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Errare humanum est, Tome 1 : L'ire du Vasilias. de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 07/06/2017 à 08:16
» Dernière mise à jour le 06/07/2017 à 17:16

» Mots-clés :   Action   Drame   Humour   Médiéval   Slice of life

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Ch. 2 : Un ciel hésitant.
 Athoo somnolait dangereusement, seule une volonté à toute épreuve l’empêchait de s’écrouler lourdement sur sa chaise. La demoiselle n’avait jamais été très école – elle était en revanche imbattable question colle. Toutefois, elle faisait un effort pour mamie Losyn, qui s’occupait de l’éducation des pensionnaires. Mais même si Athoo adorait cette charmante petite vieille, la voix chevrotante de cette dernière la berçait inexorablement.

— Maintenant, mes chères enfants, je vais vous parler des joyaux de Prasin’da, notre belle région.

Si Athoo ne réagit pas le moins du monde, ce n’était pas le cas pour Eily et Nester. Ils connaissaient tout deux l’histoire de Prasin’da par cœur, mais ils aimaient toujours l’entendre, chacun pour une raison différente. Nester, car il voudrait justement faire lui aussi partie de cette histoire, et Eily, car tout ce qui s’approchait des Ensar la passionnait.

— Le plus beau et brillant joyaux de Prasin’da, reprit la vielle dame, … j’imagine que vous le connaissez tous.
— Le Vasilias ! s’exclama soudain une foule de jeunes enfants.

Mamie Losyn sourit chaleureusement et hocha la tête.

— Oui, le Vasilias. Notre grand, grand Vasilias, les enfants. Un être immortel, un dieu vivant, celui qui a fondé notre belle nation. Si Prasin’da est la plus puissante région du monde, c’est uniquement grâce à lui. Mais ce n’est pas tous les enfants. Le Vasilias, dans sa grande bonté, accorde une partie de ses pouvoirs à ceux qui lui prouvent leur valeur.

Nester avait des étoiles dans les yeux. Il ne put s’empêcher de crier :

— Les Foréa !
— Tout à fait, s’amusa mamie Losyn. C’est ainsi que l’on nomme les porteurs des Ishys, les fragments de pouvoir du Vasilias. Mais une chose à la fois. En effet, si le Vasilias reconnaît la valeur d’un individu, il lui donne un Ishys. Un gant béni par le Vasilias lui-même, permettant d’invoquer un Ensar. Un Ensar, les enfants, une créature magique, aux pouvoirs insoupçonnés.

Eily pensa à Caratroc. C’était un Ensar, pas de doute la dessus. Cependant, il était loin d’avoir des ‘‘pouvoirs insoupçonnés’’. Sauf si le fait de cracher des espèces de toiles gluantes et visqueuses rentrait dans cette catégorie de pouvoirs incroyables. En tout cas, ce n’était pas avec ça que Caratroc allait révolutionner le monde.

— Toutefois, résumer la force des Foréa au Ensar est une grave erreur les enfants. L’Ishys permet également à son porteur d’emprunter les pouvoirs de son Ensar et de les utiliser eux-mêmes. C’est bien cela les enfants, les Foréa sont des hommes capables de déchaîner des océans, des hommes capables de faire pousser des montagnes, des hommes capables de cracher l’égal de l’éruption d’un volcan ! Telle est la force de ces demi-dieux que l’on nomme Foréa !

Eily s’était longtemps posé la question. Est-ce qu’elle aussi était capable d’utiliser les pouvoirs de Caratroc ? Du moins, si cette étrange tortue en possédait, ce qui n’était pas certain. Pour l’instant, Eily n’avait jamais fait de choses exceptionnelles mais d’un autre côté, elle ne savait pas comment faire non plus. Peut-être que si elle trouvait un mode d’emploi un jour…

— Quelqu’un peut-il me donner le nom des quatre Foréa Impériaux ? demanda mamie Losyn.

Nester leva bien haut sa main, désireux d’étaler sa brûlante passion. Mais mamie Losyn secoua la tête.

— Voyons voir… Athoo ?

À moitié-endormie, cette dernière réagit vivement à l’annonce de son nom. Elle se leva si brusquement qu’elle en fit tomber sa chaise :

— J-J’avoue ! C’est moi qui ai mangé toutes les baies en cachettes ! Ne me punissez pas, pitié ! s’écria-t-elle.
— … ce n’est pas ce que je vous demandais mon enfant, lui sourit doucement la vieille dame.
— C’est moi qui ai cassé la vaisselle des grandes occasions ? tenta une nouvelle fois Athoo.
— Je vous remercie de l’information, mais ce n’est toujours pas cela.
— C’est moi qui aie tué le poisson rouge par mégarde, alors ? réessaya la demoiselle d’un sourire crispé.

Les plus jeunes pensionnaires s’exclamèrent soudain, choqués. Une dizaine de paire d’yeux larmoyants transpercèrent tristement le dos d’Athoo.

— Tu devrais d’arrêter là…, geignit Eily.
— C’est vrai, renchérit Nester, il ne faudrait pas que tu révèles que tu es également à l’origine de ce fameux trou dans le toit, tu sais, celui qui nous a forcé à passer l’hiver entier sans protection l’an dernier et qui a fait que la moitié d’entre nous, moi inclus, a fini méchamment enrhumé…
— …
— Merci Nester, tu m’aides beaucoup là, grinça Athoo.

Un silence embarrassant s’installa dans la salle de classe. Pour briser la glace, mamie Losyn consentit à autoriser Nester de parler des Foréa. Il ne se fit pas prier.

— Les Foréa Impériaux sont sous les ordres directs du Vasilias. Ils protègent chacun l’une des quatre villes majeures de Prasin’da. La première des Foréa est Asda la Gardienne, elle est le bouclier du Vasilias et réside à Séoht, la capitale même de Prasin’da. La légende prétend que son corps est si solide qu’elle est capable d’encaisser les assauts d’une armée entière pendant un jour entier sans broncher ! De plus Bastiodon, son Ensar, est un colosse de roche et d’acier aussi résistant que mille montagnes !

Athoo et Eily levèrent les yeux aux ciels. Quand Nester parlait des Foréa, il ne se contrôlait plus et n’allait pas de main morte avec les exagérations en tout genre. Mamie Losyn avait simplement demandé de nommer les Foréa, pas de faire un exposé fanatique !

— La deuxième Foréa est Inam la Guerrière. Tout comme Asda est le bouclier, Inam est la lame. Elle réside à D’meis, qu’elle dirige d’une main de fer. Sa seule présence terrifie le plus terrible des adversaires, et ceux qui osent encore se tenir devant elle périsse implacablement sous sa hache gargantuesque ! Mais sa force ne réside pas que dans la force brute ! Elle a un contrôle parfait des éléments et peut submerger une armée sous une nuée de météores si elle le souhaite ! Son Ensar est le fier Tranchodon, un monstre de puissance capable de broyer n’importe quoi en un clin d’œil !

Athoo et Eily se décidèrent de regarder à travers par la fenêtre, histoire de voir si elles apercevaient un truc nouveau. Du moins, un truc plus nouveau que les éternels éloges de Nestor envers les Foréa.

— Le troisième Foréa est Sfyri l’Artisan, il siège à Theies, la ville où toutes les armes et armures sont forgées. Contrairement à Asda et Inam, il n’a pas de fonction guerrière. Il est cependant investi d’un savoir phénoménal dans le domaine de la manufacture. C’est à lui que nous devons l’architecture des plus grandes villes de Prasin’da. Il est secondé par Scalproie, son Ensar. Ensemble, ils forment un duo de magicien capable d’ériger un somptueux palais avec seulement quelques troncs d’arbres !

« Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre ! », soupira Athoo, pendant qu’Eily n’en pensait pas moins. Construire un palais avec une poignée de troncs d’arbres ? C’était techniquement impossible. Nester devait être réellement naïf pour croire en de pareilles sornettes.

— Et pour finir, le quatrième Foréa Impériaux, Omilio le Politicien. Il réside à Aifos, la ville de la connaissance. C’est le Foréa le plus proche du peuple, bien plus érudit que guerrier. Il voyage souvent de ville en ville, de village en village, pour apaiser les tensions naissantes. Selon la légende, il serait capable de persuader les ennemis les plus féroces de rejoindre sa cause, uniquement en conversant avec eux. Son Ensar, Rhinolove, est également extrêmement populaire et aimé ; il serait par ailleurs impossible d’éprouver le moindre sentiment négatif en sa présence tant il inspire la sympathie.

Athoo et Eily remercièrent le ciel. C’était enfin fini ! Elles avaient déjà entendu cette longue tirade tellement de fois qu’elles avaient l’impression de vieillir de cent ans dès qu’elles la réentendaient. Mamie Losyn sourit, amusée par la fougue de Nester, qui ne semblait pourtant pas vouloir s’arrêter là :

— … et je peux vous parler du cinquième Foréa, Teia le vagabond ?!

Athoo et Eily tombèrent sur leur chaise, dépitées. Faux espoir.

— Cela va aller Nester, le calma cependant mamie Losyn.
— Oh merciiii ! exultèrent ensemble Athoo et Eily.
— Ooh…, soupira Nester.

Toutefois, mis à part les deux adolescentes de 15 ans, les autres pensionnaires étaient subjugués. L’histoire des Foréa passionnaient tous les habitants de Prasin’da. Il s’agissant d’hommes et de femmes ayant prouvé leur valeur au Vasilias lui-même, un dieu vivant. Les Foréa étaient considérés donc considérés comme des demi-dieux, et ce n’était pas leurs pouvoirs exceptionnels qui le contrediraient.

— Bien les enfants, c’est terminé pour aujourd’hui, reprit mamie Losyn. Tenez, pour vous remercier de votre attention, je vous ai préparé quelques charis…


 ***

 Malheureusement pour Athoo, ces petites révélations pendant le cours lui causa des petits soucis. Les autres pensionnaires, encore choqués d’apprendre qu’elle était à l’origine de la majorité des catastrophes majeures de l’orphelinat, avaient continué à en parler dans les couloirs. Immanquablement, la surveillante finit par avoir vent de ses exactions et la punition fut vite tombée.

— Privée de repas pour la journée…, grommela-t-elle.
— Sans oublier la corvée de chiotte pendant un mois ! lui rappela Nester.
— Merci, je tenais justement à l’oublier.

Athoo frissonna. Oui, il fallait bien que quelqu’un s’occupe de vider la fosse des toilettes, ça n’allait pas se faire tout seul, il n’y avait malheureusement pas d’égouts dans les petits villages. Mais dans l’absolu, elle préférait que ce quelqu’un ne soit pas elle. Rien que l’idée de manipuler des excréments lui donnait envie de vomir.

— N’y pensons plus ! s’avança Eily qui commençait également à avoir des nausées.
— Ouais, vaut mieux…, grinça Athoo.

Les pensionnaires étaient libres de faire ce qu’ils voulaient l’après-midi. Le trio d’adolescents en profitait généralement pour aller dans une petite clairière dans la forêt. Ce n’était pas très loin de l’orphelinat, mais ici, ils étaient en paix. Dès qu’il fut confirmé que personne ne les suivait, Eily invoqua Caratroc.

— Bonjour Troctroc ! le salua les adolescents.
— Je ne m’appelle pas Troc… ah et puis zut…, grommela l’Ensar.

Eily s’allongea sur l’herbe, à côté de Caratroc et lui raconta sa matinée, comme d’habitude. De leur côté, Nester et Athoo se battaient, amicalement bien sûr. Imitant un chevalier, le garçon du groupe tenant dans sa main droite une petite branche sèche qu’il maniait comme une épée. Athoo, elle, luttait à main nue, proclamant haut et fort que les armes n’étaient que pour les faibles. Et puisqu’elle dominait entièrement Nester au combat, ce dernier ne pouvait pas spécialement prétendre l’inverse.

— La vie est étrange, statua Caratroc.
— Tu deviens philosophe ? s’amusa Eily.
— C’est vrai que j’ai tout le temps pour, pouffa l’Ensar. Non, je me disais simplement que malgré tout, la vie suivait son cours sans sourciller.

Eily se redressa légèrement, adressant un regard interrogateur à son partenaire.

— Regarde autour de toi. Vous êtes tous des orphelins, vous ignorez si vos parents vous sont morts ou vous ont abandonné. Et toi-même, Eily, tu possèdes un pouvoir hors-norme, que seuls des soi-disant demi-dieux possèdes. Et pourtant, vous êtes là, à rire et à jouer paisiblement, comme des enfants normaux.

Eily sourit doucement, avant de s’allonger à nouveau.

— Nous avions eu beaucoup de chance, c’est tout. Si les circonstances étaient un tant soit peu différentes, nous n’aurions sans doute jamais connu ce bonheur.
— De la chance ? Oui, c’est peut être le cas.

Caratroc fit une petite pause, le regard rêveur, avant de poursuivre :

— Moi aussi, j’ai eu de la chance de te rencontrer. Je me souviens de la première fois où tu m’as invoqué. Je n’avais pas la moindre idée de ce que j’étais. Tous les êtres que je voyais étaient différents de moi. J’étais totalement perdu, ignorant du monde. Mais toi, tu as su me parler, me calmer, me rassurer. Vraiment, j’ai eu de la chance que ce soit toi.

La demoiselle à la chevelure cyan se tourna sur le côté, embarrassée.

— Tu dis n’importe quoi, lâcha-t-elle dans un petit rire.
— Ha, peut-être bien. Après tout, tu n’es pas toujours un cadeau ! Espiègle, manipulatrice, bornée… malgré tes airs candides, tu caches bien ton jeu.
— Nyah ? fit bêtement l’adolescente.
— Oui, c’est tout à fait cela, ricana Caratroc.


 ***

 Lorsque le soleil commença à se coucher, le trio d’adolescents quitta son repère verdoyant et revint à l’intérieur de l’orphelinat. Ils devaient être présents avant la tombée de la nuit et le dîner, sinon la surveillante leur passerait un sacré savon. Toutes complications étaient à éviter, surtout pour une certaine personne déjà au fond du trou.

— J’ai la dalle…, grogna Athoo en même temps que son estomac.
— Vraiment désolé pour toi, répliqua Nester avant de se tourner immédiatement vers Eily. On va manger nous, du coup ?

La demoiselle hocha la tête, et elle commença à accompagner Nester vers le réfectoire.

— Bande de traître ! Faux frères ! Cervelles molles ! s’écria Athoo.
— Surveillez votre langage, mademoiselle, grinça soudain la voix de la surveillante derrière elle. À moins que vous ne vouliez une autre punition ?
— … non madame, merci madame.

Athoo s’éclipsa vivement dans sa chambre, qu’elle partageait avec Eily. Une fois arrivée, elle sauta sur son lit, affamée. Son regard zieuta du côté gauche, là où se trouvait les affaires de son amie. Une idée l’éclaira peu à peu. Eily avait souvent des réserves de friandises dans ses tiroirs, au cas où. Athoo se souvint très bien du gros bocal de bonbons que gardait jalousement son amie.
L’estomac de la demoiselle grogna de plus belle. Athoo hocha la tête. C’était un cas d’urgence, Eily lui pardonnerait bien un petit écart.

Et puis, Athoo, elle, n’était pas pétrie d’idéaux de justice comme Nester. L’adolescente, au contraire, aimait la liberté plus que tout, et mettait sur un piédestal tous ceux ayant quitté les sentiers de la norme pour vivre pleinement. En un mot, les hors-la-loi. C’était le chemin qu’elle avait choisi. Et c’était pour cela qu’elle pouvait allégrement se servir illégalement dans les provisions d’Eily. Après tout, Athoo se dit qu’un petit vol ne serait qu’une simple expérience pratique en vue de sa future profession…


 ***

 Repue, Eily rentra à son tour dans sa chambre. Il commençait à se faire tard, il était temps de penser à dormir. Lorsque la demoiselle aux cheveux cyans ouvrit sa porte, elle eut la surprise de retrouver une pauvre Athoo au sol, emmitouflée par d’épaisses toiles gluantes, pleurant toutes les larmes de son corps. Eily ne prit pas de longtemps à comprendre.

— Tu as fouillé dans mes affaires ?

Athoo gémit positivement en réponse.

— Tu sais pourtant que c’est dangereux.

Athoo couina positivement en réponse.

— Ce n’est pas la première fois.

Athoo chouina positivement en réponse.

— J’imagine que tu voulais mes bonbons.
— Ce n’est pas de ma faute ! J’ai la dalle, j’ai la dalle ! s’exprima enfin l’affamée.

Eily soupira. Elle n’aimait pas spécialement que l’on touche à ses affaires. Elle piégeait chacun de ses tiroirs avec les toiles de Caratroc ; si quelqu’un osait en ouvrir un sans une méthode bien particulière, c’était fini. Il se retrouvait instantanément recouvert de fibres visqueuses et étonnamment solides.

— On y peut rien, sourit Eily.

Elle libéra rapidement son amie. Pour une raison qui l’échappait également, Eily pouvait manipuler les toiles de Caratroc avec agilité – sa peau parvenait à glisser sur les fibres visqueuses sans s’y coller.

— Si tu as si faim, que cela, il y a peut-être une solution, glissa Eily.
— Tu vas me donner tes bonbons ?!
— Ne rêve pas, réfuta Eily avec un grand sourire.
— … ooh…
— Mais j’ai mieux.
— … ooh ?


 ***

 La nuit était tombée depuis un bon moment ; toutes les lampes de l’orphelinat étaient froides. Les rayons lunaires éclairaient cependant les couloirs à travers les fenêtres. Le silence était roi, bien que ponctuellement dérangé par de fous ronflements. Toutefois, d’autres fous avaient décidé de perturber le règne du roi.

— Et pourquoi je suis là moi…, se plaignit Nester.
— Chut ! réagit vivement Athoo.

Le trio s’était réuni sur l’initiative d’Eily. Athoo voulait manger ? Alors il n’y avait qu’une chose à faire : s’infiltrer dans le garde-manger. Un plan simple et efficace. Infiltrer était un bien grand mot cependant. L’orphelinat n’était pas spécialement gardé, voire pas du tout. Le personnel se résumait à la surveillante et à mamie Losyn, rien de plus. Il suffisait de faire le moins de bruit possible et le tour était joué.

Pour preuve, il ne suffit que de quelques minutes pour arriver à destination. Toutefois, le problème principal était tout autre.

— Vous êtes folles les filles, grogna Nester. La surveillante va immédiatement remarquer qu’il manque des trucs ! J’ai pas envie de me faire punir moi !
— Ne t’inquiète pas, assura Eily.
— Écoute la petite dame le pessimiste ! Tu sais bien qu’elle a toujours un plan de secours ! s’enthousiasma Athoo.

Eily avait beau faire ses meilleurs sourires, Nester n’était pas entièrement rassuré. Cependant, ce n’était pas dans ses habitudes de lâcher ses amies. Et puis, tant qu’il était là, autant qu’il en profite également.
Plusieurs mains se mirent à farfouiller la cuisine de l’orphelinat. La quantité de fruits et légumes était assez impressionnante, mais ce n’était pas cela que les adolescents cherchaient. Les friandises, des biscuits, et pourquoi pas des charis, voilà ce qu’ils voulaient.

Dès qu’un bocal contenant les précieux trésors passait dans un champ de vision, son contenu disparaissait mystérieusement en un clin d’œil. Chacun faisait attention à ne laisser aucune miette – quitte à lécher le sol s’il le fallait. La bonne nourriture était précieuse à l’orphelinat, et le gaspillage de sucrerie était tout bonnement la pire hérésie possible.

La mission ‘‘empiffrage nocturne’’ se passait sous les meilleurs auspices. Tout était si idyllique qu’à un moment, Nester tiqua :

— …hem, on a pas un peu trop abusé, là ?
— J’avoue, grinça Athoo. J’ai un peu perdu le contrôle…
— Tout va bien, assura Eily.

Ni Nester, ni Athoo ne savaient d’où venait la confiance de la demoiselle cyan, mais ils décidèrent de la croire. C’était bien mieux que de paniquer.

— Mais vous avez raison, il faudrait remonter dans nos chambres.
— Aucune objection !

Le trio rangea en vitesse la cuisine, histoire de laisser le moins de trace possible, et vit demi-tour. Toutefois, juste avant de sortir…

— Nyah ?

… Eily tituba brusquement sans raison, comme si elle s’était cogné quelque chose d’invisible. Elle tenta de retrouver son équilibre en se raccrochant à Athoo – et plus précisément sa tête – mais n’y arriva pas. Eily chuta quelque peu bruyamment avec son amie, lui arrachant quelques cheveux orangés au passage.

— Les filles ! paniqua Nester.

Un long moment de flottement s’installa. Chacun guetta la porte, et étendit son ouïe au maximum. Au bout de cinq minutes, il ne se passa toujours rien. Les adolescents soupirèrent de soulagement.

— C’est une vengeance pour la dernière fois ? grogna Athoo.

Eily sourit naïvement en réponse, avant de se relever. Et ce furent un peu plus stressés et le ventre beaucoup plus lourd qu’à l’aller que les adolescents retrouvèrent leur chambre. En dépit de tout, Athoo s’endormit très rapidement, contente de son repas improvisé. Contrairement à un certain garçon, dans une autre chambre, qui appréhendait grandement le lendemain.

Plus tard dans la nuit, Eily jeta un coup d’œil à sa camarade de chambre. Elle dormait à poing fermé. Parfait. La demoiselle cyan se leva doucement, et reprit la route vers la cuisine. Elle tira de sa poche une petite touffe de cheveux orangée qu’elle dispersa en évidence sur le plan de travail. L’adolescente sourit espièglement.

C’était évident que dès le lendemain, la surveillante allait remarquer l’absence des sucreries. Il fallait un coupable. Et quel était le coupable idéal sinon un fauteur de trouble avéré ?
Un peu plus tôt, Eily n’était pas tombée par accident. Elle l’avait fait exprès, dans le but d’arracher des preuves à son amie. Un plan fourbe et machiavélique, comme Eily les aimait. Bien sûr, il restait la possibilité qu’une fois accusée, Athoo dénonce à son tour ses deux complices, mais Eily n’y croyait pas. Athoo était bien trop gentille pour faire ça.

— Merci de ton sacrifice Athoo ! pouffa légèrement la manipulatrice.
— Hé bien mon enfant, voilà un coup particulièrement audacieux.

Surprise, Eily se retourna vivement, recherchant la provenance de cette voix. L’éclairage qu’offrait la lune n’était cependant pas suffisant pour discerner les recoins de la cuisine. Toutefois, après un petit rire, une lanterne s’alluma brusquement, tenue par la poigne d’une petite vieille.

— Mamie Losyn ?! geignit Eily. D-Depuis quand…
— Je me cache ici depuis le début, s’amusa la petite vieille. Vous aviez l’air très affamés tous les trois, ohoh.

Eily réfléchit à toute vitesse. C’était bien rare qu’elle se fasse prendre au dépourvu. Il fallait trouver un plan B rapidement, avant qu’il ne soit trop tard. À moins qu’il ne soit déjà trop tard ?
Mamie Losyn s’approcha d’Eily, souriante.

— Mademoiselle Athoo sera bien surprise demain. En trouvant ces cheveux, notre chère surveillante ne prendra pas longtemps avant de l’accuser elle, et seulement elle. Et bien sûr, mademoiselle Athoo n’ira pas vous dénoncer, de peur que vous soyez punis avec elle ; je suis même certaine qu’elle vous défendra. C’est très malin, car s’il n’y avait pas des preuves du coupable, notre chère surveillante risquerait de punir tout l’orphelinat, et votre ami Nester, qui ne supporterait pas cette injustice, vous dénoncerait pour sauver les autres enfants…

Eily se sourit en se mordant les lèvres. Malgré son âge, mamie Losyn restait très perspicace.

— … et vous, vous allez nous dénoncer ? tenta Eily en feignant des larmes de crocodile.
— Ohoh, non mon enfant, ce serait hypocrite. Je vais t’avouer quelque chose, Eily. Moi aussi, la nuit, parfois, il m’arrive de descendre ici en douce…

Eily recula légèrement, comprenant avec surprise les propos de mamie Losyn. Elle rit maladroitement, se demandant quelle était la marche à suivre. Partir simplement et retourner dans sa chambre ? Eily en avait terriblement envie, mais la présence de la petite vieille la clouait sur place. Mamie Losyn, quant à elle, était toujours aussi calme que d’habitude. Munie de son éternel sourire, de sa petite lanterne et de son dos courbé, elle ressemblait à une bienveillante créature sortit tout droit de l’imaginaire.

Mamie Losyn déposa lentement la lanterne sur une table au centre de la cuisine, et s’assit sur une petite chaise. Eily la regarda faire, toujours interdite. Au bout d’une minute de silence, mamie Losyn pencha légèrement sa tête :

— Dis-moi, mon enfant, qu’as tu pensé la leçon d’aujourd’hui ?
— Nyah ?

Eily allait de surprise en surprise. Parler nonchalamment de la journée était la dernière chose qui lui viendrait à l’esprit dans sa situation. Mais avec le regard chaleureux de mamie Losyn, Eily n’avait pas d’autre choix que de répondre.

— C’était intéressant…, je suppose ? Même si Nester a tout gâché…
— Oui, intéressant…, répéta mamie Losyn. Le Vasilias et les Foréa, sont effectivement très intéressants. Des hommes et des femmes forts, très forts, plus proche divins que de l’humain… dis-moi, Eily, méritent-ils réellement notre respect ? Est-ce bon de vouer un culte à certains individus, juste sous prétexte qu’ils sont un peu plus forts que les autres ?

Eily fronça les sourcils. Pour le peuple de Prasin’da, le Vasilias était un dieu vivant, le soleil de la nation. Remettre en cause son culte était pour beaucoup une hérésie. Heureusement pour mamie Losyn, Eily n’avait jamais été particulièrement investie religieusement, mais si une autre personne était là… Non pas que mamie Losyn risquait la prison ou autre, le Vasilias n’interdisait pas qu’on médise à son sujet. En revanche, si publiquement, on savait qu’une personne n’aimait pas le Vasilias, cette même personne se faisait impitoyablement exclure socialement.

— Ohoh, excuse-moi mon enfant, je radote, c’est l’âge. Ce sont des sujets qui nous dépassent, toi et moi. Nous vivons dans un petit orphelinat, dans un petit village, inutile de nous inquiéter de cela. Non, plus que cela, nous ne le devons pas.
— Mamie Losyn ? avait du mal à comprendre Eily.

La petite vielle regarda vaguement quelque chose au plafond, comme plongée dans ses pensées, avant de couvrir à nouveau Eily sous ses vieux petits yeux.

— Dis-moi, mon enfant, les années passent, et j’imagine que l’idée de quitter l’orphelinat et de voyager te titille de plus en plus. C’est tout naturel, vous être jeunes, nous voulez découvrir le monde. Nester et Athoo m’ont déjà fait part de leur intention de voyager à travers Prasin’da dès le mois prochain.

Eily hocha la tête. Elle était au courant. Toutefois, elle-même ne savait pas si elle voulait les rejoindre. Certainement que oui, la vie sans eux serait terriblement ennuyante. En soi, la demoiselle cyan n’avait pas spécialement envie de voguer aux quatre vents, mais elle ne pouvait pas s’imaginer séparer de ses amis. Elle devait cependant prendre une décision rapide, un mois, trente jours, cela passait très vite…

— … et si tu restais ici, mon enfant ?
— … nyah ?
— Nous manquions de personnel ici, une aide supplémentaire ne serait pas de refus. Et puis, ici, la vie est paisible et sans soucie.
— J-Je ne sais pas vraiment, avoua Eily. C’est un choix difficile…
— Ohoh, oui, oui, c’est juste. Excuse, moi, je suis vieille. Peut-être que la peur d’envoyer mes enfants sur les routes brouille mes idées. Bien, il se fait tard, je devrais retourner dans mon lit, y reposer ma vieille carcasse. Je te souhaite la bonne nuit, mon enfant.
— … bonne nuit, souffla Eily.

Mamie Losyn se leva de sa petite chaise et saisit à nouveau sa lanterne. Le pas lent, elle se dirigea vers la sortie de la cuisine. Juste avant de disparaître dans le couloir, elle soupira ces quelques mots sans se retourner :

— J’aimerais tout de même que tu y réfléchisses, Eily. Je… je voudrais tellement que tu restes…

Et elle reprit son chemin. Eily baissa les yeux, considérant l’offre une seconde fois. Pourquoi mamie Losyn tenait-elle tellement à ce qu’elle reste ? Il était vrai que l’orphelinat manquait de personnel, mais était-ce la seule et unique raison ? Ces quelques interrogations paralysèrent l’adolescente pendant de longues minutes, avant qu’elle ne se décide finalement à rejoindre sa chambre.

C’étaient des choses auxquelles Eily n’aimait pas penser. Le futur, son avenir. Elle, elle aimait vivre dans l’instant présent. Le futur était loin, il était effrayant. Elle ne savait ni qui elle était, ni ce qu’elle était exactement. Mais elle ne se faisait pas d’illusion, elle ne pouvait pas fuir son futur éternellement. Un jour ou l’autre, la réalité la rattrapera.