Chapitre 2 : Axel (par Lief97)
La petite maison de pêcheur était idéalement située à la sortie de la ville, non loin d’une plage de galets qui délimitait le sud de Rivamar. La maison ressemblait plus à une cabane qu’autre chose. D’aspect fragile, elle semblait prête à s’écrouler au moindre coup de vent.
Un vieillard au teint maladif arrosait un cactus — probablement importé d’Unys illégalement — en lui murmurant de douces paroles réconfortantes.
—Mon petit cactus, oh mon petit cactus…
Le bruit des vagues et du vent semblaient presque bercer l’atmosphère paisible de cette ancienne habitation. Le vieil homme savourait toujours ces moments de calme et de plénitude avec délectation. « Rien de tel qu’un coin tranquille pour terminer ses jours, apaisé… » Devait-il penser avec émerveillement.
Mais moi, je venais juste de me réveiller et de voir l’heure.
—Waaaaaa ! Hurlai-je soudain. Je vais être en retard pour supporter Jean-Eudes !
Je bondis hors de mon lit, atterrissant directement dans mes tongs. J’enfilai mon short et mon débardeur rapidement, avant de décider d’enfiler une chemise Alolaïenne par-dessus. Puis, pour finir, je saisis ma Pokéball et enfilai ma casquette à l’envers, comme tout dresseur qui se respecte.
J’aurais bien voulu admirer mon reflet dans le miroir un petit quart d’heure, mais je n’avais plus vraiment le temps.
Je bondis donc hors de ma chambre en ouvrant la porte d’un coup de tête à faire rougir de honte un Charkos.
Une fois que j’eus atterri souplement au rez-de-chaussée après un salto dans les escaliers en colimaçon, je sautai par-dessus la table de la salle à manger en attrapant au vol le verre de jus de fruits que mon papi avait préparé pour moi. La porte était fermée ; comme elle était vieille, grinçante et qu’il fallait forcer un bon coup pour l’ouvrir, c’était plus long que mon passage secret.
Alors que j’atterrissais de l’autre côté de la table, je bus d’une traite le jus de fruits. Jetant mon verre par-dessus mon épaule en priant pour que celui-ci atterrisse dans le lave-vaisselle — j’y parvenais une fois sur dix — je sautai sur l’évier pour me propulser par la fenêtre ouverte.
Un bruit de verre cassé dans mon dos m’apprit que j’avais raté mon objectif, comme souvent. Les statistiques ne mentaient pas !
Mais je fus entièrement accaparé par mon atterrissage.
Mon papi, qui connaissait mes sales habitudes de sauter partout quand j’étais en retard, avait prévu le coup en laissant un moelleux tapis au sol. Il savait que j’étais quelqu’un d’extrêmement maladroit et malchanceux.
Mais bon, le vieux commençait à perdre la boule.
Il avait placé le matelas devant la porte et les cactus sous la fenêtre.
—Aïïïïïïe Aïe Aïe ! Criai-je en tombant face contre le sol, les jambes recouvertes d’épines acérées.
Mon papi, qui avait lâché son arrosoir et semblait sur le point de faire une crise cardiaque, me regarda avec stupéfaction. Je n’avais pas le temps de lui dire bonjour.
Ignorant mes blessures, je contournai la vieille bicoque avec pour ferme intention d’aller retrouver Jean-Eudes au plus vite.
Car après tout, le concours de pêche de Magicarpe, c’était aujourd’hui. Et comme d’ordinaire, mon cher cousin allait l’emporter haut la main!
***
Je traversai Rivamar au pas de course, en prenant soin de ne pas marcher sur le trottoir. Avec ma chance, il m’était déjà arrivé quatre fois le mois dernier d’éviter de peu un piano tombant d’un immeuble en déménagement. Et je ne comptais pas les pots de fleurs, bien sûr.
Mon papi disait sans cesse que j’étais maudit par Darkrai, ou un truc dans le genre.
Mais c’était faux, bien sûr.
Non, c’était Arceus qui en avait après moi.
Il était vénère parce que j’avais réussi à trouver son numéro de portable et que je lui envoyais des petits SMS moqueurs de temps en temps. Du coup, le Dieu des Pokémon se vengeait, en tentant de me faire crever à coups de piano ou d’éclairs. Fallait surtout pas que je reste dehors par temps orageux, sinon c’était la mort direct. Heureusement, je pouvais toujours me coller à mon Tritosor qui absorbait la foudre grâce à son double-type, mais c’était pas très agréable de le câliner, le gros tas baveux.
Parfois, il arrivait à Arceus d’être un peu plus sympa avec moi ; quand il était de bonne humeur, il me prévenait parfois d’un éventuel accident potentiellement mortel, et je pouvais donc l’éviter. Souvent, au dernier moment, mais bon, j’allais pas me plaindre de m’en sortir indemne.
Heureusement, cette malchance divine qui me retombait dessus n’avait aucune conséquence pour mon entourage. J’étais vraisemblablement toujours le seul à pâtir de mon destin capricieux. Me mettre aux côtés de Jean-Eudes pendant ses pêches n’avait jamais nui à mon cher cousin. Il s’en sortait toujours avec les lauriers quand il s’agissait de Magicarpe !
Je bondis devant un magasin de location où j’étais salement réputé pour péter tous les vélos qui passaient à ma portée. Mais le propriétaire restait sympa avec moi, pour l’instant. Il n’avait pas encore menacé de me radier de la liste des clients, contrairement aux six autres magasins semblables de Rivamar.
—Le vélo le plus rapide de tous ! M’exclamai-je.
—Tu sais très bien qu’il n’y a pas de plus rapide, Soupira l’homme, un quarantenaire dépourvu du moindre cheveu. Suffit juste de pédaler plus vite que les autres.
—Celui-là, c’est combien ?
—C’est une motocross, ça. Tu n’as pas le permis.
—Ah, mince. Celui-là, alors !
Je désignai un petit vélo pimpé avec des éclairs peints qui partaient du guidon. Il avait un style rockeur et rebelle, ça me plaisait beaucoup !
—T’es sûr, Axel ? Y’a des petites roues à l’arrière…
—Avec quatre roues, ça doit sûrement rouler quatre fois plus vite !
—Euh… Ok, ça fera mille trois cent-cinq Pokédollars pour la journée, si tu y tiens vraiment.
Je balançai les billets au visage du propriétaire qui lâcha un cri de surprise étouffé ; mais je n’avais pas le temps de l’aider à les ramasser. Je bondis en selle et pédalai comme un dératé dans les petites rues de Rivamar. Je devais à tout prix arriver à temps !
D’ordinaire, je tombai souvent en vélo. Ma maladresse légendaire m’obligeait à subir deux à trois chutes par heure. Mais là, grâce aux petites roues, l’engin semblait stable. Par contre, pour la vitesse, c’était pas terrible. Limite, j’allais aussi vite en courant.
Les gens me regardaient bizarrement, mais je m’en fichai. Ce qui comptait, c’était d’aller voir Jean-Eudes remporter son septième trophée !
Mon téléphone vibra dans la poche de mon short. Je m’arrêtai dans un crissement de pneu et constatai que c’était Arceus.
Je te déconseille d’aller sur cette plage. Je prédis qu’il va arriver des choses inattendues là-bas.
Je soupirai, et répondit :
Yo, mec. Sorry, mais j’ai pas le time pour tes conneries, Jean-Eudes m’attends. Fourre-toi tes prédictions là où je pense, ça vaut mieux. Tchuss.
Je rangeai mon téléphone dans ma poche. Si Arceus voulait me répondre, alors il attendrait un peu. Je devais atteindre la route 222.
Arceus était un rigolo parfois. Il lui arrivait de me déconseiller des choses alors qu’il ne se passait jamais rien de grave. Il voulait sûrement me faire peur. Mais aujourd’hui, c’était un grand jour, alors je n’avais pas de temps à perdre avec ça !
En redémarrant, je faillis percuter une piétonne. Je me figeai en voyant que c’était une fille.
J’avais une fâcheuse tendance à perdre toute crédibilité face aux filles. Je me mettais à transpirer, à trembler, et ma voix devenait toute aigue. C’était une sorte de fillophobie, sûrement.
Mais je fus rassuré de voir que c’était l’une des seules filles devant laquelle je ne m’affolais jamais : c’était Zoé. Une rivale de Jean-Eudes dans la compétition, qui bégayait. J’adorais me foutre de sa gueule.
—B… B… Bonjour Z… Z… Zoé ! Fis-je en rigolant à moitié.
Elle me jeta un regard noir mais passa son chemin. Peut-être était-elle pressée. Ou bien elle échafaudait un quelconque plan diabolique qui consistait à faire chier Jean-Eudes. J’étais surpris qu’elle ne soit pas encore sur la plage. Je lui criai en repartant :
—Dépêche-toi, ça va commencer, je te signale !
Sans attendre plus longtemps, j’accélérai comme un dératé, direction la route 222.
***
En arrivant près de la plage, je sautai à terre sans freiner ; le vélo fonça droit dans une poubelle en provoquant un grand bruit. Je le récupérerai plus tard, de toute façon, et ces poubelles étaient tellement crades que personne n’oserait le toucher ou le voler.
Mon portable vibra. Je soupirai et le sortit avec empressement.
Le concours ne va pas se passer sans encombre. Ton cousin risque de rencontrer des difficultés.
Je grommelai quelque chose en répondant à cet abruti d’Arceus :
Ouais, bon, je vais en toucher deux mots à Jean-Eudes si ça te chante, mais maintenant stop le harcèlement stp
Je bondis sur la plage et me mis à courir, droit vers l’emplacement habituel de Jean-Eudes. Le sable soulevé sur mon passage aveugla des participants et leur arracha quelques insultes, mais je les ignorai ; c’étaient tous des rageux défaitistes voués à perdre ce concours, et il fallait ignorer les rageux comme les perdants, c’était bien connu.
L’emplacement de Jean-Eudes était occupé uniquement par les Pokémon de celui-ci. Je ralentis à leur approche. Il y avait Tupointes, un beau Voltorbe que j’aimais bien, ainsi que Skyluli et Chenipotte, respectivement un Draco et un Banshitrouye. Je m’accroupis auprès d’eux :
—Hey, Tupointes, tu saurais pas où est Jean-Eudes par hasard ? J’ai un truc hyper important à lui dire.
—Torbe !
Les éclairs qui émanèrent de l’intelligent Pokémon électrique me firent tourner la tête… vers un petit terrain improvisé de pétanque, à l’écart.
—Génial, merci ! Et bonne chance pour tout à l’heure !
Je m’étais déjà relevé en trombe mais je pris soin de me contenter de marcher vite pour soulever moins de sable. Je parvins au terrain de pétanque. Jean-Eudes y affrontait deux gaillards au teint buriné, des habitués, certainement. Comme d’habitude, mon cousin avait opté pour un costume qui piquait les yeux. Je croisai son regard vairon en souriant joyeusement, un pouce en l’air. Il passa une main dans ses cheveux roux d’un air gêné avant de lancer sa boule.
Celle-ci atterrit près du cochonnet en envoyant valser celle de son adversaire. Les deux hommes, stupéfaits par ce mouvement de génie, l’applaudirent et lui proposèrent une autre partie, mais Jean-Eudes leur expliqua que je l’attendais. Il se dirigea vers moi :
—Yo, Jean-Eudes !
—Salut, Axel. Tu as encore mis ta casquette à l’envers.
—Et toi, tu as oublié que les couleurs vives pouvaient tuer les âmes sensibles. Mais, plus important… tu as remarqué ?
—De quoi ?
—Une situation anormale ? Arceus m’a envoyé des SMS me disant que le concours allait être différent de d’habitude. Il est inquiet, ce débile.
—Je n’ai rien remarqué, non…
Je me retournai vers la plage et remarquai l’absence de Zoé sur son rocher :
—Dis-moi. Zoé, elle est toujours là très tôt, non ?
—Euh… Oui. C’est bizarre qu’elle ne soit pas encore là.
—Je l’ai croisé en arrivant, elle avait un air louche. Je te parie qu’elle d… d… doit f… faire q…
Jean-Eudes leva les yeux au ciel, exaspéré :
—Oui, bon, finis ta phrase vite.
—… Doit faire quelque chose de pas net ! Terminai-je en riant.
Jean-Eudes haussa les épaules :
—Va savoir. Je trouve ça dommage qu’elle ne soit pas là. J’espère qu’elle participe…
—Tu vas encore lui mettre la misère si elle vient. Elle en a sûrement eu marre de finir deuxième à chaque fois ! Au fait, pas mal joué du tout, ce mouvement. C’est à se demander pourquoi tu fais des études sur le curling.
Jean-Eudes secoua la tête, dépité :
—Ce n’est pas sur le curling. Je suis en études de gestion et technologie de l’industrie du Bowling…
—J’ai jamais compris pourquoi.
—Y’avait pas de pétanque, comme études. J’ai pris un truc approchant. Cette fois-ci, peut-être que je pourrai peindre Tupointes et faire croire que c’est une boule de bowling…
Je soupirai :
—Bon, bref. Allons près de ton matos. Je vais essayer de ne pas te porter malchance par ma simple présence.
—C’est sur toi que tombent les pianos, pas sur moi.
—Pas faux.
Nous rejoignîmes tranquillement l’emplacement de Jean-Eudes. Je constatai avec embarras qu’il y avait pas mal de concurrents cette année. La plage commençait sérieusement à être bondée. Une fille inconnue en bikini croisa mon regard et pour éviter de perdre mes moyens, je rabattis ma casquette jusque sur mon nez, avant de m’installer à l’aveuglette près de Jean-Eudes et sa mystique canne à pêche.
Distraitement, je remarquai l’absence de Skyluli et Chenipotte. Jean-Eudes m’en fit la remarque :
—Tu les as fait fuir ?
—Pas du tout, ils étaient là quand je suis arrivé.
—Ils doivent être dans les environs, alors.
Je haussai les épaules :
—Je sors Triton, il a besoin de prendre l’air.
J’ouvris ma Pokéball et mon Tritosor en sortit en bavant. Le problème avec mon Pokémon, c’était qu’il était long à la détente. Il lui fallait parfois cinq-dix minutes pour remarquer qu’on lui avait donné un ordre. Dans un quart d’heure, il se rendrait sûrement compte qu’il était hors de sa Ball, et il se mettrait à baver deux fois plus pour montrer sa joie d’être au soleil.
Un autre SMS me rappela à l’ordre. Je remontai ma casquette et sortit l’appareil de mon short.
—Encore lui… Grognai-je.
Jean-Eudes semblait à peine m’écouter. Il avait déjà le regard fixé sur l’eau, concentré. Il était vraiment déterminé quand il s’agissait de pêcher du Magicarpe. Je lus dans ma tête le message d’Arceus.
Je te déconseille de rester trop longtemps sur cette plage, un groupe de Goélise va passer au-dessus.
Un frisson de dégoût remonta dans mon échine. Avec ma malchance, c’était sûr que j’allais recevoir un paquet de fientes ! Cependant, la suite du message m’intrigua :
Cette compétition va révéler au grand jour des tricheurs prêts à tout pour évincer Jean-Eudes. Méfie-toi. Certaines personnes sont déjà au courant. Fais ton enquête.
Ma réponse fut expéditive ; j’avais trop peur de me prendre une pluie de fientes dans pas longtemps.
me donne pas d’ordre, d’abord ! Mais bon, jvai essayer de faire qq chose. Mais c’est pas pour te faire plaisir lol
Je me relevai d’un bond. Jean-Eudes me regarda avec surprise :
—Tu vas où ?
—Je reviens très vite ! J’ai oublié quelque chose chez moi. Mentis-je avec habileté. Bonne chance, mais attends que je sois là avant de brandir ton trophée, hein ?
Je me mis à courir sur la plage. J’étais tellement dégoûté à l’idée d’être arrosé de fientes que j’oubliai momentanément ma phobie des filles ; je bondis au-dessus de la fille en bikini, lui envoyant du sable dans la figure avant de continuer ma route. Je l’entendis m’insulter et me courir après sur quelques mètres.
Je rejoignis la route au pas de course. Mon vélo n’était pas loin.
Je le récupérai en prenant soin de retirer la peau de banane moisie qui avait miraculeusement atterri sur la selle, et me préparai à aller enquêter à Rivamar. Je pourrais peut-être trouver Zoé, ou m’intéresser aux rumeurs qui se tenaient souvent dans les rues suspendues de la ville. Ou même au marché.
Je fus interpellé par une voix tonitruante.
—Bande de branquignols !
Je m’étranglai en pivotant sur ma selle. C’était la voix de monsieur Téquanep, mon ancien prof de pétanque ! Il devait sûrement chercher Jean-Eudes, et voilà qu’il m’avait aperçu et se dirigeait vers moi.
Je me souvînt alors que je lui avais piqué un de ses cochonnets en or massif une semaine auparavant. J’étais censé le lui rendre, après qu’il se soit rendu compte de l’absence de celui-ci. Un cochonnet de collection, selon ce qu’il en disait.
J’avais peur de ce qu’il allait me dire s’il m’attrapait. Surtout que bon, je l’avais déjà revendu à quelqu’un, ce cochonnet doré.
Avant que le professeur de pétanque ne m’atteigne, je me mis en danseuse et le vélo à quatre roues bondit en avant, vif comme l’éclair, droit vers Rivamar.