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La Fin justifie-t-elle les Moyens ? de Vesper-Fenril



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» Auteur : Vesper-Fenril - Voir le profil
» Créé le 30/06/2017 à 02:19
» Dernière mise à jour le 02/07/2017 à 19:04

» Mots-clés :   Action   Aventure   Hoenn   Présence d'armes   Suspense

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I. Investigation
L’Iceberg stationnait sur le Chenal 108 depuis quelques nuits déjà.

Cette frégate aux dimensions colossales étendait son empire jusqu’à la ligne d’horizon. Le clapotis de l’onde sur sa coque en titane évoquait quelquefois les courbettes d’un laquais, soulignant ainsi la majesté du bâtiment. Trois grands mâts déployaient des voiles bleu marine que gonflait à grand-peine le murmure du vent. Sur la plus large d’entre elles était brodé un « A » caractéristique qui inspirait à lui seul une profonde terreur. Et le ciel non plus n’était pas épargné par la menace : continuellement braquée sur lui, la bouche d’un gigantesque canon érigé sur le pont principal semblait défier l’empyrée.

À son bord, hommes et femmes d’équipage vaquaient à leur besogne habituelle, naviguant entre effort et indolence. Le soleil à son zénith, d’une caresse, invitait quiconque à se plonger paresseusement dans la contemplation d’une mer placide, ridée seulement par quelques vaguelettes. Certains, surpris à lanterner sur le pont ou ailleurs, ne furent même pas réprimandés, mais simplement rappelés à l’ordre.

Dans sa cabine, Arthur piaffait d’impatience. Son regard allait d’une carte déroulée sur son bureau au radar dans sa main droite ; les informations fournies par l’une et l’autre ne correspondaient pas. Alors, d’un geste rageur, il jeta l’appareil sur le plan de travail.

— Faites attention, capitaine, à ne pas endommager le Cherch’Objet. Nous ne pouvons pas nous en priver, si près du but.

La voix provenait de l’encadrement de la porte et appartenait à une femme de haute stature. La vingtaine, une longue tresse rousse, elle arborait l’uniforme de l’équipage – bandana, t-shirt rayé, pantalon bleu marine – avec une fierté zélée. Les traits qui crispaient son visage dénotaient, eux, une austérité manifeste, un respect des hiérarchies ainsi qu’un souci du travail correctement exécuté.

— Ce gadget ne m’sert déjà pas à grand-chose, de toute façon, se défendit Arthur. Rien ne barbote par ici, absolument rien !

Il accompagna ses paroles d’un ample mouvement de bras, qui se termina par un poing au bout duquel tinta une armoire vitrée. Celle-ci trépida encore quelques instants après le choc, comme si elle digérait l’affront.

— L’océan… songea Arthur, soudain rêveur, en contemplant ce qu’elle renfermait de bibelots marins. J’éluciderai jusqu’au dernier de ses secrets !

L’espace d’un instant, le bleu de ses yeux, pareil aux profondeurs qu’il désirait sonder, parut percer les brumes de l’avenir.

L’homme qu’il était respirait le charisme et l’autorité. Sa silhouette haute et large, tout en muscles, prenait solidement ancrage dans le sol. Une barbe noire comme le jais dévorait sa mâchoire jusqu’aux joues et lui avait valu quelque ressemblance avec un triste mais néanmoins célèbre personnage de conte de fée. Un bandeau dissimulait chacune des mèches de ses cheveux et clamait son appartenance par un « A » en tout point identique à celui de la voilure. Cela, couplé à la prestance qui émanait de sa personne, soufflait d’emblée toute velléité de mutinerie.

Toujours derrière son bureau en métal patiné, il croisa les bras sur son torse bombé et considéra sa subalterne avec gravité.

— Freyja, quelles sont les nouvelles du pont ? s’enquit-il.

La dénommée Freyja avança d’un pas dans la pièce, comme si elle eût attendu la permission avant d’entrer.

— Le moral de l’équipage chute de jour en jour, mon capitaine, répondit-elle avec raideur. S’il ne trouve rien très bientôt, cela pourrait compromettre les recherches.

Arthur réfléchit, parut peser le pour et le contre d’une décision. Enfin, il fit connaître le résultat de ses délibérations :

— Si demain nous n’avons toujours rien trouvé, nous prendrons le cap sur l’ouest. Le signal émis par le radar nous aura alors induit en erreur et nous devrons reprendre nos recherches à zéro.

La discussion était close à présent, et le capitaine le signifia à son bras-droit d’un imperceptible hochement de menton. La porte se referma derrière Freyja, et Arthur se laissa absorber par ses cartes.

— Alors…



— Épave à tribord !!!

Flint, la vigie de l’Iceberg, s’époumona de la sorte deux minutes durant. Ces quelques jours au cours desquels il s’était coulé dans l’oisiveté lui avait manifestement rendu des forces.

Sa voix s’engouffra dans les coursives du navire et parvint jusqu’à la cabine d’Arthur, qui se précipita tout de go à l’extérieur.

Une épave ?

Une tempête, que l’on n’eût pas soupçonnée en des eaux si calmes, avait sévi une semaine plus tôt. Tout ce temps, Arthur était parti à la recherche de ce qui ressemblait peu ou prou aux décombres d’un bâtiment ; de pareilles vestiges étaient une véritable aubaine pour des pirates.

D’un pas pressé mais avec néanmoins un certain contrôle sur lui-même, Arthur arpentait l’intérieur de l’Iceberg lorsqu’un jeune mousse, qui arrivait depuis la direction opposée, manqua de le percuter.

— Capitaine ! J’vous cherchais ! C’est… C’est… balbutia-t-il.

Ses fonctions langagières semblaient court-circuitées par l’émotion, suscitée tant par l’événement que par le regard grave que posait sur lui son capitaine. Ce dernier leva la main droite, paume ouverte, intimant au matelot de retrouver son calme et de retourner à son poste. Le jeune homme détala ensuite sans demander son reste.

À l’extérieur, Arthur inspira une grande goulée d’air pur, saturé en iode, tandis qu’un large sourire de satisfaction s’épanouissait sur ses lèvres. Flint descendit lestement de la hune, atterrit sur ses pieds et se campa devant son capitaine. L’on eût dit alors que sa fine silhouette allait se faire avaler par celle, beaucoup plus robuste, de son vis-à-vis.

Arthur émit un ricanement, qui se mua bientôt en rire sonore dont l’écho ricocha sur tout le pont, et au-delà encore. Même Flint, prostré, se laissa gagner par cette soudaine et contagieuse allégresse. En ces termes, il lui annonça l’heureuse nouvelle :

— Cap’taine, épave en vue !

Il lui tendit sa longue-vue afin qu’Arthur puisse le constater de ses propres yeux. Ce qu’il ne manqua pas de faire en se saisissant de l’instrument. Il parcourut l’horizon, et, où ciel et mer se rencontraient, gisait, échoué contre des roches, le squelette d’un paquebot. Le capitaine l’observa plus attentivement, scrutant les détails qui permettrait son identification.

Aucun doute possible à ce sujet, il s’agissait bel et bien du Cactus, navire censé avoir traversé le Chenal quelques jours auparavant.

— Épave en vue ! s’écria Arthur.

Et un cri de joie s’éleva de part et d’autre le pont. La liesse s’était déjà emparée du vaisseau lorsque son capitaine décolla l’œil de la longue-vue et la rendit à son propriétaire. Des « hourras » l’acclamèrent de toutes parts, mais il demeurait imperturbable.

Une crinière flamboyante émergea de la marée formée par l’équipage. Arrivée à sa hauteur, Freyja se raidit devant Arthur en position de garde-à-vous.

— Capitaine, nous attendons vos ordres ! fit-elle expressément savoir.

— Relâche un peu tes nerfs, Freyja, répondit le capitaine dans un soupir las. Ce soir, nous ripaillerons pour fêter cette trouvaille. Et demain, nous investiguerons les lieux, quelques matelots et moi-même. Si tu tiens absolument à te rendre utile, va donc nous chercher quelques tonneaux dans la soute.

À ces mots, les pirates qui grouillaient sur le pont explosèrent. Leurs vivats redoublèrent d’intensité et atteignirent très vite leur paroxysme à la perspective d’un festin où l’alcool coule à flot.



Dès potron-minet, l’Iceberg accosta l’épave du Cactus. Un épais brouillard engloutissait les décombres du paquebot et seul demeurait visible sa coque éventrée. Les nombreux rochers qui affleuraient çà et là à proximité maintenait l’essentiel à la surface.

La démarche chaloupée, Flint émergea des brumes lui aussi : les brumes d’un lendemain de soirée trop arrosée. Après avoir frotté ses yeux bouffis, il recouvra une vue correcte de la carcasse du Cactus.

— Une belle épave, hein ? fit remarquer la voix d’Arthur dans son dos – il ne sut qui, du Cactus ou de lui, fut concerné par ces mots.

Matinal, le capitaine de l’Iceberg laissa éclater son rire tonitruant, faisant fi de la gueule de bois qui les lancinait tous. Comme si cela n’avait pas suffi, il administra à Flint une bourrade qui faillit bien le faire basculer par-dessus bord. Fort heureusement pour lui, le malheureux se rattrapa in extremis au bastingage et s’y cramponna avec fermeté, le cœur sur les lèvres.

Freyja apparut sur le pont à son tour, sobre. Elle ébaucha un garde-à-vous, mais suspendit son bras à mi-chemin sous le regard désapprobateur d’Arthur. Des ordres. Elle attendait des ordres, mais devait perdre l’habitude de vouloir en recevoir à tout bout de champ. Cette fois, cependant, le capitaine daigna contenter son désir.

— Occupe-toi de l’Iceberg en mon absence. Passe un coup de serpillière si tu veux. Et n’hésite pas à recadrer mes hommes, tu sais qu’ils en ont besoin… prescrit-il. Moi, je pars avec quelques-uns explorer le Cactus. Ce qu’il en reste, du moins…

Du doigt, il désigna les premiers membres d’équipage qui se présentaient à sa vue, sans se référer ni à leur expérience, ni à leur rôle au sein de la frégate.

L’on fit ensuite descendre à la mer deux canots à hors-bord, ainsi qu’un large filet sur le flanc du vaisseau. Arthur se réceptionna sur l’un d’eux pendant que la petite délégation était encore suspendue aux mailles. Le menton relevé, il appréhenda le paquebot échoué dans toute sa longueur. Ils s’engouffreraient par le trou qui béait dans sa coque. Lorsque le dernier matelot posa le pied dans le canot, le capitaine fit vrombir le moteur. Les deux esquifs chevauchèrent les flots qui séparaient l’Iceberg du Cactus.

L’écharpe de brume qui s’enroulait autour des vestiges flottants se dissipait sous les rayons de l’astre du jour. L’un après l’autre, les canots s’immiscèrent dans l’épave. Celle-ci donnait le gîte, et la mer, de ce fait, déposait son écume sur un sol en pente.

Arthur bondit de l’embarcation et atterrit, genoux fléchis, au bord de l’eau. Il fut aussitôt imité par ses sbires, qui attendaient, impatients, que l’ordre de piller le navire fût donné. Soudain, un « bip » retentit et se répercuta en écho dans les coursives du navire. D’une sacoche en toile qu’il portait en bandoulière, Arthur extirpa le Cherch’Objet qui, comme par miracle, indiquait que « quelque chose » était quelque part enfoui à bord. Un sourire carnassier étira ses longues lèvres, alors qu’une lueur nouvelle, de convoitise sans doute, vacillait dans son regard. Un frisson parcourut les échines et hérissa le poil de la dizaine d’hommes témoins de la transformation du capitaine. Suite à quoi des regards lourds d’interrogation furent échangés.

— Bien, très bien même, jubila Arthur. Nous ferons donc d’une pierre, deux coups.

Il tourna brusquement la tête en direction de ses hommes, la même expression de démence accrochée à ses traits, et s’adressa à eux de la manière qui suit :

— Mes gars, les trésors que recèle ce paquebot sont à vous, à condition bien sûr de les trouver. Fouillez, pillez, détroussez ! Emparez-vous de tout ce qui brille et, surtout, n’ayez aucun scrupule !

Il partit d’un rire guttural qui emplit le navire tout entier et qui transporta les forbans dans un accès de délire. Il s’arrêta net au bout d’interminables secondes et inaugura officiellement les festivités :

— Vous avez deux heures !

La délégation s’égailla sitôt lancée la chasse aux trésors. Gutz, le maître queux de l’Iceberg, restait stoïque malgré la fièvre qui les électrisait, ses compagnons et lui-même.

— Je vous accompagne, capitaine ! déclara-t-il, solennel. Sait-on jamais qu’une méchante créature rôde là-dedans…

Arthur, ébahi, ouvrit la bouche pour protester, mais se ravisa en songeant à l’opiniâtreté légendaire du cuisinier. Bras croisés et sourcils froncés, Gutz lui fit comprendre que sa décision était irrévocable. Le chef de pirates haussa les épaules, résigné face à tant de détermination – pour rien, médita-t-il.

Ils s’engagèrent ensemble dans une coursive, sans trop savoir dans quoi ils s’aventuraient ni où ils mettaient exactement les pieds. À plusieurs reprises, l’un évita à l’autre de tomber dans un chausse-trappe. Ils remontèrent d’abord jusqu’au pont, ouvrirent quelques portes au hasard ou en enfoncèrent d’autres lorsque celles-ci étaient fermées à clefs. Quelquefois, ils firent de macabres découvertes de l’autre côté, ce qui expliquait, en partie, les relents qui flottaient dans l’atmosphère. Ceci ne les empêcha toutefois pas de destituer les macchabées de leurs possessions. Du reste, ils emportèrent avec eux les quelques effets que gardaient jalousement les coffres-forts mis à disposition des passagers. Il leur suffisait, pour ce faire, de briser le verrou au moyen des solides pinces de Colhomard. En une demie-heure à peine, leurs poches et leurs besaces débordaient de montres, de bijoux et d’autres objets brillants.

L’insatisfaction, cependant, n’avait pas déserté les traits d’Arthur depuis le début de la rafle. L’objet de toutes ses convoitises demeurait introuvable malgré leurs investigations. Par moments, le Cherch’Objet émettait un signal plus vif, signalant sa proximité.

— Mais où, bon sang ?! fulmina Arthur.

Il envoya son pied rudoyer une caisse en bois non loin, soulevant au passage un nuage de poussière et de copeaux mêlés. Gutz se tenait quant à lui à distance de l’irritable capitaine. Il cillait à chaque manifestation de cette frustration très mal contenue. L’humeur sanguine d’Arthur, à dire vrai, était connue de tous à bord de l’Iceberg, mais elle n’en était pas moins redoutée. Heureusement pour sa réputation, on lui connaissait, dans d’autres circonstances, de fréquentes allégresses ainsi qu’une certaine magnanimité. Imprévisible eût été le qualificatif parfait pour le décrire en un seul mot.

Ils poursuivirent leur inspection, mais dans une direction opposée. Alors qu’ils s’enfonçaient dans les entrailles du Cactus, l’impression d’être épié tenailla soudain le vieux sbire, sans qu’il ne se l’expliqua. Ses craintes franchirent alors le seuil de ses lèvres dans un murmure inaudible :

— … Nous sommes observés.

Pour toute réponse, Arthur promena un regard circonspect à la ronde. Visiblement, lui aussi avait senti une présence.

Tout à coup, un tentacule épais et visqueux surgit du sol. Arthur avait bondi en arrière une fraction de seconde plus tôt, puis roulé sur le côté. Il s’était ainsi dérobé de justesse à une étreinte qui l’aurait entraîné un étage plus bas. Un deuxième tentacule brisa un autre pan du sol avec fracas et ondoyait désormais avec le premier. L’un et l’autre exécutèrent alors ce qui s’apparentait le plus à danse. Luttant contre son effet hypnotique, Arthur et Gutz restaient sur le qui-vive. Ils ne virent pas le troisième et dernier tentacule qui rampait dans la pénombre derrière eux, et qui s’enroula subitement à la cheville du cuisinier. Ni d’une, ni de deux, il se saisit du hachoir qui pendait à sa ceinture et trancha d’un coup sec l’appendice qui commençait à lui enserrer la jambe. Celle-ci gonflait par endroits, là où le tentacule avait, sembla-t-il, inoculé son poison.

Arthur auscultait la blessure avec d’infinies précautions lorsque le plancher émit un craquement sourd. Toujours aux aguets, ils coururent pour échapper à l’imminence de l’effondrement, mais le sol s’affaissa sous leurs pieds quelques secondes trop tôt. Ils furent précipités dans une chute vertigineuse avant d’être cueillis par les eaux stagnantes du fond de cale. Avec eux, les débris percèrent la surface étale de l’onde. Certains, même, étourdirent la mystérieuse créature tapie dans l’un des sombres recoins.

Arthur et Gutz ressortirent brusquement la tête hors de l’eau et inspirèrent une grosse bouffée d’oxygène. Ils s’ébrouèrent tous azimuts, mais ne distinguèrent pas directement la paire d’yeux qui les fixaient avec l’insistance d’un prédateur.

Sur la berge, deux sbires hélaient leur capitaine ainsi que leur camarade tout en se confondant en gestes désordonnés et exclamations inintelligibles. Le capitaine et son « garde du corps » nagèrent jusqu’à eux et s’arrachèrent aux flots. Pantelants. Chancelants.

Le bras parcouru de spasmes, l’un des deux sbires tendit alors un doigt vers le tentacule qui ripait dangereusement dans leur direction. En très peu de temps, il gagna de la hauteur jusqu’à atteindre les deux mètres environ. Les pirates écarquillèrent les yeux de stupeur. Il fondit sur ses proies, balaya la berge et faucha les mollets d’un des sbires. Celui-ci retomba douloureusement sur son séant, et un second tentacule profita de l’occasion pour lui saisir la jambe. Le malheureux agita convulsivement les bras, appelant à l’aide. Le capitaine et Gutz en attrapèrent un chacun et tirèrent de toutes leurs forces.

En vain.

La moiteur de leurs mains les firent glisser le long du bras, de la main, des doigts de leur compagnon. Ce dernier fut alors attiré au fond de l’eau, cris rapidement noyés par l’amer. De longues secondes s’égrenèrent ensuite, au terme desquelles l’on vit un tentacule triomphant crever la surface des flots. La tête ballante, le pirate était ligoté à son extrémité.

S’en désintéressant presque aussitôt, le monstre le libéra de son étreinte et laissa son corps éclabousser les trois autre forbans. Le jeune flibustier remonta à la surface. Désarticulé. Une mare de sang annonciatrice se diluait dans l’eau.

Arthur, Gutz et le troisième comparse se tinrent sur leurs gardes, leurs doigts effleurant les Poké Balls qui ornaient leur ceinture. Anticipant une prochaine offensive, ils en dégainèrent chacun une dans le même temps. Le triple faisceau qui illumina les profondeurs marines libéra trois Nosferalto de leur geôle sphérique.

Ils faisait face à présent à la créature qui s’était recroquevillée sous l’éclat aveuglant des Poké Balls. Acculée, elle n’eut d’autres alternatives que de se montrer à la faveur de la pâle lueur qui tombait du plafond. Un rai accrocha son épiderme moiré et lui dessina des contours angoissants. Gutz et l’autre sbire étouffèrent un hoquet de frayeur. Arthur, conservant encore son sang-froid, lança le premier assaut.

Les trois chauves-souris dirigèrent alors une salve de lames d’air contre le Tentacruel géant. Le monstre reçut l’attaque, recula de quelques centimètres, mais ne riposta pas immédiatement. Arthur commit l’erreur de revenir à la charge ; il n’avait pas vu, en effet, le vicieux tentacule remonter le long de sa jambe. Pris dans la frénésie du combat, il ne sentit son étreinte que bien trop tard. Tandis qu’un deuxième, un troisième, un quatrième tentacule peut-être lui comprimaient le torse, ses hommes tentèrent de l’arracher à cette constriction mortelle. L’inanité de leurs efforts, toutefois, les découragea d’emblée. Arthur ne put réprimer un cri de souffrance, auquel succéda un sinistre craquement d’os.

Soudain, un nouveau flash lumineux éblouit le Tentacruel, qui desserra de peu son étau. Il en surgit un Colhomard, qui, flairant le danger, brandit son énorme pince en guise de menace. L’étroite connivence qui le liait à son maître lui fit tout de suite comprendre l’ordre muet qui lui était adressé.

En deux temps trois mouvements, il sectionna les monstrueux tentacules. Un spasme de douleur secoua le Tentacruel. Le mollusque géant laissa alors échapper pour la première fois un cri d’agonie. Ses autres tentacules, eux, claquaient contre la surface de l’eau et envoyaient des trombes contre ses assaillants.

— Laissez-le moi ! vociféra Arthur.

La mâchoire serrée, il brandit à son tour une Hyper Ball. De surprise, ses sbires écarquillèrent les yeux et portèrent la main à leur bouche. Dompter pareil monstre était trop ambitieux, même pour le capitaine de l’Iceberg. Y songeait-il vraiment ?

Mais celui-ci n’en démordait pas : d’un claquement de doigts, il enjoignit aux Nosferalto de renouveler leurs assauts. Le Tentacruel céda du terrain sous les lames d’air réitérées. Arthur tira profit de la situation pour lancer son Hyper Ball, dont le bouton d’ouverture heurta avec précision la la plus petites des trois sphères écarlates qui luisaient sur le front de la créature. Dans la seconde qui suivit, Tentacruel fut happé par un rayon d’un rouge tout aussi éclatant. La Ball tomba ensuite à l’eau, disparut quelques instants qui parurent durer une éternité, pour remonter enfin à la surface. Scellée.

Arthur venait d’attraper le Tentacruel géant.

Le corps sans vie du sbire flottait toujours. Le capitaine ordonna qu’on le ramenât sur la berge, ainsi que le trophée de ce pénible combat. Il porta la main à son cœur, et psalmodia une oraison funèbre.

— … Que la marée emporte ton corps et que les courants charrient ton âme, conclut-il.

Soudain, le radar de son Cherch’Objet se remit à sonner. Ce qu’il cherchait avec tant d’ardeur se trouvait non loin, lui-même pouvait sentir sa proximité. Mais voilà que l’appareil interrompit tout aussi brusquement son signal. Arthur considéra son écran : durant le combat, lors de l’étreinte du Tentacruel, il avait été sévèrement endommagé. Une inquiétante fissure barrait le quadrillage du radar, réduisant à néant tout un tas de pixels. Arthur tapota quand même dessus dans l’espoir de le faire revivre, mais seule une fumée de mauvaise augure s’en échappa. Le Cherch’Objet rendit ainsi son dernier soupir.

Le teint du capitaine vira au rouge. Rouge de colère. Si près du but ! Il était hors de question d’abandonner. Aussi, ses sbires sursautèrent lorsqu’il ordonna d’un ton qui ne souffrait aucune contradiction :

— Fouillez cette épave ! Retournez-la s’il le faut ! Je veux cette Orbe, quoi qu’il m’en coûte !

Les deux survivants prirent leurs jambes à leur cou.

Arthur, quant à lui, entreprit d’inspecter méticuleusement chaque recoin du Cactus. D’une pièce à l’autre, allant de déception en déception, sa rage s’intensifiait et atteignit des pics qu’on ne lui connaissait pas jusqu’alors. Il ne contrôlait désormais plus ses jambes qui, lorsqu’elles n’arpentaient pas les coursives du paquebot, distribuaient des coups de pied à la volée. Les portes obstruées furent arrachés de leurs gonds, et les cabines mises sens dessus dessous.

Un filet de sueur suinta sur le front du capitaine, où palpitait une veine temporale sur le point d’exploser. Il défit son bandana, libérant des mèches désordonnées, et s’épongea avec avant de passer la main dans ses cheveux hirsutes. Les muscles du visage toujours contractés, il poussa un râle puissant et viril.

Il ne restait que quelques cabines à explorer. Arthur craignait de ne pas y trouver l’Orbe. Il repensa alors aux mises en garde de Freyja. Il s’était peut-être laissé abuser par le Cherch’Objet… L’incongruité du lieu s’imposa tout à coup à son esprit comme une évidence. Quel genre de passager aurait en sa possession une très ancienne relique ?

Arthur procéda aux dernières recherches. À peine sa main se posa-t-elle sur la poignée de la première des portes qu’elle pivota dans un épouvantable grincement. L’eau avait infiltré la cabine et l’inondait jusqu’aux chevilles. En son centre, un corps était allongé sur le ventre et chargeait l’air de miasmes étourdissants. Une tache sombre, pareille à de l’encre – du sang, à n’en point douter –, nimbait le contour de sa tête.

Arthur s’en approcha. Le clapotis de ses pas dans l’eau sembla soudain éveiller quelque chose à l’intérieur de la cabine.

Le malheureux étendu au sol avait le crâne fendu. Des morceaux de cervelle s’en détachaient encore de temps à autre et se désagrégeaient dans l’eau croupie. Encore un qui n’a pas eu de chance, soupira Arthur. Du bout du pied, il retourna le cadavre et l’examina brièvement. La grimace qui avait figé son visage souleva le cœur du capitaine, pourtant habitué aux affres de la vie en pleine mer. Arthur tâta les poches du défunt passager, sans conviction.

Il s’en serait détourné si un son étouffé ne lui était pas à cet instant parvenu. Il tendit l’oreille et retint son souffle. Des ongles. Oui, des ongles paraissaient racler une surface, mais laquelle ? Y aurait-il quelque survivant à bord ? Renversé au sol, un coffre-fort avait d’abord échappé à l’attention du capitaine. Celui-ci s’accroupit et déploya toute la force de ses bras musculeux. Il remit le coffre d’aplomb et médita son contenu anormalement lourd. Il colla l’oreille à la porte métallique l’espace d’un battement de cœur, puis l’ouvrit avec circonspection.

À l’intérieur, serrant contre son frêle petit corps une vieille poupée rapiécée, une fillette sanglotait.

Était-elle blessée ? Comment avait-elle survécu ? Pourquoi et combien de temps était-elle restée enfermée dans ce coffre ? Comment s’était-elle nourrie tout ce temps ? L’homme dans la cabine était-il un parent ? Enfin, pourquoi elle et pas un autre ? Pourquoi ? Pourquoi ? Ces questions se télescopaient dans l’esprit d’Arthur.

— … Papa ? C’est toi, papa ?

Une vague de chaleur submergea le capitaine à cet instant précis. Ces quelques mots, formulés du bout des lèvres, venaient d’éveiller quelque chose de profondément enfoui en lui, une force et un amour qu’il ne se serait jamais soupçonnés. Ses traits se radoucirent à vue d’œil tandis que l’ombre d’un sourire bienveillant flottait sur ses lèvres.

Il oublia l’Orbe aussitôt.


~ Vesper