Pokemonis T.2 : L'embrasement de l'Aura de Malak

Kashmel


- C’est un… un… Machopeur, affirma Six.

- Bien. Et à quinze heure devant lui, celui qui est en train de rouspéter à l’étal sur la flambée des prix ? Demandai-je.

Six, les yeux fermés, se concentra dix bonnes secondes, mais donna la bonne réponse.

- Un Fragilady.

La gamine était douée, ça ne faisait aucun doute. J’étais en train de lui enseigner à visionner le monde par l’Aura. Nous fermions les yeux, et nous utilisions notre sixième sens propre aux G-Man qui nous permettaient d’appréhender tout ce qui se trouvait autour de nous à plusieurs mètres à la ronde. Pour les plus puissants G-Man, comme moi, ça pouvait être à des kilomètres à la ronde. Six n’avait que quatorze ans, n’avait jamais été formée auparavant aux arts G-Man, et pourtant elle arrivait à me dire la race de chaque Pokemon présents actuellement sur le marché de la ville-haute, plusieurs mètres en dessous de la Citadelle où nous nous trouvions.

À mon sens, bien maîtriser l’Aura et les possibilités qu’elle offrait était plus important pour un G-Man que de contrôler ses pouvoirs de Pokemon. Six pouvait à présent utiliser l’attaque Flammèche sous toutes ses formes, ainsi que des variantes d’attaques utilisant les griffes. Ça me suffisait pour le moment. Elle aurait le temps d’apprendre des attaques plus puissantes d’elle-même avec le temps. En revanche, l’Aura, elle ne pouvait l’assimiler qu’auprès d’un maître G-Man. Voir au-delà de nos yeux était une capacité sacrément utile pour des personnes recherchées telles que nous qui devaient toujours surveiller leurs arrières.

- Avec l’Aura, tu verras toujours le monde en bleu, et les reliefs comme de la brume, dis-je à Six qui continuait son exploration mentale. Quant aux êtres vivants, chacun a une signature unique dans l’Aura, car l’Aura est l’essence même de ce qui fait la vie, et il n’y a pas deux êtres identiques en ce monde. Tu vois les Pokemon ? Comment les perçois-tu ?

- Ils sont… comme du cristal. Ils ont tous plus ou moins la même couleur, mais ont tous des contours différents. Oh… y’en a un là qui est bizarre ! Il rayonne !

Je me replongeai dans l’Aura à la recherche de ce Pokemon rayonnant, puis je souris.

- Oui, lui c’est normal. C’est un Lucario, l’un des rares Pokemon qui peuvent aussi utiliser l’Aura. Il a une signature proche de la nôtre, les G-Man.

- C’est géant ! Souffla Six. J’ai l’impression que je peux aller n’importe où, comme si j’étais un fantôme !

Abandonnant son contrôle sur l’Aura, Six rouvrit les yeux, un grand sourire aux lèvres.

- Vous croyez que je peux utiliser l’Aura sur le Palais Impérial, et y voir l’Empereur ?

- J’te le déconseille, fillette. T’as vu comment tu t’es sentie juste quand Scalpuraï est passé devant toi ? Daecheron a une Aura bien pire encore. De plus, il peut probablement l’utiliser lui aussi à un certain niveau, et saura donc qu’un G-Man est en train de le pister. Mieux vaut ne pas attirer son attention.

- Et les G-Man ?

- Pareil. Essaies donc sur moi.

Six se replongea dans l’Aura, se concentra, et je sentis nettement son regard mental sur moi. Au sein de l’Aura, je lui envoyai mentalement une petite décharge, et Six sursauta et ouvrit grand les yeux, soudain sur ses gardes.

- Que… c’était quoi ça ? J’ai eu l’impression qu’on m’a donné un coup…

- Ouaip, c’était moi. Si quelqu’un qui peut utiliser l’Aura se rend compte qu’un autre est en train de le regarder, il peut briser son lien comme je viens de le faire. Ne t’amuse jamais à te servir de l’Aura pour pister un autre G-Man. C’est considéré comme le comble de l’impolitesse, comme si un étranger regardait par la fenêtre de ta maison.

- C’est comme ça que Lord Stuon m’a trouvé, il a dit.

- Oui, il a repéré ta signature spécifique alors qu’il se baladait dans la ville basse en utilisant l’Aura. Tu ne l’as pas senti alors, parce que tu ne savais pas t’en servir.

- Mais si vous me dites que l’Empereur peut aussi se servir de l’Aura, pourquoi n’ai-je pas été repéré bien plus tôt ?

- J’ignore à quel degrés Daecheron peut utiliser l’Aura. Mais il n’est pas du genre à s’abaisser à surveiller le bas peuple de la sorte, ce serait insultant pour lui. Il laisse le soin à ses sbires, comme Scalpuraï et ses Nettoyeurs, de contrôler la masse.

- Et les G-Man ? Même s’ils ne descendent pas dans la ville basse, ils n’auraient pas pu me sentir en utilisant l’Aura depuis ici ?

- Non, à moins d’être un G-Man particulièrement puissant, et qui sait déjà où chercher. Les bâtards G-Man qui ne maîtrisent quasiment rien de leurs pouvoirs n’ont qu’une signature très faible comparé aux vrais G-Man. Il fallait être près de toi pour pouvoir te remarquer. Mais plus tu gagneras en puissance et en contrôle, plus ton Aura deviendra celle d’un G-Man ordinaire. C’est déjà quasiment le cas, tel que je te vois. Plus que quelque jours, et tu seras à même de faire tes premiers pas dans l’Ordre.

Six avait l’air mal à l’aise à cette idée. C’était fort compréhensible ; il lui était difficile de se mêler à un groupe de la haute élite alors qu’elle avait toujours vécu traquée et dans la misère la plus noire. Mais je ne doutais pas qu’elle réussisse. Cette fille avait un don naturel pour ce qui était de s’adapter à n’importe quelle situation. Et comme je le disais toujours, dans ce monde sauvage et cruel, ceux qui avaient le plus de chance de survivre n’étaient pas forcément les plus forts ; c’était surtout ceux qui savaient vite s’adapter.

- Tu as bien appris et retenu les noms et maisons de chaque G-Man d’Axendria ? Demandai-je.

- Eux, et même ceux de la province impériale, m’assura Six. Diplôtom m’a tellement harcelé que je pourrai tous les réciter dans mon sommeil.

- Le truc le plus dur sera d’associer un nom à un visage, quand tu seras parmi eux. Mais comme tu seras une nouvelle arrivante, ils se montreront compréhensifs et ne manqueront pas de se présenter à toi. Ce sont des flagorneurs nés, pour la plupart. Ils se montreront gentils et attentionnés avec toi, pour essayer de t’avoir dans leurs cercles. La puissance d’un G-Man actuel se mesure au nombre de ses soutiens et partisans. Tu devras faire très attention à rester à distance tout en ne te faisant aucun ennemi.

- Mais le but c’est de me rapprocher de ce fameux groupe Lance non ? Comment faire, concrètement, si je ne sais pas qui en fait partie ?

- Ils tenteront de t’approcher s’ils pensent que tu peux partager leurs idéaux, répondis-je. C’est pour cela que tu devras parler un peu avec tout le monde, de tout et de rien, tout en glissant discrètement dans tes paroles de petites allusions ou opinions. Il ne s’agit évidement pas que tu appelles à la révolution ; mais de petits sous-entendus ci et là, sur la politique de l’Empereur qui ne serait peut-être pas la meilleure, sur le sort réservé aux humains qui serait déplorable, sur la façon du Grand Maître de gérer l’Ordre qui serait à revoir… bref, montrer que tu n’es pas satisfaite de la situation actuelle. Dès lors, les pro-Empire s’éloigneront de toi tandis que les opposants à Bradavan Irlesquo t’auront dans le collimateur. Et parmi eux, il y aura bien un ou deux membres de Lance qui essaieront de t’harponner. Tu devras te montrer prudente mais ouverte.

Six médita tout cela en silence, puis d’un coup, me posa une question qui n’avait rien à voir.

- C’est quoi, ce symbole sur votre veste ? L’emblème des Paxen ?

Je regardai le symbole sur le bras gauche de ma veste avec un sourire.

- On ne passerait pas vraiment inaperçu si on se baladait avec le symbole Paxen sur soi. Non, c’est le dessin d’une Pokeball.

L’air perplexe de Six m’indiqua qu’elle ignorait tout de ce nom.

- Peut-être ton ami Diplôtom en a déjà entendu parler, cultivé comme il est, poursuivis-je. C’est une invention des humains avant la Guerre de Renaissance. Elle leur permettait de capturer un Pokemon et de le déclarer comme leur. Pour l’Empire, c’est le symbole honni d’une époque où les Pokemon courbaient l’échine face aux humains. Mais pour nous Paxen, c’est celui d’un temps où humains et Pokemon cohabitaient et progressaient ensemble. Nous ne voulons pas réinstaurer la Pokeball et le dressage Pokemon, mais au moins revenir à cette interaction bénéfique et collaborative entre nos espèces.

- Et les G-Man ? Quel rôle voulez-vous qu’ils aient ?

Je gardai longtemps le silence, et Six cru que je ne répondrai pas. Je dis finalement, lentement :

- Aucun rôle. Le temps des G-Man est fini. Ils ont protégé la planète et ses habitants durant des siècles comme Aura Gardien, mais désormais, ils ne sont plus rien de cela. Alors qu’humains et Pokemon sont autant à couteaux tirés, eux qui ne sont ni humain ni Pokemon n’ont leur place nulle part.

Six fit la moue, et me dit quelque chose à laquelle je ne m’attendais pas.

- Ah ? J’ai tendance à croire moi qu’ils ne sont pas « ni humain ni Pokemon » comme vous dîtes, mais plutôt un peu des deux à la fois. Ils pourraient être le pont reliant les deux races vers une compréhension mutuelle.

Surpris, je clignai des yeux, puis j’éclatai de rire.

- Tu parles comme moi quand j’étais jeune. Idéaliste, plein d’espoir… et naïf. Terriblement naïf. Ce genre de discours de Bisounours s’en va peu à peu au fil des ans, quand on est témoin de plus en plus d’horreurs.

Remarquant l’air sceptique de la jeune fille, je ricanai.

- Tu dois sans doute me prendre pour un vieux con désabusé hein ?

- Je… jamais je ne…

- Y’a pas d’mal. C’est ce que je suis de toute façon. Mais j’ai survécu jusqu’à aujourd’hui, pour enfin faire changer les lignes ici. J’escomptais pas tomber sur une gamine comme toi en revenant à la capitale, mais faut croire que t’es un cadeau du destin. T’es ma toute première apprentie également. Enfin, apprentie G-Man du moins. Parmi les Paxen, j’ai formé pas mal de personnes à la survie et au combat. Tu me fais un peu penser à l’une d’entre elles, ma dernière élève si on peut dire, Ludmila… bien que tu ais un meilleur caractère qu’elle bien sûr.

Le prénom sembla dire quelque chose à Six.

- Ludmila ? Par Ludmila, vous voulez parler de Ludmila Chen, la Paxen qui a tué le Seigneur Xanthos y’a deux ans ?!

- Ouais, dis-je avec un sentiment de fierté. Je l’ai entraînée, et j’ai entraîné son père avant elle, Braev Chen, le précédent leader des Paxen. Pas sûr qu’je vive assez longtemps pour entraîner la prochaine génération de Chen. Si jamais tout marche ici et que t’arrive entière jusque chez les Paxen, je compte sur toi pour prendre en charge le prochain Chen. Peut-être qu’avec de la chance, ce sera celui qui nous débarrassera enfin de Daecheron, comme sa mère s’est débarrassée de Xanthos. Mais avant cela… la nuit commence à tomber. On va en profiter pour faire une petite balade en ville, tiens.

Je me levai du toit du manoir de Stuon où nous étions installés. Six parut perplexe.

- Une balade en ville ? Vous êtes sûr que c’est prudent ? Les Nettoyeurs doivent toujours me chercher…

- Ouais, et faut que t’apprenne à leur fausser compagnie. Tout cet entraînement ne te servira à rien si tu n’apprends pas à te battre en situation réelle.

Devant l’air inquiet de ma jeune protégée, je lui tapotai l’épaule.

- Te bile pas. Je ne vais pas te faire affronter une garnison de Nettoyeurs ce soir. C’est juste histoire de faire un peu d’exercice. Tu es G-Man de Félinferno non ? C’est un Pokemon souple et adroit, capable de faire des bonds impressionnants, et qui retombe toujours sur ses pattes.

- Et alors ? Demanda Six.

- Alors… on va sauter de toits en toits à travers la ville-haute. Si tu tombes, tu as perdu.

- Et euh… à quoi ça sert ?

- Faut jamais négliger l’entraînement purement physique. Les G-Man qui comptent trop sur leurs attaques Pokemon sont de futurs G-Man morts.

J’amenai la gamine jusqu’à la frontière du quartier G-Man, où l’on pouvait sauter directement sur le toit d’une demeure de la ville-haute juste en dessous.

- Je n’ai jamais sauté de toits en toits, me dit Six avec une voix aiguë.

- Bah faut un début à tout. C’est pas bien compliqué pour un G-Man dont le Pokemon attitré possède de bonnes capacités physiques. Même moi je sais le faire, et pourtant, Terrakium est loin d’être aussi souple que ton Félinferno. Invoque la force que tu tiens de lui dans tes jambes, et laisse-toi guider par ton instinct animal. Tes sens de Félinferno prendront vite le relais. C’est parti !

Avant même que Six ne soit prête, je la poussai avec force dans le vide. J’espérai qu’elle profite de l’élan de mon bras pour bondir, mais elle se contenta de tomber en hurlant. Heureusement, la chute n’était pas bien haute, et sa nature de G-Man félin l’avait effectivement fait retomber sur ses pattes. Ceci dit, je poussai un soupir.

- Y’a encore du boulot…


***


Six



Le lendemain de la petite virée nocturne de Kashmel à travers les toits de la ville-haute, j’étais toute courbaturée de partout, avec un nombre de bleus, avec probablement pas mal de fêlures de gagnées. Kashmel n’avait pas vraiment été satisfait de mes résultats, et m’avait promis de réitérer l’expérience. Il tenait à ce que je puisse me déplacer comme l’Homme-Félin que j’étais censée être. Ayant vécue toute ma vie dans la ville basse, à œuvrer comme voleuse, j’étais certes douée pour courir vite, mais sauter de toits en toits, ça, c’était nouveau pour moi. Mais l’idée me plaisait.

Avec cette capacité, ce serait comme si tout Axendria m’appartiendrait. Pouvoir évoluer dans la nuit, souple et rapide, tel un fantôme. J’aimais bien la nuit, déjà parce qu’il n’y avait pas ce soleil qui m’agressait les yeux et la peau, mais aussi parce que j’y voyais bien mieux que la plupart des gens, sans doute grâce à ma vision nocturne de félin. Je m’étais donc promise de faire d’autant plus d’efforts lors des prochaines escapades avec Kashmel. Ce dernier m’avait d’ailleurs proposé de suivre des cours de son partenaire Pokemon, Furaïjin, qui était plus au fait du déplacement animalier que lui.

Mais pour l’instant, j’avais rendez-vous avec Stuon, qui tenait à ce que l’on prenne le petit-déjeuner ensemble. J’aimais bien Stuon. Pour moi qui était assez sauvage et très réticente à faire confiance à quelqu’un, le G-Man de Queulorior avait cet étrange pouvoir de me faire sentir apaisée et en sécurité. En outre, il était gentil et drôle. Si je respectais et j’admirais même Kashmel, le vieux Paxen était assez antipathique. Lord Stuon m’attendait sur la terrasse de son salon, assis à une table bien ordonnée et préparée, ce qui était très rare dans son manoir. Diplôtom était là aussi, flottant dans les airs en rédigeant des choses sur son journal. Il y avait même Immotist, réduit à son masque impuissant que Stuon s’amusait à décorer.

- Ah, Six, me dit le G-Man avec un sourire de bienvenu. Assieds-toi, assieds-toi. J’étais en train d’avoir une conversation fascinante avec notre ami commun Immotist à ton sujet. C’est lui ici qui te connais le mieux, et je lui ai gentiment demandé de me parler de toi, de ton caractère, de tes habitudes, de tes mimiques ; bref, tout ce qui pourrait m’être utile de savoir en vue de ta future infiltration dans l’Ordre.

Je n’appréciais pas trop l’idée qu’Immotist puisse parler de moi sans que je sois là. Arceus seul sait ce qu’il pouvait bien dire à Stuon me concernant.

- Je veux bien que vous compreniez que je collabore pleinement avec vous, fit la voix du Pokemon Spectre qui sortait du masque. J’aimerai en être récompensé prochainement.

- Oui oui, dit Stuon. Tu vois Six, j’ai passé un marché avec ton ancien propriétaire. On l’aide à récupérer son corps et à se venger de son fils Phamôme le moment venu, et en échange, il mettra son organisation et ses contacts à notre service pour notre petite révolution G-Man.

J’avais envie de lui crier que c’était une très mauvaise idée, qu’on ne pouvait pas faire confiance à Immotist, mais sa présence me retint. Visiblement, je lui étais encore soumise d’une certaine façon, la faute à des années de maltraitance et de soumission. Mais Stuon sembla lire sur mon visage.

- Tu peux émettre des doutes sur la sincérité d’Immotist. J’en ai aussi. Mais il a bien plus à perdre que nous à nous trahir, n’est-ce pas ?

- Bien sûr, bien sûr, lui assura Immotist. Je suis un Pokemon d’honneur ! Je respecte toujours la parole donnée.

- À la bonne heure alors. On verra ce qu’on peut faire pour vous plus tard alors. Diplôtom, veux-tu bien prendre notre ami le masque affreux parlant et nous laisser seuls à seuls avec Six ?

- Oui Seigneur, fit le petit fantôme, qui s’en alla avec le masque d’Immotist entre les mains.

Stuon but une gorgée de son thé, puis m’examina attentivement.

- Je vois que l’homme des cavernes ne t’a pas ménagé, hier soir. Ce sauvage croit qu’un G-Man n’a d’utilité que pour la puissance et la force, mais ce n’est pas avec elles que tu accompliras la mission qu’il t’a confié. Nous devons nous hâter dans ta formation des mœurs et coutumes G-Man. Il y aura dans une semaine une réception organisée par le Grand Maître lui-même, dans le Manoir Irlesquo. Je compte que tu y participes. Ce sera une très bonne occasion de te présenter à l’Ordre.

- Dans… une semaine ?

L’idée de me retrouver entourée de G-Man d’ici là me donna des maux de ventre. Je savais que j’allais devoir un jour ou l’autre me lancer, mais ça me paraissait encore trop tôt.

- Je viendrai avec toi, ne t’inquiète pas, me promit Stuon. Tu auras juste à rester proche de moi et à saluer les gens. Nous allons te faire passer pour ma petite cousine, Sixtine Jarminal, tout droit débarquée de la cité de Dilmatesse, dans le nord.

- Vous avez vraiment une petite cousine ?

- Non. Mais j’ai bien une cousine. À l’époque de mon grand-père, la maison Jarminal était encore assez influente pour avoir le droit de faire deux enfants. Donc j’ai une tante, ainsi qu’une cousine, qui est partie habiter loin de la capitale il y a quinze ans, dans la cité de Dilmatesse, où elle s'est prise d'affection pour un G-Man local, sans titre ni demeure. Tu seras donc leur fille, et moi ton gentil et attentionné grand-cousin qui t’a invité à Axendria pour te faire visiter la capitale et te présenter à l’Ordre.

Ce mensonge m’inquiétait un peu.

- Mais personne n’ira suspecter la supercherie ? Demandai-je. Il doit bien y avoir quelqu’un parmi les G-Man qui sait que votre cousine n’a pas de fille…

- Bah, je ne le sais même pas moi à vrai dire. Peut-être qu’elle en a eu une. J’ai plus de nouvelle depuis son mariage. Mais personne n’ira fouiller de près, pour la simple et bonne raison que tout le monde s’en fiche de la famille Jarminal ou de la cité de Dilmatesse. Ma maison est considérée comme une de seconde zone, voir de troisième. Quant à Dilmatesse, c’est dans la plus profonde cambrousse impériale, où personne ne va. Y’a donc peu de risque. Et le fait que tu viennes d’un coin paumé aura l’avantage de te faire passer pour une rustre et une ignorante, et ainsi, si tu fais un faux pas, personne n’y accordera vraiment attention. Ah, autre chose d’important aussi : nous ne te présenterons pas comme étant la G-Man de Félinferno.

- Pourquoi ça ? C’est un Pokemon mal vu ?

- En aucune façon. Le souci avec Félinferno, c’est qu’il est rare et puissant, surtout de nos jours où on trouve de nombreux G-Man de Pokemon très communs, voir très nuls. Un G-Man de Félinferno ne pourra qu’attirer fortement l’attention. On va se demander pourquoi tu es restée si longtemps à Dilmatesse alors que tu avais tout pour réussir à la capitale. Tout le monde tentera de s’attirer tes faveurs, et tu risques de te retrouver au centre d’un jeu de pouvoir, avec la maison Irlesquo qui tirera les ficelles. Ce n’est pas ce que nous voulons. Il va donc falloir te faire passer pour la G-Man d’un Pokemon un peu moins tape-à-l’œil, de préférence de type Normal, un type relativement inoffensif et commun pour les G-Man. Pas trop fort ou rare pour ne pas attirer l’attention, mais pas non plus trop nul pour que le groupe Lance ait un intérêt à vouloir te recruter.

- Vous avez une idée ?

- Naturellement. J’ai eu le temps d’y réfléchir. Tu connais le Pokemon Mangriff ?

L’image d’un bipède à poil blanc avec de longues griffes et une cicatrice rouge sur le torse me vint à l’esprit.

- Oui.

- Ce Pokemon irait à merveille, car tout comme Félinferno, il a des griffes développées, et tu pourras donc te faire passer pour lui sans problème si d’aventure tu te trouves obligée d’utiliser une attaque quelconque. Puis de plus, avec ta peau pâle, tes cheveux blancs et tes yeux rouges, tu as le physique parfait pour être son G-Man. Je t’ai même confectionné ton habit de G-Man en me basant sur ses couleurs. Tiens, regarde…

Il se leva pour aller chercher une espèce d’ample tunique blanche, avec une sorte d’écharpe rouge dont les deux extrémités pendaient jusqu’aux jambes. Il y avait une ceinture avec des motifs en or, et même un couvre-chef qui ressemblait vaguement à un bonnet.

- Qu’en penses-tu ? Me demanda Stuon avec enthousiasme. J’ai passé une bonne semaine à le faire. Essaies-le.

Je n’étais pas convaincue, mais pour ne pas vexer Stuon, je revêtis la tenue. Finalement, ça m’allait assez bien. L’habit était assez ample et léger à la fois pour ne pas gêner mes mouvements.

- Je me suis inspiré du style ninja, dit Stuon. Ce sont des humains qui vivaient longtemps avant la Guerre de Renaissance, spécialisés dans l’infiltration et le meurtre. Ils étaient rapides, discrets et mortels. Tout comme peuvent l’être Mangriff… et aussi Félinferno. De plus - et c’est un hasard du destin - cette tenue pourrait aussi faire l’affaire pour la G-Man de Félinferno que tu es. Elle a les même couleurs que possède un Félinferno s’il est chromatique, c’est-à-dire blanc et rouge.

Stuon recula pour m’observer sous tous les angles.

- Elle te va à ravir, décréta-t-il, satisfait. Il ne te manque plus qu’une petite coupe, la Lamétrice rituelle des G-Man, et tout le monde croira que tu es une vraie G-Man depuis toujours.

Jamais dans ma vie de misère je n’avais porté d’habits de la sorte. Même s’il allait me falloir le temps pour m’habituer à leur look de carnaval, j’étais en quelque sorte heureuse de pouvoir posséder quelque chose d’aussi… noble.

- Merci… d’avoir fait tant d’efforts pour moi, lui dis-je avec reconnaissance.

- C’est tout naturel. Une G-Man, quelque soit sa naissance, doit paraître comme telle. J’espère que tu porteras cette tenue longtemps encore après que le plan de Kashmel ait réussi, et qu’on te reconnaisse comme la légendaire G-Man de Félinferno qui a fait chuter l’Ordre allié de l’Empire. En attendant ce jour de gloire, nous avons du boulot. Je dois t’apprendre en une semaine à te comporter de façon au moins acceptable pour les G-Man, même si tu es censée venir de la campagne. Tout d’abord - et c’est très important - la façon de s’asseoir convenablement à table !