23 juin 201718h30
Les rues sont désertes. Le petit groupe de survivants avancent lentement dans ce qui ressemble à un énième village abandonné. La journée a été longue. L’un d’entre eux, le plus rondelet et le plus âgé, souffle péniblement derrière le groupe, très largement à la traine. Il se tient les côtes, le bras droit particulièrement bien enfoncé dans ses bourrelets étonnamment résistants. Ils marchent maintenant depuis dix heures, sans un seul arrêt, et la vitesse de ses quatre condisciples l’épuise. Enfin, au tournant d’une petite rue étroite, il n’en peut plus. Il se laisse tomber sur un banc moisi et glisse de manière à libérer ses poumons endoloris tout en étendant son corps, poussant le plus loin possible sur les pavés envahis par la mousse ses derbies inadaptées à la marche.
La seule femme du groupe pousse un soupir lassé.
« Allez Papy, on n’a pas que ça à faire, en marche ! »
Elle ne s’arrête pas. Seul le plus jeune s’inquiète réellement de l’état de santé de son camarade. « Les derniers qui se sont mis en marche ne sont pas allés bien loin, fait-il remarquer.
— Quand vas-tu comprendre que je n’aime pas qu’on me rabaisse à mon vieil âge, et que je m’appelle Roger ? se vexe le vieil homme dans un demi-souffle.
— Quand tu auras la force physique d’un homme plus jeune, Papy, rétorque du tac-au-tac la jeune femme.
— On devrait faire une pause, intervient le jeune adulte dans un accent britannique. Moi aussi, j’ai les pieds en feu, et moi aussi j’ai besoin de souffler un peu. »
Sur ces mots, il tire sur son bras pour arrêter la jeune enfant qui l’accompagne et rejoint Roger sur son banc moisi. La jeune femme roule des yeux et jette un coup d’œil au dernier membre du groupe, qui n’a pas arrêté sa marche et qui se trouve à présent très loin devant, quasiment à la sortie du village.
« Hey ! Le Bolchévique ! Je sais que tu piges que dalle à ce qu’on se raconte, mais t’as des yeux ! Je te ferais signaler que la moitié du groupe s’est arrêté ! »
L’homme ne répond pas et continue sa marche.
« Je savais que c’était pas une bonne idée de se le coltiner, celui-là.
— Il nous a quand même bien aidé quelques fois, fait remarquer le jeune garçon depuis son banc.
— Sa hache est pratique, en effet, rumine la jeune femme qui accepte la gourde que lui tend son camarade de voyage. »
Elle en boit un grand coup d’eau sous l’œil accusateur du jeune homme, mais elle s’en fiche. D’ailleurs, elle se fiche de ce que tous les autres font. Si Roger veut faire une pause, qu’il la fasse. Si le Bolchévique n’en fait qu’à sa tête, tant mieux pour lui. Elle n’a jamais demandé à voyager en si mauvaise compagnie.
« Tobias, appelle la petite fille. J’ai faim.
— Moi aussi, Victoire. Mais on ferait mieux d’attendre encore un peu avant de manger. Il vaut mieux d’abord trouver un abri. Le temps se couvre à nouveau, et il ne fait pas bon de
zoner dans les rues.
— Tobias a raison, m’fèye. Laisse-moi juste le temps de reprendre un peu des forces, et on va trouver un refuge. Si j’en crois ma boussole, on devrait s’être dirigé un peu trop à l’est.
— Trop à l’est ou trop à l’ouest, qu’est-ce qui change ? C’est pas comme si on avait une destination particulière.
— Parle pour toi, manneke. »
Roger pointe du doigt le quarantenaire qui s’est arrêté à l’autre bout de la rue devant une carte touristique du village. L’homme parcourt la carte de son doigt le long des chemins de campagne, à la recherche d’une destination inconnue.
« Une chance qu’il parle allemand pour comprendre ce qu’il lit, marmonne Tobias.
— Si seulement il parlait français pour nous faire la traduction », réplique Roger.
Les deux hommes pouffent de rire, mais leur amusement est de courte durée : la jeune femme les a fusillés du regard et s’éloigne du banc, exaspérée.
Margaret marche lentement le long des maisons aux façades délabrées, dont les fenêtres ont été brisées avec le temps ou à cause d’une quelconque attaque meurtrière, ou tout simplement par la faute d’autres survivants à la recherche de nourriture. Cela faisait exactement un an que la Catastrophe s’était produite, et elle avait appris à ne plus espérer trouver de la nourriture dans les maisons abandonnées. Les anciens propriétaires auront probablement emporté avec eux toutes leurs provisions jusqu’à trouver la mort sur un chemin abandonné, ou dans une ville infestée de Marcheurs.
Elle s’arrête devant la vitrine intacte, mais salie par le temps, d’une petite boutique de vêtements. À première vue, la mode du coin n’était pas en phase avec celle du reste du monde à l’époque où ces vêtements avaient été stockés dans ce magasin. Elle se souvient qu’ils étaient en Allemagne, et elle se permet un petit sourire narquois.
Soudain, elle sursaute. Elle vient de croiser les yeux noirs de son reflet dans un des miroirs à l’intérieur du magasin. Elle s’approche de la vitre jusqu’à y coller le bout de son nez en sueur pour s’assurer qu’il s’agit bien d’elle. Le temps et l’angoisse ont fait des ravages sur son visage. Rien à voir avec l’état plutôt propre de celui de Tobias : le teint frais d’un asiatique qui a l’air d’avoir passé un mois dans un pays de la méditerranée. Même Roger, avec ses rides et ses cheveux gris couleur poussière, et le Bolchévique, avec sa longue barbe aux poils entremêlés, paraissent ne pas avoir trop subi de transformations physiques. Elle ne demandait pas à avoir le visage lisse et doux de la petite Victoire, mais quand même !
Sa peau à l’accoutumée d’un noir épuré à l’image d’une fève de cacao avait pâli, enduite d’une couche de poussière, ses cheveux frisés en chignon lui rappelaient un vieux sac de cordes. Sans parler des cicatrices sur la joue et le cou, qui la rendent aussi dangereuse qu’un Fauve. Finalement, les conséquences de la Catastrophe n’ont pas été aussi redoutables sur le monde que ce qu’elles n’ont été sur son physique.
Derrière elle, la conversation des survivants sur leur banc va bon train. Hormis leurs voix peu audibles et le léger vent qui siffle sur les lampadaires éteints, il règne un calme morbide sur le village abandonné.
Quelque chose dans le magasin attire l’attention de Margaret. Elle ne saurait dire pourquoi, mais tous les muscles de son corps se crispent sur le couteau de cuisine qu’elle tient dans sa main droite. Elle plisse les yeux, scrutant chaque recoin de l’intérieur de la boutique. Elle en est sûre : quelque chose a bougé.
« On ferait mieux de se remettre en chemin, chuchote-t-elle discrètement à ses condisciples. — Oui, c’est ce que j’allais proposer, répond Roger d’une voix claire et tonitruante, je me suis assez repos…
— Silence ! »
L’ordre a claqué dans l’air comme un coup de fouet. Roger, Tobias et Victoire jettent un coup d’œil à la jeune femme toujours à l’affut devant la vitrine. Elle ne s’était pas trompée, quelque chose a bien bougé dans la boutique. Elle déglutit avant de décider de quitter au plus vite l’endroit.
Tout à coup, un mannequin en plâtre s’écrase au sol au fond du magasin et une masse sombre tombe sur la tête du mannequin face à la vitrine. Margaret recule d’un pas, d’instinct, et écrase une cannette qui répand son liquide dans sa chaussure.
« Margaret ! » s’exclame Tobias qui se lève d’un bond de son banc. Mais la jeune femme lui fait un signe de la main pour le forcer à rester immobile.
Elle est entrée dans un jeu de regards avec le Fauve qui l’observe de l’autre côté de la vitre. La créature ressemble à une fouine à ceci près qu'elle doit faire au moins deux mètres de long, qu’elle se tient sur ses deux pattes arrières et que ses oreilles pointues sont dressées sur sa tête, au-dessus d’un pelage zébré. Le Fauve et Margaret s’échangent des regards : l’un attendant le moindre signe de faiblesse de la part de l’autre qui l’examine longuement. Sa queue hirsute a l’air musclée, ses pattes sont dotées de griffes qui peuvent lacérer la peau sans ménagement, ses pattes semblent pouvoir avaler des dizaines de mètres en quelques secondes. Si ce Fauve attaque, elle sait qu’elle n’a pas beaucoup de chances d’en réchapper sans égratignures. C’est pourquoi elle reste immobile, dans l’attente inespérée qu’il décide de passer son chemin.
Mais elle connait trop bien les Fauves : se défiler devant un amas de viande bien fraîche n’est pas de leur habitude.
Le Fauve se jette d’un coup sur la vitre qui le sépare de sa proie. Celle-ci retient sa respiration, comme paralysée par l’attente. La vitre semble tenir. C’est alors qu’elle constate que de part et d’autre du corps du Fauve qui la regarde avec un sourire malsain, de nombreuses fissurent se dessinent dans le carreau.
« Margaret ! » crie à nouveau Tobias en tirant vers lui la petite Victoire.
La jeune femme se réveille de sa torpeur. Elle tourne les talons et court à toute vitesse vers le banc, percutant au passage un lampadaire rouillé. Un instant plus tard, la vitre se brise en éclat et le Fauve bondit dans la rue, grimpe sur le lampadaire et les surplombe de manière menaçante. Deux autres masses sombres identiques surgissent hors de la boutique et avancent avec rapidité vers le banc.
« On dirait qu’on a dérangé cette famille en plein shopping ! fait remarquer Tobias, la mâchoire tendue.
— Garde tes vannes pour toi, Naruto ! »
Margaret lâche sa gourde d’eau au sol, agrippe son couteau dans ses deux mains et se jette sur la deuxième fouine qui court vers elle. Mais le Fauve est plus petit qu’il ne parait et la survivante rate sa cible. Elle manque de perdre l’équilibre tandis que le Fauve se faufile entre ses jambes et se poste derrière son dos, tout près d’une Victoire terrifiée.
Juste à côté d’elle, Tobias lève son lourd bâton de bois en tremblant des bras et, fermant les yeux, fait un large mouvement de gauche à droite devant lui. Le troisième Fauve qui s’est jeté sur lui est violemment projeté sur le côté et s’écrase sur le trottoir opposé. Un craquement sourd annonce que son crâne a été brisé sous le choc.
«
Got you, bastard ! » s’exclame Tobias de joie.
Mais un cri de terreur derrière lui attire son attention : Victoire est à la merci du Fauve que Margaret a laissé échapper. Mais la petite fille use de sa souplesse pour se cacher sous le banc, échappant à la vue du Fauve qui se tourne en direction du dos de la jeune femme.
« Attention, Margaret ! » s’épouvante Roger. Alors que le Fauve sort ses griffes acérées, la survivante plonge en avant grâce à l’avertissement du vieil homme terrifié. Dans l’effort, son couteau de cuisine lui glisse hors des mains. C’est alors qu’elle se rend compte de sa terrible erreur. Elle se trouve à présent étalée de tout son long sous le lampadaire rouillé sur lequel le premier Fauve avait élu domicile juste avant leur attaque. Ce dernier plonge en piqué sur elle qui se protège le visage à l’aide de sa main gauche, et arrive à attraper le Fauve avec l’autre main, qu’elle maintient difficilement loin de son visage à cause de sa force robuste.
Plus loin, Tobias observe, démuni, le vieux Roger soulever sa jambe afin de frapper violemment la deuxième fouine qui menace de les attaquer. Mais le Fauve est plus malin et se dirige à son tour vers Margaret sans se soucier des derbies du vieil homme qui brasse de l’air inutilement.
À cet instant précis, Margaret sait qu’elle est en mauvaise posture. Un Fauve tenu difficilement à l’écart de son visage, l’autre courant dans sa direction, et son arme trop loin de quelques centimètres pour que sa main gauche ne puisse l’attraper. C’est alors qu’un violent jet de sang gicle sur le visage tout en sueur de la jeune femme. Terrifiée, elle décide d’écraser le Fauve au sol, mais la fouine lui glisse des mains et recule de quelques pas après avoir réussi à lui griffer l’avant-bras. Une hache s’abat devant la créature qui recule davantage, et elle comprend d’où est venue la flaque de sang qu’elle a reçue au visage. À côté d’elle, la tête du Fauve qui allait l’attaquer par derrière a été tranchée net par la hache et les bras musclés du Bolchévique, qui est enfin arrivé sur le lieu de combat.
Un nouveau craquement sourd indique que le Fauve a été achevé par le coup surpuissant et précis que lui a donné Tobias à l’aide de son lourd bâton de bois.
«
Well, guys ! Pour des gens qui se ventent de leurs muscles, heureusement que je suis là pour vous sauver la peau !
— Ta gueule, Naruto ! »
Le quarantenaire tend une énorme main, proportionnelle à sa gigantesque carrure, à Margaret. Mais celle-ci le dévisage du regard et se relève par ses propres moyens.
«
Kuchka ! » maugrée l’homme dans un souffle alcoolisé. La jeune femme lui lance un regard noir : « Fais attention à ce que tu dis, le Bolchévique.
— Moi je Ludovic.
— Parce qu’il a appris à parler français ?
— Toi tu
kuchka. »
Margaret plisse des yeux et préfère ne rien répondre. Elle ramasse son couteau et sa gourde d’eau qui s’est vidée durant le combat, tandis que Roger aide Victoire à sortir de sa planque. C’est alors qu’un léger picotement à l’avant-bras droit attire son attention. Trois griffures symétriques ont légèrement ouvert la surface de sa peau et laisse quelques gouttes de sang s’en échapper. Le dernier Fauve l’a eu, l’enfoiré ! Elle sait que si elle ne traite pas en vitesse cette blessure, elle peut très vite s’infecter. Et dans des circonstances pareilles, la moindre infection peut lui être fatale.
« On ferait mieux de quitter l’endroit, les presse Tobias en écartant du pied le cadavre écrasé de la fouine qui git près d’eux. Le vacarme qu’on a fait pourrait en attirer d’autres.
— Ou pire, des Marcheurs », précise Roger en se levant difficilement de son banc.
Margaret reste silencieuse, mais elle approuve dans son coin. Tobias prend la jeune fille terrifiée dans ses bras, et le groupe de cinq survivants se réunit devant le banc.
« Par où va-t-on ? demande Roger.
On devrait quitter ce village, propose Tobias. C’est pas très prudent de trainer dans les lieux urbains en ce moment.
— Ou on se barricade dans une de ces maisons en espérant trouver de la bouffe et des pansements, suggère à son tour Margaret.
—
Tam », indique Ludovic en pointant du doigt la sortie du village vers laquelle ils se dirigeaient au départ.
Leur survie est entre vos mains !
Choix évènementiel
Dans quelle direction le groupe de survivants doit-il se diriger ?
Choix 1 : Rebrousser chemin et revenir sur des sentiers connus.
Choix 2 : Quitter le village vers les routes de campagne.
Choix 3 : Rester dans le village et se barricader dans un bâtiment.Vous pouvez dès à présent voter dans les commentaires !
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