7- Terre et mer
« Ne me parlez pas des atrocités de la guerre ; toute guerre est une atrocité. »
— Lord Horatio Herbert Kitchener (1850 - 1916) —
* * *
Les carcasses inertes, inconscientes des reptiliens du désert, toujours étalées sur le sable chaud, sont rendues luisantes par les rayons ardents du soleil ; si bien que leurs écailles brillent, renvoient comme des reflets colorés.
Le museau du minotaupe, à quelques centimètres à peine d'un escroco évanoui, renifle la peau rugueuse, intrigué. La grosse bête minière est cependant rappelée par un halo rouge avant que ses crocs ne se referment sur la chair dure du crocodile.
Assis dos contre le vieux puits de pierre, le général Macarthur, d'un œil circonspect, sourcil levé, interroge sa subalterne quant aux habitudes douteuses de son pokémon. Le colonel produit un haussement d'épaules navré, comme pour s'excuser du comportement de son partenaire de combat.
« On a beau faire tous les efforts qu'on veut pour domestiquer des pokémons, ils gardent toujours un côté sauvage. Leur instinct ne les quitte jamais, et c'est encore plus vrai chez les prédateurs », explique-t-elle tout en rangeant la sphère colorée dans une poche de son uniforme.
L'autre hoche la tête, un peu distraitement, et tire une cigarette de son paquet ; première de la série que constituera la journée. Parlementer avec le responsable du quartier général de Toko pour obtenir une dizaine de paquets pour lui tout seul n'a pas été une mince affaire ; il s'en félicite encore.
Non loin de là, gesticulant dans tous les sens, chargeant, paquetant, emballant, les autres membres de l'unité s'occupent de tous les préparatifs du départ imminent.
Aucun changement de programme n'a été décidé suite à l'offensive désordonnée des pokémons sauvages, et la traversée du désert jusqu'à un autre point de la carte est donc toujours d'actualité.
Malgré tout, bien qu'il affecte des dehors sereins — des dehors de leader de confiance, en somme —, le général ne l'est pas tant qu'il le fait paraître. Rien que ses douleurs lombaires handicapantes l'inquiètent, car qui n'est pas suffisamment vif dans le désert en paiera les conséquences.
« Ce sont vos problèmes médicaux, qui vous rendent si soucieux ? » questionne la quadragénaire, un sourcil levé en signe d'interrogation.
Il tire une bouffée de sa cigarette, et c'est à son tour de hausser un sourcil dubitatif, quoique accompagné d'un demi-sourire amusé.
Parfois, il a l'impression qu'elle peut lire dans les pensées d'un seul regard ; depuis qu'il la connaît, il s'en est d'ailleurs toujours amusé plutôt que de craindre ce drôle de fait. Le regard brun et pénétrant le dévisage encore un moment, jusqu'à ce qu'il daigne produire une réponse satisfaisante.
« Je pensais au pays, c'est tout, souffle-t-il à mi-voix, les yeux bleus teints d'une émotion plus terne. A mes enfants, aussi. »
C'est à moitié vrai, à moitié faux. Ses enfants, sa femme, il y pense tout le temps, et s'il pouvait retourner sur ses terres, sur le sol bétonné et accueillant de Maillard, il le ferait sans hésitation. Mais cet aveu, c'est aussi et surtout pour ne pas admettre se soucier de son léger handicap physique.
Lorsqu'il l'a appris, le général Jackson a songé à démettre Macarthur de ses fonctions, et à lui proposer un poste de bureaucrate à Ekaeka, où il ne ferait que s'ennuyer à longueur de journée.
Cependant, en pesant le pour et le contre, le supérieur hiérarchique a bien dû concéder que les talents de son compatriote en matière de maniement d'armes étaient un atout à ne pas laisser tomber.
« Vos enfants, hein ? soupire Winnie Snow, esquissant une parodie de sourire se voulant compatissante. J'en ai, aussi. Deux.
— Trois, renchérit l'autre, son étincelle espiègle retrouvée au fond de l'œil. Difficiles à élever, les gosses, mais au final on est bien content de les avoir... »
La cigarette à moitié consumée est jetée dans le sable, non loin de l'une des formes reptiliennes inertes, puis l'homme avachi contre le puits se lève d'un bond vif, négligeant son dos récalcitrant.
« Bien, assez parlé de la bonne vieille mère patrie, on devrait plutôt s'occuper de ce qui nous est tombé dessus à l'instant... C'est clair que c'était une attaque délibérée contre nous, et même si Weigall est le plus fin connaisseur du désert, on peut pas miser sur de simples pokémons belliqueux... »
Macarthur secoue la tête, et se pince l'arête du nez, geste machinal de réflexion. Bras croisés sur sa poitrine, la blonde l'observe avec intérêt, tentant de déchiffrer la signification de ses réactions.
« Non, non ça n'irait pas... envoyer un duo en repérage, trop risqué... hum, dites, que feriez-vous, vous, en cas de rencontre avec des ennemis ? Histoire d'avoir, euh, un point de vue différent. J'ai moins de mal à réfléchir quand on me fait part d'avis extérieurs... »
Snow, même si elle connaît certaines des manies de son supérieur, ne peut s'empêcher de manifester son étonnement — avec son habituelle retenue, en écarquillant à peine les yeux.
Bien sûr, elle n'a jamais démérité en ce qui concerne les stratégies de guerre, et puis être sortie major de sa promotion en académie militaire l'a aidée à se forger une bonne réputation.
Mais que Macarthur, connu pour son bon sens en terme de tactique, lui demande son avis, elle ne s'y serait pas attendue.
« Vous me prenez un peu au dépourvu, monsieur...
— Allons bon ! ricane-t-il de bon cœur, dents blanches rendues éclatantes sous le soleil. Dites toujours ce qui vous passerait par la tête, ça pourrait bien être intéressant. »
Elle risque un coup d'œil en direction du sol, ayant senti du mouvement, et se retrouve à fixer quelques secondes un taupiqueur alolais, qui la scrute en retour. Trois mèches blondes, sur son crâne terreux, lui donnent un aspect cocasse.
« Hum, bien... Mais il faut me donner plus d'éléments pour savoir comment élaborer une stratégie de base, comme par exemple, le terrain. Plat, ou bien y a-t-il beaucoup de dunes ? »
D'abord surpris par la juste réaction de sa subalterne, il acquiesce et lui livre un sourire sincère, où luit presque comme un genre de fierté.
« Puisque c'est souvent le cas ici, mettons qu'il y a des dunes. Vous tombez nez à nez avec un groupe d'ennemis, que faites-vous ? »
Elle soutient son regard, le sien plein d'ambition et de désir d'impressionner. S'il y a bien un moment propice à cela, elle est en train de le vivre.
« Décimer l'arrière-garde en premier me semble être la solution la plus judicieuse, ça coupera la retraite à ceux qui sont devant — sauf s'ils ont une formation qui tient sur une seule ligne, là ça poserait problème...
— Vous dites « décimer l'arrière-garde ». Comment vous feriez ça ?
— C'est simple, on lance les pokéballs dans leur direction, et nos pokémons foncent sur eux pour leur régler leur compte. Efficace et moins risqué pour nous. »
Macarthur, dubitatif, se contente d'un hochement de tête guère éloquent. En son for intérieur, il regrette presque d'avoir posé la question ; sa manière de penser et de concevoir la guerre lui rappelle celle du général Jackson, et ça n'est pas pour lui plaire.
Et puis, se reposer sur les pokémons pour établir ses tactiques... C'est plus du ressort de l'armée kantonaise, ça, d'envoyer ces bêtes à la mort sur le champ de bataille.
Ses yeux clairs se posent sur le mégot dont s'échappe encore un fin filet de fumée, égale à ce qui lui reste d'enthousiasme ; les dissensions sont vite arrivées, au sein d'une unité si réduite.
* * *
« Bon dresseur ? Je l'ai jamais été, ça c'est sûr, ricane le médecin du groupe, cigarette fumante entre les doigts, tandis qu'à une dizaine de mètres ses pokémons se regardent en chiens de faïence. Mais c'est pas ça qui m'empêche d'être là, j'imagine, les autres docs, ils sont pas fameux en combat. C'est tout juste s'ils savent faire la différence entre attaque physique et spéciale... »
Est aspirée une nouvelle bouffée de fumée brûlante, qui fait son chemin directement jusqu'aux poumons calcinés.
Weigall, assis en tailleur en haut d'une dune, écoute les élucubrations de ce compagnon de voyage qu'il connaît à peine. Son nom, peut-être, et encore, s'en souvient-il ? Oui, ça lui revient. Marlowe, Martin Marlowe.
Ce sera utile de le savoir, s'il veut l'interrompre dans ses tirades sans queue ni tête, balancées à la face du soleil. Malgré tout il aime bien l'écouter, le son de sa voix a quelque chose d'apaisant. Les accents doux de l'ouest unysien, peut-être.
Couvées par les deux paires d'yeux, l'une d'un vert émeraude brillant, l'autre d'un genre de brun mordoré chatoyant, s'étendent les innombrables dunes ; à perte de vue, que des collines de sable, irrégulières, à l'aspect si doux.
Au toucher le sable est chaud, à la nuit tombée glacial comme une pierre froide l'hiver. Le désert a ça de magique, c'est une contradiction gigantesque. Chaud et froid, nuit et jour s'y côtoient sans jamais se croiser.
« Vous savez, le désert... poursuit le brun en retirant le mégot d'entre ses lèvres, le désert c'est quelque chose, ça n'a rien à voir avec le reste. C'est pas juste un paysage, ou une belle perspective. Le désert a comme une aura... »
Est écrasée la clope sous la botte de cuir noir, plongée dans les remous remuants de sable brun. Toujours debout, se sentant soudain trop grand, le docteur Marlowe imite son acolyte, s'assoit à ses côtés comme un vieil ami.
« 'Me prenez pour un illuminé, peut-être, qu'il continue de plus belle, le rire au fond de la voix. Ouais, je comprends, c'est débile. Le désert a une aura, hein...
— Au contraire, votre propos fait sens. »
Le trentenaire manque de sursauter, à l'entente de l'autre voix ; il l'aurait pensé silencieux jusqu'au bout, mais non, les accents plus distingués, aux relents nobiliaires de la capitale unysienne, lui ont répondu.
« Parler d'une « aura » serait commettre une faute de langue, marmonne Weigall, car l'aura est une force spirituelle exclusive aux entités vivantes — biologiquement parlant, j'entends. Le désert aussi est vivant, plus vivant que n'importe quel être humain, et c'est ça que vous ressentez, juste en étant là, assis dans le sable, le soleil tapant sur le crâne. C'est la présence du désert. »
Clignant des yeux plusieurs fois, comme si ça l'aidait à assimiler plus rapidement le propos du plus jeune, le médecin ne retient plus son ricanement ; rien de mesquin, non, juste un sincère amusement, teinté d'un sentiment d'appréciation grandissant.
« J'vous aime bien, Weigall. Drôle de bonhomme, peut-être, mais sympathique au fond. Bah, je suis pas si doué que vous avec les mots, bien sûr... Content de vous connaître, hein, c'est comme ça qu'on dit ? »
Le blondinet étire ses lèvres en un sourire aimable, toujours cette politesse affectée sur les traits de son visage impassible cogné par les rayons du soleil. Toujours la casquette de travers, aussi, comme une marque de fabrique.
« Chacun ses talents, comme on dit, docteur ; moi les mots, vous la science. »
D'un seul coup, sans crier gare, le plus petit se lève, époussette son uniforme et feint de redresser sa casquette. Puis saisit les jumelles attachées à son cou par une lanière de cuir fin, afin d'observer en détail la scène qui se joue en contrebas.
Les autres terminent de préparer les bourrinos, avec les tapis orientaux posés sur leurs dos lourdement chargés de provisions en tout genre. Pas très loin, Macarthur, sale mine, semble réfléchir.
« Bien, on est sur le départ, on devrait les rejoindre. Distraits comme ils sont, certains, ils pourraient bien oublier leur médecin et leur guide... »
Un hochement de tête de la part dudit médecin, et celui-ci se lève également, rappelant ses pokémons auprès de lui pour les faire rentrer dans leurs pokéballs. La chaleur les rend étonnamment plus véhéments, remarque Weigall avec un sourire en coin.
« Vous êtes un drôle de type, vous aussi, docteur Marlowe, confie-t-il au brun. Je vous aime bien.
— Pas de ça entre nous, pas de... « docteur Marlowe ». Pour vous ce sera juste Martin. Vous avez bien un prénom, vous aussi ? »
L'homme sable à tête blonde émet une parodie de ricanement.
« Deux, même... pour ce que j'en fais, de ces prénoms... Travis Erwin Weigall, enchanté. Pour vous ce sera juste Weigall. »
— Par Arceus, n'essayez plus d'imiter mon accent ! »
Tous pleins d'entrain qu'ils sont, les deux militaires descendent promptement la colline de grains sablonneux, pour rejoindre leur triste devoir.
* * *
Quitter la mer, ses remous rassurants, ses humeurs et ses caprices, c'est toujours difficile pour un capitaine de navire. A fortiori pour rejoindre une terre vide, désertée par les touristes ; il en reste peut-être quelques uns à l'hôtel des Embruns, mais pas beaucoup plus.
Melvin Eaton pose un premier pied sur le quai, puis l'autre, laisse la barge de côté, suivi de son officier de transmission au cheveu rouquin. Le plus jeune, particulièrement loyal à son capitaine, a tenu à l'accompagner jusqu'au Hano-Hano.
Si le presque sexagénaire est flatté par cette attention, et qu'il se sait ô combien chanceux d'avoir un subalterne dévoué, il n'en reste pas moins aussi impassible que d'habitude ; le visage escarpé et marqué par le temps ne laisse rien paraître.
Il y a juste les yeux, les deux orbes d'une couleur dure comme l'acier, ternes, qui traduisent le problème posé par ce séjour — court, il l'espère — sur la terre ferme. Comme d'habitude, Jackson le retiendra inutilement par des palabres, forcément...
Mallette en main, arme de poing dans l'autre, l'officier Wilfred Harper scrute attentivement toutes les rues et ruelles adjacentes, avec le professionnalisme d'un agent de terrain, ce qu'il n'est assurément pas.
Le pavé clair sous leurs bottes, le soleil sans nuages, la chaleur étouffante et les relents iodés de la mer, juste là, si proche et si loin, tout ça manque de donner la nausée au capitaine. Il retire sa casquette, et essuie, d'un revers de manche, les gouttes de sueur qui coulent de son front.
« Bon sang, le Wailord est une étuve, mais ce soleil !... Et après, on s'étonne que les patrouilles de rue soient considérées comme un enfer. Dites, Harper, vous n'avez pas trop chaud avec cette veste ? »
Le cadet, particulièrement à cheval sur le protocole, a tenu à conserver la veste noire à bandes jaunes, partie intégrante de l'uniforme des officiers de marine ; Eaton, en manches de chemise, l'observe avec circonspection.
« Ça va, monsieur, merci de vous en inquiéter. La chaleur, j'ai l'habitude, les séjours à Hoenn, près du mont Chimnée surtout... Ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus. »
S'il comprend le sentiment général de son acolyte, le capitaine ne le partage pas tout à fait ; les rues de Ho'ohale étant surveillées par des groupes de deux ou trois soldats par unité de patrouille, la sécurité de la ville ne fait aucun doute.
Pris d'un doute, le sourcil froncé et le front creusé d'une longue strie horizontale, le plus âgé observe à son tour les environs, et voilà l'évidence qui saute aux yeux.
Les rues sont désertes. Aucun touriste, bien sûr, ils se barricadent à l'hôtel ou dans des établissements publics bien surveillés, mais traîner dans les rues est fortement déconseillé, surtout en début d'après-midi, avec le soleil qui tape plus durement que d'habitude.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas de soldats non plus. Les patrouilles, envolées, disparues ; il n'y a que les deux officiers de marine, tous seuls dans les allées pavées, seuls avec un silence pesant.
La main du rouquin se serre davantage autour de la crosse de son arme. Eaton, lui, s'en veut de ne pas en avoir emporté une ; il se croyait en sécurité, en terrain allié, mais selon toute vraisemblance quelque chose se trame.
« J'imagine que des natifs ont capturé quelqu'un au courant de notre passage ici, et qu'ils l'ont fait parler. Ils ont pu, ensuite, préparer le terrain convenablement... Je ne serais pas étonné qu'ils fonctionnent aussi efficacement, Jackson les sous-estime sans arrêt, souffle le grisonnant.
— Tout ce que je sais, c'est qu'il faut rester sur nos gardes. Heureusement que nos armes sont pourvues d'une sécurité spéciale, autrement ils s'en seraient déjà servis pour vous tirer dessus... »
Crispé, le capitaine se gratte la nuque, parfaitement d'accord avec son subordonné.
« Bien, je dois être content d'être encore là, alors. J'penserai à remercier les ingénieurs de chez nous, en rentrant... Si on rentre de cette guerre, ça va de soi... »
La fin de sa phrase se perd dans l'oubli, en même temps qu'un projectile vient heurter le sol à quelques mètres à peine de leur position, devant leurs yeux. Un bâton de bois aiguisé, avec au bout, fixée par des cordelettes végétales, une pierre pointue.
« On dirait un genre de lance, grommelle Harper en retirant le cran de sûreté de son pistolet. Merde, où sont-ils ? »
Comme pour offrir une réponse à la question à peine audible, plusieurs silhouettes à peau sombre sortent d'une petite ruelle, à une trentaine de mètres. Parmi les quatre personnes, un colosse au regard sombre, drapé dans une chatoyante tunique bleue foncée, toise le capitaine et son allié.
Du haut de son mètre quatre-vingt cinq, l'homme de la mer se sent bien piteux face à ce géant dépassant les deux mètres ; et tout en muscles, qui plus est. Ses yeux noirs ne laissent aucune place au doute, il n'est pas animé des intentions les plus cordiales.
« Filez-moi ce flingue et allez au Hano-Hano tout de suite, ordonne Eaton au rouquin, qui rechigne à lui donner l'arme. Bon sang, DONNEZ ! »
L'autre ouvre la bouche pour répliquer, mais face à la situation plus que critique, se résout à tendre le pistolet au plus âgé, qui sait mieux s'en servir. Cependant, il ne semble pas accepter la seconde consigne.
Il attrape la pokéball placée dans sa poche, et en fait sortir son unique pokémon, un magnézone dont il se sert dans un but purement technologique.
« Ce sera pas d'une grande aide pour le combat mais... c'est déjà une protection. Ne restez pas à découvert, cachez-vous... »
Les Alolais, de l'autre côté de la rue, n'avancent pas, continuent à scruter la scène.
« Je sais ce que je fais, gamin. Allez, courez apporter cette prétendue créature légendaire à Jackson ! »
* * *
Devant les grilles du complexe Hano-Hano, installées là pour prévenir les risques d'intrusion, sont postés deux gardes en faction, immobiles comme des statues de pierre. Jackson a été clair, rester vigilant chaque seconde est primordial.
« Tu vois c'que je vois, Harry ? » s'étonne l'un des deux, voyant une silhouette indistincte se rapprocher petit à petit.
L'autre plisse les yeux, mais n'en discerne pas plus ; saisit donc sa paire de jumelles, pour voir un type en tenue noire. A mesure que le curieux personnage se rapproche, il parvient à distinguer les bandes dorées caractéristiques des uniformes de marine.
« C'est bon, un gars de chez nous, un marine. Enfin, a priori. Faut voir si ses papiers sont conformes. »
Est donc attendu ledit officier de marine, courant comme jamais pour remplir sa mission. Sitôt qu'il arrive auprès des sentinelles, il s'arrête, reprend son souffle comme il peut, tend ses papiers.
Sa mallette est fouillée, et un autre soldat est appelé pour aller la remettre au général Jackson, comme convenu.
« Détendez-vous, d'accord ? Il s'est passé quelque chose sur le chemin ? Où est le capitaine Eaton ? »
Le rouquin tâche de reprendre ses esprits pour produire une réponse cohérente, et son souffle pour pouvoir la prononcer. Acérés comme des griffes de gueriaigle, les regards des deux gardes semblent le percer de mille aiguilles.
« Y a des chances... Y a des chances que le capitaine Eaton soit mort, messieurs ! On est tombé sur un groupe d'Alolais, quatre... »
Dubitatifs, les deux jeunes hommes se consultent du regard mutuellement. Perdant patience, Harper se laisse tomber au sol, la tête dans les mains, doigts crispés sur ses mèches orangées.
« Bon sang ! Faites quelque chose, envoyez des renforts ! On peut pas le laisser livré à lui-même, quand bien même il est prêt à crever ! »
Le plus âgé des soldats hoche la tête, et daigne laisser entrer l'officier de transmission dans le complexe, pour aller parler à Jackson.
Rivés sur un point invisible à l'horizon, les yeux verdâtres du trentenaire sont comme embués, rendus vitreux par la peur.
Peur de mourir expérimentée plus tôt, peur de perdre le seul homme de cette armée en qui il a encore confiance.
Peur de savoir l'homme de mer risquer de mourir sur terre.