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Atlas de Eliii



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» Auteur : Eliii - Voir le profil
» Créé le 28/05/2017 à 18:58
» Dernière mise à jour le 28/05/2017 à 18:58

» Mots-clés :   Drame   Policier   Présence d'armes   Sinnoh   Suspense

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010 : Voile d'incertitudes
Unionpolis, 21 mai 1960

« J'espère bien que c'est une plaisanterie », souffla Robert Marlowe, interloqué, en repoussant le journal sur la table.

Cela faisait maintenant deux jours que l'enquête avait débuté, et l'équipe de Karen Jones n'avait pas appris grand chose en examinant les lieux du crime et en interrogeant des personnes susceptibles de connaître la victime. L'on avait fini par trouver son mari, qui pensait son épouse disparue, et par conséquent, son identité avait été révélée. Il ne s'agissait que d'une « femme du monde » ordinaire, entretenue grâce au salaire de son époux et vivant dans une oisive indifférence. Cela n'allait pas s'avérer d'une grande utilité pour trouver le coupable, pensaient les forces de police.

L'inspectrice avait donné rendez-vous à son vieil ami dans un café calme de la ville, afin de discuter des derniers potins concernant l'affaire. Ayant pris un jour de congé la veille, Robert s'était momentanément désolidarisé du monde journalistique, et n'était donc pas au courant des nouveautés avant qu'elle ne lui fasse lire les gros titres du journal. L'on racontait qu'un homme, ancien combattant durant la guerre, se serait livré à la police en prétendant être Atlas. Il avait reconnu le meurtre, et s'était mis à déblatérer des choses sans queue ni tête.

« Tu y crois, toi ? reprit posément l'homme aux cheveux blancs, qui s'était calmé après le choc de cette insolite nouvelle. Enfin, ce serait trop facile ! »

Karen hocha tranquillement la tête, et vida sa tasse de café sans dire un mot, considérant son vis à vis d'un œil fatigué. Elle n'avait pas pu dormir de la nuit, et naturellement, quand on avait reçu cet homme étrange au commissariat, l'on avait appelé la responsable de l'enquête — en d'autres termes, elle. Cela ne lui avait pas plu du tout, et elle se trouvait encore dans une humeur noire, si bien que répondre aux questions sans s'énerver lui demandait une immense concentration.

« Non. Bien sûr que non, maugréa-t-elle. Le dernier des imbéciles comprendrait qu'il ne s'agit que d'un illuminé en quête de son heure de gloire. Un crétin qui veut faire parler de lui, en somme. Il y en a beaucoup, des gens comme ça, qui viennent faire perdre son temps à la police. Comme si on n'avait pas assez de crimes sur les bras ! (Elle s'interrompit, le temps de repousser une mèche rebelle qui retombait sur son front avec trop d'insistance.) Je ne sais pas trop quoi faire, et l'interroger... Bon sang, est-ce que je pourrais seulement obtenir une réponse cohérente d'un type pareil ?
— En prenant en compte tout ce que tu viens de me dire, je crois que c'est peu probable.
— Nom d'un... Je ne suis pas d'humeur à plaisanter. »

La femme enfouit son visage dans ses mains, et se frotta vigoureusement la figure, atterrée. Comment était-elle supposée réagir face à un cas pareil ? Sa carrière était déjà longue et couronnée d'un certain succès, mais elle n'avait encore jamais fait face à ce genre de... elle ne savait même pas quel qualificatif conviendrait pour décrire cette affaire invraisemblable. Voilà déjà deux semaines que cet Atlas faisait parler de lui, depuis l'article de Robert, et tout partait déjà dans toutes les directions. Elle n'aurait aucune honte, aucun scrupule à l'avouer ; elle était épuisée.

Le journaliste quant à lui, n'avait pas la moindre idée de ce qu'il fallait faire dans une telle situation. Interroger un homme visiblement aliéné ne devait pas se solder par un résultat concluant, bien au contraire. Mais alors, que faire ? Attendre de rassembler plus de preuves était une perte de temps, car il n'y avait rien sur la scène de crime que la police n'eût pas scrupuleusement examiné. Peut-être la famille de la victime, mais là encore, ce serait une piste bien mince.

La vraie question était Atlas. Le meurtre était-il de son fait ? Atlas était-il une seule personne, ou bien une identité endossée par plusieurs anciens combattants, par exemple ? Souffrait-il d'une quelconque afflicition mentale, ou était-il lui-même ? Beaucoup de questions dont les réponses seraient, Robert s'en doutait, difficiles à découvrir. Lui était prêt à prendre le risque de creuser pour voir ce qui se cachait sous la surface. Cependant, il restait à savoir comment s'y prendre, et ça n'était pas la chose la plus simple.

« Toi, tu es doué avec les mots, intervint brusquement Karen, un mince espoir au fond des yeux. Tu pourrais peut-être...
— Quoi ? fit-il en haussant un sourcil, dubitatif. Tu me demandes d'interroger ce... cet imposteur, comme le ferait un flic ? Tu sembles oublier que je n'ai ni les qualifications, ni les autorisations pour procéder à ce genre de truc. Vraiment, je t'ai connue en meilleure forme, tu ne manques pas d'idées habituellement. »

Elle semblait en effet mal en point, comme il l'avait si justement souligné. Ses cheveux désordonnés, ses yeux à demi clos et cernés, ses bâillements intempestifs... Pas de doute, il lui fallait du repos. Et, bien qu'il eût particulièrement envie de se cacher derrière les procédures judiciaires, Robert Marlowe n'était pas du genre à refuser une telle chose à une vieille amie dans le besoin. Allait-il accepter ? Il le fallait, pour avancer dans cette enquête. Elle aurait une dette envers lui, de cette façon ; elle ne lui refuserait plus l'accès à des dossiers croustillants, par exemple...

Il secoua la tête. Non, ce n'était clairement pas le bon état d'esprit. Il allait l'aider avec son énergumène, et ce pour résoudre une affaire de meurtre, par pour s'assurer une faveur à l'avenir. Opportuniste, il l'était, mais pas à un tel point ; cela, il le laissait aux types comme John Sullivan, ces fieffés menteurs et manipulateurs. Lui n'avait pas assez d'esprit pour être semblable à ces grands criminels en costume de luxe.

« Un simple journaliste, se répéta-t-il en son for intérieur, comme souvent. Tu n'es pas un grand homme, juste un journaliste, alors reste à ta place. »

Doucement, il prit la main de Karen dans la sienne, pour ne pas la brusquer, et tenta tant bien que mal d'afficher un sourire. Chose difficile dans des circonstances pareilles, mais l'intention comptait.

« D'accord, mais tu viendras me chaperonner. J'ai pas envie de me retrouver tout seul avec un gars comme ça, tu sais. »

Histoire de faire bonne figure, de ne pas passer pour un lâche, il ajouta sur le ton de la plaisanterie :

« De toute façon, si tu ne m'accompagnes pas, on me refusera l'accès. »

Ainsi l'affaire était entendue, au grand soulagement de l'inspectrice exténuée. Lorsqu'ils se levèrent pour quitter la terrasse, l'homme aux cheveux blancs ne manqua pas de saisir le journal et de le jeter sans ménagement dans la première poubelle venue ; il n'avait pas besoin de ces ragots stupides, et la région non plus.


x x x
Rivamar


Agacée par sa tâche, qui devenait fastidieuse, Angela Meltzer poussa un soupir las, presque mélancolique. Elle avait trouvé cela excitant, au début, de filer cette fédérale à la mine patibulaire. Mais à présent, cela devenait ennuyeux. Les deux derniers jours, elle les avait passés à enquêter sur les lieux d'un incident regrettable. Les ruines du centre Pokémon cachaient-elles des choses susceptibles de les mener vers quelque affaire invraisemblable ? Après tout, voilà déjà plusieurs jours que les recherches suivaient leur cours, ce qui signifiait que de nombreux indices se trouvaient là...

La photographe soupira, et rajusta son chapeau noir, qui se mêlait très bien avec le rouge de ses cheveux et le gris de sa jupe. Voilà une bonne demi-heure qu'elle attendait ainsi, assise sur un banc en face de l'hôtel principal de John Sullivan. Faute de pouvoir filer convenablement Nellie Sutton, car l'accès aux décombres du centre était interdit aux civils, elle allait devoir trouver un moyen détourné si elle voulait en apprendre plus à propos de son employeur provisoire. Pour ce faire, quoi de mieux que de s'adresser directement à son plus fidèle et plus proche employé ?

Elle avait déjà rencontré Roy Andreivic par le passé, ayant fait sa connaissance par le biais de Robert. L'européen taciturne ne lui avait fait ni bonne, ni mauvaise impression, étant resté courtois mais distant ; comme tout étranger, en somme. Elle ne le connaissait pas suffisamment pour qu'ils se considèrent l'un et l'autre comme des amis, mais si elle lui disait qu'elle travaillait pour John Sullivan et qu'elle avait sa confiance, il n'y avait pas de raison...

Angela cessa immédiatement de réfléchir en reconnaissant, de l'autre côté de la rue, la personne qu'elle attendait ; sa très bonne vue ne la trompait pas, il s'agissait bien de l'exilé russe auquel elle comptait parler. Pressant le pas, elle traversa la route sans attendre, si bien qu'elle manqua de se faire renverser par une voiture, qui heureusement fut arrêtée à temps par son chauffeur. Lequel ne se priva pas de pousser quelques jurons bien sentis afin de manifester son mécontentement ; mais la trentenaire aux cheveux de feu n'en avait cure.

Elle dut jouer des coudes pour se frayer un chemin sur le trottoir bondé, maudissant cette ville d'être si animée. D'ordinaire, cela ne lui déplaisait pas, car elle détestait rester statique et se délectait de voir du mouvement autour d'elle, mais l'aspect pratique d'une rue peu encombrée lui sautait désormais aux yeux. Finalement, elle parvint à rattraper l'employé, qui marchait plutôt vite, et l'attrapa par la manche de sa chemise ; cela manqua de faire tomber la mallette qu'il tenait, contenant probablement quelque chose d'important — des liasses de billets, songea-t-elle.

« Bon sang de... ! jura Roy, agacé d'être ainsi interpellé, sans la moindre courtoisie. Oh, c'est vous. Je ne m'attendais pas à vous voir par ici.
— On ne rêverait pas mieux, comme accueil... ironisa-t-elle.
— Je peux en dire autant de votre façon de vous présenter aux gens, mademoiselle Meltzer. Ou est-ce madame ? J'ai cru entendre dire que vous et monsieur Marlowe... »

Tout en parlant, il l'entraîna sur un banc pour éviter de bloquer le chemin à tous les passants pressés qui marchaient dans un sens et dans l'autre, le long des trottoirs. Il posa sa mallette sur ses genoux, délicatement, comme si elle contenait quelque chose de précieux. Elle s'installa à ses côtés, croisant les jambes, observant avec attention le mouvement homogène de la foule sous ses yeux.

« Les relations que j'entretiens avec Robert sont principalement professionnelles, si c'est votre question. Il a un penchant pour moi, et je ne serais pas surprise par une demande en mariage venant de lui, mais ce n'est pas le sujet que je voulais aborder avec vous aujourd'hui.
— C'est vrai. Veuillez m'excuser pour ma, euh, pour mon indiscrétion, c'était malvenu. »

Un climat plutôt tendu semblait s'être installé entre eux, sans qu'ils n'en aient vraiment eu conscience. Afin de détendre l'atmosphère, Angela s'intéressa à la mallette que son vis à vis portait, intriguée par ce qu'elle pouvait bien contenir. Comme espéré, le visage de l'européen se fendit d'un sourire sympathique, et il ouvrit l'attaché-case pour en sortir une sphère toute blanche, striée d'une ligne rouge centrale ; une Honorball, pokéball au design plus élégant et épuré que la version classique.

« C'est un Pokémon pour ma fille, expliqua-t-il, le regard plein d'une tendresse qu'elle ne lui connaissait pas. Elle a insisté pour que je lui capture un Goélise, cette enfant est dingue des oiseaux.
— J'ignorais que vous aviez des enfants... C'est une bonne chose, d'avoir une famille, j'imagine. Je n'ai jamais réellement eu cette chance, soupira-t-elle, s'efforçant de garder un air digne et tranquille.
— Ne vous en faites pas, je sais ce que c'est que d'être seul. Monsieur Sullivan m'a donné une chance d'obtenir une nouvelle vie, d'avoir une famille... C'est un peu un frère de substitution. »

La photographe sauta sur l'occasion pour embrayer sur un autre sujet ayant également un rapport avec John Sullivan ; elle ne souhaitait pas perdre trop de temps à discuter avec un homme aussi sentimental, car elle ne se prêtait guère au jeu, étant trop pragmatique et fière. Elle en avait déjà trop dit sur elle-même.

« A propos de monsieur Sullivan, j'aimerais en savoir un peu plus à son sujet, car il semble être... comment dire, eh bien, assez mystérieux, impossible à cerner. C'est troublant, comme impression. »

Le sujet sembla refroidir un peu Roy, dont le sourire s'effaça immédiatement. Elle songea que, peut-être, le célèbre magnat des hôtels et des casinos avait des secrets qu'il ne souhaitait pas voir révélés. Oui, bien sûr, comme tout le monde, il doit avoir des secrets. Reste à savoir à quel point ils sont... sales. Elle crut bien qu'il n'allait pas répondre, car il semblait déconnecté du reste du monde, mais il finit par se reprendre.

« Monsieur Sullivan est un homme occupé, et en tant que son bras droit, c'est aussi mon cas. De plus, vous ne pouvez pas, euh, vous immiscer comme si de rien n'était dans sa vie.
— Je travaille pour lui, si cela peut vous rassurer, fit-elle remarquer, penaude. Il me fait confiance, il me l'a dit.
— Oui... oui, mais la confiance a plusieurs degrés. Il ne vous fait pas confiance comme il me fait confiance, vous savez. »

Angela se renfrogna, et rajusta nerveusement son chapeau noir, supportant mal l'immobilité. Peut-être bien que s'adresser à cet homme-là n'était pas une bonne idée, en fin de compte. S'il lui mettait des bâtons dans les roues ? Il pourrait très bien faire part à Sullivan de sa curiosité un peu trop pénible, auquel cas celui-ci s'arrangerait pour trouver quelqu'un d'autre afin de filer Nellie Sutton. Et adieu ses potentielles informations... Que faire ?

« Bon, écoutez. Si vous faites votre travail avec suffisamment d'efficacité, monsieur Sullivan admettra sans problème que vous êtes digne de confiance, et dans ce cas-là, il sera disposé à vous mettre dans certaines, euh, confidences. Connaître mon patron ne se demande pas, ça se mérite. La tâche qu'il vous a donnée, c'était... ?
— Filer l'agent fédéral Sutton et découvrir ce qu'elle manigance au juste, car elle le soupçonne de quelque chose, et il voit en elle un potentiel danger... Enfin, un truc dans ce goût-là, l'informa-t-elle, son cerveau tournant à toute allure. »

Roy acquiesça calmement, et sembla peser le pour et le contre en son for intérieur. Finalement, il hocha la tête une nouvelle fois, et émit un soupir résigné — c'est tout du moins l'interprétation qu'en fit la photographe intrépide.

« Vous n'avez qu'à vous adresser à son partenaire, Nate Wilde. Un rouquin a l'air un peu étourdi, vous l'avez peut-être vu en compagnie de Sutton. Il ne devrait pas rechigner à vous aider, sa collègue et lui ne s'entendent pas très bien. »

Il consulta sa montre du coin de l'œil, puis se leva, sa mallette en main. Poliment, il tendit sa main à la femme, qui se releva elle aussi.

« J'ai promis de ne pas rentrer trop tard, alors je dois vous abandonner ici, mademoiselle Meltzer. Au plaisir de vous revoir. »

Elle le salua, puis le regarda s'éloigner d'un pas rapide, à travers la foule qui occupait le trottoir. Son intuition lui disait que, au contraire, il n'aurait pas le moindre plaisir à la revoir. Après tout, lors de ce petit entretien, elle lui avait presque arraché des informations qu'il ne souhaitait pas spécialement partager. Même s'il avait tenu bon, elle espérait pouvoir faire plier ce Wilde plus facilement, quitte à devoir le manipuler un peu si cela s'avérait nécessaire.

Tout ce qui importait, c'était de déterminer si, oui ou non, elle faisait fausse route ; le si respecté John Sullivan pouvait-il être un criminel ?


x x x

Lieu inconnu

Qu'avait-il fait ?

Tout cela était-il réel ?

Avait-il vraiment tué cette femme qui n'avait rien demandé ?

Les souvenirs s'entrechoquaient, s'éparpillaient, dans une danse incontrôlable et dénuée de sens. L'odeur du sang, sa main tenant fermement le marteau, l'arme de fortune s'abattant rageusement dans le visage de la dame... une fois, puis deux, puis même trois, et ce jusqu'à ce qu'il perde le compte... Et ses mains couvertes d'une hémoglobine d'un rouge vif, traçant méthodiquement cinq lettres pour former ce mot dénué de sens...

En proie au plus profond dégoût, il saisit sa tête entre ses mains. Il avait tué quelqu'un, sans raison. Y avait-il une raison, au fond ? Si oui, il ne la connaissait pas. Il voulut pleurer, mais impossible. Cela ne lui faisait-il rien, d'avoir ôté une vie, qui plus est avec tant de violence... ?

Tout ce qu'il désirait, c'était mourir. Mourir. Il ne ferait plus de mal à personne, s'il mourait, n'est-ce pas ? Oui, c'était l'idée la plus raisonnable...

Cependant, une voix dans son esprit, une voix qu'il ne connaissait que trop bien, le rappela à l'ordre. Il avait manqué d'oublier ; il n'était pas libre, il n'était personne sinon un esclave.