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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 05/07/2017 à 05:30
» Dernière mise à jour le 09/07/2017 à 07:33

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 10 : Vers la civilisation.
 Encore une fois, Eily était prise au dépourvu. Lorsque Tza lui avait demandé de monter dans la caravane, elle ne pensait pas que cette dernière se mettrait immédiatement au mouvement, et pire, que c’était Tza elle-même qui prendrait les rênes.
Si la demoiselle cyan était parfaitement consciente qu’il ne fallait jamais sous-estimer les capacités de quelqu’un, elle ne pouvait pas s’empêcher d’émettre des inquiétudes. Surtout lorsqu’elle réalisa que la caravane allait bien trop vite tout en étant bien loin de partir droit : Tza n’arrivait même pas à tenir correctement la lanière du cheval avec ses petites mains !

— T-Tu es certaine que tu sais conduire ce machin ? s’écria Eily.
— J’ai déjà vu Inam faire.
— … Ok. Tu sais, je pensais qu’on attendrait quelqu’un d’autre avant de se mettre en route… vous n’êtes tout de même pas venue seules au camp des Agrios, Inam et toi ?
— On est venue avec une escouade de soldats impériaux. Mais ils ont leurs propres caravanes, pour transporter les autres esclaves. Et puis, vous ramenez en ville, Ifios et toi, est une mission secrète, les soldats ne doivent pas être au courant pour vous. C’est pourquoi on ne peut pas les attendre.

« Une mission secrète ? s’intrigua Eily. De mieux en mi… ! »

Brusquement, la roulotte cogna à pleine vitesse dans un petit rocher, provoquant ainsi un magnifique vol plané où le vol était indéniablement plus maîtrisé que l’atterrissage.

— Nyaah ! paniqua Eily.
— Les roues sont encore intactes, … je pense, tenta Tza de la rassurer.
— C-Comment ça tu penses ?!

« … j-je vais mourir… j’ai survécu à un mois d’esclavage… pour mourir bêtement dans un accident de la route ! »

Pendant que le teint d’Eily devenait de plus en plus livide, Caratroc, lui, essaya quand même de raisonner leur – trop – jeune conductrice :

— Tu ne pourrais pas aller moins vite au moins ? D’autant plus que la visibilité est quasi-nulle…
— Il faut faire le plus vite possible.
— … peut-être, mais sous sommes sur une route montagneuse de nuit, c’est dangereux !
— Mmh…

Tza sembla réfléchir un instant, avant de proclamer fièrement :

— On survivra à un accident. Je pourrais m’éjecter à temps, Eily pourra se soigner de ses blessures, Ifios est assez endurant, et toi tu as une carapace très solide.
— Le mieux serait quand même de ne pas avoir d’accident ! Tu sais ce que l’on dit, vaut mieux prévenir que guérir !
— Je pense qu’il vaut mieux survivre que mourir.

Caratroc se mordit les lèvres, comprenant qu’il serait très difficile d’avoir le dernier mot contre cette étrange gamine.
Tza ne prit nullement compte des inquiétudes de ses passagers, elle continua le voyage à la même allure, ne modérant même pas sa vitesse dans les virages. Eily et Caratroc se serraient l’un contre l’autre, craignant le pire à chaque seconde.

— … j’ai l’impression qu’on est plus souvent dans les airs que sur terre ! se plaignit Eily.
— Ce n’est pas qu’une impression…, geignit Caratroc.

Eily pensait de plus en plus que sa dernière heure était arrivée. À chaque mètre parcouru, la caravane s’envolait à plus de dix centimètres du sol, secouant ses passagers comme jamais. À un moment, la demoiselle cyan se demanda même s’il n’était pas plus sûr que de sauter de la roulotte et de continuer à pied ; Caratroc l’en dissuada néanmoins.
Eily soupira et lança un regard envieux à Ifios, qui dormait encore dans un coin de la caravane, nullement dérangé par l’agitation ambiante.

« J’ai presque envie de le réveiller juste pour qu’il souffre avec nous… », grinça-t-elle mentalement.

Mais après avoir rouspété, Eily réalisa quelque chose :

« Un instant, il ne m’a pas encore revu depuis que je lui ai révélé ma véritable nature. Tss, s’il se réveille je vais devoir m’excuser… finalement, je préfère qu’il roupille encore un petit moment… »

Juste après avoir pensé cela, la demoiselle cyan remarqua que les paupières du dormeur commencèrent à s’agiter. Eily lâcha un petit ricanement sinistre à destination du destin. Et ni vue ni connue, elle lui donna un gros coup sur le crâne, le replongeant efficacement dans les bras de Morphée.

— Qu’est-ce que tu fais ? se retourna Caratroc.
— Rien de spécial, sourit innocemment Eily.
— … mouais, plissa des yeux une tortue loin d’être dupe.


 ***

 Après une heure de route à prier tous les dieux possibles et imaginables, Eily et Caratroc pleurèrent de joie : ils avaient enfin quitté les montagnes, et en un seul morceau. Qu’est-ce que c’était réconfortant, de ne plus être secoué toutes les deux minutes, et de ne plus craindre pour sa vie !
Tza conduisait toujours aussi vite, mais le paysage montagneux avait laissé place à de longues plaines de plus en plus verdoyantes. Un terrain plat donc, où les risques de vol plané était proche de zéro.

— Où l’on va exactement au fait ? demanda Eily à tout hasard.
— À Aifos, la ville de la sagesse.
— Aifos ?

À l’image d’Inam, ce n’était pas un nom qui lui était inconnu. Aifos était l’une des plus grandes villes de Prasin’da. Un lieu immense où il y faisant bon vivre ; une réputation que l’on devait au travail d’Omilio, le Foréa Impérial qui dirigeait la ville.
Eily fit rapidement le lien, mais voulut toutefois demander la confirmation.

— Nous allons voir Omilio, c’est cela ?

Tza tourna légèrement la tête, surprise.

— … oui. Inam te l’as dit ? Je pensais que ça devait rester secret…

Eily sourit, fière et suffisante.

— Non, mais c’est très logique. Tu as dit que j’étais au centre de toutes les discussions chez vous, n’est-ce pas ? Et de ses discussions a résulté une mission de sauvetage, menée par Inam. Inam étant une Foréa Impériale, j’imagine qu’elle a des liens avec les autres. De plus, tu as dit que les véritables objectifs de la mission étaient secrets, que de simples soldats n’avaient pas à en avoir connaissance. Donc, seuls les plus hauts gradés sont au courant, et qui sont les plus hauts gradés de la région ? Les Foréa. Et puisque nous nous dirigeons vers Aifos, il est par conséquent logique que nous allons voir le Foréa dirigeant la ville, à savoir Omilio.

Tza hocha la tête, impressionnée.

— Tu es intelligente.
— Mais non, mais non, il n’y a rien d’exceptionnel à ça, fanfaronna la demoiselle.
— Eily…, soupira Caratroc devant la modestie feinte de sa partenaire.

Eily sourit innocemment. D’humeur joyeuse, elle laissa son regard se perdre dans les immenses plaines obscurcit par le voile nocturne. Les montagnes Agrios paraissaient bien lointaine à présent ; sa vie en captivité resterait sans doute jamais à graver dans son esprit, mais Eily avait bien l’intention d’enfouir cette terrible expérience au plus profond d’elle. Elle allait retrouver sa liberté et pouvait à nouveau vivre comme avant… enfin presque.

L’image d’Athoo et de Nester apparut dans son esprit. La bonne humeur de la demoiselle en prit un coup. Elle réalisa encore une fois qu’elle ne les reverrait plus jamais. Comme les montagnes, l’orphelinat n’était plus que passé. Désormais, la seule chose qu’elle pouvait faire était de vivre pour eux, afin de donner un sens à leur vie injustement arrachée.
C’était ce qu’Eily se disait pour se rassurer, pour se remotiver, mais sa tristesse reprit le dessus. Des larmes perlèrent lentement sur ses joues ; elle tenta de les contrôler mais échoua lamentablement.

Pendant un mois, elle avait joué la fille forte, elle avait endurci son cœur pour pouvoir survivre dans des circonstances inhumaines. Elle n’avait jamais eu le temps de véritablement pleurer ce qu’elle avait perdu, alors, ses larmes ne s’arrêtèrent pas. Elles continuèrent d’affluer, trempant son cou, sa poitrine, ses jambes.
Ses sanglots devinrent de plus en plus audibles, jusqu’à couvrir le roulement de la caravane.

Caratroc caressa la tête de sa partenaire, compréhensif. Il se doutait bien qu’à un moment où un autre, tout son chagrin finirait par éclater. Il fallait que ce ressentiment sorte ; lui-même se laissa aller et pleura à son tour.
Tza tourna la tête vers ses deux passagers, surprise. Elle mit cet éclat de tristesse sur le compte de la tension, à mille lieues d’imaginer ce qui se passait véritablement.

Dans un coin de la caravane, le troisième passager s’était réveillé il y a peu. Toutefois, il préféra feindre le sommeil un peu plus longtemps. Il était totalement perdu. Son dernier souvenir était Inam, qui l’avait interpellé au camp Agrios. Désormais, non seulement il avait affreusement mal au crâne, mais il se trouvait dans une roulotte conduite par une gamine portant une lame gigantesque, en compagnie d’Eily qui pleurait toutes les larmes de son corps.

« … j’ai l’impression d’avoir raté pas mal de choses… »


 ***

 Il fallut un bien long moment ponctué de discordantes lamentations avant qu’Eily et Caratroc ne se calment. Leurs larmes continuèrent à ruisseler, mais leurs sanglots disparaissaient peu à peu.

Ifios choisit ce moment pour se redresser, dévoilant qu’il était bel et bien réveillé. Son crâne saturait de questions, mais il préféra en garder la plupart pour lui pour l’instant. Il préféra se concentrer sur Eily, dont les yeux gonflés et rougis lui retournait le cœur.

« Je ne lui ferais pas l’affront de lui demander si elle va bien… », soupira mentalement l’adolescent.

Ifios avait encore en mémoire cette fameuse scène où Eily lui avait dévoilé sa véritable nature. Il devait arrêter d’être faux, de se glisser dans la fictive armure d’un chevalier servant. Toutefois, il avait envie de soutenir la demoiselle ; il ne pouvait supporter de la voir dans un tel état.

« … je ne dois pas dire de bêtises… », réfléchit-il.

Ifios se plongea dans ses pensées. En soit, ce n’était pas si étrange qu’Eily soit en pleurs après un mois de captivité. Cependant, il sentait que son mal-être était bien plus profond que cela. L’adolescent fit alors un gros effort de mémoire, rassemblant leurs précédentes discussions, à la recherche d’un détail pouvant l’aider. Soudain, un fragment spécifique lui revint en mémoire ; il hocha la tête, se donnant du courage.

— … tu penses à l’orphelinat ?
— …

Eily se retourna vers Ifios, étonnée. Elle n’avait pas remarqué qu’il avait échappé à sa torpeur. De plus, elle ne s’attendait absolument pas à ce qu’Ifios lui parle de l’orphelinat. Elle se souvenait de lui en avoir parlé il y a quelques jours, mais elle ne pensait pas qu’il ferait le lien aussi facilement.

— … oui, soupira finalement Eily.

Ifios se serait bien réjoui d’avoir visé juste, mais il considéra que ce serait mal venu vu les circonstances.
Ce que ressentait présentement la demoiselle le dépassait totalement. Lui qui n’avait vécu qu’une vie tranquille, sans grande agitation, ne pouvait pleinement comprendre la peine immense de voir sa vie s’écrouler devant ses yeux.

— Laisse-la tranquille.

Toujours en train conduire la roulotte, Tza s’adressa directement à Ifios.

— Tu n’as pas de questions ? poursuivit la fillette.
— … euh… si… mais…
— La route est encore longue. J’ai le temps de te donner des réponses.
— … très bien.

Ifios n’avait pas tellement envie de laisser Eily à ses larmes, mais il réalisa qu’il ne pouvait rien faire de particulier pour la réconforter. Et puis, elle n’était pas seule, elle avait son Ensar avec elle.
Constatant que son passager avait son attention, Tza se lança dans un long récit. Elle expliqua à Ifios exactement la même chose qu’elle avait expliqué à Eily plus tôt.

L’adolescent baissa les yeux, perplexe. Il pouvait comprendre qu’Eily intéresse Inam, puisqu’elle possédait un Ensar, mais il ne saisissait pas la raison de sa propre présence dans cette caravane. Puisqu’il était le fils de Danqa, donc théoriquement un criminel, Ifios se serait plus attendu à être ligoté et surveillé par des soldats impériaux.
Et son incompréhension fut loin de se tarir, surtout lorsque Tza lui avoua qu’elle-même ne savait pas ce qu’il faisait ici.

« J’imagine que j’en apprendrais plus à Aifos… »

L’ex-Agrios fureta vers Eily, qui avait toujours ce chagrinant air triste sur le visage. Il s’en voulait de ne savoir quoi dire pour lui remonter le moral, mais en même temps, il savait qu’Eily n’apprécierait pas qu’il se montre trop insistant. Alors, il décida de prendre sur lui, ne voulant détériorer leur relation qui était déjà bien mal partie.


 ***

 Tza étouffa un long et embarrassant bâillement. Mine de rien, elle commençait à fatiguer ; la nuit la berçait de plus en plus. Niveau sécurité, ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux.

« … résister… au sommeil… »

Toutefois, Tza faisant de son mieux de rester consciente. Elle n’avait qu’une idée en tête, revenir à Aifos le plus vite possible. Elle savait très bien que c’était impossible, la ville de la sagesse était plusieurs heures de route, faire une halte serait obligatoire. Mais la fillette était bornée, elle préféra accélérer plutôt que de chercher un endroit où se reposer.

« … résister… au…s… »

Soudain, la roulotte fut fortement secouée. Eily, Caratroc et Ifios sursautèrent, surpris ; et ils le furent d’autant plus lorsque la tortue rondelette pointa un fait inquiétant :

— C’est moi ou l’on est sorti de la route ?

Et effectivement, la caravane avait quitté le chemin de terre pour aller vagabonder dans les herbes. Mais ce n’était pas tout…

— … et c’est encore moi, ou notre conductrice s’est endormie ?!
— … !

Eily et Ifios se mordirent les lèvres, comprenant qu’ils n’étaient pas dans la meilleure situation possible. Surtout que la caravane allait de plus en plus vite !

— I-Il faut rediriger le cheval ! s’écria Caratroc.
— J-Je ne sais pas faire ça moi ! s’alarma Eily.

La demoiselle se tourna brusquement vers Ifios. Il avait été élevé chez les Agrios, qui se déplaçaient eux-mêmes dans des caravanes tiraient par des chevaux ; la conclusion était logique.
Ifios remarqua le soudain intérêt que lui portait Eily, et il en était plutôt flatté. Toutefois, même s’il aurait aimé être le héros de la situation, il préféra dire la vérité :

— … désolé, j-je ne sais pas trop y faire avec les chevaux !

Eily plissa les yeux, désabusée. Ifios grinça des dents :

« … je suis sûr qu’elle pense que je suis pire qu’inutile maintenant… », geignit-il mentalement.

Eily soupira lourdement :

« Bon, au moins il est honnête… », admit-elle dans sa tête.

Caratroc avait bondit au niveau de Tza, essayant de la réveiller du mieux qu’il le pouvait. Malheureusement, la fillette était une véritable souche. Eily et Ifios, rejoignirent l’Ensar à l’avant de la caravane ; il fallait faire quelque chose, et vite !

— Alors…, réfléchit Ifios, il faut saisir les rênes, c’est ça ?
— Je pense que c’est un bon début…, admit Eily.

Ifios tira sur les lanières de toutes ses forces, dans le but d’arrêter l’animal. Cela ne sembla visiblement pas plaire au cheval, qui poussa un terrible hennissement avant de détaller à une vitesse encore plus extrême que précédemment.

— … oups ?
— Imbécile ! s’emporta Eily.
— Hé ! J’avais dit que je ne savais pas y faire ! riposta Ifios.

Pendant que Tza roupillait tranquillement, la roulotte devenait folle. Ni Eily, ni Ifios ne parvenait à faire entendre raison à la monture. La caravane allait désormais si vite qu’il fallait lutter pour rester droit et ne pas se faire emporter par l’allure absurde.

— C’est dingue que ce cheval soit aussi rapide ! lança Ifios. On reconnaît bien là une monture impériale !
— Finalement, Tza est assez douée pour arriver à conduire une bête pareille ! rajouta Caratroc.
— Ce n’est pas le moment d’être impressionné ! grinça Eily.
— Bon, dans ces cas-là, il n’y a plus qu’une chose à faire, se résolut Caratroc.
— … Troctroc ? s’étonna Eily. Qu’est-ce que…

Subitement, l’Ensar cracha une multitude de toiles gluantes par chacun des trous de sa carapace. Chacune des sécrétions fusèrent vers les pattes du cheval, les liants solidement deux à deux. L’animal hennit de plus belle, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Vivement stopper dans son élan, il trébucha violemment, s’écrasant brutalement sur le sol. Évidemment, il entraîna la roulotte dans sa chute.

— Aaaaah !!

Eily, Ifios, et Caratroc sentirent le monde tourner, se retourner, et se re-retourner autour d’eux. Pendant de trop longues secondes, il n’y avait plus ni de haut ni de bas, juste un paysage confus et brouillon atrocement conjugué à d’effroyables bousculade permanentes.

Lorsque la roulotte s’arrêta enfin, Eily eut la furieuse envie de vomir tout le contenu de son estomac. Heureusement, vu qu’elle venait de passer un mois en captivité, elle n’avait pas grand-chose dans le ventre, ce qui empêcha la catastrophe d’arriver.
Malheureusement, ce n’était pas le cas d’Ifios, dont l’estomac lui jouait aussi des tours. Et un malheur n’arrivant jamais seul, Ifios se trouvait très – trop – près de la demoiselle cyan…

Une sublime et subtile musique signant une insolite expulsion digestive embellit soudain la belle nuit parfaitement étoilée ; une vigoureuse et aiguë note féminine se déchaîna dans la foulée, sublimant le tout.

— IFIOOOOSS !

Folle de rage, Eily se releva tant bien que mal. Visiblement, elle n’appréciait pas vraiment la visqueuse touche kaki que l’adolescent venait de rajouter à sa robe.

— … oups ? sourit très maladroitement le pauvre Ifios encore un peu secoué.

Eily n’avait plus qu’une envie ; voir le sang couler de cette insupportable chose prétendant être humain qui s’éloignait peu à peu d’elle. Oubliant toute manière, la demoiselle cyan – ou kaki c’est selon – s’élança furieusement vers Ifios, qui ne perdit pas son temps pour prendre ses jambes à ses cous. Les deux adolescents tournèrent ainsi devant la caravane un long moment, pendant que Caratroc soupirait :

— Et pas un merci pour moi j’imagine…

Un léger enchaînement de bruits sourds détourna soudain l’attention de l’Ensar. Progressivement, une certaine fillette émergea de la roulotte accidentée, s’essuyant les yeux comme si de rien n’était.

— … c’est déjà le matin ? demanda-t-elle innocemment.

Caratroc la fixa, désabusé :

— Et c’est maintenant que la princesse se réveille.


 ***

 Quelques minutes plus tard, la situation s’était enfin plus ou moins calmée. Des tensions régnaient encore, mais les discussions étaient désormais possibles. Eily avait demandé à Caratroc de cracher un amas de toile sous forme de boule, créant ainsi une éponge de fortune. Ce n’était pas extrêmement efficace, mais la fabrication improvisée eut au moins pour mérite d’enlever une majorité de liquide.

— Je veux prendre un bain, exigea néanmoins Eily.
— Tu ne viens pas d’en prendre un ? gloussa Caratroc.

La tortue rondelette pointa malicieusement la robe de sa partenaire, portant encore des traces de restes alimentaires.
L’ironie soudaine et inattendue de l’Ensar fit brusquement pouffer Ifios, qui se ravisa très vite. La demoiselle cyan sentit son sang ne faire qu’un tour.

— Parce que vous trouvez ça drôle ?!

Ifios détourna le regard. De un parce qu’il se sentait évidement coupable, et de deux parce que voir l’Eily d’ordinaire si calme faire des pieds et des mains l’amusait plus que de raison.

— Écoute Eily, lança plus sérieusement Caratroc. C’est un accident, ce sont des choses qui arrivent !
— Je m’en fiche ! Tu ne sais pas ce que c’est, non seulement je pue la mort, mais en plus ma robe est toute poisseuse ! J’étais bien mieux traitée dans les geôles des Agrios !

À bout de nerfs, Eily continua à crier sur Caratroc, qui s’amusait plus des réactions de sa partenaire qu’autre chose. Pendant ce temps, Ifios comptait les étoiles dans le ciel, et Tza inspectait la roulotte déchue.

— Encore en état, se rassura-t-elle.

La fillette lâcha un énième bâillement. Elle comprit enfin qu’elle était bien trop épuisée pour reprendre la route. Elle avait passé la journée à se préparer pour l’opération d’aujourd’hui, et le combat contre Sidon n’était pas non plus de tout repos. Dans son état, faire une nuit blanche en conduisant n’était pas ce qui était le plus conseillé.

« … oh. »

Plissant les yeux, la fillette aperçut une agglomération de différentes formes très distinctives au loin, disposées en arc de cercle.

« Un village », réalisa-t-elle.

Qui disait village disait forcément auberge. Il était certes un peu tard, mais en ce montrant un peu insistante, Tza espérait pouvoir trouver une chambre.

— Eily, Ifios, Troctroc, les appela-t-elle.
— … elle aussi m’appelle comme ça maintenant ? soupira Caratroc.
— Quoi ? répondit violemment Eily encore de mauvaise humeur.

Tza pointa le village au loin.

— Là-bas. On va pouvoir se reposer.
— … et me baigner ! réalisa rapidement Eily.

Cette simple perspective remotiva la demoiselle au maximum.

— Euh, mais on y va comment ? pointa Ifios.

L’adolescent désigna la roulotte, encore au sol. Tza secoua la tête, signalant que ce n’était pas un problème. Et effectivement, ce n’était pas un. En deux temps trois mouvements, la fillette souleva la caravane de ses frêles bras et la repositionna comme l’accoutumée, sous les regards ébahis d’Eily, Ifios, et Caratroc.

— Voilà, vous pouvez monter maintenant.

Encore sous le choc, les trois passagers sautèrent le pas. Ne jamais mécontenter une gamine pouvant soulever plus de dix fois son poids sans le moindre effort, surtout si elle avait une épée. Eily fit quand même attention à se placer le plus loin possible d’Ifios, lui adressant au passage son plus beau regard noir.
Tza libéra ensuite le cheval des toiles de Caratroc. L’animal était mécontent de son sort et sembla refuser de retourner au travail, mais Tza sut le rassurer suffisamment pour qu’il fasse un effort. Rassurer, ou menacer, ce n’était pas très clair dans la nuit.

La caravane se remit en route, à un rythme plus régulier ; le village approchait de plus en plus. Une fois arrivée, chacun s’empressa de regagner la terre ferme, à la recherche d’une auberge. Heureusement, la magie des enseignes les guida rapidement à destination ; ce village n’était pas spécialement grand, il était très simple de s’y repérer.

Le groupe se retrouva finalement devant le précieux bâtiment, il n’était pas particulièrement admirable, mais il se distinguait assez des autres habitations, plus modestes.

— Et bien sûr c’est fermé, soupira Ifios.
— Il est minuit passé aussi, fit remarquer Caratroc.
— Laissez-moi faire.

Tza usa de sa clef spéciale pour déverrouiller la porte, autrement dit, elle se servit de son épée. Encore une fois, Eily, Ifios et Caratroc restèrent bouche-bée. Le trio observa, apeuré, les monceaux de bois qui composait autrefois une porte.

Subitement, des bruits de pas se firent entendre à l’intérieur. Il fallait dire que Tza n’avait pas été très discrète. Un homme portant tenue et bonnet de nuit surgit soudain, une lanterne à la main.

— D-Des voleurs ! s’écria-t-il. Des voleurs ! Alerte !
— Vous êtes le gérant ? s’avança Tza.
— N-N’approchez pas !
— Vous êtes le gérant ? répéta la fillette.
— … o-oui, c’est moi ! Dégagez, ou vous le regretterez !

Mais Tza n’était pas du genre à se faire impressionner par un freluquet en bonnet de nuit. Et alors que le freluquet en question semblait au bord de la crise de panique, la fillette lui jeta une bourse bien remplie. L’homme l’attrapa de justesse, interloqué.

— Ça devrait payer la porte.

Perplexe, le gérant ouvrit la bourse, avant de pousser le plus beau juron de sa vie. L’aubergiste retira une pièce en particulier, une qui était bien plus épaisse que les autres. Il la leva juste au-dessus de ses yeux, la fixant longuement avec stupéfaction, avant de la rendre à Tza.
Lentement et silencieusement, l’homme laissa ses bras tomber le long de son corps. Il fit demi-tour, posant la lanterne sur le comptoir de l’accueil. Subitement, il se retourna, complètement métamorphosé. Un large sourire ornait son visage désormais exubérant, il courbait également légèrement le dos, tout en frottant ses mains l’une contre l’autre.

— Que puis-je faire pour vous, très chers voyageurs ? déclara-t-il d’une voix mielleuse.
— Nous voulons des chambres, trois si possibles.
— Si c’est possible ? Mais mes amis, tout est possible pour vous ! Venez, je vais vous accompagner !

Tza hocha la tête, satisfaite, et fit signe au reste du groupe de la suivre.

— … il y avait quoi dans cette bourse ? demanda Ifios.
— 1 000 Vasils, répondit nonchalamment Tza.
— 1 000 ?! bondit Eily. J-Je n’ai jamais vu autant d’argent…
— Il y avait aussi le sceau officiel d’Inam, compléta Tza. Grâce à lui, je peux prouver que je suis affiliée aux Foréa Impériaux.

Eily lâcha un ricanement nerveux. Le brusque changement de comportement du gérant n’était plus si étrange, finalement. Les Foréa étaient considérés comme des demi-dieux ; personne n’oserait aller à l’encontre de leurs proches.

Le gérant de l’auberge leur présenta ses trois meilleurs chambres. Toutefois, Eily put dire que ce n’était pas le grand luxe ; même sa chambre à l’orphelinat était plus somptueuse et entretenue – c’était dire. La demoiselle ne fit cependant pas la fine bouche, surtout lorsqu’elle aperçut dans un coin du mur un baquet pour le bain. Eily demanda toutefois à l’aubergiste de lui ramener de l’eau chaude et des vêtements de rechange. Le gérant s’empressa de lui accorder son souhait, et avec le sourire.


 ***

 Confortablement installée dans la bassine en bois, Eily appréciait l’eau chaude voguant sur sa peau. Être capable de profiter d’un tel luxe lui rappela une nouvelle fois qu’elle était bel et bien libre. D’ailleurs, même si elle devait théoriquement suivre Tza, rien ne l’empêchait de prendre la fuite, là, cette nuit.

« …mais pour aller où ? »

Plus elle y pensait, et plus elle se disait que c’était une mauvaise idée. De plus, si elle continuait d’accompagner Tza, elle finirait par rencontrer Omilio, ce qui l’intéressait énormément. Un Foréa Impérial pourra sans doute l’éclairer sur ses pouvoirs.

« Et en parlant de pouvoir… »

Eily repensa à ce que Tza lui avait dit. Son corps possédait apparemment la capacité de se régénérer, expliquant ainsi pourquoi elle n’était pas morte pendant l’attaque de l’orphelinat.

— … dis Troctroc.

Caratroc, qui testait le piètre confort du lit, tourna sa tête vers sa partenaire.

— Oui ?
— Tu le sais, toi, non ? Ce qui s’est passé à l’orphelinat. Je ne te l’ai jamais demandé mais… tu sais… quand j’étais avec Athoo… je… je ne me souviens de rien après ça. Mais je crois que tu étais avec nous, non ?

L’Ensar se mordit les lèvres. Comment pouvait-il oublier cette scène ? Alors que les mystérieux pyromanes allaient la tuer, Eily était comme entrée dans un état second. Non seulement son corps était devenu insensible aux armes de ses assaillants, mais en plus, Eily anéantissait impitoyablement quiconque osant lever la main sur elle.

Caratroc n’avait pas pour habitude de mentir à Eily, il ne l’avait même jamais fait. Mais comment lui expliquer cela ? Comment lui dire qu’elle avait du sang sur les mains ? Qu’elle avait tué plus d’une dizaine d’hommes ? Elle ne le supporterait pas. Ce n’était peut-être pas honnête, mais Caratroc préférait que pour l’instant, Eily reste dans l’ignorance.

— N-Non, souffla-t-il. T-Tu ne t’en souviens pas, mais tu m’as rappelé instinctivement… sûrement pour me protéger !
— … mmh…

Eily sentit que Caratroc n’était pas dans son état normal, mais elle mit cela sur le compte de la fatigue. L’idée même que son partenaire puisse lui mentir lui était inenvisageable, s’il le disait, c’était certainement vrai. C’était ainsi que fonctionnait leur duo, une parfaite et mutuelle confiance.

— Tant pis, soupira Eily. Ce n’est pas grave c’est… ça fait partie du passé.

Un passé qui martyrisait encore le cœur de la demoiselle. La demoiselle éclaboussa son visage, faisant disparaître ses larmes naissantes. C’était plus fort qu’elle, dès qu’elle pensait à l’orphelinat et à ses anciens amis, la tristesse l’envahissait. Une tristesse immense, ainsi qu’une rage noire, profonde.

Eily sortit du baquet, glaciale malgré la chaleur de l’eau. Elle s’essuya avant d’enfiler la vieille tunique que l’aubergiste lui avait remise un peu plus tôt ; elle était peu confortable et grattait un peu, mais au moins elle ne sentait pas le vomi. La demoiselle cyan se laissa tomber sur un pauvre lit grinçant ; plus vite elle trouverait le sommeil, et plus vite ses idées noires s’évaporeraient.

Pourtant, lorsqu’elle pénétra enfin le pays de Morphée, ce fut bien les souvenirs de l’orphelinat qui la hantaient, encore et toujours. Elle revit les pyromanes. Elle revit ces hommes effroyables tuer ses amis les plus chers. Mais ce n’était pas un cauchemar, c’était un rêve. Ici, Eily n’était plus impuissante. Sans qu’elle ne sache pourquoi, elle possédait une force hors du commun, à en faire pâlir Danqa, Tza, ou même les Foréa Impériaux.

La demoiselle se voyait faucher, écraser, annihiler chacun de ses ennemis, marquant chacun d’entre eux de son ire inexorable. Elle se voyait répandre le sang, tellement de sang qu’un lac, puis un océan se forma. Au centre de cet univers macabre, Eily ne ressentait pas la moindre once de culpabilité, ni même de dégoût. Elle n’était envahie que d’une intense et jouissive satisfaction.
Dans le monde réel, un sourire de plus en plus carnassier défigurait peu à peu le visage de la douce Eily.