Chapitre 2 : La vendeuse de poissons
Nyx
¡ Caramba ! Encore un mauvais virage. Conduire un bateau est difficile, plus difficile qu'une moto. L'atmosphère est lourde dans la petite cabine qui sert au commandement du rafiot. Il y a peu d'air mais beaucoup de fumée. La faute à cette machinerie qui doit dater d'il y a au moins vingt ans. Les nuées de poussière fuligineuses virevoltent dans l'air ambiant. J'étouffe. Le comble quand on sait que je suis en plein milieu de la mer et qu'il me suffit d'ouvrir la porte pour qu'une bouffée d'air frais m’assainisse les poumons.
Si je ne le fais pas, c'est parce que c'est moi qui pilote aujourd'hui. C'est à moi de rester à l'intérieur et à moi de tout commander. Je dois bidouiller tout d'abord toutes sortes de boutons quand ceux-ci se mettent à clignoter. Je pige pas trop. L'environnement m'est désagréable aussi. Rempli de tout ces trucs en métal bruni qui font du bruit sans arrêt. Et puis ça pue, ça pue mais à un point. L'odeur est un fin mélange de sueur, de pétrole, de rouille, de fumée et de poissons pourris. Le manque d'oxygène dans la pièce rend également la chaleur torride, difficilement soutenable.
J'allume les ventilateurs accrochés au plafond. Pouf ! Un peu de vent mais encore plus de bruits. J'ai l'habitude de travailler dans le bruit mais dans du bruit humain, pas dans une cacophonie machinale. J'entends d'habitude le claquement des pas de gens, leurs rires, leurs ragots, leurs mauvaises humeurs aussi... Pas le tournoiement des hélices, les crépitements de la suie et le grincement du gouvernail.
Je m'appelle Nyx, je suis une jeune Alolaise de seize ans. Je suis une vendeuse de poissons. Il y a encore quelques temps, je ne faisais que vendre quelques Ecayons et des Krabby sur la place de marché. Mais ma vie a changé ces derniers jours ; l'ami de mon père, Benito, un matelot un peu bourru mais fort compétent, a décidé de laisser tomber la pêche pour enfin prendre une retraite bien méritée. Il est reparti dans sa campagne natale dans un petit bled d'Ula-Ula où il coule maintenant des jours paisibles en chérissant ses petits enfants. Nous sommes bien évidemment heureux pour lui même s'il nous manque un peu.
Mais son départ ne nous arrange pas.
En effet, mon père aussi commence à prendre de la bouteille. Il a dépassé la cinquantaine et sa vue a bien baissé depuis ses débuts en tant que pêcheur solitaire. Autrement dit, piloter un petit bateau quand tu ne vois plus les rochers à vingt mètres, ce n'est pas top. Et puis, pêcher le poisson seul, c'est parfois un peu délicat. Il faut avoir de sacrés muscles pour tirer le filet jusqu'au navire. Certains manœuvres de pilotage sont également très minutieuses et c'est préférable d'avoir quelqu'un au niveau de la proue pour t'orienter dans la bonne direction à prendre.
Mais son départ pose également un autre problème de taille, mon père est très radin.
Alors, ça peut se comprendre car on n'est pas des richos nous. On tient qu'une petite échoppe de poisson au marché et on vend nos rabs quand on en a trop aux voisins. On vit dans une simple petite maisonnette en bois à Lili'i avec ma grand-chose comme mobilier à l'intérieur. On a même pas d'autos, le seul truc qu'on utilise comme véhicule à part le bateau est une vieille mobylette que je suis la seule à utiliser. Tout ça fait que mon père a refusé d'engager un bambino pour remplacer le vieux Benito. La faute à l'argent.
Et bon, comme il y a pas dix mille autre choix possibles, il a demandé à moi et à ma mère de l'accompagner durant sa ruée vers le poisson. Ce n'est pas bonne idée selon moi au vu de notre incompétence manifeste à toutes les deux... Mais il n'en a rien à faire. Il en a toujours rien à faire de notre avis. C'est en pêchant qu'on devient pêcheur qu'il dit. Alors okay mais déjà, je suis incapable de piloter ce truc. Comment veux-tu que je devienne une navigatrice de qualité sans jamais avoir fait ça auparavant ? J'y comprends que dalle. Y a des boutons, et des «clicclacboum» dans tous les coins... Mais le pire ça reste de faire bouger le gouvernail.
Sérieusement, ce truc est impossible à bouger d'un millimètre pour quelqu'un comme moi qui fait zéro sport de la journée. Il tourne, il tourne puis pouf, un moment ça va plus. En plus, c'est pas comme si c'était le truc qui permet de faire déplacer le bateau hein ! Regardez, si j'essaie de le faire tourner de 90° comme ça...
- Gnh gnnnnnnh !
¡ Puta madre ! Le gouvernail s'est encore bloqué. Et je ne peux pas consommer du Muscle + comme les Pokémon moi, je fais tout avec mes minables bras gonflés de graisse. Gnnnnnnnnnnnnnh. Mais allez, descends putain ! S'il te plait, s'il te plait gouvernail chéri, je ne t'ai jamais rien fait. Descends ! Descends ! Pourquoi ça coince aussi facilement ces machins ? Même en poussant rien ne bouge. Et tiens, et si j'essayai de m'appuyer sur un des manches de tout mon poids ? Ça le débloquerait peut être...
Bam ! Mauvaise idée. Ouais, ça a effectivement débloqué le gouvernail... Mais ça l'a également permis de faire deux tours de plus que normalement. Et là, c'est le drame. J'ai à peine le temps de me rendre compte de ma connerie que je bascule moi aussi dans le même sens que le navire. Je glisse et tombe sur mon arrière-train en même temps que ma tête se cogne non sans douleur contre le mur du fond. Ensuite, c'est au tour de tous les bouquins alignés sur les étagères d'en face de subitement décider de s'envoler vers moi pour un peu plus aplatir ma tronche. Plusieurs jurons sortent de ma bouche tandis que j'essaie dans bien que mal d'atténuer la douleur en frottant ma bosse avec les mains. Aïe aie aïe.
Le bateau tangue comme si j'avais percuté quelque chose ¡ Merdia ! J'espère que mon père va bien. Je me relève mais je retombe. Je n'ai décidément pas encore le pied marin. Je me relève une nouvelle fois en m'agrippant à la machine tandis que le bateau arrête progressivement de se balancer. D'un geste brusque, je sors de la cabine de commandement en poussant la porte qui s'ouvre dans un grincement insupportable.
Dehors, l'air marin est bien plus agréable que la fumée asphyxiante de l'intérieur. Il fait frais, doux, sain et possède ce parfum si particulier qui rappelle le salinité de l'eau. Le ciel d'ici semble immense comparé à ce qu'on voit sur la terre ferme. Il s'étend à perte de vue avec des lueurs de bleus bien différentes que ce que l'on peut imaginer. Quelques nuages blancs s'enlacent à l'horizon, donnant naissance à des formes à géométrie variable représentant de manière abstraite tout ce qu'on veut bien vouloir y voir. Enfin, la mer est calme, très paisible. C'est une bonne chose car je ne me sens pas la force pour mon premier cours de navigation d'affronter des vagues agitées.
Je ne suis néanmoins pas apaisée. J'ai un mauvais pressentiment concernant papa. C'est rare qu'il ne m'engueule pas après que j'ai fait une mauvaise manœuvre.
Mon inquiétude se resserre quand je découvre son absence sur le pont. Où est-il passé ? Je me rends compte par la même occasion que c'est bien un rocher que j'ai percuté toute à l'heure. Je scrute attentivement tout ce qui est entassé sur le sol. Peut être s'est-il caché là-dedans ? Visiblement non. Mon angoisse grandissant à la vitesse d'une puissance exponentielle, je me mets à crier.
- Papa ?! Papaaaaaaaaa... T'es où ? Réponds-moi ! Coño !
Sa voix rauque se met soudain à raisonner pour mon plus grand bonheur.
- Blblbl... PAR DESSUS BORD PETITE FILLE D'ANCHWATT ! Envoie moi une corde, dépêche-toi !
Par... Par dessus bord ? Je l'ai vraiment envoyé dans l'eau ? Je me secoue la tête, l'action d'abord, on y réfléchira après. Où il y a t'il une corde sur ce satané rafiot ? Ah, là ! Attachée par un clou sur le devant de la cabine de commandement... Mais elle est trop haute. Pff, pourquoi je suis aussi petite ? Et second pfff, pourquoi quand je saute, je décolle à peu près de deux centimètres avant de retomber sur le sol comme un gros patapouf ? Je suis la plus grande empotée de la galaxie.
Ni une, ni deux, je me fais appelle à mon unique Pokémon pour qu'il m'aide à décrocher cette foutue corde suspendue au mur. Mon Pokémon et en même temps mon petit protégé tout choupi tout mignon n'est autre que le grand, le fabuleux, le chaleureux... Darumarond !
STOP ! Arrêtez-tout, la fanfic, la lecture et tout le bordel. Je sais ce que vous êtes en train de vous dire: «Mais pourquoi cette cruche a-t-elle un Pokémon sensible à l'Eau quand son métier est de pêcher et de vendre du poisson ?». Alors : primo je vous emmerde et secondo c'est sympa pour faire des grillades. Voilà, pardon pour la gêne occasionnée et cet aparté étant terminé, on peut reprendre tranquillement la fanfic.
Mon Darumarond a l'avantage comparé à la petite personne que je suis d'être un peu plus sportif et agile que moi. Ainsi, il saute avec dextérité sur une caisse entreposée deux mètres plus loin pour après réussir à l'aide de quelques cabrioles à monter sur une bouée elle aussi accrochée au mur. D'étapes en étapes, il parvient à décrocher le clou qui suspendait la corde par un coup de poing parfaitement maîtrisé.
Maintenant que la corde est décrochée, c'est à moi de jouer. Comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas gagné car le sport et moi ça fait trois. Le seul sport que je peux prétendre pratiquer est la marche... Et encore car je me déplace le plus souvent en moto. En témoignent les différentes rondeurs qui se sont formées avec le temps un peu partout sur mon corps. Je ne cache pas que j'ai des formes, j'ai des fesses un peu trop rondes, un ventre un peu trop courbé, des cuisses un peu trop larges, des bras un peu trop potelés mais surtout... Je m'en fous un peu en fait. Je ne suis pas encore au stade d'être une bouboule comme Darumarond. Si j'atteins un jour cette étape, alors promis juré, croix de bois, croix de fer, je me mets au sport. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui... Enfin, si, je dois me mettre au sport mais pour une toute autre raison.
Et cette raison est le lancer de lasso pour secourir mon père tombé dans l'eau. Je me remémore tous les films de western du Pokéwood que j'ai visionné quand j'étais gosse afin de reproduire au mieux le mouvement circulaire. Matelotte ? Que nenni, me voilà dépeinte en la nouvelle Cow-boy terreur du far-west. Enfin, pour la cohérence linguistique, je devrais plutôt dire «Cow-girl» mais qui en a quelque chose à foutre de la cohérence linguistique ? Enfin bref, tout ça pour dire que j'essaie simplement de faire des ronds avec ma corde dans le ciel... Et c'est tellement efficace que j'ai plus peur de me pendre que de rater mon lancer. Cow-boy, me voilà dépeinte en desperado condamnée à mort.
Après quelques tourniquets effectués avec mon lasso, je me rends très vite compte qu'il serait peut être temps d'envoyer la corde. Même si mon père, contrairement à moi, a appris à nager, il n'est pas encore devenu un poisson. D'un geste ample, le lasso atterrit dans l'eau... Dix mètres à côté de mon père mais on va dire que ce n'est pas grave. Après tout, ce n'est pas de ma faute, ce n'est pas en faisant un gâteau qu'on devient chef pâtissier. C'est normal que je foire mon premier lancer.
Pendant qu'il nage jusqu'à la corde en m'insultant de tous les noms, il va falloir que quelqu'un la bloque afin d'éviter qu'elle parte à gauche à droite. Je compte sur mon Darumarond pour ça, il a très certainement de plus gros muscles que moi et il sera bien plus utile pour ça. J'ai aussi autre chose à faire pendant ce temps. Si les marins sont autant effrayés à l'idée de tomber à l'eau, ce n'est pas tellement à cause de l'eau en elle même - la plupart d'entre eux sachant relativement bien nager - mais plutôt à cause de ce qui se trouve à l'intérieur de l'eau. Et en particulier, un Pokémon dénommé Viskuse.
Viskuse est un Pokémon ayant des allures fantomatiques qui se trouve dans à peu près toutes les mers du globe. S'il fait autant peur à des marins chevronnés, c'est à cause de sa sinistre manie de dévorer les pauvres gens qui tombent dans la flotte. Ces petits mangeurs d'hommes noient leurs victimes en les entraînant dans les profondeurs des abysses et les mastiquent une fois qu'ils sont morts. Je ne vais pas le nier, ce genre de truc me fout les jetons à moi aussi. Hors de question que je laisse l'un ou l'autre Viskuse s'approcher trop près de mon padre.
Pour me prémunir de ces assassins aquatiques, j'ai un fusil à grappin. Comme son nom l'indique, c'est un fusil qui tire une chaîne et au bout il y a un grappin. Ce genre de truc ne sert pas à chasser les Pokémon en général mais plutôt à ramener vers nous les filets métalliques qui se seraient détacher du bateau. Peut être qu'on sait aussi monter à l'abordage d'un autre navire avec, je ne sais pas, jamais essayé. Ce n'est peut être pas l'arme adéquate pour affronter des Pokémon mais ça me suffit pour aujourd'hui.
Je guette l'arrivée d'un Viskuse aux alentours de mon père. Les femelles ne m'inquiètent pas trop car elles ont un coloris rose vif ce qui est facilement visible dans un océan Les mâles sont en revanche bien plus sournoisement dissimulé dans l'eau grâce à leur couleur bleue. C'est surtout à eux que je fais attention. Je sais que je dois faire gaffe à ne pas en manquer si l'un d'entre eux se présente.
Et là ! Je vois une ombre qui s'approche lentement de mon père. Pour le moment, cette ombre est encore tapie dans l'eau mais je n'ai aucun doute sur sa véritable nature. Je me positionne : genou au sol, fusil braqué, regard porté vers la créature. Le regard dans le viseur, je sais que le truc ne m'échappera pas. Et j'attends, une poignée de secondes qui me semblent infinies, en attendant qu'elle se rapproche... Doucement, très doucement.
C'est le moment de tirer. J'appuie sur la gâchette et la longue chaîne supplantée du grappin s'allonge dans un grincement lent et désagréable. Au contact de l'eau, un «plouf» éclabousse un peu les environs. Je jette un coup d’œil rapide, je crois que je l'ai touché. Contente, j'appuie de nouveau sur la gâchette pour faire rebobiner la chaîne à l'intérieur du pistolet. Et là... Y a encore un problème.
Il y a une bonne raison pourquoi on n'attaque pas les Pokémon avec un grappin : ce n'est pas du tout fait pour ça, c'est fait pour ramener des trucs ou s'accrocher à quelque chose. Or, j'ai cru bêtement que j'avais seulement touché le Viskuse – ce qui est vrai – mais je l'ai surtout coincé entre les bras métallique de l'objet. Ainsi, en ramenant la chaîne jusqu'au pistolet, je me rends compte que le Viskuse est entraîné avec.
¡ Merdia ! Je panique. Je secoue le fusil dans tous les sens afin d'essayer de décrocher le Pokémon. En vain, il n'arrive pas à se défaire de l'arme. L'instant entre le moment où j'appuie sur la gâchette et que le Viskuse se retrouve devant moi sur le pont du navire n'a peut être duré que trois secondes mais pour moi, c'est comme si une éternité s'est déroulée. Je vois le Pokémon venir au ralenti jusqu'à moi, j'ai peur. Par angoisse, je lance le pistolet sur le sol à un mètre de distance. Le Viskuse finit d'être entraîné sur le pont et se trouve alors à une dizaine de centimètres de moi. Ca y est, le fantôme est maintenant à bord du bateau.
Il semble lui aussi complètement désemparé et ne comprend rien à la situation. Il gigote sur place en laissant des cris incompréhensibles. Je ne sais pas quoi faire pour me débarrasser de ce truc maintenant qu'il est à bord. Je lui lance tout ce que je trouve par terre sur la figure ; bouée, bout de pois, marteau,... Tout y passe. Mais ça ne suffit pas. Ça empire même. Le Viskuse semble en colère
Furieux, le Pokémon crache un jet d'eau vers le ciel. Ce jet d'eau se décompose pour former un léger crachin qui tombe sur le pont. Le sol devient glissant et le temps pluvieux. De là, la créature fantomatique continue de cracher des jets d'eaux un peu partout sans viser quoi que ce soit. Je remarque qu'ils ont l'air assez puissant et je n'ai pas envie d'y goûter.
Je me jette à terre derrière la première caisse qu'il y a pour me protéger. Que faire ? J'abandonne vite l'idée d'utiliser Darumarond car déjà, il doit remorquer papa et ensuite il me parait bien inutile contre ce truc. Il galère déjà à vaincre des Krabby, ce n'est pas en attaquant directement un fantôme que son talent de catcheur va subitement s'améliorer.
Il ne reste que moi, je dois le renvoyer par dessus bord par moi même. Ouais, c'est pas gagné. Que faire ? Hum... Je scrute les environs à la recherche d'un moyen de lui détourner momentanément l'attention. Tiens... Oui, ceci fera l'affaire ! Je ramasse le clou qu'à fait tomber mon choupinet toute à l'heure. Lui envoyer des objets sur la gueule l'a mis de mauvaise humeur donc ça doit normalement lui faire un peu mal...
- Désolée babe mais tu vas souffrir !
Je lui lance le clou de plein fouet dans la tronche. Le Pokémon lâche un cri de douleur et semble quelques instants un peu étourdi par le choc. J'en profite pour m'élancer vers le fusil à grappin que j'avais lâché toute à l'heure. L'arme empoignée, je me braque vers le Pokémon qui semble de nouveau en furie.
Je tire un coup, espérant ainsi le projeter par dessus bord. Malheureusement, la détente bien trop longue lui permet d'esquiver. Le fantôme profite de ma mise en difficulté pour lancer un jet d'eau sur ma poitrine. Je suis projetée vers l'arrière avant d'avoir pu faire quoi que ce soit. Mon corps souffre, j'ai l'impression d'avoir reçu un coup de poing de la part d'un karatéka. Je me roule derrière une caisse le temps de me protéger momentanément. J'halète. Putain, ça fait mal !
Je me relève péniblement mais je me rends compte que j'ai lâché le fusil pendant mon vol plané. Et manque de bol, le spectre se trouve juste au dessus de lui. Bon, on va devoir retrouver un truc à lui lancer dessus. Je scrute le pont à la recherche de que quelque chose à prendre. Visiblement, Viskuse ne semble pas vouloir m'en laisser le temps. Il émet ce qui semble ressembler à un rire dans ma direction et, par réflexe, je me mets à le regarder. Nos regards se croisent puis une lumière intense vient m'aveugler les yeux.
J'essuie mes paupières. J'ai la tête qui tourne. J'ai l'impression d'être bourrée. Je regarde les environs avec une visibilité encore réduite, c'est comme si le monde est brumeux. Peu à peu, ma vision me revient. Le monde me semble différent.
Je ne vois plus le Viskuse autour de moi. Est-il retourné à l'eau ?
Je remarque alors que le temps s'est subitement couvert. Le ciel bleu est devenu un ciel rempli de nuages menaçants. Qu'est ce que cela veut dire ? Je me suis endormie ? J'essuie une nouvelle fois mes yeux mais rien n'a changé. Mon mal de crâne s'intensifie comme si j'avais la gueule de bois. Mais qu'est ce qui se passe ici ?
Instinctivement, je regarde la mer. Tout me semble normal au premier abord... Seulement au premier abord. Mon regard se porte bien vite vers l'horizon. Je vois du vent souffler, tournoyer sur lui même comme une petite toupie qu'on donne aux enfants. Cette intempérie semble se former au loin en embrassant le ciel et en secouant la mer. J'entends des murmures venir de très loin, je n'arrive pas à distinguer s'ils viennent de l'océan ou des cieux. Ma tête se remet à tourner. Je cligne des yeux.
Un épais brouillard s'est maintenant formé. Une vraie purée de pois. Tout blanc et à perte de vue. Je ne distingue presque plus rien et l'eau ne s'étend plus qu'à quelques mètres avant qu'elle ne s'évanouisse dans cette brume mystique.
Mais je sens une présence. Je sens un être vivant. Je sens une force charismatique d'une puissance troublante qui m'attire malgré moi. J'ai envie de me jeter à la mer pour la rejoindre mais je me retiens, ne sachant pas nager. Cette présence est en symbiose avec moi même, je sens qu'elle me regarde avec tendresse et curiosité. Je me sens un peu gênée sans que je ne sache pourquoi. Je m'écrie à son encontre, un peu intimidée :
- Qui... Qui êtes-vous ?
L'être rit d'un air bon et sage. Son rire est tellement pur qu'il me rend heureuse rien qu'en l'écoutant. Il m'apaise, je me sens sereine à ses côtés. Tous mes maux de tête sont pansés. Je ne ressens plus rien si ce n'est la vacuité de ce qui nous entoure. Je suis en plénitude avec lui.
Il ne me parle pas mais je sens qu'il me demande quelque chose. Il me propose de lui poser une question. N'importe laquelle et peu importe le registre. Il me dit qu'il me répondra la vérité et de façon sage. Cependant, il me dit aussi que je ne peux lui en poser qu'une seule et pas une de plus. Il me dit que je dois bien réfléchir à la question que je veux lui poser.
Alors, sans aucune hésitation, je lui pose la question que je rêve de poser à n'importe qui depuis que je suis toute petite. Une question dont je n'ai malheureusement jamais réussi à trouver de réponse :
- Pourquoi les aveugles portent-ils toujours des lunettes ?
L'être rit de nouveau de manière sage. Je me sens bête.
- C'est une trrrrrès bonne question, répond-t-il d'une voix désincarnée. Pour répondre à cela, il faut remonter à des temps immémoriaux, à une époque où humain et Pokémon vivaient séparés...
Il continue sa petite histoire mais je ne l'écoute pas, je suis très déçue. Pas de lui mais de moi. Pourquoi je lui ai posé cette question ? J'aurais pu lui demander n'importe quoi comme comment faire pour être immortelle ou comment devenir riche. Ou encore, j'aurais pu lui demander quel sera mon avenir, qu'est ce que je peux faire pour vivre la plus heureuse possible ou à quel âge j'aurais des gosses. J'aurais pu lui demander comment atteindre la lune, comment ressusciter des morts ou encore comment voyager à travers le temps. Mais rien de tout ça, j'ai préféré lui poser une question conne, une question super super conne. C'est ça que j'aurais dû lui demander, pourquoi je pose toujours des questions super connes ?
De la brume commence à se former lentement sur mes paupières. Putain, comme s'il n'y avait pas assez de flotte ici. Je mets à pleurer comme une gosse de six ans. J'ai honte, je veux rentrer à la maison.
Je relève la tête en déversant des larmes coulantes. La brume a pris étonnement la forme du visage de mon père.
- ¡ STUPIDA ! S'écrit t-il violemment. Ce foutu Pokémon t'a lancé un mirage. Reprends tes esprits et dégage-toi de là, tu me gènes.
Hein ? Ma tête se remet à tourner de plus en plus vite. L'environnement aux alentours devient flou et ma vue brumeuse. Inconsciemment, je ferme une nouvelle fois mes yeux. J'ai l'impression de flotter quelques instants, comme si j'allais perdre connaissance. Puis, peu à peu, ma tête s'arrête de tourner. Je rouvre mes paupières en battant des cils. Mon cœur bat toujours à la chamade mais le ciel est redevenu bleu et la mer calme.
Je suis à terre et mes yeux sont humides. Recroquevillée sur le sol, je continue d'haleter comme si je venais de faire un mauvais cauchemar. Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je lève la tête.
Devant moi se tient mon père. Il est complètement trempé et me regarde avec un air qui me dit «Grrrr, j'suis pas content» ou un truc dans le genre. Dans sa main droite, il tient un filet métallique et dans sa main gauche, une PokéBall aux lueurs bleutées appelée ScubaBall. Il me regarde sévèrement quelques instants puis il m'enjambe comme s'il enjambait une simple marchandise.
Avec une dextérité déconcertante, il s'élance alors vers le Viskuse en jetant le filet à la manière des anciens chasseurs d'Alola. La créature bleue n'a pas le temps de se rendre compte de ce qui lui arrive qu'elle est déjà piégée. Le fantôme crie, apparemment étonné de ne pas pouvoir s'échapper. Il crache des jets d'eaux, attaque les mailles avec des bulles d'eau. En vain, le filet tient.
Un sourire s'étend sur les lèvres de mon paternel. Il prend alors sa Pokéball et la lance sur le Pokémon comme si c'était une simple boule de pétanque. La créature est aspirée à l'intérieur. 1,2,3... Clic. Capturé. C'est dans la poche, le Viskuse est neutralisé.
- Et bien alors, Nyx ? Tu vois bien que ce n'est pas compliqué, quand tu as un problème avec un Pokémon, et ben tu la captures fille et c'est plié.
- Désolé, dis-je un peu gênée en reprenant peu à peu mes esprits. J'ai paniqué. Je... Je n'ai pas su comment bien réagir.
Mon père soupire.
- Quelle fille empotée. Y a rien à faire, autant vous savez bien cuisiner, autant vous êtes incapables de conduire ou de vous battre. Regarde-moi, je suis trempé, je vais attraper la crève par ta faute ! C'est pourtant pas compliqué de piloter un bateau, quand il faut aller tout droit, tu vas tout droit et quand il faut tourner, tu tournes. Il ne faut pas avoir été à l'unif, juste un peu de bon sens. Bon, allez, on rentre au port. On verra ce qu'on peut en tirer de la vente d'un Viskuse... Et je conduis pour le retour, pas envie d'abîmer encore plus mon rafiot. Ah, une dernière chose, hors de question que tu repilotes un jour. Ta mère prendra ta place et c'est toi qui ira dorénavant vendre le poisson au marché.
Après avoir terminé son sermon, il se dirige d'une démarche sèche vers la cabine de commandement. Quel caractère de Grotichon ! S'il croit que je suis triste de ne plus devoir naviguer avec lui, il se met le doigt dans l'œil. Je préfère de loin continuer à blablater avec les clients au marché que de devoir encore le supporter !