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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 28/06/2017 à 16:05
» Dernière mise à jour le 02/07/2017 à 12:23

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 8 : Tomber les masques.

 Caratroc se retenait tout commentaire ; mais il n’en pensait pas moins. Il le pressentait, durant toute la journée, elle avait eu ce regard des mauvais coups. L’Ensar savait qu’il était inutile de chercher à convaincre Eily tant quand elle étant dans cet état. Il n’y avait malheureusement pas plus bornée qu’elle.

— Il te suit, annonça l’Ensar.
— … c’était prévu.

La voix froide et glaciale de sa partenaire le fit frissonner. Eily laissait très rarement tomber son masque de gentillesse et de douceur, et lorsqu’elle le faisait, ce n’était jamais bon signe. Elle voulait récupérer son manteau, et elle ne quitterait pas ses montagnes avant de l’avoir trouvé.

Beaucoup penseraient qu’il était absurde de risquer sa vie pour un vulgaire bout de tissu. Mais aux yeux d’Eily, ce n’était justement pas qu’un vulgaire bout de tissu. C’était ce qui lui rattachait à ses parents, l’unique objet qu’elle possédait réellement, la preuve qu’elle avait une vie avant l’orphelinat, la preuve de son existence.
Mais ce n’était pas tout, elle avait grandi avec son manteau, le portant sans cesse. Il était imprégné de toutes ses aventures vécues avec Nester et Athoo. Quinze ans de rire et de bonheur. Quinze ans qui avaient disparu en quelques minutes.

Eily empruntait les escaliers avec vitesse. Ses pas résonnaient bruyamment à travers tout le souterrain ; elle ne cherchait pas à être discrète.

— L-Les esclaves s’échappent ! Arrêtez-les !

Fatalement, elle croisa encore la route des bandits Agrios. Contrairement à la dernière fois à l’orphelinat, Eily était prête à les accueillir. Dès qu’un brigand passant dans son champ de vision, Caratroc le saucissonnait bien serré grâce à ses toiles. Eily n’avait qu’un objectif : sortir de souterrain. Une fois à l’air libre, elle pourrait entamer ses recherches.

— Eily !

Derrière elle, Ifios avait désespérément accéléré. Même s’il ne comprenait pas ce qu’il se passait – ni ce qu’était cette créature sur le crâne de son amie – il ne pouvait la laisser seul contre tous les Agrios. Mué d’une volonté guerrière, Ifios bondit et se propulsa vivement en prenant un appui brutal sur le mur ; il atterrit juste en face d’un bandit, qu’il désarma d’un vif enchaînement au cimeterre.

— C’est de la folie Eily, tu vas te faire tuer !

Mais la demoiselle cyan n’en avait cure, elle continuait inlassablement son avancée. L’aide d’Ifios lui faisait cependant gagner un temps précieux. L’ex-Agrios parvenait à maîtriser et neutraliser les bandits que Caratroc ne pouvaient viser immédiatement.

Eily atteint finalement la surface ; mais ce ne fut que pour réaliser qu’elle était attendue. Sous les rayons lunaires, plus d’une dizaine de bandits était placée en demi-cercle, le cimeterre à la main. Chacun n’attendait qu’une chose, le signal de l’homme balafré se trouvant devant eux : Sidon.
Ifios arriva peu après, et lorsqu’il aperçut le second de son père, il sentit son corps se liquéfier.

— Votre route s’achève ici, tonna-t-il.
— Troctroc, vas-y.

L’Ensar ne se fit pas prier et cracha la plus immonde toile gluante qu’il le pouvait. Les sécrétions s’enroulèrent puissamment sur Sidon, immobilisant ses bras contre son torse. Cependant…

— … mmmh.

Sidon contracta légèrement ses muscles, et d’un seul coup, en levant simplement les bras, il déchira les fils qui l’entravaient avec une facilité déconcertante. Eily recula par instinct, c’était la première fois que quelqu’un autre qu’elle parvenait à se débarrasser des toiles sans objet tranchant.

— Une technique intéressant, nota Sidon. La créature sur ta tête, c’est un Ensar, n’est-ce pas ?
— … un Ensar ?

Des murmures apeurés s’élevèrent, de la bouche des bandits, ainsi que de celle d’Ifios. L’adolescent comprenait de moins en moins ce qu’il se passait. Eily possédait un Ensar ? Elle était donc… une Foréa ? Une demi-déesse ? C’était impossible ! Pourquoi se serait-elle laissée capturer et rester esclave pendant un mois sinon ?

— C’est exact, avoua Eily.

Pour prouver ses dires, la demoiselle leva sa main droite ; Caratroc disparut immédiatement en un rayon irisé. Eily le fit ensuite immédiatement réapparaître, tout en toisant fixement les bandits.

« S’ils prennent peur, j’ai peut-être une chance », pensa-t-elle.

La demoiselle s’efforçait de garder la tête haute et droite. Elle devait montrer qu’elle maîtrisait parfaitement la situation ; faire preuve d’une confiance à toute épreuve qui effriterait celle de ses adversaires. Cependant, si le menu fretin était facilement impressionnable, le gros poisson l’était beaucoup moins.

— La Morte serait donc une Foréa, posa calmement Sidon. Intéressant.
— Je ne vous veux aucun mal, lança Eily tout aussi calmement. Je veux simplement récupérer mon manteau, celui que vous m’aviez volé.
— Ton manteau ?

Sidon ferma les yeux, semblant réfléchir. Lorsqu’il les rouvrit, ses prunelles se recouvrirent d’une écrasante détermination.

— Je suis navré petite, mais tu ne peux pas le récupérer.
— Oh ? Et pourquoi cela ?
— C’est notre Boss, Danqa aux Griffes, qui le possède.
— Danqa…
— Mais ce n’est pas l’unique raison.

Sidon saisi puissamment son cimeterre et le brandit férocement vers Eily.

— Mon devoir est de surveiller les esclaves. Foréa ou pas, tu es l’une de nos prisonnières. Je ne peux pas te laisser aller plus loin. C’est aussi valable pour toi, jeune Ifios. Tu es avec elle, tu es donc un traître. Être le fils du Boss ne te protégera pas.
— … !

Ifios eut soudain très mal au ventre ; son visage prit une inquiétante teinte livide. Il le savait très bien qu’il était un traître ; mais l’entendre de la bouche de Sidon lui donnait des frissons jusque dans sa colonne vertébrale.

— Sidon, v-vous êtes certain ? s’inquiéta un bandit. C’est la Morte ! J-Je savais qu’elle cachait quelque chose de louche !
— C’est vrai ! compléta un autre. C’est une Foréa ! Et elle a un Ensar !
— Silence.

Un ordre clair. En un seul mot, Sidon fit taire ses subordonnées, tout en inspirant une peur terrible chez Eily et Ifios.

« Il ne plaisante pas, grinça la demoiselle cyan. Je vais devoir le vaincre si je veux passer… »

Eily n’était cependant pas dupe. Ce type la surclassait totalement. Elle feignait sa confiance, alors que celle de Sidon était bien réelle. Il pourrait la briser en deux sans effort.

« Mais j’ai déjà fait mon choix. J’aurais pu fuir ; j’ai choisi de rester. Je me bats pour moi, pour retrouver ce qui m’est cher ! »

Si Eily parvenait à trouver une détermination, Ifios, lui, était toujours paralysé. Il avait parfaitement connaissance de la force de Sidon ; il n’était pas le second de Danqa pour rien. Un monstre inarrêtable une fois lancé. Toutefois, si Eily était véritablement une Foréa, elle pourrait avoir une chance. C’était ce dont Ifios voulait se persuader, mais intérieurement, il n’imaginait pas Eily capable de miracle. Dans sa tête, elle restait une jeune fille douce, faible et fragile, malgré son Ensar.
— Vous autres, allez voir les esclaves. Je m’occupe d’eux.
— C-Compris !

Tous les bandits s’exécutèrent sans poser plus de questions. Tout en évitant soigneusement Ifios et surtout Eily, ils pénètrent dans le souterrain. À la surface, il ne restait plus que les deux adolescents et l’écrasant Sidon.

— Les passages secrets, souffla le second de Danqa. Vous en avez utilisés, n’est-ce pas ? Cela explique comment tu as pu t’infiltrer ici, Ifios.
— … j-je…
— Inutile d’en rajouter. Nous sommes seuls désormais, l’heure n’est plus à la parole, mais à l’action.

Une aura meurtrière émana brusquement de Sidon. Ifios eut envie de s’évanouir. Eily déglutit péniblement, se souvenant douloureusement de l’attaque de l’orphelinat.

— Eily, lui chuchota Caratroc. Je devrais t’encourager à t’enfuir, mais je sais que tu ne m’écouteras pas. Sache toutefois que je te comprends, que je suis toujours avec toi. Ensemble, nous nous en sortirons.

La demoiselle cyan hocha la tête, rassurée. Oui, avec Caratroc, elle pouvait surmonter cet obstacle, et bien plus encore !

« Je ne veux plus rester passive ! »

— Troctroc ? demanda la demoiselle en lui faisant un signe de la tête.
— Tu veux tester ça, n’est-ce pas ? répondit l’Ensar. C’est encore perfectible mais… pourquoi pas, au point où nous en sommes !
— C’est parti alors, forme Symbiose.

Subitement, Caratroc bondit tout en rentrant ses membres et sa tête à l’intérieur de sa carapace. Et lorsqu’il arriva à la hauteur de la demoiselle, cette dernière encastra son bras droit dans l’un des nombreux trous de la coquille de Caratroc. Les toiles gluantes présentes dans la carapace achevèrent de solidifier le tout ; si bien qu’à la place d’une main, Eily avait désormais une véritable masse de 20 kilos au bout du bras. En dépit de ce poids, la demoiselle cyan parvenait cependant à manier l’épaisse carapace comme s’il s’agissait d’une plume.

« Ouf, ça fonctionne… pour l’instant. »

Eily n’avait jamais véritablement utilisé cette technique. À la base, elle avait développé cette capacité pour faire une surprise à Nester et Athoo mais…

« Ils ne pourront jamais la voir à présent… »

Eily se mordit les lèvres, chassant ses tristes émotions. Elle devait s’y faire, Nester et Athoo n’étaient plus. En revanche, elle pouvait encore se battre en leur nom. Si elle voulait récupérer son manteau, relique du passé, c’était également pour eux, pour toujours avoir une preuve physique de leur ancienne relation.

— C’est la deuxième fois que j’affronte un Foréa, se prépara Sidon. J’espère ne pas être déçu.

Sidon prit l’initiative, vif et précis. Eily respira un bon coup, et s’élança également. Le second de Danqa brandit impitoyablement son cimeterre, visant le cou de sa proie. Et au moment où la lame allait atteindre sa destination, Eily leva son bras droit, bloquant proprement le coup avec la carapace de Caratroc, à la grande surprise de Sidon.

« Parfait ! », s’illumina Eily avant de s’écrier :

— Troctroc, maintenant !
— Compris !

Profitant de la surprise de leur adversaire, Caratroc cracha une épaisse toile par l’une des ouvertures de sa carapace ; Sidon la reçut en plein sur les yeux et recula vivement, agitant hasardeusement son cimeterre.

— … !

Eily, agile, évita les assauts aléatoires de son adversaire et lui flanqua un énorme coup de carapace en pleine joue ; un filet de sang gicla de sa bouche. Mais Sidon tint bon, son corps resta inamovible. Son énorme poing cogna Eily en plein torse, la propulsant à deux mètres. Ayant enfin regagné le tempo, Sidon arracha la toile qui l’obstruait la vue.

— Eily !

Ifios bondit. Voir sa protégée se faire ainsi malmener le réveilla instantanément. Comment pouvait-il rester là, à ne rien faire, pendant qu’une demoiselle ayant souffert un mois d’esclavage se battait ? Le fils de Danqa saisi son cimeterre, ainsi que celui qu’il avait volé un peu plus tôt.

— Aaaaah !

Ainsi doublement armé, Ifios poussa un cri guerrier, fonçant sur Sidon.

— Jeune Ifios, signifia ce dernier. J’ai hâte de voir vos progrès.

Sidon contra l’assaut de son jeune adversaire d’un seul coup ; la force qu’il y avait mis était suffisante pour déstabiliser Ifios. L’adolescent, fit une roulade d’urgence, esquivant une lame mortelle, et se faufila derrière Sidon. Ifios sauta alors vivement en tournant comme une vrille, espérant lacérer le dos de son adversaire.

Mais Sidon se retourna à temps, réagit à la vitesse de la lumière, et contra l’assaut surprise. Mais Ifios ne s’arrêta pas là. Il plaqua le plat de la lame de son cimeterre sur celui de son adversaire ; Ifios se servit de l’entrechoquement des deux lames comme point d’appui afin d’accomplir un bond étonnant, et pendant qu’il passait au-dessus Sidon, Ifios fit un salto avant et usa de sa seconde lame pour entailler l’épaule de son adversaire. Un filet de sang noircit le sol.

— … aussi agile qu’un singe, commenta Sidon sans esquisser le moindre signe de douleur.

Ifios n’eut malheureusement pas le temps de fêter sa réussite. Sidon le déséquilibra d’une fulgurante balayette, avant de lui flanquer un uppercut qui l’envoya à au moins un mètre de haut avant qu’il ne s’écrase lamentablement au sol.

— gnnaaAAAH… !
— Mais aussi résistant qu’un insecte, trancha Sidon.

De son côté, Eily s’était péniblement relevée. Ses jours entiers à manier la pioche l’avait épuisée ; elle n’était vraisemblablement pas en condition de combattre un adversaire aussi puissant. Mais avait-elle vraiment le choix ? La réponse était évidente.

— Troctroc, on tente autre chose.

Pendant que Sidon était occupé avec Ifios, Caratroc tira une large sécrétion qui alla droit de sa coquille jusqu’au cimeterre de Sidon ; Eily tira ensuite de toutes ses forces sur la carapace, et au bout de monstrueux efforts, elle parvint à son but. Le cimeterre de Sidon, solidement collé à la toile à la sécrétion, se fit entraîner par le fil visqueux, tombant aux pieds de la demoiselle.

Eily essaya de l’empoigner, mais elle réalisa bien vite qu’elle ne pouvait le manier correctement de sa main gauche. Alors, pour éviter que Sidon ne la récupère, elle décida tout bonnement de projeter la lame le plus loin possible derrière elle.

— Il est désarmé ! s’écria Caratroc. C’est le moment !

La demoiselle cyan s’élança, déterminée. Au même moment, Ifios s’était lui aussi relevé, la bouche en sang. Cela ne l’empêcha pas de saisir à nouveau ses deux cimeterres et de passer à l’assaut.
Sidon observa, imperturbable, les deux adolescents qui fonçaient sur lui.

Il esquiva les enchaînements d’Ifios en reculant de quelques pas précis. Eily le frappa d’un coup de carapace ; Sidon bloqua avec son avant-bras. Ifios continuait de se déchaîner, ne voulant laisser aucun temps mort ; Sidon ne se laissait guère impressionner. Caratroc lança plusieurs fois des toiles dans l’espoir d’obstruer la vue de l’homme balafré comme la dernière fois, mais Sidon l’anticipait toujours.

— Est-ce tout ? posa le second de Danqa.
— Tss…, siffla Ifios. P-Pourquoi je ne peux pas le toucher ? Il n’est même plus armé !

« Il nous teste, réfléchit Eily, il n’a même pas déployé un minimum de sa force… »

La demoiselle cyan secoua la tête :

« Il faut que je me tienne prête ! »

— Je suis assez déçu, déclara Sidon. Elle était infiniment plus puissante que toi. Serait-ce à cause de ton jeune âge ? Peut-être que la maîtrise des Ensar n’est pas instinctive… ?

Sidon s’avança vers les deux adolescents. Bien qu’elle paraissait normale, quelque chose avait changé dans sa démarche. Il dégageait une aura de puissance qu’Ifios et Eily pouvaient mortellement ressentir.

« I-Il ne plaisante plus ! » réalisa Eily.

Le bandit balafré bondit d’un coup. Un bond faramineux. Il atterrit juste derrière Ifios avec fracas. Le simple impact de son atterrissage suffit à faire voltiger le garçon. Sidon l’attrapa en plein vol par l’épaule et le projeta brutalement sur Eily, qui l’encaissa durement.

Sidon fléchit une seconde les genoux, et bondit une seconde fois, s’écrasant à un mètre à peine de ses deux proies.

— … !

Eily ne réfléchit pas et bloqua l’énorme coup de poing avec la coquille de Caratroc. Heureusement, la quasi-indestructible carapace de cette étrange tortue avait vu pire. Mais Sidon ne comptait pas s’arrêter là ; il martela la coquille de ses deux poings, avec tant de vigueur qu’Eily sentit les os de son bras commencer craquer.

« Comment peut-il avoir autant de force brute ?! »

Cela dépassait l’entendement ; un être humain normal ne devait pas posséder une puissance aussi colossale. La demoiselle cyan réfléchit à toute vitesse. Comment pouvait-elle s’en sortir ? Ifios, bien que tout proche d’elle, était encore dans les vapes, alors elle ne pouvait plus compter sur lui. Elle-même ne devait ça survie qu’en l’absurde résistance de Caratroc, mais elle ne pourrait pas tenir bien longtemps.

« Je suis… à court d’option ? »

Eily se mordit les lèvres jusqu’au sang, à la fois pour oublier la douleur de son bras et rester connectée avec la réalité. S’il y a une chose qu’elle détestait, c’était être prise au dépourvu, n’avoir aucun plan en réserve. Il fallait qu’elle trouve quelque chose !

— … !

Soudain, son regard dévia vers Ifios. Elle s’était trompée, peut-être qu’il pourrait l’aider, en fin de compte. Sidon était bien trop occupé à marteler Caratroc pour se rendre compte de ce qui se passait autour de lui. Eily en profita allègrement. Dans un ultime effort, elle tendit son bras gauche vers Ifios… et saisi l’un de ses cimeterres aussi fortement qu’elle le pouvait.

— Aaaaah !

Et dans un cri de désespoir, elle le planta dans la jambe gauche de Sidon ; la lame transperça la peau. L’homme balafré recula d’un bond, surprit. Eily se releva, laborieusement, tout en toisant ardemment son adversaire. Sidon se baissa lentement, avant de retirer le cimeterre de sa jambe ; le sang gicla en abondance. Le visage de l’homme balafré resta cependant neutre.

— Tu as de la ressource, la complimenta Sidon.
— … merci, répliqua sèchement Eily.
— Je le pense vraiment. Tu as tenu suffisamment longtemps.
— … ?

Subitement, Sidon recula vivement. Soudain, Eily vit quelque chose tomber du ciel et s’écraser catastrophiquement juste là où se situait l’homme il y a quelques secondes. Un épais nuage de poussières s’éleva, recouvrant tout le terrain pendant un instant. Lorsque ce dernier se dissipa, Eily écarquilla les yeux.

« Une fillette… ? »

La demoiselle cyan ne se trompait pas. Une fillette était tombée du ciel nocturne, comme une envoyée divine. Eily ne voyait pas distinctement sa tête, car une large capuche la dissimulait ; en revanche, ce qu’elle voyait très bien, c’était l’énorme – pour ne pas dire gargantuesque – épée que la gamine tenait à une seule main. Même dans les livres à images, Eily n’avait jamais vu une lame aussi aberrante.
Pour une fois, le visage impassible de Sidon sembla se détendre en un étrange sourire.

— C’est la première fois que tu viens ici, n’est-ce pas, Tza ?

En guise de réponse, la fillette pointa sa ridiculement gigantesque lame vers l’homme balafré.

— Je vois, rancune tenace, sourit Sidon. Mais puisque tu es là, j’imagine qu’elle aussi n’est pas loin.


 ***

 Il courait, le cœur battant à tout rompre ; la peur hantait son être. La mort, la fatalité. Ceux ne les ayant jamais côtoyées les mentionnaient souvent comme une blague, une dédramatisation ironique et amusante. En revanche, lorsque la mort venait frapper à sa porte, réclamer son dû, personne n’avait envie de rire.

Le bandit se précipita dans l’antre de Danqa. C’était un manque de respect évident ; l’usage voudrait qu’il se présente aux gardes avant de rentrer, mais il n’en avait cure. Ce qui était derrière lui était mille fois plus effrayant que le courroux de Danqa aux Griffes.
L’imposant Boss des Agrios, sur son trône, fixait le frêle humain chancelant vers lui. Son regard de prédateur paralysa le nouveau venu, si bien que ce dernier se trouva incapable de prononcer le moindre son.

— Pourquoi me déranges-tu ? tonna Danqa.
— … !

La voix perçante fusa dans l’esprit du bandit ; et, comme mué par l’instinct de survie, sa langue se délia enfin.

— C-C’est une catastrophe ! Il y a une rébellion au camp des esclaves…
— Oh ?
— … et…mais… ce n’est pas tout… c’est terrible… elle… elle est là… aussi… pourquoi maintenant…et… comment ?!
Qui est là ? insista le Boss.

Le sous-fifre ravala plusieurs fois sa salive, ne sachant s’il devait le dire ou non ; les grognements de Danqa achevèrent de le convaincre de parler.

— Inam ! La seconde Foréa Impériale ! Elle est là  ! Avec son Ensar ! N-Nous ne pouvons rien faire ! D-Désolé Boss, je ne sais pas comment elle nous a retrouvés !
— … mmh.

Le visage de Danqa resta neutre, digérant la nouvelle. Lentement, il souleva sa masse. En face de lui, le petit bandit voyait l’énorme montagne de muscle le surplomber ; pendant un moment, il crut sa dernière heure arriver. Mais Danqa avait d’autres projets. Il lui tourna le dos, et fit pivoter à 180° degrés une pierre étoilée incrustée à l’arrière de son trône.
Et progressivement, un pan du mur s’enfonça dans le sol, révélant un passage secret.

— Va chercher les autres, ordonna Danqa. Ce passage mène à l’un de nos camps secondaires. Dépêchez-vous, je vais retenir Inam.
— B-Boss ? M-Mais… elle est bien trop forte ! V-Vous le savez très bien ! C’est elle qui a tué Anil, le précédent Boss !

Danqa empoigna ses quatre célèbres cimeterres géants ; il les plaça entre ses doigts, deux cimeterres par mains, donnant ainsi l’impression que quatre griffes meurtrières sortaient de ses phalanges.

— Doutes-tu de moi ? tonna-t-il.
— N-Non ! se liquéfia le bandit.
— Alors obéis.
— … Oui Boss !


 ***

 Sidon se tenait en alerte ; il savait très bien le danger que pouvait représenter Tza, sa nouvelle adversaire. Il ne fallait pas se fier à sa petite taille, la force qu’elle possédait était inhumaine ; pour s’en convaincre, il suffisait de jeter un œil à sa gigantesque épée.

— Sidon, prononça distinctement la fillette. Tu vas payer.

Eily et Caratroc observaient la scène de loin, surpris par la tournure des évènements. Sidon était clairement en difficulté ; sans son cimeterre, il était difficile de contrer une furie lourdement armée. Il parvenait juste à ne pas se faire proprement trancher en deux, évitant chacun des coups d’épée. Si la situation n’était pas aussi grave, Eily aurait pu trouver drôle qu’une fillette parvienne à maîtriser un monstre comme Sidon.

À l’intérieur du souterrain, les bandits restaient également pantois, dépassés par les évènements. Cela faisait déjà un bon moment qu’ils étaient spectateurs, avant même l’arrivée de Tza. Mais aucun Agrios n’avait voulu sortir et annoncer à Sidon que les esclaves avaient miraculeusement disparu, de peur de subir une colère meurtrière. Et ce n’était pas l’intervention surprise de Tza, une mystérieuse gamine jouant à arme égale avec Sidon, qui allait les encourager à sortir de leur cachette…

— On devrait en profiter pour s’en aller, marmonna Eily.
— J’approuve, acquiesça Caratroc. Les choses deviennent hors de contrôle ici.

Toujours avec la coquille de la tortue accrochée au bras, la demoiselle cyan voulut s’enfuir au plus vite, et ainsi partir à la recherche de son manteau. Sidon était bien trop occupé à se faire malmener par la furie à l’épée pour la stopper ; en revanche, Ifios ne perdit pas une seconde. Dès qu’il vit l’adolescente prendre la poudre d’escampette, il partit à sa poursuite.

— Eily, attend !

La demoiselle leva les yeux au ciel :

« Bah vas-y, dit à tous le monde que je m’échappe, on verra plus tard pour la discrétion… »

Eily renforça son allure, espérant s’éloigner le plus possible du combat, tout en essayant de ne pas perdre Ifios. Mais un imprévu la stoppa dans son élan. Alors qu’ils étaient censés dormir, les Agrios étaient bien là, dehors. Mais quelque chose clochait. Ils couraient partout, à droite, à gauche, se cognant parfois même les uns contre les autres.

« Qu’est-ce qu’il se passe ici ? »

Eily se cacha furtivement derrière un rocher, observant l’étrange manège des bandits.

« Ils sont peut-être au courant pour l’évasion ? Non, ils ont l’air paniqué… peut-être que cela à un rapport avec la fillette de tout à l’heure ? »

La demoiselle tendit l’oreille, espérant entendre des informations qui pourraient l’éclairer ; tout ce qu’elle perçut était des cris de terreurs. Elle ne savait pas si c’était bon ou mauvais signe, dans tous les cas, c’était anormal. Pendant qu’Eily réfléchissait ainsi, Ifios se plaça à côté d’elle, à bout de souffle.

– Eily, arrête ! chuchota-t-il. Il faut s’enfuir !
— … encore ce refrain…

La demoiselle cyan vit soudain rouge. Le jeu avait assez duré. C’était amusant au début, mais ça commençait à devenir lassant à la longue ; et surtout, Ifios ne l’était plus d’aucune utilité à présent.

— Écoute, Ifios, si tu as si peur que ça, tu peux faire demi-tour. Moi, je dois à tout prix récupérer mon manteau.
— Q-Quoi ? Mais je ne peux pas t’abandonner !
— M’abandonner ?! Mais tu ne vois pas que je peux me débrouiller sans toi ? J’ai un Ensar ! Je pourrais me débarrasser de toi sans problème si je le voulais !
— E-Eily ? s’étonna Ifios. Mais qu’est-ce qu’il t’arrive tu…
— Quoi ? Je ne suis pas toute mignonne et docile ? Hé bien désolée pour toi, mais non, je suis loin d’être la personne que tu idéalises !

Galvanisé par son dégoût pour ce garçon, Eily se leva et flanqua à Ifios un franc coup de carapace en plein torse. La pauvre victime expulsa un souffle sourd, mélangeant douleur et surprise. Eily s’avança vers lui, alors qu’il se tenait encore l’estomac. Elle le surplomba de son glacial regard azur, luisant de répugnance.

— Il est temps que tu ouvres les yeux, imbécile, grinça la demoiselle cyan. Tu ne me connais pas. Ce que tu as vu durant ces derniers jours n’était qu’une mascarade. Je jouais la fille mignonne toute gentille, mais ce n’était qu’un jeu. Tout ce que je voulais, c’était t’avoir dans ma poche, et c’est exactement ce qui s’est passé. Or, je n’ai plus besoin de toi désormais ; tu peux donc t’en aller sans t’occuper de moi.
— … !

Déjà qu’Ifios ne savait plus où donner de la tête, les paroles incompréhensibles d’Eily le perforaient la cervelle, lui donnant l’impression de sombrer dans un gouffre.

— Mais je vais quand même te remercier, grâce à toi, j’ai un ticket de sortie.

La demoiselle cyan demanda à Caratroc d’immobiliser l’adolescent d’une toile gluante, puis, elle en profita pour le fouiller et récupérer la carte des passages secrets. Voilà pourquoi elle faisait toujours attention à garder Ifios près d’elle, pour pouvoir lui subtiliser la précieuse carte à la première occasion.

— Avec ça, je devrais pouvoir m’enfuir une fois que j’aurais retrouvé mon manteau ; merci.

Et Eily laissa sa victime seule, et fonça furtivement se cacher derrière un autre rocher, avant d’en choisir un autre ; elle réitéra son manège jusqu’à trouver une cachette tranquille. Elle en profita pour déplier la carte savamment dérobée :

« Bien, alors normalement je devrais être… là, oui. Et la grotte de Danqa est… ici. Ce n’est pas trop loin.

— Hé, Eily…

« Si mon manteau est avec lui, il doit forcément se trouver dans sa grotte. »

— Je te parle, Eily !

Interloquée, la demoiselle cyan baissa la tête. Caratroc s’était détaché de son bras, et la fixait droit dans les yeux.

— Tu n’as pas été trop dur avec ce garçon ?
— Troctroc, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi. Tu le savais aussi, je me servais de lui depuis le début.
— Oui, je le savais. Mais tout de même, il ne méritait pas ça…

Eily inspira.

— Si j’ai appris quelque chose à travers toutes les catastrophes que j’ai vécues, c’est que le monde est une jungle. Il ne faut jamais baisser sa garde. Même si on pense avoir atteint le bonheur, il peut disparaître d’un coup, au moment où l’on s’y attend le moins.
— Eily… tu deviens… froide. Tu as toujours eu un caractère distant, masquant ta véritable personnalité. Mais je me souviens aussi que malgré tout, tu restais chaleureuse. Tu avais des amis, et tu les respectais, tu les aimais, quoi que tu puisses dire. Tu avais beau les manipuler parfois, les jouer de sales tours, tu savais tes limites et tu n’allais jamais trop loin.
— …
— Mais maintenant, j’ai peur que tu ne saches plus tes limites. J’ai peur que tu ne deviennes… un monstre.

La demoiselle cyan s’assombrit, pesant dans sa tête le poids de ces paroles. Avait-elle tant changé que cela ? Avait-elle été si cruelle avec Ifios ? Eily n’avait pensé qu’à elle ces derniers jours, jamais elle n’avait accordé une seule réflexion quant au ressenti du jeune homme.
Mais si Caratroc s’inquiétait, c’était qu’il devait avoir de bonne raison. Eily et lui partageaient une confiance parfaite ; jamais la demoiselle n’ignorerait les remarques de son Ensar.

— … je suis peut-être allée trop loin, admit Eily, mais c’est de circonstance. Je ne suis plus dans l’orphelinat, mais dans un repère de bandits sans pitié. Si je montre une once de faiblesse, c’est ma vie que je risque !
— C’est vrai, notre situation est désastreuse. Cependant, c’est justement dans ces situations qu’il faut rester vrai, et ne pas céder à la panique. Penses-tu réellement qu’Ifios soit un danger pour toi ? Qu’il représente un risque suffisant pour le traiter comme tel ?
— … je…
— Il a aidé les esclaves à s’enfuir, il t’a aidé à survivre face à Sidon ; il a trahi les siens. Lui, il a risqué sa vie pour toi.
— … Troctroc…
— Je sais que ces expériences récentes ont été terribles pour toi. Tu as tout perdu. Il était naturel que tu te forges une carapace pour à la fois te protéger et faire le point. Mais tu ne dois pas laisser ce masque te contrôler, Eily. N’oublie pas qui tu es réellement. N’est-ce pas justement pour cela que tu veux récupérer ton manteau, pour ne pas oublier ? Mais ce vêtement n’est qu’une attache, un souvenir, un objet. Tu n’en as pas besoin, tant que tu restes fidèle à toi-même.

Eily se mordit les lèvres, digérant la leçon de Caratroc. Elle s’en rendait compte, elle était en roue libre. Elle avait laissé sa tristesse obscurcir sa vue ; elle avait laissé son aveuglement supprimer son empathie. Seuls ses sentiments négatifs avaient eu le droit de s’exprimer.

— Ifios…, marmonna-t-elle.
— Tu t’inquiètes pour lui maintenant ? souleva Caratroc.

Eily détourna les yeux. La tortue rondelette sourit doucement.

— Il va bien, je ne l’ai pas vraiment englué tout-à-l’heure. S’il est intelligent, il doit s’être mis à l’abri. En revanche, sans la carte, il est dans de beaux draps.
— … je…
— Tu devrais aller le retrouver.
— … vraiment ? geignit Eily.
— Au moins pour le sortir de ce trou à rat, ce serait la moindre des choses.
— … très bien.

Caratroc soupira légèrement, heureux que sa partenaire soit enfin revenue à la raison. Cela faisait déjà un bon moment qu’il espérait avoir une conversation sérieuse avec Eily, mais il n’en avait jamais vraiment eu le temps. Et surtout, il attendait le bon moment pour lui dire ses quatre vérités, un moment où elle serait particulièrement réceptive.

Eily jeta un œil du côté du camp des Agrios ; il était désert. Elle ne s’en était même pas rendu compte. La demoiselle hésita à sortir de sa cachette, craignant un piège :

« … où sont-ils tous passé ? »

Toutefois, Eily savait qu’elle ne pouvait pas rester ici indéfiniment. Rassemblant sa volonté, elle fit demi-tour, dans le but de retrouver Ifios. Elle ne l’appréciait toujours pas, mais Caratroc avait raison : elle ne pouvait pas l’abandonner ici.

Mais alors qu’elle courait, une effroyable secousse la projeta au sol. Elle se releva vivement, tous les sens en alerte.

— … !

Ce fut alors qu’elle le vit : Danqa aux Griffes. Il avait ses quatre cimeterres en main, prêt à déchiqueter de la chair fraîche. Heureusement, ce dernier ne semblait pas l’avoir vue ; mais sa simple présence paralysait Eily de terreur. Elle dut faire appel à tout son courage pour traîner son corps derrière un rocher et s’y cacher.

Quelque chose d’autre vint subitement rejoindre le colosse. Ou plutôt, quelque chose fonça vers lui. Eily n’arriva pas à déterminer exactement ce que c’était, mais ce n’était absolument pas humain. On aurait dit un gigantesque lézard armuré d’épaisses écailles. Dans la seconde, Danqa et l’étrange reptile se livrèrent un échange de coups tonitruants, dont le moindre impact faisait trembler le sol et soulevait des rafales de poussières.
Caratroc bondit de stupeur, sachant instinctivement ce que cette créature était.

— … un Ensar ! s’étonna-t-il.
— … !

Eily écarquilla les yeux à mille reprises. Qu’est-ce qu’un Ensar faisait ici ? Et pourquoi combattait-il Danqa ? La demoiselle repensa à la fameuse fillette à l’épée gigantesque ; était-il possible qu’il y ait un lien ? De plus, qui disait Ensar disant forcément Foréa. L’un de ces demi-dieux était-il dans les parages ?

— C-Ce n’est pas bon, geignit Caratroc. Il ne faut pas rester là, on risque d’être mêlé à leur affrontement !

La demoiselle cyan hocha la tête ; il serait bête de perdre la vie sur un simple coup perdu. Elle jeta cependant un dernier coup d’œil vers le combat de titans. Ce déploiement de puissance était affreusement ensorcelant. Sidon, qu’Eily trouvait déjà impressionnant, n’était rien face à un tel déchaînement de sauvagerie. Il n’y avait pas besoin d’y réfléchir bien longtemps, si elle se retrouvait face à ces abominations, Eily savait qu’elle ne tiendrait pas une seconde.

— Eily ! la rappela vivement Caratroc à l’ordre.
— Nyah !

Surprise, la demoiselle cyan secoua la tête, chassant ses pensées parasites. Et dans une vitesse qu’elle ne soupçonnait même pas, elle courut loin, bien loin de ce combat absurde.
Il y avait décidément énormément d’imprévus dans son plan, rien ne s’était déroulé comme elle l’avait espéré. Non seulement, récupérer son manteau n’était plus que rêverie, mais en plus, elle partait désormais à la recherche d’Ifios, qu’elle était censée avoir abandonné. Pourtant, elle le sentait sensiblement ; dans son cœur, ses valeurs primaires approuvaient sa décision. Elle perdrait beaucoup plus à ne pas s’écouter elle-même, plutôt que de récupérer son manteau en niant son humanité.