oublié l'existence car se trouvant au-delà des nuages, au-delà de ce que Tristan convoitait. Mais désormais que Tristan le voyait sous un nouveau jour, il s'aperçut de sa beauté : cette boule dans le ciel illuminait le monde de ses rayons. Cette petite chose était à elle seule la source de toute lumière et de toute joie en ce monde. Mais comme tant d'autres, Tristan l'avait longtemps ignorée. Il se promit que cela allait changer : ce devait être le cas. Il ne pouvait, de toute manière, plus rester indifférent.
Il se promena à travers les bois, contemplant avec émerveillement cette nature qu'il croyait voir pour la première fois. Il s'approcha d'une fleur, attiré par sa beauté. Il huma son parfum, en fut enivré, et sentit monter en lui un sentiment de joie comme jamais auparavant. Il trouvait enfin le bonheur.
Il passa ainsi de longues heures, à s'émerveiller de tout ce qu'il voyait, se demandant comment il avait pu rester aveugle à cela aussi longtemps. Il rencontra quelques autres Pokémon : des Passerouge, des Roucool, des Rattata. Il s'intéressa à leurs corps comme jamais, la manière divine dont étaient tracées leurs courbes, la beauté cachée de chacune de leurs faces. Il les salua, ne se préoccupant pas d'obtenir une réponse et poursuivit son chemin entre les arbres.
Il aperçut une magnifique fleur devant lui. Elle était composée de pétales de toutes les couleurs, et en son centre trônait fièrement un somptueux pistil. Tristan en fut subjugué. Il s'approcha de la plante et se rendit alors compte qu'elle était occupée : une femelle Papillusion était en son centre et en aspirait le nectar. Tristan s'approcha pour mieux la voir. Cette Papillusion était magnifique. Il tenta de s'approcher encore, mais alors elle s'envola. Il voulut la suivre, mais la voyant partir trop haut, il s'aperçut qu'il ne le pouvait pas. Pour la même raison qui avait été si longtemps la cause de son malheur, qui l'avait poussé dans cet enfermement. Il était toujours cloué au sol, malgré tout ce temps.
Mais désormais, Tristan était parvenu à faire la paix avec ses fantômes. Il ne se réveillait plus, la nuit, en appelant ses parents. Il pouvait mener une nouvelle vie. C'était ainsi : il ne pouvait pas voler. Mais cela ne devait pas l'empêcher d'être heureux. Il tenta tout de même de la suivre, fasciné par elle pour une raison qu'il ignorait. Il lui courut après pour la rattraper. Il se débattit, s'agita de tout son corps pour avancer. Cette femelle l'attirait, et plus que tout, il voulait l'atteindre. Elle se retourna, lui souriant, mais ne s'arrêta pas. Tristan sourit à son tour, ravi. Il n'allait pas abandonner. Non. Il ne pourrait jamais s'envoler vers le ciel, c'était un fait. Mais la femelle qui le devançait, elle, n'était pas une chimère.
Il continua de s'agiter, faisant des petits sauts vers le haut pour l'atteindre avant de retomber lourdement. Mais il ne perdit pas espoir. Il s'acharna, parvint à sauter de plus en plus haut, et contre toute attente il finit par ne plus toucher le sol. Mais quand il tenta de prendre de la vitesse, il chuta. Il repartit de plus belle, fit de nombreux autres sauts, et parvint finalement à rester dans les airs. Il volait. Il l'avait longtemps désiré, et comble de l'ironie, il y parvenait maintenant qu'il avait trouvé comment vivre sans cela.
Alors, il put rejoindre sa belle. Elle l'attendit, se frotta contre lui et ils repartirent ensemble, voletant gaiement à travers la forêt. Tristan, finalement, était parvenu à trouver le bonheur. Non, il ne reverrait jamais ses parents. Mais cela ne devait pas l'empêcher d'être heureux. Et personne, à ce moment, ne le fut plus que lui.
Il contempla une dernière fois le ciel qu'il ne chercherait plus à atteindre. Il aperçut, amusé, deux nuages en forme d'insectes qui semblaient lui sourire. Il leur sourit en retour. Il songea que c'étaient peut-être ses parents qui lui faisaient un dernier au revoir. Désormais, Tristan était prêt à l'accepter. Ses parents n'étaient plus car ils s'étaient sacrifiés pour lui. Il se devait de les remercier en ayant la vie qu'ils lui destinaient.
Il retourna alors à sa compagne, prêt à prendre un nouvel envol, tel le plus beau des Papillusion.