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Malsaine de M@xime1086



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» Auteur : M@xime1086 - Voir le profil
» Créé le 09/06/2017 à 20:45
» Dernière mise à jour le 10/06/2017 à 09:32

» Mots-clés :   Drame   Kanto   Présence d'armes   Présence de personnages du jeu vidéo   Terreur

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E — comme Enfer
La chambre était retombée dans un silence feutré. La malade tendit l'oreille pour constater que les pas s'éloignaient. Elle se saisit d'un livre puis le feuilleta. Le bruit des pages qu'on tourne l'apaisa. La dispute qui venait d'éclater semblait être un lointain souvenir aux yeux de la mère.
Son regard aux reflets ambrés redevint calme au fil de sa lecture. La tasse de thé fumante embaumait la pièce ; l'odeur fruitée donna envie à la quarantenaire d'y plonger ses lèvres. Elle n'hésita pas longtemps mais la porcelaine lui brûla les doigts.

« J'ai renversé mon thé ! » cria-t-elle avant de voir débarquer au pas de course sa fille.

Lilie avait cet air qu'ont les enfants que l'on dérange en plein travail scolaire : un mélange de bienveillance crispée et d'une exaspérance de bon aloi. Elle fit un aller-retour, une éponge à la main, puis essuya le sol dallé. Sa mère la regarda frotter, le visage inexpressif. Elle donnait l'impression de vouloir déchiffrer un message, de chercher à comprendre ce que faisait sa fille par terre. Elle fronça les sourcils, plongeant son attention dans une réflexion qu'elle voulut puissante et intense.

« Est-ce que je pourrais avoir plutôt de l'eau, ma chérie ? » demanda-t-elle d'une voix caressante et mielleuse.

Lilie qui se relevait, frissonna. L'habitude de se faire appeler par un surnom affectueux lui transmit une étrange sensation. Elle tourna les talons puis revint avec ce que lui avait demandé sa mère. Au moment où Lilie retourna enfin dans sa chambre, Elsa-Mina l'agrippa au bras. Effrayée par le geste d'emprise, l'ancienne assistante d'Euphorbe retint un cri tout en jetant un regard de reproche à sa mère.

« Excuse-moi. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Pardon.
- Tu dois te reposer. Léo t'a ordonné le plus de sommeil possible. Tu devrais dormir. Tu es fatiguée. »

Les rôles étaient échangés de nouveau ; Lilie était la protectrice, Elsa-Mina la pauvre chose. L'air doux et conciliateur de la plus jeune ne semblait pas faire desserrer les dents de la malade.

« Je ne suis pas aussi fatiguée que tu le crois. J'en ai marre d'entendre le même discours. Je suis ta mère, il faut que tu le comprennes. J'aurai tant voulu que nos places ne soient pas les mêmes : j'aurais pris soin de toi, tu aurais été dans ce lit pour les bêtises que tu as commises. Et je t'aurais grondé comme quand je te surprenais en train de voler des fleurs. »

Lilie ne savait pas quoi répondre ; elle aurait aimé dire que la raison de son état était lié à sa responsabilité. Que les événements qui s'étaient déroulés à Alola n'étaient arrivés que par sa faute. Qu'on ne pouvait pas souhaiter à son enfant de se retrouver alité pendant des semaines. Qu'elle n'était plus une petite fille, que les gronderies ne servaient plus à rien à son âge, qu'elle était plus responsable qu'elle ne l'avait jamais été. Lui répondre tout cela d'un bloc lui parut cruel et incorrect au vu de la situation. Si l'état de sa mère s'aggravait parce qu'elle l'avait encore blessé, la culpabilité l'aurait accablé.

« Ma fatigue est causée par ta faute ; si tu ne me laissais pas seule et que tu ne jouais pas de ton autorité mal placée, nos discussions ne me paraîtraient pas être des impasses. »

Lilie fit preuve d'un calme olympien ; ses traits se détendirent dans un effort de soi. L'envie de la remettre à sa place la démangeait. Cela lui arrivait de ne pas supporter sa présence bien longtemps. C'était une des raisons qui la poussait à s'éloigner de la chambre de sa mère.
Le comportement d'abord aimable et sage de cette dernière avait évolué en un corps habité par le reproche quotidien, l'amertume, la querelle constante. La détermination et la patience de Lilie se trouvaient être mises à rude épreuve.

Son regard se posa sur l'éponge qu'elle avait laissé sur la table. C'est ça : elle avait envie de jeter l'éponge, de retourner à Alola retrouver ses amis.

« Assieds-toi un peu, ma chérie. Papotons un peu ! »

La gaieté retrouvée d'Elsa-Mina ne l'étonnait plus. Son caractère lunatique ne datait pas de sa maladie : elle était plutôt instable émotionnellement.
La jeune fille renonça à la liberté que lui offrait la porte entrouverte. Elle finit par se laisser tomber sur la première chaise venue. Le silence était retombée aussi brutalement que le thé avait été renversé. Lilie fixait un point invisible pour ne pas à avoir à suivre le regard de sa mère qu'elle savait tranchant dans ces moments-là.

Elle ne s'était pas trompée. Ce ne fut pas le faisceau ambré qui la dérangea mais bien l'absence de dialogue. Lilie prit conscience que tout ce qui entourait sa mère -même l'air ambiant- devenait hiver. La température baissait drastiquement si bien que les frissons ne tardaient pas à l'assaillir sitôt en sa présence.

« Tu n'as rien à me dire ? Voyons, tu discutes bien de choses et d'autres avec tes amis. »

Lilie frotta son poignet gauche qui la démangeait. Elsa-Mina continua, plus virulente :

« Pourquoi tu ne me parles pas ? As-tu un problème avec moi ? Qu'est-ce que je t'ai fait ? Moi j'ai un problème avec toi. A cause de toi, je suis ici. Tu es contente de me voir dans cet état, à ta merci ? Tu t'es débarrassée de ta vieille mère mais je te préviens que dès que je serais remise... »

A présent, Lilie regardait sa mère avec des yeux ronds. Pourquoi devait-elle s'étonner ? Le spectacle recommençait de plus belle ; c'était des reproches puis des menaces puis...

« Sale petite peste, j'espère qu'un jour tu te retrouveras à ma place. Je peux te dire que je prendrais autant soin de toi que toi de moi. C'est-à-dire que je te ferais sauter des repas, je ne te donnerais pas toujours tes médicaments. Ce sera adorable de t'avoir à ma merci... Hihihi, j'en ris déjà. »

Les insultes et les délires suivaient.

« Allez, sans rancune. Rira bien qui rira la dernière. Tu peux me regarder avec tes yeux ronds d'innocente. Tu es pourrie jusqu'à la moelle. »

Lilie sentit sa poitrine se soulever dans un soupir intérieur. Tout ce flot de paroles haineuses glissait sans l'érafler. Elle avait déjà tant entendu ce discours, elle aurait pu le réciter. Un inconnu qui aurait assisté à ce monologue aurait trouvé la jeune fille sans coeur de ne pas verser de larmes face à la douleur apparente de cette mère de famille tout à fait normale en apparence.

Lilie fixait à présent la porte ouverte. Elsa-Mina intercepta son regard furtif et explosa.

« Je te fais honte. Regarde-toi, tu es passive. Heureusement que je ne suis pas comme toi ! Qu'est-ce que j'ai raté dans ton éducation ? Pourquoi t'ai-je raté à ce point ? Si seulement j'avais eu comme enfant une jolie Zéroïd... Elles étaient si gracieuses dans leur paradis. Pas comme toi, la godiche de service qui n'est bonne qu'à pleurnicher dans les jupons des autres. Qu'a dû penser Euphorbe quand il t'a recueilli ? Tu lui a dit des horreurs sur moi, je le sais ! »

Elle s'était redressée, les cheveux fous. Elle tenta de se débarrasser de sa couverture mais la colère la rendit plus pâle et plus faible encore. Ses doigts se contractaient autour d'une forme indistincte.

« J'aimerais tellement sortir de cette chambre... »

Lilie s'était levée sous le coup de la panique. La tête basse, elle encaissait les derniers élans de haine maternelle. Quand elle leva la tête, elle comprit que ce qu'Elsa-Mina dessinait dans ses mains était la forme de son cou. D'un mouvement brutal, celle-ci rapprocha ses mains, comme pour briser la nuque qu'elle imaginait tenir à sa merci.

« Et te crever, toi et tous les autres... »

Il n'en fallait pas plus à sa fille pour déguerpir. Prise de panique, Lilie se réfugia dans la cuisine de la villa pour cacher ses tremblements et ses larmes aux regards indiscrets. C'était la première fois que sa mère la menaçait de mort. Plus jamais elle ne pourrait entrer dans la chambre en présence de cette femme qui se revendiquait être sa mère et qui l'était dans les faits...

Cette violence enfouie, elle était la seule à en être le témoin. Léo ne la voyait pas. Il débordait d'optimisme. Sa mère lui cachait sa véritable nature. Il faudrait l'avertir, lui ouvrir les yeux. Dormir sous le même toit que sa mère lui parut aussi dangereux que d'être allongée au milieu de cent lames de couteaux. Et si ça empirait ? Les toxines de Zéroïd mettaient du temps à s'évacuer.

« Ça ne va pas ? »

Léo venait de faire irruption dans la cuisine. Il tenait une liasse de documents à faxer au professeur Euphorbe. Lilie passa une main sur ses paupières humides puis lui adressa son plus beau sourire. Un sourire assuré mais que Léo savait décrypter depuis le temps.

« Je te connais. Il y a quelque chose qui cloche. C'est ta mère ?
- Est-ce que son traitement est bientôt terminé ? »

Il prit place à côté d'elle, s'adressa d'un ton fraternel :

« A vrai dire, son état est stationnaire. J'envisageais justement de la faire sortir pour lui permettre de changer d'air. Qu'en penses-tu ? »

Maintenant qu'il lui posait la question, elle devait lui exprimer la peur de ce qui allait advenir. Après ce qui venait de se passer, elle n'aurait pas l'esprit tranquille. Lui donner plus d'autonomie la rendrait téméraire.
La jeune fille n'arrivait pas à envisager autre chose qu'une prochaine vengeance dont elle serait la destinataire. Sa mère lui ferait subir sa venue ici, elle se considérait comme la victime d'une machination collective. Le bourreau à la tête de ce cortège diabolique ne pouvait être que cette jolie tête blonde qu'elle avait mise au monde. C'est bien connu : les enfants font vivre un enfer à leurs parents...

« Tu as l'air inquiète.
- J'ai peur que ça n'aggrave son cas, il faut que je te dise : elle croit qu'on complote contre elle. Ce n'est plus d'un traitement pour guérir d'une mutation qu'il lui faut mais... »

Elle avait du mal à sortir les mots. Un sentiment d'auto-critique la retenait. Léo l'encourageait par un sourire confiant, un regard tendre et une main posée sur l'épaule.

« Un internement dans un hôpital psychiatrique. Elle est folle. »

Elle aurait aimé rajouter que jamais sa mère ne parlait pour ne rien dire. Elle avait un don pour arriver à ses fins. Certes, à Alola, Elsa-Mina avait échoué mais c'était là une exception. La hargne qui se dégageait de ses initiatives n'était pas la même qu'il y a quelques mois. Faire du mal aux responsables de sa déchéance n'avait pas la même importance que mettre la main sur des Ultra-Chimères.

Léo avait cet air soucieux qu'ont les scientifiques qui réfléchissent à un phénomène nouveau. Il avait bien remarqué une tension entre la mère et la fille mais ne soupçonnait pas que leur relation fut dans un si mauvais état. Si Lilie avait raison, les toxines de Zéroïd avaient des effets plus complexes que prévu...

« Et je te vois venir. Elle a toujours été comme ça avec moi et mon frère. Ce n'est pas Zéroïd qui l'a changée. Au pire, ça a aggravé sa paranoïa mais je t'assure que j'ai peur de venir seule dans sa chambre... Elle va chercher à se venger par tous les moyens. Je ne sais pas encore comment. »

Léo l'avait prise dans ses bras pour la faire taire. Elle ne devait pas s'inquiéter, il était là. Le plus urgent c'était d'entamer une conversation avec la malade. Il déposa dans les mains de Lilie les faxes et lui recommanda de les envoyer à Euphorbe pendant qu'il irait discuter avec sa mère.

*****
Il fallut quelques minutes à la jeune fille pour allumer le poste en PCV et reprendre un air calme qui lui seyait d'habitude. Euphorbe ne devait pas savoir ce qui se passait à l'autre bout du monde. Elle n'avait pas réussi à préserver ses amis de la menace qu'avait représenté sa mère à Alola, elle le devait maintenant. Même si elle l'avait vraiment voulu, elle n'aurait pas réussi à lire ce qui était écrit sur les feuillets que Léo devait envoyer à son confrère. Les lettres s'enchevêtraient dans une langue inconnue, aussi complexe que pouvait l'être celle des Zarbis.

Le premier son qu'elle entendit, une fois l'appel commencé, fut l'aboiement d'un Pokémon. Elle reconnut le profil de Rocabot, le petit assistant à quatre pattes du professeur. Il aboyait sur quelqu'un ou quelque chose que le bureau dissimulait. Le concert dura de longues secondes ; Rocabot finit par remarquer la présence visuelle de son amie et se tint bien droit, assis comme si on le lui avait ordonné.

Soudain, le trentenaire surgit de dessous l'écran, en nage, une serviette sur les épaules.

« Tiens, Alola Lilie ! Comment vas-tu ?
- Alola monsieur. J'espère que je ne vous dérange pas ? »

Il épongea son front avant de jeter la serviette plus loin. Il attrapa une bouteille d'eau puis avala goulûment tout son contenu.

« Aaaaaah, qu'est-ce que ça fait du bien après une série de pompes !
- Vous voulez que je vous envoie les documents de Léo plus tard ?
- Non non, ça va me faire une pause au contraire ! Tiens, tu as une petite mine. »

Elle détourna le visage vers le bureau qui se trouvait à côté d'elle et où trônait l'album qui recensait toutes les variétés d'Evoli connues à ce jour. Léo le gardait près de son espace de travail et le feuilletait dans les moments d'étude. Tourner les pages en papier glacé l'aidait à réfléchir.

Le professeur enfila une blouse propre. Elle n'arrivait pas à dissimuler la moindre émotion. Ses yeux étaient pourtant secs, ses joues avaient retrouvé leur pâleur habituelle. Qu'est-ce qui le mettait sur la voie ?

« Vous allez bien ? Vous avez des nouvelles de Tili et de Sun ?
- Ils vont bien. Sun s'applique dans son rôle de maître. Tili est partit quelques jours à Unys pour participer à un tournoi. Il a trouvé ça génial de disputer des combats dans des métros. T'imagine un peu ?
- Et Gladio ? »

Elle commençait à trier par ordre les feuilles et les glissa dans l'appareil. Ses mains avaient besoin d'être occupées. Euphorbe récupéra les documents tout en répondant avec un grand sourire :

« Il se débrouille bien ! Il a ouvert un centre Aether près d'Atalanopolis. Il a recruté du personnel parmi la Team Skull même si Guzma n'était pas trop OK. »

Lilie termina l'opération avant de se sentir soulagée par toutes ces bonnes nouvelles. Le trentenaire relisait dans les grandes lignes les documents puis parut de nouveau soucieux quand il demanda l'état de son ancienne assistante.

« Tu t'ennuies pas trop ? T'as réussi à te faire de nouveaux amis ? Les Pokémon sont sympas dans les environs ?
- Oui, tout va bien. Léo est adorable.
- Et ta mère ? »

Un vent froid passa dans son dos.

« Elle va mieux. Peut-être qu'elle pourra sortir de sa chambre bientôt et reprendre une vie normale... »

Elle-même n'y croyait pas. Jamais sa mère n'aurait une vie ordinaire, ni elle ni ses enfants. Gladio, à quinze ans, se trouvait être le président d'une fondation ambitieuse de protection de Pokémon. Lilie vivait comme dans une prison au toit ouvert mais n'osait se l'avouer.

Deux chemins qui n'étaient pas ceux que devaient emprunter des enfants de leur âge. La majorité allait soit à l'école, soit parcourait les routes. Ils avaient déjà des responsabilités sur leurs frêles épaules. Les actions -bonnes ou mauvaises- de leur mère avaient influencé leur quotidien. Qu'est-ce qu'elle aurait aimé être dans la normalité, vivre des aventures avec Sun et Tili. Gladio avait dû mettre de côté sa carrière prometteuse de dresseur pour reprendre le flambeau Aether. Il n'était pas question de laisser de nouveau leur mère à la tête de la fondation après ça...

A l'idée de savoir que sa mère pourrait revenir à Alola, faire comme si de rien n'était, après toutes les souffrances qu'elle avait infligé à Doudou... toute cette perspective la répugnait. Surtout qu'Elsa-Mina ne se repentait d'aucun crime, au contraire ; elle se débarrassait de ses fautes en les jetant sur les autres et s'imposait comme victime d'une machine qui tournait dans le seul but de la faire plonger.

Un bruit de Pokéball la surprit dans sa méditation. L'enclenchement d'une capsule la fit ouvrir de grands yeux. Elle questionna d'un regard le professeur qui lui rendit un grand sourire, toutes dents dehors.

« Ne me remercie pas ! »

Il raccrocha avant qu'elle puisse comprendre : à ses jambes remuait le corps granuleux de Rocabot. Son regard balaya le bureau pour découvrir la Pokéball que lui avait transféré Euphorbe par le mécanisme d'échange qu'on retrouvait dans les Centre Pokémon et dont était équipé Léo pour ses recherches.
Le compagnon à quatre pattes dans les bras, Lilie quitta le bureau sous les léchouilles du chien qui avait déjà faim.