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Cadavre Exquis de Corpus09



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» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 31/07/2017 à 20:09
» Dernière mise à jour le 09/09/2017 à 23:11

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Chapitre 5 : Zoé (par Flageolaid)
- Pour quelqu'un qui se nomme Zoé Erika Novinski, je ne vous trouve pas très z.e.n, mademoiselle !

La réplique du prof avait provoqué l'hilarité générale dans la classe. Parmi ceux qui s’esclaffaient le plus fort, on trouvait naturellement Jean-Eudes, dont le rire factice me donnait déjà des envies de meurtres. C'était au début de l'année de Seconde, ce prof suscitait l'admiration de nombreux mecs de la classe par sa verve coquettement misogyne. Le rouquin l'adorait.
Ses cours furent beaucoup moins enjoués dès la semaine suivante, après qu'un coup de fil anonyme, mais zen, eût ruiné son couple, ses magouilles avec le fisc et sa réputation au sein de l'établissement.

Souvent, lorsque la colère menaçait de submerger mon esprit, je me rappelais de cette réplique désobligeante. J'entrais alors dans une colère noire ! Or, à cet instant, tout mon être bouillonnait de rage !
On m'avait insultée, humiliée, ligotée, forcée à faire des pompes et à présent ces rustres osaient me barrer la route pour quelques malheureuses cuillères ! Comme d'habitude, c'était moi la méchante dans l'histoire !
Je n'avais pas de temps à perdre avec ces importuns :

- D-d-dark-k Sk-k-kull, ut-tilise Télép-p-p-port !

Je tenais ce Neitram d'un échange avec mon petit cousin Daniel vivant à Unys et qui l'avait surnommé "Dark Skull" pour une raison qui m'échappait. Certes, le crâne des membres de cette espèce était surdéveloppé, mais la couleur de leur peau oscillait entre l'ocre et le marron. Il n'y avait rien de Dark là-dedans.
En fait, ce surnom résumait bien Daniel : un kikoo de treize ans. Et cela me faisait passer pour une personne qui cherchait à être ténébreuse et mauvaise à tout prix, quitte à tomber dans le ridicule. En plus, mon bégaiement n'arrangeait rien.
Dans le fond, j'étais bien contente de lui avoir donné mon chétif et inutile Pachirisu en échange ; il se tapait lui aussi la honte pendant ses combats. Mais Daniel l'avait renommé Jean-Eudes et c'était une chose impardonnable à mes yeux !

Dark Skull utilisa Flash, contrairement à mes directives, pourtant claires et sans équivoque en dépit de ce foutu bégaiement. Ce Pokémon gérait très mal les situations de stress. J'aurais tellement voulu posséder un Kadabra arborant fièrement sa cuillère sous le nez de mon rival...
Avant que la lumière intense n'enveloppe entièrement mon champ de vision, je vis Axel se ruer vers moi avec une expression de pure bêtise dessinée sur son visage loufoque. Puis survint la douleur.
Une créature venue du ciel s'était écrasée sur ma petite personne. À nouveau, j'entendais cette petite voix dans ma tête qui me susurrait « Vous n'êtes pas zen, mademoiselle ! ». La ferme, on dit madame !
Ma fureur ne fit que s'accroître.



Il faut dire que je vivais une journée de merde. Celle-ci avait débuté la veille au soir, lorsque j'avais pris la décision de regarder la télé parce que je peinais à trouver le sommeil.
Mon cerveau (et ma foi en l'humanité) en avait pris un sacré coup lors de cet odieux zapping au cours duquel je tentai vainement d'esquiver, entre deux pages de pub aussi longues et débiles qu'un épisode de sitcom, ces émissions culinaires où des cuistots célèbres (plus célèbres que cuistots d'ailleurs) fustigeaient les malheureux participants, pourtant plus créatifs et dynamiques que leur satané jury.
Dans un monde où les médias assimilaient la gastronomie à la guerre, pourquoi s'étonnait-on qu'il y ait autant de violence dans les rues ? Ou de fast-foods ?

Je me mis au lit vers minuit, sans réussir à m'endormir réellement. À chaque fois que je me retournais vers mon réveil, je regardais la nuit s'écouler  :
00h44
01h25
01h58
02h32
03h16
04h04
04h49
05h16
Je plongeai dans un profond sommeil alors que l'heure de se lever approchait. Dois-je préciser que j'avais oublié d'activer l'alarme de cette saloperie de réveil ?
Émergeant d'un rêve stupide, je crus défaillir quand mes yeux se posèrent sur le cadran numérique du réveil.

- B-b-bord-del, je s-s-suis en ret-t-tard !

Voilà qui la foutait mal ! Mon plan pour vaincre Jean-Eudes était parfait, mais le destin s'acharnait une fois de plus à me mettre des bâtons dans les roues.
Fort heureusement, j'avais préparé à l'avance toutes mes affaires. J'enfilai en vitesse short, tee-shirt, mitaines, guêtres, bottes et mon blouson en cuir préféré, celui avec écrit MCCCV en lettres gothiques dans le dos. Après un passage éclair dans la cuisine pour faire le plein de madeleines, j'attrapai mon sac, le reste du matériel de pêche et mes fausses dreadlocks roses.
Mon look, de si mauvais goût fut-il, me servait de défense contre le style abject de Jean-Eudes. Après tout, on combat le mal par le mal.

À peine sortie de mon appartement, je tombai nez à nez avec ma proprio, une espèce de vieille folle aux cheveux gris, autrefois Mystimaniac. Je grimaçai. Elle me saisit brutalement par le poignet et s'écria :

- N'y va pas, mon enfant ! Magicarpe Obscur attend près de la plage ! Il nous dévorera tous !!!
- L-l-lâchez-m-moi !

Je me dégageai sans ménagement et détalai à toute allure. La vieille avait encore regardé une de ces émissions décérébrantes sur le paranormal et entrait en pleine crise mystique. Tout ça pour qu'on lui prescrive des opiacés...

Je m'imaginais naïvement que la traversée de Rivamar se ferait sans incident majeur. C'était mon côté candide. Si cette part de ma personnalité rêvait tout autant que les autres d'enfoncer son 38 dans la tronche de Jean-Eudes, cela n'enlevait rien à sa désarmante innocence.
Non, tant que le rouquin serait dans les parages, arpenter les rues de Rivamar resterait une épreuve surhumaine, à la limite du cauchemardesque !
Les ennuis commencèrent "gentiment" alors que je fixais mes dreadlocks sur ma tête. Deux des Pokémon de mon rival apparurent et se mirent à me harceler sans raison. Puis ce fut le crescendo de l'horreur, le combo imparable : Axel, le prof de sport, enfin Jean-Eudes et son mec.
D'un point de vue olfactif, c'était intenable. L'un puait les ordures, un autre la sueur (à croire que l'abus d'exercice physique l'avait immunisé au déodorant) et les derniers l'eau de Cologne bon marché.



Tandis que que je me remémorai l'indigeste suite de péripéties formant cette journée de merde, je réussis à me dégager de la masse inerte qui m'avait assommée. Je me rendis compte qu'il s'agissait d'un Scorvol assoupi.
Au loin, j'entendais des cris terrifiés. Que se passait-il sur la plage ?
Je me relevai difficilement, chancelant à cause du choc subi. Une poigne de fer se saisit de mon bras, non pas pour m'aider à tenir sur les jambes, mais plutôt pour m'empêcher de fuir. Dans toutes les régions du monde, on se serait indigné de voir quatre hommes s'en prendre à une frêle et adorable jeune femme d'un mètre cinquante. Sauf à Rivamar.
Un gamin qui passait par là félicita Jean-Eudes d'avoir attrapé « la Méchante ». C'est drôle, je demeurais incapable de me souvenir en quoi le rouquin était intervenu dans ma capture, à part chouiner à la vue de cuillères.

- Ça fera au moins cent pompes ! ricana le prof de sueur sans desserrer sa prise de mon bras endolori.

- A-alors l-là, v-vous fout-t-ez le d-doigt d-dans l-l-l-l'œil !

- Une minute ! intervint le petit-ami en costume bleu marine. J'ai quelques questions à lui poser. Quel est ce plan redoutable pour battre mon Jean-Eudes dont tu parlais ?

- C-c-comme si j'al-l-lais répond-dre... T-t-t'es de l-la pol-l-l-ice ?

Petite, il m'arrivait de dessiner des créatures hybrides en mélangeant deux Pokémon existants. Je me souviens qu'en croisant un Polichombr avec un Noacier, j'avais obtenu un Policier. Je lui avais rajouté un képi pour le rendre plus menaçant.
Ce dessin d'enfant m'aurait bien plus impressionnée que le pathétique petit-ami de Jean-Eudes et son regard myope. Se prenait-il pour le justicier qui protégeait la ville du crime ?

- Un grand stock de cuillers a été dérobé la nuit dernière. Es-tu derrière cet odieux larcin ? insista-t-il.

- V-v-voler, c'est p-p-p-pour l-les p-pauvres ! J'ai a-a-achet-té t-t-toutes c-ces cuillères, s-s-sale ac-c-c-c-c-cusateur de m-m-m...

Je haïssais mes troubles du langage. Toutes mes répliques cinglantes perdaient implacablement de leur superbe à cause de ma prononciation hachurée.
Je ne mentais pas, je les avais achetées ces foutues cuillères, pour trois fois rien à une vente aux enchères. Le mobilier des entreprises ayant déposé le bilan était souvent revendu pour récolter quelques piécettes, pas de quoi rembourser toutes les dettes des compagnies en question.
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, je guettais régulièrement la disparition de ces entreprises malchanceuses afin de récupérer tout le matériel pouvant m'être utile dans ma lutte contre le rouquin, notamment une centaine de cuillères. Et de couteaux.
Et de fourchettes.

- Si ce n'est pas toi, qui a volé ces cuillers alors ? s'écria mon interrogateur en levant la voix pour couvrir la rumeur en provenance de la plage.

- D-d-demande à J-Jean-Eudes ! J-j-j-e ne s-suis pas s-son un-nique en-n-nemie.

- Ah bon ? s'étonna mon rival en époussetant son costume couleur déchet radioactif. Hum... Réfléchissons... Non, il n'y a que toi qui sois aussi méchante, insupportable, abjecte et agressive envers moi.

C'était typique de Jean-Eudes, ça ! Il ne voyait pas le nombre toujours croissant d'individus qu'il se mettait à dos à cause de son attitude. Trois d'entre eux sortait nettement du lot, de par leur haine et leur dangerosité :
* Kevin, l'ancien président du fan-club de Jean-Eudes, qui avait atteint cette phase où le fan hardcore cherchait à éliminer son idole ;
* Anastasia, une sportive au crâne rasé, tout en muscles, qui dépassait le rouquin de deux têtes. Celui-ci continuait de croire qu'Anastasia était un homme ;
* Raoul-Auguste, le maniaque absolu du rose, qui concourait contre Jean-Eudes dans la catégorie « pire style de Rivamar ».
Ils atteignaient presque mon niveau de méchanceté, mais leur niveau de stupidité surclassait largement le mien.

Les lèvres d'Axel avaient commencé à s'étirer pour me gratifier d'une raillerie niveau maternelle, quand une fille en bikini terrorisée fit son apparition, suivie d'un pêcheur pas franchement rassuré. Ils ne firent aucun commentaire sur le fait que quatre hommes me séquestraient, mais hurlèrent qu'il fallait s'enfuir.
D'instinct, Jean-Eudes se tourna vers moi et dit :

- Qu'est-ce que tu as encore fait, Zoé ?

- C-c-crét-tin, j-j-je n'ai p-p-pas mis les p-p-p-pieds sur la pla-a-age. C-comment veux-t-t-tu que je s-s-sois la resp-p-p-onsabl-le de c-c-ce qui s'y p-p-passe ?

- Elle a raison, intervint la fille en bikini, dont le début de cellulite me filait la gerbe. C'est Magicarpe Obscur qui nous attaque ! Il a blessé deux personnes !

- Qui ça ?

- Magicarpe Obscur, voyons ! s'exclama Axel, surpris que nous ne réagissions pas à ce nom. Vous n'avez pas regardé l'émission d'hier sur le paranormal ? Il paraît que Magicarpe Obscur est une sorte de divinité Pokémon maléfique qui se nourrit d'êtres humains vivants !

- Axel, espèce de branquignol, comment peux-tu croire à ces inepties ?!

- Si la télé le dit, c'est forcément vrai.

Le prof de sport me lâcha avec toute la délicatesse permise à un rustre dans son genre, puis se précipita vers la plage, à la recherche des blessés en hurlant « Ne vous inquiétez pas, bandes de branquignols, j'arrive ! ». Très rassurant, ma foi.

- Qu'Arceus nous vienne en aide ! implora le pêcheur avant de reprendre sa course effrénée vers le centre-ville de Rivamar.

À ces mots, Axel ne put s'empêcher de pouffer de rire. Depuis plusieurs mois, cet individu lobotomisé criait sur tous les toits qu'il partageait une relation privilégié avec le Pokémon Alpha. Si Jean-Eudes n'avait pas existé, la personne que je haïssais le plus au monde aurait été Axel, sans l'ombre d'un doute.



Ce qui suit m'a été appris le lendemain par la lecture de la rubrique « Faits divers » du journal local.
À l'autre bout de Rivamar, un couple d'artistes déménageait pour Kalos. Il était sculpteur, elle pianiste. Comme toutes les personnes possédant un piano dans cette satanée ville, ce couple habitait au quatrième étage, afin que – si jamais l'occasion devait se présenter – l'instrument de musique puisse faire un maximum de dégâts en tombant.
Persuadés que, de toute façon, le piano irait s'écraser au sol qu'importe le soin mis en œuvre pour le manipuler, les déménageurs bazardèrent l'encombrant instrument sans ménagement, si bien qu'il traversa la baie vitrée – ouverte – à toute vitesse.
Selon les témoins, le piano survola la rue, la maison d'en-face et atterrit dans le petit jardin derrière où dormait un Ronflex. Apparemment, l'instrument rebondit sur le ventre bien rond du Pokémon et survola une seconde rue pour retomber en plein combat de Pokémon entre deux dresseurs. Inutile de rappeler que les combats en ville étaient interdits. La magie du timing voulut que le piano se trouvât pile devant le Lucario, au moment même où ce dernier exécutait une Forte-paume.

Comme dans un cartoon, l'instrument traversa la ville par violents rebonds, suivant un itinéraire presque rectiligne vers notre position. Cela se finit sur le terrible Vent Violent d'un Békipan revêche qui envoya ce qui restait du piano droit sur Axel qui pouffait de rire à la simple mention d'Arceus.
Jean-Eudes eut à peine le temps de beugler « Piano !!! » que la carcasse de bois s'écrasa, manquant de percuter son demeuré de cousin.

J'en profitai pour fuir mes tortionnaires. Je rappelai Dark Skull dans sa Ball, puis détalai à toute allure vers la plage où m'attendait mon spot de pêche habituel, ignorant ces absurdités de Magicarpe obscur.
Mais ce sale pervers de sadique de rouquin ne voulait pas me foutre la paix. Je perçus sa voix suraiguë derrière moi :

- Non, Zoé s'enfuit ! Skyluli, arrête-la avec Cage-Éclair !

Le Draco serpenta à ma poursuite. Je me retournai et le vis me bombarder d'ondes électriques. Une violente tension paralysa tous les muscles. Emportée par ma course et la déclivité du terrain, je chus. Mon corps dévala la pente et s'écrasa contre un rocher.
C'est ainsi que Jean-Eudes me tua. Et à part ça, c'était moi la méchante !



Journée de merde, mort de merde. Dire que j'avais toujours cru que j'emporterai mon rival dans la tombe !
Mon esprit se tenait là, lévitant à vingt centimètres de mon corps sans vie. Je regardais mon beau visage éteint, ma jeunesse fauchée impitoyablement par un zinzin en costume fluo. Le soleil ne brillait plus pour moi, ce qui ne m'empêchait pas de voir le monde des vivants avec des couleurs que je ne connaissais pas jusqu'alors.
Jean-Eudes, Axel et truc – le futur ex-petit-copain dont je n'avais pas jugé utile de retenir le nom – s'approchèrent de moi avec circonspection. S'attendait-il à ce que mon cadavre se relève pour les dévorer ?

- Zoé ? Zoé ? fit le rouquin. Tu n'es pas drôle, je sais que tu m'entends. Je m'excuse de t'avoir fait tomber, même si techniquement, c'est plus de ta faute que de la mienne.

- Euh... Jean-Eudes, t'es sûr qu'elle est consciente ? s'inquiéta l'autre en costume bleu marine.

- Mais ouais, elle fait semblant pour que Jean-Eudes culpabilise ! lança Axel. Quelle manipulatrice !

Je me préparais déjà à voir gravé « Elle fait semblant » sur ma pierre tombale. Je priai Arceus pour que ce crime ne restât pas impuni. Le petit-ami se pencha sur moi quelques instants, ignorant les regards interrogateurs des deux autres.

- Elle ne respire plus.

- Ou plutôt, elle retient sa respiration, corrigea Axel. Je vous dis qu'elle simule ! Je suis sûr que son cœur bat encore.

- Et qui va lui toucher la poitrine pour vérifier ?

Les trois garçons se regardèrent avec un sourire forcé. Je pouvais faire une croix sur un massage cardiaque. Mort de merde, en somme !
Je remarquai alors une silhouette qui se tenait aux côtés du rouquin. Ce n'était pas un être vivant, mais plutôt... un fantôme ! Rien à voir avec un Pokémon Spectre, la forme ressemblait à un humain. On aurait dit une jeune fille élancée, flottant dans le vide, sa longue chevelure ondoyant dans les airs, une main posée sur l'épaule de Jean-Eudes.
L'adolescente fantomatique sembla prendre conscience de ma présence au même moment. Elle me fixa brièvement de ses grands yeux dorés, avant de s'avancer vers moi en nageant dans le néant avec ses cheveux. Pour ma part, je restai incapable de bouger.
Quand la fille fut à quelques centimètres de moi, j'entendis sa voix qui vibra à travers tout son corps :

- Toi, j't'aime pas !!!

Puis elle me gifla tellement fort que mon âme regagna mon corps.
Je me relevai d'un coup, inspirant une grande bouffée d'oxygène, le cœur battant à mille à l'heure. Choquée par cette expérience dans l'au-delà, je ne parvenais plus à respirer correctement. J'avalais frénétiquement de l'air sans réussir à me calmer.
Le petit copain du rouquin me prit la main, c'est à peine si je le sentis.

- Zoé, tu vas bien ? Dis quelque chose.

- Quelque chose.

J'avais réussi à articuler entre deux inspirations. Je me repassai en boucle mon bref aperçu de la mort dans ma tête. Il y avait un fantôme qui se tenait aux côtés de Jean-Eudes. Un fantôme !

- Dis voir autodysosmophobie, fit Axel.

- Autodysosmophobie...

Voilà pourquoi je ne parvenais jamais à vaincre mon rival : des forces dépassant l'entendement œuvraient pour sa cause !

- Et anticonstitutionnellement ?

- Axel arrête, ce n'est pas un jeu !

- Vous ne comprenez pas ? Jean-Eudes a guéri Zoé de son bégaiement !

Les trois lascars accueillirent cette remarque avec un grand sourire. Je faillis hurler de rage. Le rouquin m'avait lâchement assassinée ! Pourtant c'était lui qui avait le beau rôle ! Le gentil Jean-Eudes qui soigne la méchante Zoé !
Dans d'autres circonstances j'aurais enfoncé mon genou dans l'entrejambe de mon rival pour lui témoigner ma reconnaissance. Mais j'étais traumatisée, vidée, au bord des larmes. Je n'en pouvais déjà plus de ce foutu concours de pêche ! Je m'en fichais royalement même !

- Bon les gars, je commence à avoir faim. Et si nous allions au Bon Gruikui ? proposa Jean-Eudes.

- Comme d'habitude, c'est tonton Gérard qui nous paie le repas ?

- Tiens, ce ne serait pas lui que je vois là-bas ?

Costard bleu indiqua une silhouette qui pénétrait d'un pas allègre dans la ville. Même de loin, je reconnus la moustache rousse et fournie du père de mon rival.
Je restais persuadée que les parents de Jean-Eudes auraient pu être des gens bien si, justement, ils n'avaient pas mis leur fils au monde. Je ne pouvais pas non plus leur jeter la pierre. En plein coït, on songe rarement au serial killer qui naîtra neuf mois plus tard.
Jean-Eudes et sa petite bande filèrent rejoindre M. Sinatra-Pontin, me laissant seule, ignorée de tous, le genou en sang. Je remontai la pente en jurant et ramassai péniblement mon sac plein de cuillères.



Assez perdu de temps, j'avais un plan machiavélique à mettre en œuvre.