Chapitre 3 : Une perte bien courageuse
Pour une des premières fois de sa vie, Ethan, alias Ultra-Hack, ressentit la peur. La réelle peur. Il n'était pas face à la crainte d'avoir loupé un épisode de sa série préférée du moment, où même celle de ne pas avoir de papier toilette alors en pleine action. Non, quand bien même il serait resté bloqué dans son ascenseur, celui de la tour Maracas, il n'aurait pas eu peur. Alors bien entendu, il se serait ennuyé, mais là, il ne s'ennuyait pas.
Un vague fourmillement progressa depuis la plante de ses pieds jusqu'à ses mollets, ses genoux, puis ses cuisses, et enfin ses poumons. L'angoisse, couplée à un soupçon d'adrénaline, générait en lui une peur intense. Il était seul dans une petite pièce sans issue de secours, avec la police qui se dirigeait vers lui, certainement armée et accompagnée de Medhyenas.
Pour l'instant, il s'affairait à essayer d'allumer les lampes de secours. Il plissa les yeux, songeant parallèlement à la distance le séparant des forces de l'ordre. Compte tenu du silence régnant dans les bâtiments, aucun bruit parasite ne pouvait le tromper. Ensuite, un certain écho était à prévoir. Au mieux, il restait cent mètres à faire avant de l'atteindre.
Des cris de Medhyena lointains confirmèrent son hypothèse. Ensuite, c'étaient cent mètres qu'ils franchissaient certainement en courant. Donc il restait à Ultra-Hack vingt secondes tout au plus pour parvenir à ses fins. Et il restait à peine le double de ce temps pour que R-Slayer se pointe. Sans lui, la défense était impossible ; il n'avait rien d'un guerrier, et Z-Support... Pour l'instant, Z-Support était absent. Et quand bien même il serait présent, des fumigènes ne leur seraient que d'une mince aide.
Rapidement, il se repassa le plan des lieux en tête. Les petits (à l'échelle du lycée, bien entendu) escaliers étaient disposés tous les cinquante mètres le long des couloirs, eux-même reliés par des passerelles. Au mieux, il pourrait terminer son travail à temps et s'échapper par l'un deux, briser une vitre et sortir. Enfin, encore une fois, ce plan était voué à l'échec. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était espérer que ses camarades reviennent vite. Très vite.
Z-Support, de son côté, approchait sa main de l'objet de ses désirs, tremblant. Elle était là. Depuis le temps qu'il la désirait, il pourrait enfin l'avoir. Soudain, il entendit des bruits, et il se figea. Des bruits de pas lourds, des aboiements, des voix masculines. Sa fine ouïe ne pouvait pas le tromper, les « Trouvez-les ! » étaient bien adressés à eux.
L'adrénaline disparut soudainement, laissant place à une panique presque incontrôlable, qui le fit trembler violemment. Ses jambes vacillèrent. Il devait s'enfuir. Au plus vite, tant que la police ne l'avait pas encore atteint. Il fit un pas, arraché, sec, et s'immobilisa. Non, il ne pouvait pas laisser ses amis ainsi. Alors que faire ?
Son talkie-walkie vibra soudainement, l'arrachant à ses pensées et le faisant sursauter. Toujours tremblant, il le décrocha et le porta à son oreille.
— O...Oui ? bégaya-t-il.
« … Zeke, c'est Rodolphe ! Navré de ne pas t'appeler par ton nom de héros, le temps presse. Écoute, la police est ici, avec des Medhyena et tout le bordel ! Ethan est toujours coincé à allumer les lampes, et moi, je suis dix-sept étages au-dessus ! Tu dois aller l'aider ! »
— L'aider ? M... Moi ? Mais je ne servirai à rien...
« … On n'a pas le temps de penser à ça ! Je sais que tu seras capable de gérer la situation jusqu'à ce que j'arrive ! Si tu n'y vas pas, Ethan va se faire attraper, et ce sera la fin de sa carrière de héros comme de sa vie de lycéen ! »
— Mais... Mais à ce rythme, c'est notre carrière à tous les trois qui va se terminer !
« … Non, pas si on est soudés, justement ! N'oublie pas que là où nous sommes les plus forts, c'est quand nous sommes réunis ! Alors je t'en supplie, va l'aider ! J'ai juste besoin que tu tiennes deux à trois minutes, le temps que je descende ! Une fois que je serai là, tout ira bien, ne t'inquiètes pas. Je compte sur toi, Z-Support ! »
Le jeune garçon resta ainsi, suspendu à son talkie-walkie, le regard perdu dans la faible lumière qu'il produisait. Je dois y aller, songea-t-il. Il raccrocha son appareil, et tenta d'avancer. Impossible. Ses jambes étaient collées au sol. Peut-être ses muscles s'étaient retrouvés tétanisés à cause de la peur, où peut-être son cerveau se rendait-il tout simplement compte que c'était une très mauvaise idée.
Soudain, il perçut parmi les inaudibles bribes de voix un « J'aperçois de la lumière, là-bas ! », qui lui fit écarquiller les yeux. Un seul endroit, en ce couloir, produisait de la lumière. Très clairement, il s'agissait du local où se trouvait Ultra-Hack. Il serra les poings, se maudit intérieurement, prit une grande inspiration censée le calmer, et se mit à courir.
Il ne sentait plus rien. Son corps semblait si léger, porté par des jambes qu'il ne sentait même plus. De même pour ses bras, leur énergie semblait comme aspirée.
— Allez Zeke, parvint-il à articuler, tu dois y aller !
Les larmes coulaient presque sur ses joues, tant il avait peur. Pourtant, désormais il ne s'arrêtait plus. Face à lui, il aperçut une source de lumière immobile. Ultra-Hack, très certainement. Que fait-il ? Pourquoi il ne bouge pas ?! Il faut s'enfuir d'ici ! Alors il comprit que son ami était entouré par les Pokémon.
— Ne bouge pas ! lui hurla l'un des policiers.
Le proviseur était présent lui aussi, au milieu du groupe.
— Regardez ! s'écria un deuxième policier. Il y en a un autre !
Et la meute tourna la tête vers Z-Support, tout comme son ami lui-même, qui semblait presque ébahi par sa bêtise. Courant toujours, il fouilla dans l'une de ses poches, de laquelle il sortit quatre petits fumigènes odorants, et criant, il les jeta vers les adversaires, qui aussitôt s'en retrouvèrent tant aveuglés que désorientés.
— Petits merdeux ! siffla le proviseur, toussant. Vous allez passer un sale quart d'heure !
Mais sans se faire attendre, le héros attrapa cette fois un briquet électrique et des pétards, qu'allumant, il jeta vers les assaillants, au moment même où Ultra-Hack se ruait de son côté. Les détonations successives firent paniquer les Medhyena, qui aboyèrent sans retenue, et firent sursauter les humains, toujours enfumés.
— On doit s'éloigner ! lança Z-Support. On peut rien faire, tous seuls !
— C'est inutile, répondit l'autre. Ils finiront bien par nous rattraper, quoi qu'on fasse. R-Slayer sera bientôt là, donc patientons. Il te reste des pièges ?
L'intéressé chercha aussitôt dans les poches de sa ceinture à la recherche des dits pièges. Il en ressortit quelques fumigènes, des pétards de gros calibre, des bombes odorantes, et du fil. Voyant les explosifs, Ultra-Hack leva les yeux vers son collègue.
— Tu es sûr de toi ? lui demanda-t-il.
— On n'a pas le choix, je m’efforcerai de viser les pieds, hésita-t-il.
Alors, dans une main il se saisit de l'un des pétards, long d'une petite dizaine de centimètres, et de l'autre il attrapa son briquet électrique. Son ami, lui, tenait en main les fumigènes. Dès lors qu'il entendit les premiers cris de Medhyena, il les jeta, créant un écran de fumée qui les repoussa, apeurés. Z-Support envoya aussitôt le premier pétard, qui avec une forte détonation fit paniquer les créatures.
Derrière, les policiers n'étaient pas confiants non plus. Le héros arma un second pétard, qu'il jeta dans le brouillard. Immédiatement après cela, il envoya une bombe odorante, et les deux comparses se séparèrent d'un côté à l'autre du couloir pour y accrocher le fil, à une dizaine de centimètres du sol. Ultra-Hack laissa tomber un fumigène dessus, de sorte que sa présence était entièrement masquée, et après un échange de regards, ils hochèrent tous deux la tête.
— Allons-y ! s'écria-t-il volontairement. On s'enfuit par là-bas !
Bien entendu, il accentua le « là-bas », de sorte que même le plus imbécile des humains put comprendre qu'il s'agissait de la direction opposée. Pas sûr qu'il comprenne le stratagème, toutefois.
— Ne les laissez pas s'échapper ! s'exclama l'une des voix masculines.
Se mettant à la suite des deux héros, les policiers s'écroulèrent au sol, les pris pris dans le fil tendu. Seuls les Medhyena l'évitèrent, et se regroupèrent aussitôt autour des fuyards, plus rapides. C'était une scène étrange qui se déroulait dans le couloir d'Asagi-land. D'un côté, une police stupide se prenait les pieds dans un piège tendu par des élèves de seconde, et de l'autre... De l'autre, les Pokémon reculaient.
— Que... Que se passe-t-il ? fit Ultra-Hack, troublé par la situation.
Certains se couchaient, d'autres grognaient puis gémissaient, et d'autres enfin s'écartaient.
— Ils ont peur... souffla Z-Support. Tu pense que c'est à cause des pétards ? Où même de nos masques, si ça se trouve ?
Mais alors, les poursuivants les rattrapèrent, débarrassés de leur ridicule piège. Ultra-Hack eut à peine le temps de se tourner qu'il vit une épaisse main se tendre vers lui, prête à l'attraper. Z-Support eut à peine le temps de se retourner pour lui voir un bokken s'abattre lourdement sur le crâne de l'homme en question, qui tomba au sol, sonné.
— R-Slayer ! s'écria-t-il, le sourire aux lèvres.
Le jeune garçon à la chemise enflammée atterrit au sol, sous le regard stupéfait de tous les individus présents sur les lieux.
— Tu viens d'où ? lui demanda Ultra-Hack.
— J'ai pris un raccourci, fit-il en indiquant les petits escaliers non loin. Vos pétards m'ont permis de savoir où je me rendais.
— Bon... Pour la mission ? s'enquit Z-Support, toujours apeuré. Je veux dire... Comment on va s'échapper ?
Son ami le regarda droit dans les yeux, souriant malgré son masque.
— Qui a parlé de s'échapper ? lança-t-il. On va la finir, cette foutue mission. Croyez-moi ou pas, mais on n'est pas venus ici pour rentrer bredouilles ! Fais-moi voir tout ce qu'il te reste comme pièges, par contre.
Hésitant, il lui donna ses autres pétards, briquet, fumigènes, bombes odorantes et fil restants. R-Slayer les rangea, et se tourna alors de nouveau vers son camarade.
— Nous allons rester ici, avec Ultra-Hack. Toi pendant ce temps...
Il lui jeta un objet, que le jeune garçon galéra à rattraper. L'ayant enfin, il la regarda, et surpris...
— Une clé ? demanda-t-il.
— Affirmatif. Pendant ce temps, tu vas aller remplir l'objectif de la mission. Je veux que tu ailles libérer les cibles, que tu t'échappes avec, et que tu les remette dans la nature. Comme c'était prévu, en somme.
— Mais... Et vous ?
— Ne t'occupe pas de nous. Les lumières sont allumées, il ne reste plus qu'à conclure ça. On va dire qu'on se retrouve chez toi, d'accord ?
— Mais pourquoi vous ne partez pas avec moi ?! Je veux dire... Ça ne sert à rien de rester ici !
— Bien sûr que si. Tout d'abord, nous allons te couvrir, puis nous allons faire en sorte qu'ils sortent de cet endroit avant nous. A quoi cela nous servirait de fuir ? Nous sommes des héros, pas des criminels ! Je refuse de laisser cet endroit ouvert et sale. Nous ne venons pas ici pour vandaliser, mais bien pour remplir une cause juste. Il y a derrière la propreté apparente du lieu des gens qui travaillent. Alors, rien que pour eux, je ne laisserai pas les traces de poudre, les fils, les lumières allumées, et tout ce que nous avons fait.
Ce respect des autres ne cessait jamais d'étonner Z-Support, qui regardait son ami avec admiration.
— Maintenant, dépêche-toi ! Je crains qu'ils ne finissent pas se lasser et n'appellent des renforts ! Vas-y, vite ! On te fait confiance, fais-nous maintenant confiance !
Ravalant son appréhension, il tourna les talons et se mit à courir en direction du grand escalier, au fond du couloir. Il ne voulait prendre le risque de se perdre dans une telle obscurité, n'ayant ni le temps ni le calme nécessaire. Il jeta un regard derrière-lui, en direction de ses collègues héros qui se sacrifiaient presque pour lui.
Peu de temps après qu'il soit parti, les Medhyena semblèrent retrouver leur agressivité, grognant dans tous les sens.
— Eh bien c'est pas trop tôt, soupira Ultra-Hack. Heureusement qu'il est parti avant. Mais honnêtement, tu penses qu'on réussira à les faire abandonner ?
L'autre resta quelques secondes silencieux, le regard dans le vide. Déjà, les policiers commençaient à les encercler, lentement, précautionneusement.
— Non. Mais comment aurais-je pu lui dire que nous n'avions tous deux aucune chance de nous échapper ?
Derrière son masque, son ami sourit, presque calme.
— Je nous donne quinze minutes, fit-il. Au-delà de ça, les renforts arriveront. Espérons qu'il se dépêche de sortir les bestioles et qu'il se barre de là avant.