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» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 05/06/2017 à 16:37
» Dernière mise à jour le 05/06/2017 à 16:37

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Suspense

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Chapitre 34 - Au fond des yeux, au fond du cœur
Peu importe notre capacité à masquer nos émotions, les yeux ne mentent jamais. Et les larmes qu’ils couvent valent plus que mille mots.

~*~


L’orage était définitivement passé. Le soleil brillait à nouveau dans le firmament, réchauffant agréablement la terre à présent étanchée de sa soif. Une belle journée d’automne s’annonçait. Le vent soufflait toujours, quoique très faiblement. Les feuilles oranges, parfois dorées des érables pendaient paresseusement aux bords de leur branche, attendant patiemment l’heure où elles se détacheraient pour tomber en douceur vers le sol.

Assis à l’ombre d’un arbre à la ramure particulièrement fournie et colorée, Jessie, James et Miaouss goûtaient à une quiétude bienvenue, après tant de péripéties. Les frondaisons filtraient la lumière du soleil, mouchetant leurs visages assoupis de taches dorées. Au bout d’un moment, Jessie entrouvrit les yeux, et brisa le silence presque religieux qui régnait en ces lieux.

- Tout est si calme…
- Le calme après la tempête, ajouta James.
- Comme il est bon de simplement pouvoir se poser et apprécier la caresse du vent sur son visage…, ronronna Miaouss, les yeux toujours fermés.
- Okééé…

Qulbutoké, Sépiatop et Banshitroye, les Pokémon des bandits, somnolaient à côté de leurs dresseurs, partageant avec eux cet instant de tranquillité pure.

- Au fait, le morveux n’est toujours pas revenu ?

La question de Miaouss eut l’effet d’une ride sur un lac tranquille. De mauvaise grâce, ses deux compères quittèrent leurs agréables rêveries pour réintégrer le souvenir du jeune garçon dans leurs pensées.

- Ça fait presque deux jours qu’il est assis là-bas, non ? demanda James.
- Je l’ai rarement vu aussi abattu, miaula le félin.
- En même temps… Cela n’a rien d’étonnant. Au vu de ce qu’il a traversé…

Miaouss grimaça en revoyant cette horrible scène où l’homme au masque s’était sacrifié pour sauver la vie du morveux. Ce dernier avait, dès cet instant, perdu un parent.

« Un parent… » Voilà bien un concept que Miaouss était loin d’intégrer complètement. Étant orphelin de naissance, il ne pouvait pas saisir pleinement la peine qui devait ronger Sacha. Mais qui le pouvait vraiment ? se dit-il.

- Ce n’est pas la première fois que le morveux se retrouve au plus bas, dit soudain Jessie en se redressant. Depuis le temps qu’on le suit, on l’a vu déprimer pas mal de fois.
- Oui, mais… là, c’est un peu différent, non ? hésita James.
- Qu’importe la situation, il parvient toujours à se relever. Je vous parie que si nous essayions de capturer Pikachu dès maintenant, il serait le premier à venir nous arrêter.
- Sans doute…, admit Miaouss, avant de se tourner des yeux brillants d’intérêt vers sa complice. Attends, tu veux qu’on le fasse maintenant ?

Jessie croisa les bras, et s’allongea de nouveau.

- Non. Pas de coup monté jusqu’à nouvel ordre. Ce n’est pas encore le bon moment.

Sa réponse eut de quoi surprendre ses deux compères. Habituellement, la voleuse aurait immédiatement sauté sur l’occasion de capturer Pikachu, sachant que Sacha était vulnérable. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’ils tenteraient d’exploiter la faiblesse momentanée du jeune dresseur. Alors pourquoi une telle décision ?

Même s’il n’oserait jamais le dire devant sa partenaire, James était intimement persuadé de connaître la réponse. Après avoir vécu tant d’années ensemble, les trois coéquipiers avaient fini par apprendre à connaître les histoires et le passé de chacun. Et bien que Jessie fût la moins loquace sur ce sujet, James savait, entre autres, qu’elle avait perdu sa mère dans sa prime enfance. Éprouverait-elle inconsciemment une forme de compassion qui l’empêchait de s’en prendre au jeune garçon, le temps qu’il fasse son deuil ? Quand bien même ce serait vrai, il était certain que Jessie préférerait mille fois mourir plutôt que de l’admettre.

- Comme tu voudras, finit par lâcher James, renonçant à relever l’étrange comportement de sa coéquipière. Mais c’est assez ennuyeux. Je ne sais pas vous, mais j’ai l’impression que nous n’avons pas fait grand-chose, dans cette histoire.
- Je vois ce que tu veux dire. Une impression… d’avoir été mis à l’écart ? De ne pas avoir joué de rôle important ?
- Exactement.
- Ah oui ? Moi pas ! grinça Miaouss. J’ai quand même risqué ma vie en pilotant un vaisseau attaqué par des volailles zombifiées, tout ça pour conduire les morveux jusqu’à cette fichue usine ! Franchement, j’ai eu mon rôle à jouer, et ça m’a suffi pour toute une vie…
- Au moins, tu auras joué un rôle important, toi ! fit valoir Jessie. Nous, je ne vois pas ce qu’on a pu accomplir de vraiment utile…
- Tu oublies que c’est grâce à Qulbutoké qu’on a réussi à capturer Sépiatroce !
- OKKKÉ ! jubila ce dernier.
- Certes, mais au final, ça n’a pas servi à grand-chose, puisqu’il s’est rebellé sur la fin, dit Miaouss. Et on sait tous ce qu’il s’est passé ensuite…

Les trois compères et leurs Pokémon soupirèrent de concert. Ce n’était pas la première fois qu’ils étaient impliqués, malgré eux, dans des batailles riches en émotions fortes. C’était le risque à prendre quand on suivait Sacha, ils avaient fini par le comprendre. Et d’ordinaire, lorsque le calme revenait enfin, les bandits prenaient le temps de savourer la satisfaction d’avoir survécu à la terrible tempête. Pouvoir simplement s’allonger au soleil, et prendre une sieste bien méritée leur procurait un sentiment de paix instantané, tel un message silencieux porté par le vent, qui leur soufflait combien la vie était précieuse.

Toutefois, ce jour-là, ce message leur paraissait comme teinté d’une sensation amère. La sensation que cette victoire dissimulait une part de défaite qui venait ajouter son ombre au tableau.


~*~

Je me réveillai avec la sensation d’avoir dormi toute une vie. Quand je levai les yeux vers le ciel, je ne vis qu’une immensité bleu pâle, parsemée çà et là de nuages ivoire tantôt fins, tantôts épais. Un léger vent tiède caressait ma peau.

En voulant me redresser, ma main effleura quelque chose de chaud et doux. Avec surprise, je constatai que Pikachu et mes quatre autres Pokémon m’entouraient, formant à eux cinq une espèce de cocon qui m’enveloppait telle une couverture chaude. Une couverture, d’ailleurs, j’en avais une vraie sur moi. Je m’en étonnai : qui pouvait l’avoir posée ?

La réponse me vint lorsque je me rappelai les événements de la veille. Je jetai des regards furtifs autour de moi. Mais aucune trace de Serena.

« Elle a dû partir après que je me sois endormi… » Même si je lui étais reconnaissant de m’avoir laissé un peu d’intimité après ma… crise, si l’on pouvait dire, je ne pus m’empêcher de me sentir un peu coupable. La connaissant, elle devait encore se faire un sang d’encre pour moi…

En bougeant ainsi dans tous les sens, j’avais réveillé Pikachu et Sonistrelle, blottis entre mes jambes. Tous deux ouvrirent des yeux bouffis de sommeil. Tandis que je m’excusais avec un sourire gêné, Croâporal et Flambusard s’éveillèrent à leur tour, vite imités par Brutalibré.

- Salut, vous autres. J’ai dormi longtemps ? demandai-je en massant mes épaules endolories.
- Pika-pika.

De ce que je compris, j’avais passé la nuit entière dehors. Pikachu m’expliqua par petits signes qu’il était allé chercher Croâporal et les autres, ce que les intéressés confirmèrent d’un hochement de tête.

- C’est vraiment gentil… Et Serena ?
- Pika.

Pikachu désigna la couverture, avant de pointer d’une griffe la direction opposée à la falaise. J’en déduis que Serena avait préféré me laisser seul en compagnie de mes Pokémon. L’attention dont tous avaient fait preuve me donna du baume au cœur.

- Merci. Vous en faites toujours beaucoup pour moi…

Mes Pokémon ne répondirent pas. Pendant ce temps, je me redressai en position assise, et braquai mon regard sur le seul point fixe à l’horizon.

La tombe de mon père.

En me voyant assis ici, en compagnie de mes Pokémon, je resongeai à ceux de l’Homme Masqué… ou plutôt mon père. J’avais toujours autant de mal à croire que ce fut l’un d’entre eux qui ait fini par mettre fin à ses jours. Certes, cela nous avait débarrassés de Sépiatroce une bonne fois pour toutes, mais… était-ce vraiment la bonne solution ? Je ne pouvais pas supporter l’idée que quelqu’un, quand bien même aurait-il commis les actes les plus ignobles, meure de manière si… brutale, si atroce.

Les bras croisés sur les genoux, je laissai mes pensées dériver un moment. Inévitablement, la même question qui me taraudait depuis quelques jours – depuis CE jour fatidique – revint m’assaillir.

« Pourquoi tiens-tu tant à devenir Maître Pokémon ? »

Au cours de mon voyage, j’avais remis en question bien des choses concernant mon attitude, ma manière de combattre et de parler aux autres. Mais jamais je n’aurais cru qu’un jour, je remettrais en cause le point d’origine même de ce fameux voyage. J’avais quitté la maison pour partir sur les routes devenir le meilleur dresseur. Pourquoi ? Je ne m’étais jamais posé la question, et je ne me la serais jamais posée si lui ne me l’avait pas demandé.

« Pourquoi tiens-tu tant à devenir Maître Pokémon ? »

« Ce n’est pas pour te surpasser, ni pour marcher sur tes traces… Je n’ai jamais eu l’idée de me comparer à toi… »

J’avais beau répéter ces mots en boucle pour tenter de m’en convaincre, rien à faire. Plus je le pensais, et moins j’y croyais.

« Pourquoi tiens-tu tant à devenir Maître Pokémon… ? »

- Raaah !! (Mes Pokémon sursautèrent brusquement.) Mais j’en sais rien, tais-toi, bon sang !
- Tu ne sais donc pas qu’il faut garder le silence devant une tombe ?

Je sursautai à mon tour. En pivotant sur moi-même, je découvris Genzo derrière moi, accompagné de Galopa. Le Pokémon Feu, de nouveau en pleine santé, vint immédiatement presser son museau brûlant contre ma nuque, en hennissant doucement.

- Montre donc un peu plus de respect envers les défunts, garçon !
- … Désolé, m’excusai-je, penaud.

Genzo s’assit à côté de moi, l’air encore plus renfrogné que d’habitude. Galopa rejoint ma petite bande de Pokémon, lesquels saluèrent chaleureusement leur confrère. Pendant un long moment, on n’entendait plus que le bruit du vent dans les herbes et les arbres, accompagné des murmures ténus des Pokémon qui m’entouraient. Hormis cela, rien ne vint perturber la quiétude du lieu. Quant à moi, j’avais déjà recommencé à broyer du noir, ressassant sans trêve les événements de ces deux derniers mois.

- Alors, dis-moi… (Après tant de silence, la voix de Genzo attira toutes les attentions.) Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ?

Décontenancé, je ne trouvai rien à répondre. Depuis que je le connaissais, j’avais fini par comprendre à quel point Genzo était pragmatique. Il posait toujours les bonnes questions aux moments les plus opportuns. Malgré tout, je me continuais de me laisser surprendre.

- … Je ne sais pas, répondis-je. Je ne suis pas encore sûr…
- Tes amis et toi avez été diagnostiqués hors de danger depuis pas mal de temps. Tes Pokémon sont parfaitement rétablis, et l’opération de Pikachu s’est déroulée avec succès.

L’intéressé confirma d’un « Pika » discret. Je grattai gentiment le dessous de son menton tout en écoutant Genzo poursuivre :

- Toute cette histoire est terminée. Il n’y a plus rien qui ne te retienne ici, n’est-ce pas ?

Les regards insistants, voire pesants de mes Pokémon – Galopa également – me mirent mal à l’aise. Sentant que garder le silence n’arrangerait pas la situation, je préférai tenter une explication.

- Sans doute. Mon voyage n’est pas encore terminé. Maintenant que tout est redevenu calme, il va falloir songer à reprendre la route. Je ne dois pas oublier que si je suis venu dans la région de Kalos, c’est pour pouvoir participer à la Ligue. Je dois encore terminer ma quête des badges : sur les huit, j’en ai déjà sept. Il ne me manque plus que celui de l’arène d’Auffrac-les-Congères pour avoir une chance de réaliser mon but. Cependant…

Je déglutis, cherchant les mots adéquats.

- … je n’arrive pas à me décider à partir maintenant. Je ne sais pas… J’ai l’impression qu’il manque quelque chose.
- Qu’il manque quelque chose ? répéta Genzo. À quoi ?
- Je ne saurais pas l’expliquer clairement, soupirai-je. Mais… j’ai le sentiment d’avoir encore quelque chose à accomplir avant de pouvoir repartir sur les routes. Le problème, c’est que je ne sais pas quoi…

Genzo resta silencieux. J’ignorais ce qu’il pensait de mon étrange aveu ; et pour être honnête, je crois que ça m’importait peu. Je ne m’attendais pas à ce que lui ou qui que ce soit d’autre ne me comprenne. Je n’y arrivais déjà pas moi-même…

Lorsque Galopa revint me chatouiller l’arrière du crâne avec son mufle, je me souvins d’une question que je devais poser à Genzo :

- Au fait, comment vont Florizarre et les autres ? Galopa est en pleine forme, mais qu’est-il advenu des autres ?
- Ils ont reçu des examens approfondis par toute une équipe de spécialistes. Malheureusement, il semblerait qu’ils aient passé trop de temps dans les Pokéballs Obscur pour pouvoir être « purifiés ». L’opération chirurgicale a été jugée trop risquée. Alors ils ont été placés dans un centre d’accueil pour Pokémon abandonnés.

La nouvelle m’attrista tout autant qu’elle me soulagea. Au moins, ses Pokémon auraient une seconde chance…

- Je vois… Mais dites-moi, pourquoi ils ne peuvent pas rester avec vous ? Vous seriez un bon gardien pour eux…

Genzo me regarda d’un air ahuri, avant d’éclater de rire. Il s’arrêta en s’apercevant que j’étais tout à fait sérieux, et se racla la gorge.

- C’est gentil… Mais de toute manière, je ne peux pas les garder avec moi. Pas même le vieux Galopa.
- Pourquoi pas ?
- Au cas où cela t’aurait échappé, jeunot, je te rappelle que je suis un criminel, lâcha le vieil homme avec ironie. J’ai appartenu à la Team Rocket, et j’ai baigné dans leurs affaires douteuses pendant pas mal de temps.

Je me pinçai les lèvres. Ce détail m’avait en effet échappé.

- Mais… C’était il y a longtemps, non ? Ça fait un moment que vous n’êtes plus…
- Ne discute pas, garçon, m’interrompit Genzo d’une voix ferme. J’ai choisi moi-même de me rendre. Peu importe l’image que tu te fais de moi, j’ai fait des choses répréhensibles par le passé. Il est plus que temps pour moi de purger ma peine.

Je voulus protester, mais me ravisai au dernier moment. Je ne connaissais rien de Genzo, après tout. Peut-être avait-il réellement commis des actes méritant la prison ? Malgré tout, une part de moi-même se révoltait à l’idée que ce brave homme, qui avait tant fait pour nous, soit ainsi condamné pour des actes qu’il regrettait sûrement.

Je relevais la tête vers Genzo pour lui demander autre chose, quand je remarquai son regard fuyant, et ses poings crispés.

- Qu’est-ce qu’il y a ? fis-je. Il y a autre chose ?

Pas de réponse. Mes Pokémon se concertèrent du regard. Eux aussi sentaient qu’il y avait un problème.

- Vous ne m’avez pas tout dit, n’est-ce pas ? insistai-je. Qu’est-ce qu’il est arrivé, Genzo ?

Le vieil homme me regarda, puis regarda Galopa, avant de fermer les yeux et de soupirer.

- C’est à propos de Raichu. Tu sais, le Pokémon que ton Pikachu a affronté.

Mon bras bandé parut réagir presque instantanément à l’énonciation du nom du Pokémon électrique. Inconsciemment, je serrai la blessure comme dans l’espoir de refouler les fourmillements qui l’assaillaient. Comment pourrais-je oublier le Pokémon qui m’avait infligé cette douleur traumatisante ?

- Il a passé les tests en même temps que les autres Pokémon de Gauthier, continua Genzo. Mais malheureusement, tout ne s’est pas passé comme prévu. Raichu faisait montre d’une agressivité sans bornes, et a même failli blesser l’un des vétérinaires. Il a été classé comme beaucoup trop dangereux, alors… ils l’ont euthanasié.

J’eus un coup au cœur, si fort que j’en lâchai mon bras.

- Euthanasié ? Ça veut dire qu’il est… ?
- C’était la seule solution. Il était bien trop dangereux, il aurait fini par blesser, voire tuer d’autres Pokémon, ou même des humains. Son cas était irrécupérable.
- Mais c’est pas une raison !

Genzo sursauta devant ma véhémence soudaine. Me rendant brusquement compte que j’avais élevé la voix, je me détournai d’un air mi-confus, mi-frustré.

- Je comprends que cela te révolte, dit Genzo d’une voix adoucie. Moi non plus ça ne me plaît pas. Mais c’était nécessaire.
- Parce que c’était un cas désespéré, il ne méritait pas de vivre ?

Je serrai les poings sur le sol au point d’en arracher des touffes d’herbe. Genzo m’étudia un instant, avant de porter son regard sur l’horizon.

- Tu ne parles pas seulement de Raichu, je me trompe ?

Nouvelle touffe d’herbe arrachée. Voyant que je commençais à trembler, Pikachu vint se blottir contre moi. Sa chaleur m’apaisa un peu.

- Écoute, Sacha. Ce que je vais te demander va te paraître stupide, mais… N’en veux pas à Gauthier.

J’hoquetai, yeux écarquillés. Mon regard se posa aussitôt sur ces deux planches de bois clouées en croix devant moi.

- Bien sûr, je comprends tout à fait que tu puisses le considérer comme quelqu’un de barbare, voire d’inhumain. Il a violenté tes Pokémon, mis en péril ta vie, probablement en y prenant un malin plaisir. Je sais que je suis loin d’appréhender tout ce que tu as dû endurer ces deux derniers mois. Cependant…

Genzo me saisit brusquement par le bras, me forçant à croiser son regard.

- Cependant, et malgré tout ce que tu peux en penser, ton père n’a pas jamais été quelqu’un de mauvais. Il était taciturne, belliqueux, solitaire, parfois un peu à la limite de la misanthropie, mais jamais il n’a fait montre de réelle méchanceté.

Je me dégageai d’un mouvement, le cœur battant. J’aurais voulu répliquer, mais pour dire quoi, exactement ? Je n’avais rien à répondre à cela. Tout ce que je pus faire, c’est laisser Genzo poursuivre :

- Lorsqu’il était sous mon commandement, à l’Académie de la Team Rocket, Gauthier était incapable de s’associer avec quelqu’un sans déclencher de dispute. Chaque fois que quelque chose allait de travers, il rejetait la faute sur ses camarades. J’ai pas mal écopé de ses reproches, moi aussi. Et en tant qu’instructeur, j’ai eu droit à la dose spéciale.

Genzo eut un petit rire sans joie.

- Gauthier et moi étions toujours à couteaux tirés. Son comportement était tellement inqualifiable que j’ai songé plus d’une fois à le renvoyer. Mais je ne l’ai jamais fait. Sais-tu pourquoi ? À cause de ce que je lisais dans ses yeux.

Plus Genzo parlait, et plus mon amertume se dissipait, remplacée par une sorte d’intérêt. À l’inverse, la voix du vieil homme devenait de plus en plus monocorde, comme si replonger dans le passé lui faisait oublier la présence des autres autour de lui, et qu’il ne se parlait plus qu’à lui-même.

- Je n’ai pas connu Gauthier avant son entrée dans l’Académie. Je ne sais pas ce qu’il a pu vivre dans ses jeunes années. Mais qu’il parle, se taise, mange, hurle ou s’entraîne, la douleur ne quittait jamais ses yeux.

Genzo quitta ses sombres souvenirs pour se focaliser de nouveau sur moi.

- Comprends bien : je ne cherche d’excuses à personne. Tout ce que je viens de te dire n’est que la pure vérité. De mon point de vue, il est vrai. Mais dis-toi bien une chose, Sacha. Cet homme qui t’a tant fait souffrir a lui aussi connu le doute et la souffrance. Je ne te demande pas de lui pardonner, simplement de ne pas le juger trop vite.

Je ne répondis pas tout de suite. Tout en intégrant ce que Genzo venait de me raconter, je repassais dans mon esprit les quelques images que je pouvais associer à cet homme que je n’avais jamais connu. Un chasseur au masque de fer, qui se riait de mon impuissance. Un homme brisé qui murmurait sa solitude à l’approche de la mort.

- Je… je ne sais pas ce que je ressens exactement, finis-je par avouer. D’un côté, je le déteste pour tout ce qu’il a fait à Pikachu et aux autres… Mais à la fin… Quand il a accepté de relâcher ses Pokémon… quand il a fait face à… à Sépiatroce…

Pikachu posa ses petites pattes sur ma main fébrile. Rien que d’évoquer cet instant où le tentacule de Sépiatroce avait perforé sa poitrine au lieu de la mienne… J’en avais des palpitations, et une horrible envie de vomir. Je secouai la tête pour chasser cette image traumatisante, sans grand succès.

Galopa, Croâporal et les autres Pokémon marmonnèrent des paroles de réconfort, m’encourageant à poursuivre.

- Il… il m’a paru si seul…, croassai-je. Même ses Pokémon ne pouvaient plus rien pour lui…
Galopa souffla tristement, une douleur indicible allumant ses prunelles couleur flamme. La dernière phrase de son ancien dresseur me revint de nouveau en mémoire :

« Les Pokémon ont été les seuls à jamais pouvoir me comprendre… »

- Pendant… pendant un instant, j’ai eu l’impression de comprendre ce qu’il ressentait. Moi aussi, j’ai longtemps été seul. Quand il a dit ça… Je me suis senti…proche de lui… Mais je ne veux pas être comparé à lui ! Je ne suis pas comme lui ! Je… je ne veux pas devenir comme lui…

À cet instant précis, j’eus le sentiment que c’était là la véritable formulation de ce que j’essayais d’exprimer depuis le début. Cette peur qui entravait mes pensées et mes désirs. La peur de l’avenir, et de ce que je deviendrais… ou plutôt de ce que je pourrais devenir.

- Parce que deux êtres ont des points en commun, tu crois qu’ils sont les mêmes ?

Pris au dépourvu une fois de plus, je fis de nouveau face à Genzo.

- Je ne saurais dire si tu es comme ton père, Sacha. Mais une chose est certaine : tu n’es pas ton père. Lui et toi êtes deux personnes différentes.

Il soupira, et leva la tête vers le ciel azur.

- Lorsque j’étais jeune, je me souviens d’un adage que les anciens avaient l’habitude de nous enseigner : « Les nids de Roucool donnent parfois naissance à des Piafabec. » Ces deux Pokémon se ressemblent beaucoup, n’est-ce pas ? Ce sont tous les deux des oiseaux, tous deux capables de voler. Mais ils ont des caractères radicalement différents. Des points communs, mais aussi des différences. Comprends-tu ?

J’opinai, bien qu'hésitant. Je crois que je commençais à entrevoir où Genzo voulait en venir.

- N’aie pas autant peur de l’avenir, garçon. Celui que tu deviendras dans le futur sera forgé par les actions que tu entreprendras, les choix que tu feras. Évidemment, tu vas me dire que l’on ne fait pas toujours les bons choix. Mais c’est aussi en se relevant de ses erreurs qu’on apprend. Toutes les expériences que tu as vécues, et celles qui t’attendent encore, ce sont elles qui détermineront qui tu es vraiment.

Genzo se leva, et vint soudain me donner une grande tape dans le dos.

- Et laisse-moi te dire une bonne chose : tant que tu auras des amis aussi loyaux que les tiens, tu ne risques pas de te perdre sur le chemin de la vie. Quoiqu’il arrive, il y aura toujours quelqu’un pour te soutenir dans les moments difficiles. Alors fais-moi plaisir, et ne gaspille pas cette chance unique que tu as.
- Une chance ? répétai-je, abasourdi.
- Celle d’avoir d’aussi bons amis à tes côtés.

Je baissai les yeux, et interrogeai mes Pokémon du regard. Tous hochèrent la tête en souriant. Petit à petit, je finis par me dérider à mon tour. Ce fut même un léger rire qui réussit à secouer mes épaules.

- Tiens, tant que tu y es…, dit Genzo. Tu en profiteras pour mettre un peu les choses au point avec la petite Serena ? Si j’ai bien compris ce que m’a dit la petiote – Clem, je crois ? – il n’y a toujours rien d’officiel entre vous…
- Hein ?! Officiel de quoi ?

Brutalibré et Flambusard ricanèrent sous leurs ailes, sous les yeux candides de Sonistrelle. Croâporal faisait mine de n’avoir rien entendu, tandis que Pikachu haussait les épaules en soupirant. Leur attitude à tous me laissait aussi agacé que confus. Faudrait qu’un jour, on m’explique ce qu’insinuaient tous ces sous-entendus…

Genzo partit soudain d’un grand rire.

- Ha ! Oublie donc ça, mon garçon !

Bien que je ne comprenne pas tout, je ne pus me retenir de rire à mon tour.

- Au fait, Genzo… Je croyais qu’on devait pas crier devant les tombes ?

Au tour du vieil homme d’être confus. Il retrouva aussi sec son expression renfrognée que je lui connaissais si bien.

- En fait, tu ne te montres malin que quand ça t’arrange…

Un sourire au coin des lèvres, je ne relevai pas. Galopa tapota mon dos du museau, taquin. Tandis que je le caressais, Genzo s’approcha, et tapa l’encolure du cheval.

- Allez, mon grand. C’est l’heure pour nous d’y aller.
- Vous partez déjà ?
- Si j’ai pu venir ici, c’est parce que l’Agent Jenny m’y a autorisé. Seulement, si je dépasse le temps qu’elle m’a accordé, je risque d’avoir des problèmes… Encore plus que maintenant, j’entends.

Galopa gémit, et mordilla le col de ma veste. Je me dégageai avant qu’il ne dévore le haut du vêtement.

- Calme-toi…, lui murmurai-je. Moi aussi, ça me fait mal de te dire au revoir.

Le Pokémon Feu frotta sa lourde tête contre ma joue. La chaleur du cuir de sa peau était agréable.

- Tu sais quoi ? Lorsque j’aurai gagné mes huit badges, je passerai te voir au centre où tu seras accueilli avant de participer à la Ligue de Kalos. Je te le promets, d’accord ?

Pikachu vint se percher sur mon épaule, et salua son camarade, les larmes aux yeux. Galopa le gratifia d’un coup de museau affectueux sur le front, tandis que mes autres Pokémon faisaient à leur tour leurs adieux.

- Bon. Il est temps d’y aller.

Je flattai l’encolure de Galopa une dernière fois, avant de laisser Genzo le prendre par les rênes. Pikachu et les autres à mes côtés, je les regardai s’éloigner, mon cœur se serrant un peu plus à chacun de leurs pas. Les souvenirs des quelques jours passés en leur compagnie défilèrent dans ma tête en accéléré. Soudain, n’en pouvant plus, je m’écriai :

- Genzo !

Le vieil homme s’arrêta en entendant son nom. S’il ne se retourna pas, cela ne m’empêcha pas de m’incliner presque à angle droit.

- Merci… Merci pour tout ce que vous avez fait pour nous. Vous êtes peut-être bourru et parfois un peu sévère, mais… Vous êtes le meilleur prof’ qu’on puisse rêver d’avoir ! Et puis…

Les mots restèrent bloqués au fond de ma gorge. Comment aurais-je pu résumer en quelques phrases toute la gratitude que j’éprouvais ? S’il n’avait pas été là, je ne sais pas ce que je serais devenu…

Genzo ne dit rien, mais je crus voir ses épaules agitées de légers tremblements. Puis, toujours sans se retourner, il me salua d’un geste de la main, et s’en fut. Galopa hennit une dernière fois à notre intention, avant de le suivre au petit trot.

Nous les regardâmes partir jusqu’à ce que leurs silhouettes fussent avalées par la distance. Pikachu grimpa sur mon épaule.

- Pika-chu ?

Je ne répondis pas tout de suite, appréciant secrètement la joie de sentir de nouveau son poids si familier sur mes épaules.

- Bon… On devrait y aller, nous aussi. On a un voyage à terminer, après tout !

Croâporal et compagnie approuvèrent d’un seul et même cri enjoué. Ragaillardi par leur enthousiasme communicatif, je les laissai prendre la tête du groupe.
Mais avant de leur emboîter le pas, je jetai un dernier coup d’œil à cette croix de bois, qui se dressait de toute la hauteur dont elle était capable au bord de la falaise. Je remarquai que la planche transversale penchait légèrement sur le côté – la faute à mes mauvaises fixations… je n’étais pas très bon bricoleur. Vu de loin, on aurait dit un corps muni de sa tête et de ses deux bras, dont l’un pointerait vers le ciel.

Ce fut avec cette image en tête que je me détournai, et pris la direction de Romant-sous-Bois.