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Dresseuse malgré elle de Mizore



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» Auteur : Mizore - Voir le profil
» Créé le 08/06/2017 à 16:44
» Dernière mise à jour le 08/06/2017 à 16:51

» Mots-clés :   Aventure   Kanto

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L'Errance
Chapitre 2 : L'Errance


Shigeko mangea autant qu'elle le put, à la cantine du Centre pokémon du Bourg Palette. À côté d'elle, Gracieuse, puisque c'était désormais son nom, se régalait de croquettes spéciales type Feu. De temps en temps, elle regardait sa nouvelle dresseuse d'un air un peu surpris, se demandant probablement pourquoi elle était aussi affamée.

Après avoir fini sa troisième assiette, Shigeko se laissa tomber sur le dossier de sa chaise avec un soupir de soulagement. Elle qui n'avait jamais connu la faim, l'expérience de se serrer la ceinture lui avait été bien désagréable. Maintenant qu'elle avait les idées un peu plus claires avec un estomac bien rempli, elle prit le temps de réfléchir à ce qu'elle allait faire de son voyage initiatique. Où irait-elle ? Par où commencer ? Elle n'avait encore jamais réfléchi à tout ça.

Le programme du professeur Chen était valable jusqu'à l'obtention du huitième badge, à raison d'un badge par an au minimum. S'il s'écoulait plus d'un an depuis votre dernier badge, ou depuis le début du programme sans que vous en ayez obtenu un seul, vous étiez considéré comme démissionnaire et votre pokédex se désactivait automatiquement. Elle avait donc le choix entre profiter d'une année de tranquillité à flâner à travers le pays, ou bien de s'entraîner juste assez pour obtenir un badge par an, ce qui lui laissait huit années de répit avant de devoir trouver un autre moyen de survie.

Huit années à ne pouvoir manger ou dormir que dans les Centres pokémons, sans le moindre sou pour acheter des vêtements de rechange ou simplement de la nourriture, c'était une perspective qui ne l'enchantait guère. Lorsqu'un dresseur remportait un match d'arène, il gagnait une petite prime qui lui permet de subvenir à ses besoins, mais la grande majorité des participants au programme était aussi financés par leurs parents, cette prime étant insuffisante à un adolescent et ses six pokémons. D'un autre côté, si elle n'obtenait pas de badge avant un an, elle devrait se débrouiller par ses propres moyens beaucoup plus tôt, ou pire encore : revenir chez ses parents et se faire expédier aussitôt dans une école quelconque où elle n'avait pas la moindre envie d'aller.

Après y avoir réfléchi quelques minutes, sa décision s'imposait d'elle-même. Bien qu'elle n'ait aucune envie de devenir dresseuse professionnelle, cette voie lui permettrait d'être indépendante pendant quelques années et valait beaucoup mieux que de moisir derrière un bureau. Elle devait faire de son mieux pour remporter des badges, afin de gagner un peu d'argent et lui laisser le temps d'écrire son premier roman pour le publier. Être dresseuse serait, en quelques sorte, son métier « alimentaire ».

Satisfaite de sa décision, elle regarda la carte de la région incluse dans le pokédex pour étudier la route qui reliait le Bourg Palette à la ville la plus proche : Jadielle. Elle déchanta rapidement lorsqu'elle réalisa qu'un problème de taille se posait. En marchant, il fallait en moyenne trois jours pour effectuer le trajet, et elle ne possédait ni de tente ni même de sac de couchage, et encore moins les moyens d'acheter de la nourriture pour Gracieuse et elle. Dépitée, elle sortit de son sac-à-dos kaki les trois tickets de bus qui lui restait. Elle en avait acheté quatre lorsqu'elle s'était inscrite au programme de voyage initiatique, au cas où un imprévu l'obligerait à prendre plusieurs bus pour rejoindre le Bourg Palette depuis Carmin-sur-Mer. C'était suffisant pour aller à Jadielle, bien sûr, mais pas pour traverser toute la région afin de se rendre aux différentes arènes.

De plus, elle hésitait à utiliser l'un de ses tickets, car la distante entre le Bourg Palette et Jadielle était de loin la plus courte qui séparait deux villes dans la région de Kanto. Dans l'idéal, il aurait mieux valut les conserver pour un cas d'urgence et profiter d'une petite distance pour la couvrir à pied. Mais avait-elle vraiment le choix ? Elle ne pouvait pas marcher pendant trois jours sans manger, et elle avait le devoir impératif de nourrir Gracieuse.

Elle jeta un coup d’œil vers le self-service de la cantine où, sur l'une des étagères, étaient alignées les boîtes de croquettes pour pokémons. Il n'y avait pas de caméra dans cet endroit où les dresseurs débutants pouvaient manger gratuitement, mais un surveillant s'assurait que personne ne manquait de rien dans la salle. Mais elle avait remarqué que, régulièrement, il s'absentait pour aller se moucher à l’extérieur sans déranger les personnes qui se restauraient. Cela aurait laissé le temps à Shigeko d'attraper une ou deux boîtes et de les fourrer dans son sac. Et peut-être, aussi, quelques sandwichs qui étaient exposés juste à côté. Elle se répugnait à l'idée de dérober quelque chose, mais elle n'avait pas vraiment le choix.

Lorsqu'elle sortit du Centre, Gracieuse dans sa pokéball, il y avait trois boîtes de croquettes et deux sandwichs dans son sac-à-dos. Elle était certaine que personne ne l'avait remarqué, mais elle n'en avait pas moins l'impression que les regards de tous les passants étaient braqués sur elle. Elle prit rapidement la direction de la route pour Jadielle, pressée de mettre le plus de kilomètres possible entre elle et le lieu de son larcin, sans se préoccuper de l'heure tardive.

Les heures qui suivirent lui parurent bien longues. Elle n'avait encore jamais marché autant et ses pieds la faisaient particulièrement souffrir. La lumière commençait à baisser sérieusement, car elle s'était mis en route très tard dans la journée. Elle était sortie du Laboratoire vers dix-huit heures et s'était rendue directement au Centre pokémon pour y rattraper ses repas sautés. Elle avait donc pris la route vers dix-neuf heures, et bien que le soleil se couche plus tard en été, il aurait mieux valut qu'elle passe la nuit au Centre plutôt que de partir aussi précipitamment. Mais la nourriture volée sur un coup de tête, dans son sac, lui avait fait fuir la ville comme si elle avait le diable aux trousses.

Elle s'arrêta de marcher lorsqu'il fut trop sombre pour distinguer clairement la route, vers vingt-et-une heures. Ne possédant ni sac de couchage ni couverture, elle se contenta de s'allonger au pied d'un grand arbre, reconnaissante du temps particulièrement clément de la saison. Elle tâcha de reprendre sa respiration, épuisée par ces deux heures de marche forcée. C'est alors qu'elle réalisa.

Il faisait noir. Elle était au milieu de nulle part. Elle était seule.

Shigeko sentit l'horreur s'abattre d'elle comme une chape de plomb, une sueur froide lui dégoulinant le long du visage. Dans sa hâte de s'éloigner du Bourg Palette, elle n'avait évidemment pas envisagé que dormir à la belle étoile pourrait être aussi terrifiant. Elle se mit à trembler, morte de peur. Le moindre bruit de la nuit la faisait sursauter, sa respiration s’accéléra, et elle sentit la panique la submerger petit à petit. Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même, et ses doigts effleurèrent un objet rond et lisse, accroché à sa ceinture. La pokéball de Gracieuse.

Elle se souvint brusquement qu'elle s'était trompée, qu'elle n'était pas seule. Elle attrapa fébrilement la pokéball et fit sortir la petite salamèche. La queue enflammée du pokémon illumina instantanément les environs d'une lueur douce et chaude. Le pokémon la regarda de ses yeux bleus et poussa un léger grognement qui se voulait amical.

- Désolée de t'avoir embarquée dans cette histoire, petite Gracieuse, chuchota Shigeko dans le silence de la nuit, comme si le son de sa voix pouvait déranger un esprit malfaisant logé dans la forêt.

La salamèche la fixa d'un air curieux, penchant sa tête jaune sur le côté, ce qui lui donna un air si attendrissant que Shigeko ne put s'empêcher de sourire.

Le lendemain, elle se réveilla courbaturée, les muscles douloureux d'avoir dormi directement sur le sol. Encore une chose à laquelle elle n'était pas habituée. Gracieuse, qui avait dormi roulée boule à ses côtés, s'éveilla en baillant et s'étira de tout son long. Elle s'ébroua et vint donner quelques coups de museau sur la main de Shigeko. Celle-ci sortit de son sac une des trois boîtes de croquettes, et lui en servit une poignée, respectant les dosages recommandés sur l'étiquette. La salamèche avala goulûment son petit-déjeuner, pendant que sa dresseuse se demandait si elle devait manger maintenant une partie de ses sandwichs. Après réflexion, elle décida de les garder pour le repas de midi.

- Je n'ai pas du tout envie de marcher toute seule, dit-elle à Gracieuse. Tu ne préférerais pas rester en dehors de ta pokéball, aujourd'hui ?

Évidemment, la salamèche ne pouvait pas comprendre ce qu'elle lui racontait. Les pokémons étaient suffisamment intelligents pour comprendre les ordres nécessaires pendants un combat ou un entraînement, mais ils étaient loin de pouvoir saisir toutes les subtilités d'une phrase complexe. Shigeko se dit que c'était le moment ou jamais d'instaurer code entre elle et son pokémon.

- Pokéball ? articula-t-elle en mettant l'objet sous le nez de Gracieuse.

Celle-ci parût réfléchir, avant de regarder fixement sa dresseuse. Qui n'avait pas la moindre idée de si l'information était passée correctement, et qui se sentait plutôt stupide à parler toute seule. Changeant de tactique, elle s'éloigna de quelques pas, avant de s'arrêter et de désigner à nouveau la pokéball.

- Pokéball ? Répéta-t-elle.

La salamèche, qui avait jusque-là patiemment observé son manège, changea soudainement d'attitude pour la rejoindre en trottinant, la dépasser, et continuer son chemin en direction de Jadielle sans lui jeter le moindre coup d’œil. Shigeko lui emboîta le pas, ne sachant pas si elles s'étaient comprises ou si le comportement de son pokémon ne relevait que de la pure coïncidence. Mais le résultat était le même, et elle saurait s'en contenter.

Elles marchèrent ainsi toute la matinée, croisant quelques passants qui prenaient l'air étonné lorsqu'ils voyaient la couleur peu commune de sa salamèche. En se faisant dépasser par un bus qui roulait en direction de Jadielle, Shigeko ne put retenir un soupir de regret en le regardant s'éloigner, consciente que ses pieds douloureux mettraient longtemps à s'habituer à ce nouveaux rythme. Gracieuse, elle, tenait un petit trot soutenu sans que cela n'ait l'air de lui coûter le moindre effort. Elles firent une pause à midi, pendant laquelle Shigeko resservit une ration de croquettes au pokémon et dévora en entier l'un des deux sandwichs. Après avoir mangé, elle se permit de laisser une heure de répit à ses pieds meurtris, pendant laquelle sa compagne d'infortune en profita pour piquer un somme, lézardant au soleil.

Elle reprirent la route, et le reste de la journée s'écoula ainsi, paisiblement. Gracieuse avançait plus vite que Shigeko et la distançait régulièrement, puis l'attendait sur le bord de la route avant de repartir de plus belle lorsque sa dresseuse arrivait enfin à son niveau. La jeune fille aimait bien l'observer trotter, observant la façon dont elle se déplaçait. Elle se mouvait sur deux pattes, penchée en avant, la queue servant de contrepoids. À chaque pas, elle se balançait légèrement de droite à gauche, permettant au reste du corps de conserver son équilibre. Ses pattes avants, courtes et pourvues de trois doigts griffus, semblaient lui servir pour attraper des objets, mais certainement pas pour s'y appuyer ou pour grimper. Son cou était assez court, ce qui ne lui permettait pas de regarder autour d'elle sans déplacer une partie de son corps. Lorsqu'elle regardait derrière elle pour voir où en était Shigeko, elle devait s'arrêter et se placer de façon perpendiculaire à la route. Tout dans sa façon de se mouvoir lui rappelait les grands animaux reptiliens qu'elle avait étudié à l'école, et elle aurait mit sa main au feu que les salamèches, les reptincels et les dracaufeus étaient les descendants directs de ces reptiles disparus.

Le soir venu, elle s'installèrent un peu à l'écart de la route, au pied d'un rocher. Shigeko donna sa ration à Gracieuse, et mangea la moitié de son deuxième et dernier sandwich. Il leur restait encore deux jours de marche à accomplir avant d'arriver à Jadielle et elle arrivait déjà à court de nourriture. Elle regretta d'avoir mangé un sandwich entier à midi, et se dit qu'elle devrait apprendre à se rationner si elle ne voulait pas mourir de faim au détour d'un chemin. Seule l’eau ne posait pas encore de problème, car une rivière longeait la route et la jeune fille pouvait s’y désaltérer quand elle voulait. La boîte de croquettes entamée était presque à moitié vide, mais Gracieuse avait l'air d'avoir encore faim, reniflant le couvercle avec insistance. Comme les rations indiquées sur l'étiquette n'étaient pas prévues pour supporter une journée de marche, Shigeko décida de lui donner deux autres poignées, que la salamèche attaqua sans se faire prier.
Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne parvenait pas à trouver un moyen de s'alimenter sans argent en dehors des Centres. Elle pourrait pêcher, mais les cannes à pêche coûtaient extrêmement cher et on pouvait passer plusieurs heures sans rien attraper, perdant un temps précieux. À part mendier ou voler, il n'existait aucune solution.

Shigeko soupira et tâcha de dormir. Ses pieds et ses jambes pulsaient d'avoir trop marché, elle avait encore très faim et les hululements qui sortaient du bois lui faisaient peur. À ses côtés, Gracieuse était couchée mais gardait la tête dressée, comme en alerte, les yeux grands ouverts.

Malgré toutes ses inquiétudes, Shigeko parvint à s'endormir, rassurée par la respiration légèrement sifflante du pokémon qui veillait.

Lorsqu'elles atteignirent enfin la ville de Jadielle, le soir du troisième jour de marche, la jeune fille n'avait pas mangé depuis la veille. La marche associée au jeûne l'avaient littéralement affamée. Une fois en ville, elle fit précipitamment rentrer Gracieuse dans sa pokéball pour ne pas attirer l'attention et se rendre plus rapidement au Centre pokémon. La salamèche eut l'air outré de se faire rappeler d'une façon aussi cavalière, mais Shigeko n'y prêta pas attention.

Elle arriva au Centre, montra son pokédex au surveillant qui vérifia son identité avant de le lui rendre et la laisser passer. Sur son plateau, elle entassa trois assiettes de pommes de terre sautées, deux bols de riz et une mousse au chocolat. Il était interdit par le règlement d'emporter de la nourriture, mais on pouvait manger autant qu'on voulait tant que l'on restait dans l'enceinte du Centre. Elle prit également une double ration de croquettes pour Gracieuse et partit s'installer dans un coin de la salle. En mangeant, elle réfléchissait à la suite de son voyage, à ses parents qui devaient s'inquiéter. Elle se demanda si son père avait vraiment déclaré à la police qu'elle avait fugué. Dans ce cas, comment expliquerait-elle la signature falsifiée sur son attestation, si elle se faisait attraper ?

Elle se surprit à regretter d'être partie. La vie en solitaire s'annonçait pénible, même avec la compagnie de Gracieuse. Pour éviter de ruminer ses pensées, elle regarda la télévision accrochée sur le mur face à sa table, terminant de manger. La télévision était réglée sur la chaîne réservée aux pokémons, ce qui semblait logique dans un tel endroit. À cette heure de la journée, elle passait une rediffusion des plus beaux matchs d'arène de la semaine. Beaucoup de challengers perdaient leurs matchs, quel que soit leur niveau, remarqua Shigeko.

Au bout d'un moment, alors qu'elle peinait à s'imaginer à la place des dresseurs qui s'affrontaient sur le petit écran, elle prit conscience d'avoir négligé un détail qui avait son importance : pour combattre en arène, il était nécessaire de posséder au moins trois pokémons, car les matchs qui s'y déroulaient respectaient la règle du trois contre trois. Or, elle n'avait que Gracieuse et pas suffisamment d'argent pour acheter ne serait-ce qu'une seule autre pokéball. Et sans pokéball, il était tout simplement impossible de capturer un pokémon sauvage, ce qui était tout de même le comble pour un dresseur.

Elle sortit son porte-monnaie pour faire le compte de ce qui lui restait. Elle possédait exactement deux cent trente six Yens, et une pokéball en coûtait trois cent. Elle était tout simplement coincée. Elle soupira, agacée. Rien ne semblait vouloir se dérouler sans accroc, et cela commençait à devenir pesant. Elle sortit de la cantine et alla réserver un lit dans les dortoirs du Centre. Puis elle monta directement et sortit Gracieuse de sa pokéball pour lui donner sa ration du soir. Toujours vexée, la salamèche la bouda et lui tourna le dos pour manger son dîner.

Une légère culpabilité venant s'ajouter à son agacement, Shigeko jeta son sac-à-dos dans un coin et s'allongea sur le lit pour tenter de retrouver son calme, essayant de trouver une solution à sa situation. Le confort du matelas la prit par surprise. Après trois nuits à dormir directement sur le sol, ce lit lui semblait être le plus moelleux de tous ceux dans lesquels elle avait dormi.

Avant de se changer pour la nuit, elle se rendit à la salle de bain commune. Lorsqu'elle croisa son reflet dans le miroir au-dessus des lavabos, elle en resta bouche bée. Deux énormes cernes s'étalaient sous ses yeux gris, sa queue-de-cheval était à moitié défaite, des brindilles y étaient emmêlés et des traces de poussière maculaient son visage et ses vêtements. Elle avait vraiment piteuse allure. Elle décida de prendre une douche, même si elle ne disposait ni de savon, ni de serviette, ni même de brosse à dent ou de brosse à cheveux, ayant complètement négliger d'emporter des affaires de toilette dans sa fuite éperdue. Se nettoyant du mieux qu'elle pouvait à l'eau chaude, elle se sécha à l'aide de son t-shirt à manches longues avant de se rhabiller avec ses vêtements sales. Une fois qu'elle eut rejoint son lit, elle se glissa sous les couvertures toute habillée, n'ayant aucune envie d'être vue en petite tenue par les autres personnes du dortoir. Enfin, elle put s'endormir, d'un sommeil plus profond que celui des trois derniers jours.

Le lendemain, elle flâna dans les rues de Jadielle. Elle avait décidé de rester au Centre jusqu'à avoir trouvé une solution pour pouvoir voyager sereinement. En visitant la ville, elle avait croisé quelques boutiques pokémons, où étaient vendues les fameuses pokéballs, une boutique qui vendait du matériel de camping et une grande surface qui proposait de la nourriture conditionnée pour être transportée et des affaires de toilette. Bref, exactement tout ce qui lui aurait fallu et qui lui était parfaitement inaccessible. C'était une chose de cacher quelques aliments dans son sac au self-service du Centre pokémon, s'en était une autre de subtiliser des produits dans des magasins étroitement surveillés.

Plongée dans ses pensées, elle sursauta violemment lorsqu'on l'interpella :

- Ah ! Mademoiselle ! Oui, vous la jeune dresseuse au sac-à-dos vert !

Elle commença par être soulagée de constater qu'il ne s'agissait pas d'un gendarme à sa recherche, mais simplement d'un vendeur derrière son étalage. Ses pas l'avaient menée dans une rue où les stands s'alignaient directement sur le trottoir en ce jour de marché. Elle adressa un signe désolé au vendeur qui l'avait interpellée, n'ayant de toute façon pas de quoi lui acheter quoi que ce soit.

- Si, si, venez ! Insista-t-il en lui faisant de grands signes de la main. Mes prix sont imbattables, vous n'avez rien à craindre !

Comprenant qu'il n'en démordrait pas, elle s'approcha pour lui faire plaisir.

- Vous êtes une dresseuse, ça se voit tout de suite, lui dit-il avec un grand sourire. J'ai exactement ce qu'il vous faut : des Potions, des Repousses, des superballs… Tout ce dont vous rêvez !

- Et vous avez des pokéballs pour moins de deux cent trente-six Yens ? hasarda Shigeko.

- Heu, non, mais je peux vous les céder pour seulement deux cent cinquante Yens, c'est imbattable ! Enchaîna rapidement le vendeur.

La jeune fille haussa les épaules et commença à s'éloigner.

- Malheureusement je n'ai pas cet argent. Merci quand même, au revoir.

- Attendez ! Attendez, enfin ! Pour moins de deux cent trente-six Yens je peux vous proposer beaucoup mieux qu'une simple pokéball !

- Ah vraiment ? Interrogea-t-elle en revenant sur ses pas, un léger espoir s'insinuant en elle. Qu'est-ce qui peut être mieux et moins cher qu'une pokéball ?

L'homme derrière le stand lui fit un clin d’œil qui se voulait complice, sans se départir de son sourire.

- N'en parlez pas autour de vous, je ne fais pas cette offre à tout le monde, lui dit-il d'un air de conspirateur exagéré. Mais je vend des pokémons lorsque j'arrive à en capturer.

- Mais… ça peut se vendre des pokémons ? S'étonna Shigeko. Je pensais que c'était interdit.

- Ça, tout dépend du type de pokémon dont on parle, balaya le vendeur d'un revers de main. Les magicarpes, par exemple, sont totalement autorisés à la vente. Tenez, j'en ai justement un.

Il se baissa pour fouiller sous son comptoir et en tira une pokéball poussiéreuse. Il souffla dessus, l'astiqua avec un pan de son T-shirt, et la tendit à la jeune dresseuse qui l'observa avec circonspection. Les magicarpes étaient réputés pour être particulièrement inutiles en combat et servaient de pokémons décoratifs dans les restaurants.

- Je sais ce que vous allez me dire, fit le vendeur avant qu'elle n'ait pu dire quoi que ce soit. Les magicarpes ne valent pas un clou, blablabla… Mais détrompez-vous ! Si vous regardez dans votre pokédex, vous observerez qu'il peut apprendre de puissantes attaques comme Charge, et qu'ils peuvent rapidement évoluer en léviators. Tout le monde sait que les léviators sont les plus forts des pokémons aquatiques, n'est-ce pas ?

Pour être honnête, Shigeko n'avait pas la moindre idée de ce qu'était un léviator. Dans les matchs qu'elle regardait parfois à la télévision, elle n'en avait encore jamais vu, ceux utilisés par les dresseurs étant plus communs. Elle sortit son pokédex de sa main libre et écrivit le nom du pokémon dans l'application de recherche. En effet, un effrayant pokémon apparut dans les résultats. Il ressemblait à un dragon marin et sa description indiquait qu'il était particulièrement rare et puissant. Et, contre toutes attentes, il était bel et bien l'évolution de magicarpe. Lorsqu'elle scanna la pokéball, la fiche technique du magicarpe s'afficha, confirmant la présence du pokémon.

- Combien le vendez-vous ? Demanda-t-elle.

- Deux cent trente-six Yens ! Quel heureux hasard, vous ne trouvez pas ?

Éberluée d'être aussi chanceuse, Shigeko acheta le magicarpe et se précipita au Centre pokémon pour le présenter à Gracieuse. En tant que pokémon aquatique, il lui fallait emprunter le bassin du Centre avant de pouvoir le sortir de sa pokéball.

Une fois arrivé près du grand bassin extérieur où s'ébattaient déjà un poissirène, un stari et un pokémon qu'elle ne reconnut pas et qui ressemblait à une otarie pourvue d'une corne frontale, elle fit sortir la salamèche. Celle-ci jeta un coup d’œil autour d'elle, avisa l'étendue d'eau à ses pieds et s'en éloigna prudemment de quelques pas.

- Gracieuse, nous avons un nouvel ami ! S'exclama Shigeko, ravie. Nous allons devoir l'entraîner un peu, mais il deviendra sans doute très puissant.
Elle pointa la pokéball en direction de l'eau et fit sortir le magicarpe. Le pokémon qui se matérialisa sous leurs yeux était une sorte d'énorme poisson rouge, plus gros que la tête de Shigeko, garni d'une nageoire dorsale dorée, ainsi que de deux longues moustaches, dorées elles aussi. Tout d'abord immobile, il finit par battre faiblement des nageoire pour se mouvoir lentement dans l'eau. Les trois autres pokémons aquatiques du bassin vinrent observer le nouveau venu avec curiosité, mais il ne sembla pas vraiment réagir à leur présence.

- Hum… fit Shigeko à voix basse en le regardant barboter avec indifférence. Il est peut-être timide…

Gracieuse observait le magicarpe d'un air peu convaincu. Elle feula à son attention, mais il ne sortit même pas la tête de l'eau. Elle tourna son regard bleu vers sa dresseuse.

- Je t'assure que c'est un pokémon très bien, se défendit celle-ci. Il évolue rapidement en léviator, tu sais.

Un dresseur qui avait l'air d'avoir un peu plus que son âge, et qui observait lui aussi le magicarpe depuis que Shigeko l'avait placé dans le bassin, parût surpris par ce qu'elle venait de dire.

- Heu, excuse-moi de t'importuner, l'interpella-t-il poliment en s'approchant. Mais quand tu dis « rapidement », qu’est-ce que tu veux dire par là ?

- Eh bien… répondit-elle, gênée. La personne à qui je l'ai acheté m'a simplement dit que les magicarpes évoluaient rapidement en léviator.

Devant l'air stupéfait du dresseur, elle s'empressa d'ajouter :

- Mais j'ai regardé dans mon pokédex et les magicarpes évoluent bien en léviators !

- J'ai bien peur que tu ne te sois faite arnaquer, lui répondit-il en réprimant visiblement un sourire. À l'état sauvage, seul un magicarpe sur mille parvient à évoluer, et cela ne se fait qu'au bout d'une vingtaine d'années. Les autres terminent leurs jours au stade de poisson.

En voyant l'air horrifiée de Shigeko, il précisa :

- Entraînés par un dresseur compétent, tous les magicarpes peuvent évoluer, bien sûr. Mais pour être honnête, je ne connais aucun dresseur de moins de trente ans qui possède un léviator qu'il a lui-même fait évoluer. La plupart du temps, il vaut mieux les capturer directement sous cette forme. Combien de badges as-tu, si ce n'est pas trop indiscret ?

La jeune fille ne put s'empêcher de rougir.

- Aucun… J'ai commencé mon voyage il y a quatre jours.

- À ton âge ? S'étonna le dresseur. Ce n'est pas commun. Et bien dans ce cas, je te souhaite bonne chance pour la suite. Je m'appelle Takamaru, ravi de faire ta connaissance.

Serrant la main qu'il lui tendait, elle se présenta à son tour :

- Je m'appelle Shigeko. Et voici Gracieuse, ajouta-t-elle après un instant d'hésitation, ne sachant pas s'il était d'usage de présenter ses pokémons.

Cela parut amuser Takamaru, mais avant qu'elle ne puisse s'excuser, il adressa un signe à l'un des pokémons du bassin. La grande otarie blanche, qui s'était depuis longtemps désintéressée du magicarpe, se hissa élégamment hors de l'eau et agita une nageoire délicate à leur attention. Gracieuse recula d'un bond lorsqu'une des gouttes projetées par la manœuvre failli l'atteindre, et poussa un grognement irrité. Son bon caractère semblait trouver ses limites dès qu'elle se trouvait à proximité d'une étendue d'eau.

- Voici ma lamantine, dit le dresseur sans se formaliser de l'excès d'humeur de la salamèche. Je l'appelle Dame des Mers ou Merrie, selon mon humeur. Si je peux me permettre un petit conseil, Shigeko… À l'avenir, ne soit pas trop pressée d'acquérir des pokémons, et prends plutôt le temps de réfléchir à une équipe équilibrée. Je n'en possède d'ailleurs moi-même que cinq alors que je viens d'obtenir mon sixième badge.

Jetant un coup d’œil au magicarpe qui se laissait flotter sous la surface de l'eau, il ajouta :

- En tous cas, ton magicarpe est un mâle.

- Heu… Ah ?

- Les mâles ont des moustaches dorées, les femelles en ont des blanches. Bon, je dois partir. À une prochaine fois, peut-être.

Alors qu'il prenait congé, Shigeko se demandait par quoi elle devait se sentir le plus embarrassée : de s'être trouvée en présence d'un pokémon qui méritait beaucoup plus le nom de Gracieuse que sa salamèche ou de passer pour une écervelée devant un dresseur qui avait presque le même âge qu'elle.

oOo

À suivre